Iran : un « enfumage » de plus ?
Alain RODIER
Tout ce qui a droit de parole en Occident se pâme sur l'élection « surprise » d'Hassan Rohani au poste de président de la République islamique d'Iran. Ce serait un mollah « libéral », voire « réformateur », qui ne va plus se livrer à des diatribes antisémites et anti-occidentales comme le faisait régulièrement son prédécesseur Mahmoud Ahmadinejad. Dans un premier temps, même la France, qui jusqu'alors, refusait que l'Iran ne s'assoie à la table des négociations portant sur la situation en Syrie (Genève-2), a admis que le nouveau président serait le bienvenu s'il pouvait être utile[1] !
Certes, il ne faut pas bouder son plaisir : le départ obligé par la constitution iranienne de Mahmoud Ahmadinejad – qui ne pouvait briguer plus de deux mandats successifs – est une bonne chose. Il y a longtemps que ses diatribes avaient lassé ses interlocuteurs, qu'ils soient étrangers ou iraniens. A l'intérieur, la crise économique causée en grande partie par les sanctions économiques – particulièrement financières – prises par les Etats-Unis et le reste du monde occidental, pénalisent gravement le niveau de vie de la population. C'est pourquoi il est intéressant d'essayer de voir quelles vont être les véritables conséquences de l'élection dès le premier tour (avec 50,68% des suffrages exprimés) d'un nouveau président de la République islamique d'Iran ?
Rôle du président de la République.
Elu au suffrage universel pour une durée de quatre ans, le président iranien ne peut briguer que deux mandats successifs. Bien qu'il soit en théorie le deuxième personnage de l'Etat, ses pouvoirs restent extrêmement limités, toutes les décisions principales remontant au Guide suprême de la Révolution, l'ayatollah Sayyed Ali Khamenei. Selon les textes, le président est responsable de l'application de la Constitution et de l'exercice des pouvoirs exécutifs à l'exception de ceux qui dépendent directement du Guide suprême. Il nomme et dirige 22 ministres, le poste de Premier ministre ayant été supprimé en 1989. Il est assisté de dix vice-présidents.
En fait, le président de la République ne peut pas être élu sans l'aval du Guide via différents écrans destinés à faire croire à une sorte de « démocratisation » du pays. Certes, les Iraniens votent, mais pour des candidats qui ont été soigneusement sélectionnés par les instances dirigeantes, c'est-à-dire par la théocratie qui tient les rênes du pouvoir depuis le renversement du Shah. Et même ce choix « démocratique » entre poulains du Guide est trompeur. En effet, les pasdaran qui restent pour l'instant les fidèles piliers du régime, bénéficient d'une importance fondamentale grâce aux millions de militants encadrés au sein des Bassidjis, ces milices révolutionnaires qui quadrillent le pays. Non seulement ces miliciens votent comme le pouvoir leur demande de le faire, mais en plus, ils encadrent les milieux populaires, les encourageant vivement à déposer le « bon » bulletin dans l'urne. Il n'est même plus besoin de tricher au niveau du dépouillement car les jeux sont faits d'avance : c'est le candidat du Guide qui est immanquablement élu, même s'il n'est surtout pas présenté comme tel durant la campagne électorale, histoire de ne pas trop déplaire aux dirigeants politiques étrangers et de pouvoir aussi « enfumer » les medias occidentaux. C'est ainsi ce qui vient de se passer dernièrement. En fait, le Guide s'est débarrassé de la « marionnette croquemitaine » Ahmadinejad, qui a été utile pendant des années, pour le remplacer par le « gentil réformateur » Rouhani.
Rouhani, un « cacique » du régime des mollahs
Né en 1948, Hassan Feridon, qui a ensuite changé son nom en Rouhani – ce qui veut dire le « croyant » ou le « religieux » -, a fait ses humanités en religion dans différents séminaires, dont celui de Qom, avant d'entreprendre de brillantes études de droit qui l'ont mené de l'université de Téhéran à celle de Glasgow (université calédonienne de Glasgow). Dans cette dernière, il a soutenu avec succès deux mémoires dont les titres évocateurs font date : « le pouvoir législatif islamique en référence à l'expérience iranienne » et « la flexibilité de la loi islamique à l'image de l'expérience iranienne ». Ce passage en Grande-Bretagne lui a valu le titre de docteur. Rouhani a également la réputation de parler couramment plusieurs langues, dont le français, l'anglais, l'allemand, l'arabe et le russe !
Bien que sa famille soit d'origine commerçante (son père était un bazari réputé de Semnan), il entre rapidement en lutte contre le régime du Shah en adhérant aux thèses religieuses de Khomeiny. Il est arrêté à une vingtaine de reprises avant de se décider à rejoindre son maître, alors réfugié en France. En 1979, il revient dans ses bagages et depuis, il n'a cessé d'appartenir aux instances dirigeantes du régime : député, membre du Conseil suprême de Sécurité nationale[2], chef de l'armée de l'air, secrétaire général du Conseil suprême de Sécurité nationale de 1989 à 2005, membre du Conseil de discernement du Bien de l'Etat depuis 1991, puis de l'Assemblée des experts depuis 2000, etc. De 2003 à 2005, Rouhani est le négociateur en chef iranien pour les questions nucléaires. Son côté tout en rondeurs le fait surnommer le « cheikh diplomate » et lui permet de se concilier de nombreuses amitiés, dont celle du Guide suprême de la Révolution et de son adversaire intime, Ali Akbar Hachémi Rafsandjani.
Cette brillante carrière connaît toutefois deux bémols. En 1989, Rouhani refuse le poste de ministre du Renseignement sans que l'on ne sache pour quelle raison. Lors des manifestations de 2009 qui suivent l'élection contestée de Mahmoud Ahmadinejad, il exprime son soutien aux manifestants et critique la répression, sans toutefois la condamner expressément. Il prend tout de même garde à ne pas aller jusqu'à rejoindre le « mouvement vert ». En fait, Rouhani est un pur produit du milieu politico-religieux iranien. Il a participé, directement et indirectement, aux luttes de palais qui sont la caractéristique du régime depuis son établissement. Ce qui est sûr, c'est qu'il reste un fidèle d'entre les fidèles du Guide Khamenei. Afin d'éclairer son jeu, il est utile de se rappeler ce qu'il déclarait en 2004 alors qu'il était le négociateur sur les questions nucléaires : «pendant que nous parlions avec les Européens à Téhéran, nous étions en train d'équiper en matériel une partie de la centrale d'Ispahan.» Il s'agit d'une centrale de transformation d'uranium sous forme de yellowcake en hexafluorure d'uranium qui est ensuite enrichi à Natanz et à Fordow. Et il ajoutait «en fait, en établissant un climat plus serein, nous sommes parvenus à terminer nos travaux à Ispahan.»
L'illusion des « réformateurs »
Avant lui, l'Hodjatoleslam Seyyed Mohammad Khatami[3] qui fut Président de la république de mai 1997 à août 2005 a également été présenté sur la scène internationale comme un « réformateur ». Comme Rouhani, il a suivi des études religieuses poussées – en particulier à Qom – ainsi qu'à l'université de Téhéran. Khatami a également été l'un des premiers partisans de Khomeiny dans sa lutte menée contre le régime du Shah. La légende prétend que les réformes qu'il souhaitait mettre en oeuvre avaient été bloquées par les « conservateurs ». En fait, c'est lui personnellement qui a fait réprimer la contestation étudiante[4], allant jusqu'à faire fermer temporairement l'université de Téhéran jugée trop turbulente. Il a ensuite prôné un programme de réislamisation de l'enseignement. C'est aussi sous son égide que le programme nucléaire militaire a vraiment pris son envol et a connu une accélération des recherches dans le domaine des missiles balistiques. De plus, l'application de la peine capitale n'a pas connu de réel fléchissement durant ses deux mandats successifs.
En fait, Khatami a parfaitement rempli la mission qui lui avait été confiée par le Guide : rassurer l'Occident tout en ne lâchant rien sur le plan intérieur et en développant le complexe militaro-industriel du pays. L'Occident n'y a vu – et continue à n'y voir – que du feu d'autant que le « modèle » Khatami est l'un des plus fervent soutien de Rouhani.
Les lignes directrices anonées pour le moment par le nouveau président sont :
- la fermeté sur le droit de l'Iran de développer un programme nucléaire ;
- l'ouverture diplomatique vers l'Arabie saoudite pour tenter de désamorcer l'opposition sunnite-chiite qui gagne progressivement tout le monde musulman ;
- la relance de l'économie.
Rouhani est également perçu à l'étranger comme un partisan d'un rapprochement avec les Occidentaux et du respect des droits de l'Homme. Il va être dorénavant possible de juger sur pièces. Il est certain que sa première mission consiste à desserrer l'étau des sanctions internationales pour tenter de relever la situation économique qui devient catastrophique et représente donc un risque pour le pouvoir des mollahs. Après la crainte suscitée à l'étranger par Ahmadinejad, c'est maintenant la séduction qui est placée à l'ordre du jour par le Guide suprême de la Révolution, viason nouveau président. Pour cela, son discours policé et systématiquement ambigu, risque bien de ne pas suffire car le monde attend de lui des actions concrètes dans le domaine du nucléaire, du soutien au régime syrien et dans l'application des droits de l'Homme dans le pays[5].
- [1] Avant d'effectuer une marche arrière quelques jours plus tard. Non seulement le ministère des Affaires étrangères français semble hésitant, mais de plus, il parait manquer cruellement de sens diplomatique !
- [2] Il se voit décerner les plus hautes distinctions lors du conflit qui oppose l'Iran à l'Irak
- [3] Cf. Alain Rodier, Iran : la prochaine guerre ? Ellipses, Paris, 2007.
- [4] Même les opposants intérieurs se sont laissés prendre à ce subterfuge. Croyant à une libéralisation effective du régime, ils ont affiché ouvertement leurs convictions ce qui a facilité d'autant le travail de repérage des services de police iraniens qui ont pu les cueillir en toute quiétude.
- [5] Les pendaisons, parfois en public, continuent à être très nombreuses en Iran.