Océan indien : Nouvelle tactique meurtrière des pirates somaliens
Alain RODIER
Depuis le milieu de l'année 2010, les pirates somaliens ont adopté une nouvelle tactique qui les rend encore plus redoutables que par le passé. Ils utilisent des navires de fort tonnage, précédemment capturés, pour attaquer leurs cibles au large des côtes est africaines ou, plus fréquemment encore, s'en servent en tant que « bateaux-mères » à partir desquels ils lancent des embarcations légères à l'assaut de leurs proies. Cela leur permet d'allonger considérablement leur rayon d'action, qui s'étend désormais d'Oman au Mozambique et, plus à l'est, au large des îles Maldives, jusqu'aux eaux territoriales indiennes !
Ainsi, à la mi-février, des pirates somaliens ont arraisonné en mer d'Oman le yacht S/V Quest avec deux couples de retraités américains à bord. Après quatre jours de poursuite et de tractations avec l'US Navy, il semble que les pirates se sont querellés entre eux, entraînant des tirs qui ont forcé les militaires américains à intervenir. Les quatre otages ont alors été assassinés par leurs ravisseurs. Deux pirates ont été tués lors de l'abordage (dont l'un à l'arme blanche) et deux autres ont été retrouvés morts, sans doute tués au cours de la dispute qui aurait précédé l'assaut. Suite à cette opération, quinze pirates ont été appréhendés et envoyés aux Etats-Unis pour y être jugés. C'est la première fois en six ans de piraterie dans la zone que des Américains sont ainsi abattus[1]. Fait très inquiétant, il semble que les pirates n'hésitent plus à mettre leurs menaces de mort à exécution.
Sur le plan tactique, quand ces nouveaux « bateaux-mères » sont engagés directement, cela permet aux pirates de bénéficier de plates-formes beaucoup plus stables pour mettre en œuvre leurs armements et d'obtenir ainsi une meilleure précision des tirs, tout en bénéficiant d'une puissance de feu accrue, le nombre de servants pouvant utiliser leurs armes légères étant multiplié. Cette puissance de feu devrait être encore renforcée dans l'avenir avec l'installation sur ces bateaux d'armements plus lourds comme des mitrailleuses de 14,5 mm, des canons sans recul et des lance-roquettes (généralement du 122 mm). Enfin, cette tactique permet aux pirates d'intervenir en s'affranchissant de la météo, en particulier lors de la mousson, ce qui n'était pas le cas pour les embarcations légères.
Les responsables des forces navales Atalante (Union européenne) et Ocean Shield (OTAN) reconnaissent que la menace s'accroît constamment. Si le repérage des navires pirates est plus aisé en raison de leur taille importante, il est extrêmement difficile de les neutraliser car ces derniers embarquent généralement des otages qui servent de boucliers humains.
Les bâtiments qui sont nommément repérés comme bateaux pirates sont les cargos Sinar Kudus, Izumi, Polar, York, Renuar, Beluga et différents bateaux de pêche Shiuh Fu 1, Aly Zoulfecar, Jin Chun Tsai 68, Golden Wave et les Prantalay 11 & 12. Il est vraisemblable qu'il y en aura bien d'autres au fur et à mesure des prises à venir.
Dans la nuit du 12 au 13 mars, la marine indienne a réussi à arraisonner dans ses eaux territoriales un de ces « bateaux-mères », le Vega 5 battant pavillon mozambicain. Après un échange de tirs, 61 pirates ont été capturés et 13 membres d'équipage secourus. La justice indienne a déjà en détention quinze pirates : 12 Somaliens, 2 Ethiopiens et 1 Kenyan. Il est possible que New Delhi négocie leur échange avec les 53 marins indiens et les cinq navires déjà retenus par les pirates somaliens.
Même si aucun fait n'est venu accréditer la thèse selon laquelle des fondamentalistes musulmans somaliens se livrent désormais à des actes de piraterie maritime, l'éventualité de la capture d'un navire de fort tonnage par un groupe de kamikazes potentiels est redouté par les autorités. Il serait en effet possible à l'équipage de précipiter le bateau préalablement chargé d'explosifs sur un port ou un terminal pétrolier, ce qui aurait un impact médiatique important, but recherché par tout terroriste qui se respecte. Jusqu'à présent, les activistes islamiques ne se sont pas transformés en marins, métier qui ne s'apprend pas en quelques semaines. Toutefois, rien ne les empêche de louer les services de quelques professionnels aguerris.
En janvier 2011, les pirates détenaient 28 navires et 638 otages. Il semble que le problème constitué par les pirates dans l'océan Indien ne pourra trouver de conclusion réellement efficace que lorsque la Somalie aura un gouvernement stable qui contrôle l'ensemble du pays. La solution ne se trouve pas en mer mais à terre !
- [1] Les Américains, comme les Israéliens, ne payent jamais de rançon aux preneurs d'otages.