Libye : à propos des mercenaires
Alain RODIER

Beaucoup de choses ont été dites ou écrites sur les « mercenaires » servant dans les forces de sécurité libyennes. Il semble que la vérité soit beaucoup plus nuancée. A savoir que cela fait des dizaines d'années que des étrangers servent le régime de Mouammar Kadhafi, soit au sein d'unités militaires, soit dans des milices armées. Leur importance réelle sur le plan opérationnel reste limitée.
A l'origine, le bouillant colonel avait constitué une « Légion islamique » – un peu à l'image de la Légion étrangère française – qui devait intervenir sur l'ensemble du continent dont il rêvait de faire les « Etats-Unis d'Afrique ». Après les échecs rencontrés au Tchad en 1987, cette unité a été dissoute de facto. Une partie de ces soldats étrangers se sont donc retrouvés encasernés en Libye.
Si la majorité a maintenant quitté le service actif, plusieurs d'entre eux ont fait venir des membres de leur famille, attirés par l'appât de la solde. Si cette dernière n'atteint pas les 2 000 dollars par mois annoncés par la propagande adverse, elle est tout de même conséquente si on la compare aux salaires de misère qui sont en vigueur dans les pays d'origine des volontaires.
Les recrues sont majoritairement de nationalités malienne, tchadienne, nigérienne, congolaise et soudanaise. La plupart d'entre elles reconnaît le leader libyen comme un « grand africain », certains le qualifiant même de « Roi des rois ». En effet, les investissements financiers à long terme consentis par le colonel Kadhafi en Afrique, grâce aux ressources tirées de l'exploitation du pétrole, ont payé et lui ont attiré la reconnaissance de beaucoup d'Africains. Ces admirateurs ont aussi été séduits par son discours anti-occidental en général, et anti-américain en particulier.
Même le budget de l'Union Africaine (OUA) a été financé à 15% par la Libye, ce qui permet de comprendre le peu d'empressement de cette organisation à condamner Kadhafi, à la différence de la Ligue arabe qui le considère comme un égocentrique totalement imprévisible. L'OUA s'est contentée d'envoyer des « négociateurs » qui ne négocient rien mais ont leurs frais payés dans les hôtels de luxe de Tripoli.
Au cours des années, les largesses du leader libyen se sont étendues de l'Afrique du Sud au Libéria, en passant par Madagascar et les pays de la zone sahélienne. Il a ainsi permis de financer des hôtels, des restaurants, des sociétés, des organisations islamiques, un réseau de distribution d'essence via la société OiLibya, des commerces, des manifestations ludiques – comme le Festival du désert au Mali – et souvent, des groupes d'opposition. Le régime libyen avait d'ailleurs fait une de ses spécialités l'organisation de négociations entre différents adversaires en jouant les « bons offices ». Toujours au Mali, la télévision nationale a été financée en grande partie, dans les années 1980, par le bouillant colonel qui, plus récemment, a aussi construit les infrastructures gouvernementales tout en soutenant discrètement la rébellion touareg !
Cette popularité rencontrée au sein des populations pauvres et la tolérance des gouvernants africains lui a permis de recruter de nouveaux volontaires qui sont venus renforcer les unités composées en partie par leurs aînés. Les effectifs – difficiles à évaluer – seraient de plusieurs milliers. Le journal Libération parle de 6 000 hommes, dont 3 000 à Tripoli. Il est très probable que ces chiffres soient très exagérés et qu'un amalgame ait été fait entre des Libyens d'origine étrangère et de véritables volontaires venus d'autres pays.
Il n'en reste pas moins que ces étrangers, dont les plus anciens ont été naturalisés, ne constituent qu'une partie infime des forces de sécurité libyennes. En effet, l'armée de terre comporte quelques 50 000 hommes qui arment notamment 10 bataillons blindés, 10 bataillons mécanisés, 18 bataillons d'infanterie et 6 bataillons commando, auxquels il faut ajouter 22 bataillons d'artillerie. Sur le plan des matériels, plus de 500 chars de bataille (T-72, T-62 et T-55), 1 500 blindés divers et 2 000 pièces d'artillerie seraient toujours opérationnels. La faiblesse de l'armée de terre réside dans son manque cruel d'entraînement et dans le fait qu'une partie des armements sont stockés.
Pour sa part, l'armée de l'air serait forte d'environ 18 000 personnels et alignerait plus d'une centaine d'appareils de combat (MiG 21/23, Su 24, etc.), sans compter les hélicoptères (comme pour l'armée de terre, une partie des appareils est également stockée). Certains pilotes seraient d'origine serbe. Cette force aérienne peut représenter une menace pour les vols et les navires civils croisant en Méditerranée (voire sur les infrastructures terrestres de l'Europe du Sud) si le chef de la Jamajiriya met ses menaces de représailles à exécution en cas d'intervention militaire étrangère. Les responsables militaires occidentaux ont donc bien conscience qu'il faut clouer l'aviation libyenne au sol avant d'entreprendre toute action offensive qui viserait à neutraliser la composante terrestre libyenne. Bien que les armements soient vétustes et mal entretenus, la défense sol-air libyenne n'est pas à négliger.
La marine avec 8 000 personnels et peu de vaisseaux serait négligeable sur le plan opérationnel.
Il convient de rajouter à ces forces militaires les effectifs (non connus) de la police et des différentes milices locales qui dépendent des chefs de tribus.
Si le régime de Kadhafi ne tombe pas[1], il peut très bien utiliser dans l'avenir ces « mercenaires » pour attaquer les intérêts occidentaux en général, et français en particulier, en Afrique. Pour cela, il est même capable de soutenir Al-Qaida au Maghreb Islamique via certaines tribus touaregs qui lui sont favorables, uniquement dans le but de se « venger ». A noter qu'en 2010, il a gracié la plupart des activistes du Groupe islamique des combattants libyens (GICL)[2], qui étaient incarcérés dans le pays. Quant à son pétrole, il est un client qui n'attend que la reprise de l'exploitation de ses puits : la Chine. La Libye ne manquera donc pas de devises… Une reprise du soutien au terrorisme international n'est donc pas à exclure.
- [1] Il semble désormais acquis que l'opposition interne ne parviendra pas seule, à le déstabiliser. Reste à voir ce que va donner l'intervention internationale autorisée par l'ONU.
- [2] Mouvement qui a fait allégeance à Oussama Ben Laden. De nombreux activistes libyens ont servi en Irak et en Afghanistan.