République démocratique du Congo : Le Nord-Est, objet de toutes les convoitises
Alain RODIER
L'instabilité du nord-est de la République démocratique du Congo (RDC) est endémique depuis de très longues années. La richesse de son sous-sol en est la raison principale. En effet, elle entraîne la convoitise exacerbée des différents acteurs gouvernementaux, ethniques et des pays voisins qui, individuellement, ne sont pas assez puissants pour prendre le dessus. Comme toujours dans ce cas de figure, s'il n'y a pas de gagnant parfaitement identifiable, les victimes, elles, sont bien connues : les populations civiles qui dorment sur ces ressources mais qui n'en profitent jamais. Pire encore, elles sont prises entre les tirs croisés des différentes factions qui tentent de se les approprier depuis des lustres.
Le dernier conflit officiel au Kivu a duré de 2004 à 2009. Le 23 mars 2009, des accords de paix ont bien été conclus entre le pouvoir en place à Kinshasa et le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), mouvement tutsi héritier du Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD) après la mise hors course de son leader Laurent Nkundadbatware Mihigo – dit Nkunda -, mais la stabilité n'a jamais été instaurée. Dans un premier temps, une partie des activistes armés du CNDP ont été intégrés dans les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC). Puis début avril 2012, 300 de ses membres, emmenées par le général Bosco Ntaganda – alias « Terminator » – ont déserté et se sont retournés contre les autorités dans la région de Rutshuru, au nord de Goma. Ils considéraient que Kinshasa n'avait pas tenu ses engagements[1]. De leur côté, les autorités accusaient les responsables du CNDP de profiter de leur nouvelle position de responsabilité pour contrôler le trafic de minerais, ce qui avait poussé le gouvernement à muter des militaires issus de ce mouvement dans d'autres régions de RDC, mesure bien évidemment refusée par les intéressés.
Le Mouvement du 23 mars
Le 6 mai 2012, le groupe rebelle qui s'est considérablement renforcé (de 2 500 à 3 000 combattants) a pris l'appellation de Mouvement du 23 mars ou M23, en référence à l'accord de paix de 2009. L'afflux soudain de centaines d'hommes en armes laisse à penser qu'une bonne partie d'entre eux provenait du Rwanda voisin. En effet, cette nouvelle rébellion dirigée par le colonel – devenu depuis général – Sultani Makenga aurait été soutenue plus ou moins discrètement par le Rwanda. Car Kigali pensait pourvoir utiliser le M23 contre les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR, hutus[2]) présentes dans l'est de la RDC.
Un président du M23 était désigné lors du congrès du 17 août de la même année en la personne de Bishop Jean-Marie Runiga Lugerro, un ancien leader du CNDP. Sa présence n'a pas été très longue puisque, accusé de trahison, il a été remplacé autoritairement en mars 2013 par Bertrand Bisimwa, un des porte-paroles du M23. A partir de mi-2012, la branche armée du M23[3], ne rencontrant que peu de résistance, est allée de conquête en conquête. L'ARC s'est ainsi emparée de Rutsuru et Bunagana en juillet 2012, puis de Kibumba et de Goma et de ses environs, en novembre de la même année. Toutefois, les rebelles, essoufflés, ont évacué une dizaine de jours plus tard la zone de Goma en laissant derrière eux une multitudes de groupuscules armés dont les alliances varient au fil du temps. Parmi eux on compte quelques centaines d'hommes des FDLR (hutus[4]), des combattants Maï-Maï du Raïa Mutomboki (« Le peuple révolté ») et des bandes purement criminelles qui profitent de la situation pour se livrer à de nombreuses exactions.
Les activistes du M23 s'en sont également pris aux populations civiles, ce qui a valu au mouvement rebelle d'être placé sur la « liste noire » des Etats-Unis. Ces horreurs – des milliers de meurtres, viols et pillages- ont provoqué le déplacement de populations et l'afflux de miséreux dans les de camps de réfugiés qui connaissent des situations sanitaires dramatiques. Différentes négociations ont eu lieu mais force est de constater que les revendications du M23 sont fluctuantes : il demande à parler avec le pouvoir central puis exige ensuite le départ du président Joseph Kabila. Le fait de souhaiter ce qu'il appelle une « bonne gouvernance » reste un concept assez fumeux.
Quant à la figure du M23 qui a agi dans l'ombre depuis le début de la rébellion, le général Ntaganda – il a toujours nié appartenir au M23 -, il a préféré se livrer à l'ambassade américaine au Rwanda. Il avait trouvé refuge dans ce pays début 2013, suite à l'éviction du chef politique du M23, Bishop Lugero[5]. Il a rapidement été exfiltré du pays afin d'être déféré devant la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye qui l'accuse de crimes contre l'humanité et de crimes de guerre. Cette manière de procéder en dit long sur l'insécurité qui règne dans la région. Ntaganda craint tellement d'être assassiné qu'il préfère risquer l'enfermement à vie que de rester présent, même dans ce qu'il peut considérer comme étant un pays « ami ». Par contre, il sera intéressant de connaître ses déclarations, en particulier concernant le rôle joué par le Rwanda et l'Ouganda dans les développements récents !
Un chef militaire changeant et ambitieux
La branche militaire du M23 est dirigée par le Tutsi Sultani Emmanuel Makenga est né le 25 décembre 1973. Sa famille est originaire de la région de Mugogwe au Rwanda. Bien que ses parents habitaient à Masisi en RDC, il a grandi dans la province voisine de Rushuru dans le Nord-Kivu.
Il rejoint le Front patriotique rwandais (FPR) à la fin des années 1980. Fait exceptionnel pour un citoyen congolais, il est promu sous-officier dans l'armée rwandaise. Lors de la deuxième guerre du Congo (1998-2002), il participe au raid aérien lancé sur Kitona, le 4 août 1998, par les forces rwandaises et le FPR. Il est placé sous les ordres du Rwandais James Kaberebe, qui est aujourd'hui le ministre de la Défense de ce pays. Il est alors désigné chef des opérations au Katanga. Toutefois, son indiscipline lui vaut par deux fois d'être incarcéré.
En 2005, il est nommé commandant d'un bataillon dépendant du Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD).Puis, il rejoint le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) du général Laurent Nkunda, dont il devient un des officiers les plus appréciés. Lorsque le CNDP est intégré à l'armée congolaise en 2007, il est promu au rang de colonel à la tête de la brigade Bravo, une des deux unités alors constituées.
En mai 2012, il déserte et rejoint la rébellion du M23 où il est élevé au grade de général. Son seul opposant au sein du mouvement est le « général » Baudoin Ngaruye, un proche du général Ntaganda aujourd'hui sous les verrous à La Haye. Toutefois, Ngaruye a fuit la RDC pour le Rwanda début 2013 et ne semble plus représenter une menace pour lui, du moins pour l'instant.
N'ayant reçu qu'une éducation sommaire, Makenga parle un français et un anglais élémentaires. Bien que jugé taciturne, il emporte l'adhésion de ses hommes par son style de commandement direct. Par contre, il est accusé par l'ONU de « meurtres, viols, enlèvements et déplacements forcés de populations ». Washington lui reproche aussi d'avoir recruté des enfants-soldats.
L'apparition de groupes islamiques ?
Mi-juillet, des localités du Nord-Kivu ont été l'objet d'attaques de l'ADF-NALU[6], faisant surgir le spectre de l'islamisme radical dans une région déjà bien instable. L'ADF-NALU est issu de la fusion, dans les années 1990, de deux mouvements alors opposés au président ougandais Yoweri Museveni. Si la composante NALU a disparu depuis, le nom a été conservé. Ce mouvement, qui a été soutenu à l'origine par le Soudan, comptait dans ses rangs de nombreux activistes du Tabligh qui s'étaient donnés pour mission de répandre l'islam de par le monde. Au fur et à mesure, les militants se sont radicalisés. Aujourd'hui, ADF-NALU est emmené par Jamil Mukulu, un ancien chrétien converti à l'islam. Le repaire de ce mouvement placé sur la liste terroriste par les Nations unies, l'Union européenne et les Etats-Unis, se trouve situé sur les pentes de la chaîne volcanique du Ruwenzori. L'ADF-NALU aurait des liens avec les Shebabs somaliens et recevrait des fonds de l'étranger ; mais il serait aussi très intéressé par les richesses du Nord-Kivu.
Des richesses attractives
Le problème principal réside dans la mise sous tutelle des richesses du sous-sol de la région du Kivu. Il faut se rappeler que la RDC est le deuxième producteur de cuivre au monde. On y trouve également du coltan[7], des pierres précieuses, de l'or, du cobalt, du zinc, du manganèse, etc. Dans le passé, le président Kabila et son entourage ont été accusés de brader d'importants actifs miniers à différentes compagnies offshore, dans le but de permettre « l'enrichissement de quelques-uns au mépris du plus grand nombre et de l'Etat » selon le député britannique Eric Joyce (rapport publié fin 2011).
De plus, des litiges frontaliers existent. A titre d'exemple, ils permettent à l'Angola d'extraire 860 000 barils par jour de deux blocs pétroliers maritimes situés dans une zone réclamée par la RDC. Le pouvoir central est faible car Joseph Kabila, arrivé à la magistrature suprême après l'assassinat de son père, Laurent-Désiré en janvier 2001, a été réélu en novembre 2011 avec de fortes présomptions de fraudes électorales massives. Toutefois, il a entamé des négociations avec ses homologues rwandais et ougandais, Paul Kagame et Yoweri Museveni, pour parvenir à un gentleman agreement. En cette occasion, Kigali et Kampala ont fermement démenti les accusations de leur implication dans les troubles qui règnent dans l'est de la RDC. Ils ont d'ailleurs signé un accord officiel qui interdit théoriquement toute ingérence dans l'est de la RDC.
L'ONU a déployé dans la région de Goma une brigade d'intervention de 3 000 hommes composée de militaires venant de Tanzanie, du Malawi et d'Afrique du Sud. Cette unité a reçu un mandat offensif qui lui permet de s'attaquer à tous les groupes armés, dont le M23. Cette brigade vient renforcer les 17 000 hommes de la Mission de l'Organisation des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO), qui est déjà la plus importante force déployée par l'ONU dans le monde. La tâche qui s'annonce est ardue et l'enlisement n'est pas à exclure. Seul l'avenir le dira.
- [1] L'accord prévoyait, entre autres, la libération de prisonniers, le retour de réfugiés résidant dans les pays voisins, l'intégration de membres du CNDP dans les institutions gouvernementales, etc.
- [2] Comme il l'a fait dans le passé avec le Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD, tutsi) qui s'est opposé au FDLR (hutu), composé en partie d'anciens responsables du génocide rwandais de 1994
- [3] Aussi appelée Armée révolutionnaire du Congo (ARC).
- [4] Ce que le Rwanda voisin (tutsi) ne peut évidement tolérer.
- [5] Lui-même en résidence surveillée au Rwanda.
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[6] Forces alliées démocratiques/Armée nationale pour la libération de l'Ouganda.
- [7] De 60 à 80% des ressources mondiales de ce minerai se trouvent dans l'est de la RDC. Il en est extrait du tantale qui entre dans la composition de condensateurs pour les équipements électroniques, notamment les téléphones portables.