L’influence grandissante de l’Arabie saoudite au Proche-Orient
Alain RODIER

Le prince Bandar bin Sultan,
chef des services spéciaux saoudiens. (photo GIP)
Si le régime syrien de Bachar el-Assad est officiellement soutenu sur le terrain par le Hezbollah libanais, qui a dépêché plusieurs milliers de combattants en Syrie, et par l'Iran, qui fournirait armes, munitions et conseillers, tous les mouvements salafistes qui soutiennent les rebelles sunnites sont épaulés par le Qatar et l'Arabie saoudite. Toutefois, Doha, qui était en pointe depuis le déclenchement du printemps arabe, aurait entamé un prudent retrait.
Le Qatar fait profil bas
En effet au fil du temps, l'image du petit émirat a été écornée à l'international, même dans les pays qui ont réussi à chasser leurs dirigeants avec son aide directe ou indirecte : l'Egypte, la Tunisie et la Libye. Ces derniers reprochent désormais l'entrisme du Qatar dans leurs affaires intérieures.
De plus, Doha craint un « retour de bâton » à domicile, les combattants qataris ayant participé aux révolutions arabes – surtout les membres des forces spéciales qui sont intervenus en unités constituées – pourraient bien remettre en cause la légitimité de la famille régnante Al Thani[1]. De plus, le Qatar, comme beaucoup d'autres, n'avait absolument pas prévu la résilience du régime syrien pensant que celui-ci allait s'effondrer en quelques semaines. C'est la durée de ce conflit qui a favorisé l'émergence de groupes salafistes liés à Al-Qaida qui peu à peu ont pris le pas sur les rebelles « modérés ».u
C'est dans ce cadre que le 24 juin 2013, le cheikh Hamad ben Khalifa Al Thani a abdiqué au profit de son fils, le cheikh Tamim ben Hamad Al Thani, de manière à redorer l'image de l'émirat auprès de l'étranger et de son propre peuple.
Le cheikh Hamad ben Jassem ben Jabral Al Thani (alias HBJ), le très influent Premier ministre et ministre des Affaires étrangères qatari qui inquiétait l'Occident du fait de ses opinions radicales, a été démis de ses fonctions. Il a été remplacé au poste de Premier ministre par Abdullah ben Nasser ben Khalifa Al Thani et le portefeuille des Affaires étrangères est revenu au docteur Khalid bin Mohamed Al-Attiyah.
Toutefois, le Qatar devrait voir son rôle diplomatique croître encore à l'avenir. En effet, Doha, qui accueille déjà des représentations officielles de mouvements sunnites radicaux – dont un bureau des taliban afghans – mais qui entretient par ailleurs des liens cordiaux avec l'Occident et Israël, pourrait devenir un « nouveau Genève », toutes les tractations de la diplomatie officielle et parallèle pouvant s'y dérouler. Le mouvement avait été amorcé avec l'amélioration depuis le début de l'année des relations entretenues avec Moscou[2] et Alger. Par contre, la direction du Hamas, qui avait trouvé refuge au Qatar après avoir quitté Damas, serait priée de se relocaliser en Egypte. En effet, cette présence est jugée trop visible par Washington et surtout par Tel-Aviv. Cela ne veut pas dire qu'un « antenne » ne va pas être autorisée à subsister.
L'Arabie saoudite reprend sa place de leader du monde arabe
L'Arabie saoudite profite de ce coup de frein qatari pour reprendre la place de premier soutien des mouvements salafistes au Proche-Orient et donc de leader sunnité dans la région. Riyad n'est pas non plus mécontent de damer le pion à son petit rival qatari qu'il méprise intimement mais discrètement !
L'objectif principal des Saoudiens est de combattre l'influence de leur adversaire de toujours dans la région : l'Iran chiite et ses alliés irakien et syrien, sans oublier le risque que représentent la majorité chiite du Bahreïn et les tribus al Houti, opposées au régime de Sanaa, au Nord du Yémen. En ce qui concerne la Syrie, le service de renseignement saoudien, le General Intelligence Presidency (Al Mukhabarat Al A'amlah) dirigés par le prince Bandar bin Sultan Abdulaziz Al Saud, aurait accentué son influence directe sur l'Armée syrienne libre (ASL), en particulier sur son chef d'état-major, le brigadier général Selim Idriss. D'autre part, après la réunion des Amis de la Syrie, qui a eu lieu à Doha en juin 2013, Saoud Al-Fayçal, le ministre des Affaires étrangères saoudien a repris l'offensive directe contre Téhéran déclarant à la fin du même mois « il s'agit d'une invasion étrangère et il faut considérer la Syrie comme un territoire occupé ». Profitant du fait que le Hezbollah libanais a considérablement dégarni ses rangs pour envoyer des combattants en Syrie afin de soutenir le régime alaouite, Riyad pousse discrètement les mouvements sunnites extrémistes libanais à reprendre l'initiative sur le terrain, ce qui représente un risque fondamental de déstabilisation du pays du Cèdre.
La passation de pouvoirs en douceur qui vient d'avoir lieu au Qatar est plus importante qu'il n'y parait et peu avoir des répercussions inattendues.
S'il est vrai que l' « émir père », comme il est officiellement dénommé désormais, ne va plus apparaître sur le devant de la scène politique afin de laisser, du moins en apparence, son fils mener les affaires de l'Etat à sa guise, il n'en garde pas moins une influence occulte importante, même s'il décide de vivre majoritairement dans des pays au climat plus tempéré[3]. Le fait que le jeune émir soit propulsé à la tête du Qatar n'est pas forcément une très bonne nouvelle pour sa mère, la cheikha Moza, la deuxième épouse du cheikh Hamad Ben Khalifa Al Thani. En dehors du fait qu'elle peut être légitimement fière du destin de son fils, elle va toutefois être obligée de se placer en retrait, ce dernier ne pouvant apparaître psychologiquement comme étant dans les « jupes » de sa mère. A cela une raison principale : son « occidentalisme » ; en effet, s'il est très apprécié en Europe et aux Etats-Unis, il est loin de faire l'unanimité au sein de l'émirat wahhabite. Comme un des objectifs principaux du jeune émir consiste à calmer toute velléité d'agitation dans le pays, il doit écarter sa mère en pendant du limogeage d'HBJ qui représentait l'aile dure de l'activisme sunnite au sein de l'émirat. Cela semble confirmer que sa politique ne va pas aller dans le sens d'une libéralisation du système. En réalité, à l'intérieur, il va tenter de respecter une sorte de statu quo.
A l'extérieur, son jeune âge (32 ans) est un véritable défi, vis-à-vis de la gérontocratie saoudienne. Même si elle fait bonne figure en public, la famille Saoud ne va pas accepter facilement ce jeune « blanc-bec ». Il n'est d'ailleurs pas exclu que des manœuvres souterraines destinées à déposer le jeune monarque ne soient actuellement en route. Les Saoudiens verraient sans doute d'un bon œil son remplacement par HBJ.
Bien que personnellement propriétaire du club de foot PSG, il est beaucoup moins francophile que son père, il est vraisemblable qu'il va accentuer ses échanges avec l'Allemagne et surtout la Grande Bretagne qui sont, depuis longtemps, les premiers pays où le Qatar a investi.
Le grand changement devrait se voir du côté de la Syrie. A l'évidence, l'engagement aux côtés de la « révolution » n'a pas été productif. Le retrait opérationnel du Qatar risque d'entraîner un affaiblissement des rebelles, mais il qui sera sans doute comblé par Riyad.
- [1] Ce phénomène avait eu lieu en Arabie saoudite après la victoire remportée contre les Soviétiques par les moudjahiddines combattants en Afghanistan. Ben Laden s'était alors retourné contre la famille régnante des Saoud.
- [2] L'assassinat, en 2004, à Doha, de l'ancien président indépendantiste tchétchène Zelimkhan Ianderbiev par les services secrets russes, puis l'agression dont avait été victime l'ambassadeur de Russie au Qatar en 2011 de la part de douaniers locaux, avaient fortement rafraîchi les relations entre les deux pays
- [3] Il semble apprécier tout particulièrement le Maroc.