Pourquoi les américains ont plié devant les iraniens ?
Alain RODIER
Le lundi 3 décembre, la Direction nationale du renseignement, qui centralise et synthétise les informations fournies par l’ensemble des agences de renseignement américaines, a rendu public un rapport (National Intelligence Estimate/NIE) estimant que l’Iran a arrêté son programme nucléaire militaire depuis fin 2003 en raison des pressions internationales. Néanmoins, ce rapport considère que si l’effort militaire iranien était relancé mi 2007, Téhéran pourrait théoriquement produire des armes nucléaires à partir des années 2010-2015.
Il s’agit là d’une volte-face radicale. Le précédent rapport sur le nucléaire iranien, rendu public en 2005, mettait en avant la détermination de Téhéran de se doter de l’arme nucléaire. C’est sur ce document que s’appuyait le président Bush pour réclamer plus de sanctions et envisager l’emploi de la force pour faire cesser le programme nucléaire iranien.
Téhéran ne s’y est pas trompé et s’est officiellement réjoui du contenu du dernier NIE qui éloigne la perspective d’une attaque préventive menée par les forces américaines.
Erreur ou manœuvre du renseignement américain ?
La publication de ce rapport conduit à formuler plusieurs hypothèses.
- La première est celle d’une erreur des services de renseignement américains : soit ils se sont lourdement trompés en surestimant précédemment la volonté de Téhéran de développer un armement nucléaire ; soit ils se trompent aujourd’hui en affirmant que le programme militaire est arrêté.
L’erreur fait partie intégrante du renseignement. Outre-Atlantique la dernière illustration en date fut l’analyse erronée concernant la présence d’armes de destruction massives en Irak, en 2002. Ces fausses informations avaient justifié l’intervention américaine en Irak. Il est à noter que dans cette affaire, les services secrets iraniens s’étaient livrés à une campagne d’intoxication visant à attirer les Américains dans le piège irakien. L’objectif des Iraniens était double : se débarrasser de leur vieil ennemi Saddam Hussein et embourber les forces américaines en Irak de manière à ce qu’elles n’aient plus la capacité de s’en prendre à l‘Iran.
Les renseignements à l’origine du dernier NIE seraient fondés sur l’interception des communications téléphoniques entre différentes autorités iraniennes, qui se plaignaient amèrement de l’arrêt du programme militaire nucléaire. Il est vraisemblable que ces renseignements ont été recoupés par d’autres sources car le NIE attribue à l’information un « haut degré de confiance ». En effet, une habile manœuvre d’intoxication menée par Téhéran, qui se sait écouté par les « grandes oreilles » de la NSA, est toujours à redouter. Ce serait faire injure à la compétence des Américains de croire qu’ils ne se sont pas livrés à des recoupements. - Seconde hypothèse, le NIE rendu public le 3 décembre dernier constitue une opération de désinformation conçue afin de conduire à Téhéran à relâcher sa vigilance, en vue du déclenchement prochain d’une opération militaire américaine. Toutefois, une manœuvre aussi machiavélique semble peu vraisemblable. En effet, comment ensuite expliquer à tous les pays alliés qu’ils ont été volontairement bernés ?
- Troisième hypothèse : ce NIE relèverait d’une manœuvre politique pilotée par le Congrès. En effet, à travers la publication de ce rapport, les services américains s’immiscent directement dans la politique intérieure. Nul doute que ce camouflet infligé à l’administration Bush va être largement exploité par l’opposition démocrate lors des prochaines élections présidentielles de 2008.
Pratiquement, ce NIE interdit maintenant au président Bush de déclencher une opération militaire contre Téhéran car elle ne serait pas justifiée. De nombreux observateurs craignaient que, se sentant investi d’une mission « quasi divine », le président sortant ne soit tenté de régler le problème iranien avant de quitter le pouvoir. Cette option paraît maintenant être écartée, au grand soulagement de nombreux responsables qui redoutaient les conséquences d’une telle opération. Désormais, l’heure est revenue à l’imposition de sanctions pour obliger Téhéran à arrêter son programme d’enrichissement de combustible nucléaire.
Un recul sous la menace des capacités de riposte de Téhéran ?
Une dernière hypothèse mérite d’être évoquée : la « dissuasion » représentée par les capacités de riposte conventionnelles et non conventionnelles iraniennes a vraisemblablement joué.
Il est intéressant d’analyser la stratégie que le régime des mollahs envisageait d’employer afin de répondre à une attaque américaine. Elle s’articule autour de trois axes :
- des frappes venues des airs,
- des attaques de type commando,
- des actions de subversion.
Les frappes venues des airs
L’aviation iranienne n’a pas la capacité de mener des raids aériens contre les pays voisins, en dehors de quelques actions ponctuelles, symboliques, et destinées à être exploitées à des fins de propagande. Il n’est pas exclu que quelques pilotes tentent de jouer les kamikazes contre les navires de la flotte américaine. Comme en 1945, les porte-avions constituent des cibles privilégiées car l’impact psychologique d’un seul coup au but serait immense.
Tous les appareils qui n’auraient pas été cloués au sol par l’aviation adverse seraient employés à la défense aérienne afin de causer un maximum de pertes à l’ennemi. Le but est là également plus psychologique qu’opérationnel. Montrer, à la télévision et sur le net, des pilotes américains abattus (voire israéliens s’ils sont engagés) serait un « must » pour la propagande iranienne. Il est cependant probable que l’aviation iranienne aura cessé d’exister dans les tous premiers jours, voire les premières heures du conflit. Par contre, la menace que fait peser la défense anti-aérienne iranienne sur les appareils agresseurs reste sérieuse.
L’état-major iranien prévoit l’emploi massif de missiles et de roquettes à longue portée. Sans revenir sur les caractéristiques techniques des différents armements qui sont en dotation au sein des forces iraniennes (surtout chez les pasdarans), il est intéressant de constater que la propagande du régime a effectué un certain nombre d’annonces fin 2007. Le but de Téhéran est évident : démontrer à l’adversaire potentiel ce qu’il va lui en coûter s’il met ses plans offensifs à exécution.
Lors du défilé traditionnel du 22 septembre, la composante aérienne des gardiens de la révolution a exhibé le missile balistique Ghadr 1 qui serait en fait un Shahab 3 qui aurait vu sa portée passer de 1 300 à 1 800 km. D’autre part, Mustafa Mohammad Nadjar, le ministre de la Défense a affirmé que l’Iran avait développé un nouveau missile baptisé Arusha, dont la portée serait de 2 000 km. Les caractéristiques techniques de ces armements, si elles sont avérées, mettent Israël et toutes les bases militaires américaines au Proche et Moyen-Orient à leur portée.
Le 30 octobre 2007, le commandant en chef de l’artillerie des pasdarans déclarait : « selon nos plans et notre préparation, dans la première minute qui suivra une invasion ennemie, l’Iran frappera les bases ennemies avec 11 000 roquettes et obus. Ce feu rapide et à grande échelle sera continu … ». Une telle affirmation est, comme d’habitude, totalement exagérée car il est matériellement impossible de délivrer une si grande quantité de munitions. Toutefois, elle laisse entrevoir une partie de la stratégie de l’artillerie iranienne. Il est vraisemblable que nombre d’obusiers et de lance-missiles sont prépositionnés dans des endroits protégés et camouflés, situés à proximité des frontières iraniennes. La plupart de ces fortifications ont été construites le long du front irakien lors du conflit qui a opposé ces deux Etats. Elles ont été modernisées et complétées avec le temps, particulièrement vers Abadan, dans le sud. Depuis ces positions de tir, les Iraniens menacent très dangereusement l’Irak, le Koweit et l’Arabie saoudite. Des fortifications du même type ont été érigées le long de la frontière est de l’Iran.
Les services secrets iraniens ont reconnu depuis longtemps les cibles à atteindre. Certaines sont particulièrement difficiles à protéger : installations pétrochimiques, infrastructures aéroportuaires et portuaires, etc. Il est aussi probable que tous les centres de décision politiques et militaires à portée seraient visés dans les minutes qui suivent une offensive ennemie. Or, si les Américains veulent bénéficier au maximum de la surprise, il est n’est pas possible d’évacuer ces organismes avant le déclenchement de l’action. Les pertes, au moins sur le plan matériel, risquent en conséquence d’être significatives, sans parler de la désorganisation qui s’ensuivrait.
Des attaques de type commando
Afin de compléter l’action des frappes aériennes, les forces spéciales iraniennes seraient lancées dans une série d’opérations commando dont bon nombre feraient appel à des kamikazes. L’objectif serait à la fois tactique et stratégique. Tactique car le but est de tenter de désorganiser au maximum le dispositif adverse, particulièrement en s’en prenant aux infrastructures militaires américaines et des pays alliés. Stratégique car des objectifs n’ayant rien à voir avec le « champ de bataille » seraient également visés, le but étant de provoquer une démoralisation des populations arabes, européennes et américaines, et pousser leurs dirigeants politiques à stopper l’offensive orchestrée par Washington.
Au premier rang de objectifs qui seraient visés en priorité figure le détroit d’Ormuz afin d’influer sur les approvisionnements en hydrocarbures.
Si la marine iranienne semble ne pas avoir la capacité technique d’intervenir d’une manière significative dans le détroit, elle peut néanmoins utiliser ses sous-marins classiques et de poche pour se livrer à une vaste opération de minage. Des commandos, notamment kamikazes, pourraient également utiliser des embarcations rapides afin d’attaquer les navires militaires et surtout civils car plus vulnérables. Enfin, la menace la plus importante est représentée par les batteries de missiles terre-mer pouvant prendre à partie tous les navires croisant dans la zone. De nombreuses positions de tir sont déjà enterrées ou protégées. Afin de limiter les risques de destruction, de nombreuses batteries sont mobiles, les munitions ayant été stockées par avance à proximité immédiate de postes de tir potentiels.
L’opposition en exil serait également visée par une vague d’opérations « homo » destinées à éliminer un maximum d’adversaires potentiels pour les prochaines années. Parallèlement, une très dure répression serait mise en œuvre à l’intérieur, bloquant tout espoir de changement politique à moyen et peut-être à long terme.
Des actions de subversion
Les services iraniens ont préparé des insurrections dans tous les pays où ils peuvent bénéficier de points d’appuis.
En Irak, les mouvements contrôlés par Téhéran ou favorables à sa politique (l’armée du Mahdi) peuvent à tout moment se lancer dans des opérations offensives contre les forces de la coalition. Le pays connaîtrait alors un embrasement généralisé. Le fragile équilibre actuellement maintenu par le pouvoir irakien volerait en éclats.
Au Liban, le Hezbollah se chargerait de mettre le pays à feu et à sang. Les territoires occupés pourraient connaître le même sort, le Hamas et le Djihad islamique étant à la pointe du combat.
En Arabie saoudite, le Hezbollah saoudien entrerait en action. Les Emirats arabes unis, le Koweït, le Bahreïn seraient sujets à des troubles graves.
Le Pakistan connaîtrait aussi un accroissement des violences interconfessionnelles. Et, comme par magie, tout l’ouest de l’Afghanistan s’enflammerait.
Plus surprenant pour le profane, une campagne anti-américaine monstre serait prévue en Amérique latine dirigée par le Venezuela, la Bolivie, le Guatemala et bien sûr, Cuba. Cela permettait en outre à ces régimes marxistes ou pro marxistes d’annihiler toute leur opposition.
Conclusion
La stratégie de riposte de l’Iran pourrait avoir été assez dissuasive pour démontrer qu’une action militaire dirigée contre son territoire entraînerait des conséquences inacceptables pour l’agresseur (les Etats-Unis) et les pays qui le soutiennent.
Mais ce n’est certainement pas la seule raison du revirement américain. Les enjeux de politique intérieure à moins d’un an des présidentielles, ont également joués.
Le président Bush semble désormais bloqué, à cause d’une initiative de sa propre administration qui, en théorie, devrait rester neutre. De nombreux observateurs se demandent quel est le rôle réel joué par la communauté du renseignement américain dans cette affaire. Tient-elle à se démarquer des faucons du département d’Etat ou à se faire pardonner ses erreurs passées (Irak) ? Se range-t-elle du côté des Démocrates ou plus simplement veut-elle éviter que les Etats-Unis ne se lancent dans des opérations hasardeuses dont les conséquences peuvent être catastrophiques ?
Tout cela ne doit pas faire oublier que le régime des mollahs représente toujours menace sérieuse pour sécurité la région, comme à l’échelle de la planète. Cette théocratie est aussi néfaste à l’intérieur qu’à l’extérieur. La solution des « sanctions » n’est peut-être pas la bonne, d’autant que l’on peut raisonnablement douter de leur efficacité ; mais elle est peut-être la moins mauvaise, au moins à court terme.