Imad Fayez Mugniyah assassiné en Syrie
Alain RODIER
Le mardi 12 février, une voiture explose à Damas. Dans un premier temps, les autorités syriennes font état de la mort d’un passant. Puis, le mercredi 13, le Hezbollah déclare dans un bref communiqué : « avec toute notre fierté, nous annonçons qu’un grand chef combattant de la résistance islamique au Liban a rejoint les martyrs. Le frère commandant Mugniyah est devenu un martyr aux mains des Israéliens sioniste ». La presse hébreu reprend l’information proclamant que « le terroriste le plus dangereux au Moyen Orient depuis trente ans […] a été liquidé à Damas ». Israël a officiellement démenti être pour quelque chose dans cet attentat.
Qui était Imad Fayez Mugniyah?
Bien avant Oussama Ben Laden, le Libanais de confession chiite Imad Fayez Mugniyah faisait partie des terroristes les plus recherchés par le FBI. Sa tête est mise à prix pour la somme de 25 millions de dollars comme pour Ben Laden. Il faut dire que cet individu défraye la chronique du terrorisme international depuis plus de 25 ans. Bien que recherché par les services américains, israéliens et français, il avait toujours réussi à leur échapper. Son épouse et ses cinq enfants sont réfugiés en Iran depuis septembre 1991 et personnellement, il naviguait entre Téhéran, la Syrie et le Liban. Pour mener à bien ses missions à l’étranger, il utilisait entre autres, des vrais-faux passeports (dont certains diplomatiques) iraniens et syriens.
Imad Fayez Mugniyah serait né le 12 juillet ou le 7 décembre 1962 à Taïr Dibbuth, au Sud-Liban (près de Tyr), dans la famille du dignitaire religieux chiite Cheikh Mohammed Jawad Mugniyah, membre du clan des Moussaoui. Cependant, on ne connaît pas grand-chose concernant son état-civil car il a pris soin d’effacer le maximum de détails, d’où les incertitudes quant à sa date de naissance. Ainsi, aucun document officiel ne fait état de son identité au Liban. C’est d’ailleurs cette discrétion – d’où son surnom « le renard » – qui faisait sa force. N’étant jamais apparu sur une chaîne de télévision, les services occidentaux ne possédaient de lui que des photos très anciennes. Depuis, il avait subi des opérations de chirurgie esthétique afin de changer d’apparence. Il n’est même pas totalement sûr qu’il fût libanais. Certaines sources pensent qu’il était iranien et que sa nationalité libanaise n’est une légende montée de toutes pièces par les services secrets iraniens qui souhaitaient dans les années 1980, infiltrer l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP). Ces mêmes sources pensent qu’il serait né en 1958 et non en 1962, ce qui semble plus logique étant donné son parcours détaillé ci-après.
Mugniyah officiellement sa carrière d’activiste au sein du Fatah, vraisemblablement en 1975, il n’a alors théoriquement que 13 ans – 18 s’il est né en 1958 – mais ses compétences lui font rejoindre la fameuse « Force 17 » chargée de la protection de Yasser Arafat. Il suit différents stages de formation en Iran entre 1980 et 1982. Mais en fait, s’il est un agent iranien né en 1958, il est fort probable qu’il ait été formé à la vie clandestine dès la prise de pouvoir par l’Ayatollah Khomeini en 1979.
Lorsqu’à la suite de la première guerre du Liban, la direction du Fatah est obligée de fuir le pays, Mugniyah abandonne rejoint les rangs d’activistes chiites qui formeront ensuite le Hezbollah, en 1983. Il fait partie de la garde rapprochée du Cheikh Mohammed Hussein Fadlallah, autorité religieuse qui, après avoir dirigé ce mouvement, en deviendra le leader spirituel en 1987. De ces premières années de militantisme, il est aisé d’en déduire que sa spécialisation initiale était la protection rapprochée.
Sa carrière terroriste
A partir de 1982, il semble être lié à de nombreuses actions terroristes qui, étant donnée leur ampleur, ne peuvent être montées que par des professionnels.
Il est soupçonné par la CIA d’avoir participé à la logistique de la première attaque suicide dirigée contre le QG des forces israéliennes installé à Tyr, le 11 novembre 1982. Le bilan est lourd : 141 tués dont le kamikaze Ahmad Qassir, qui deviendra le symbole du martyre dont l’exemple servira aux générations futures.
Le 18 avril 1983, une voiture piégée explose devant l’ambassade américaine au Liban faisant 64 morts. A Beyrouth, le 23 octobre, des kamikazes conduisant des camions chargés d’explosifs s’en prennent à l’immeuble Drakkar qui abrite une compagnie du 1 er RCP (58 soldats français sont tués) et à un casernement de Marines américains (241 victimes américaine). Mugniyah aurait joué un rôle (non défini) dans ces opérations terroristes d’envergure.
Il participe aussi à de nombreux enlèvements au Liban dont celui, en mars 1984, de William Francis Buckley, le chef de station de la CIA à Beyrouth. Ce dernier sera interrogé sous la torture avant de décéder quinze mois plus tard d’une pneumonie, vraisemblablement occasionnée par les mauvais traitements auxquels il a été soumis.
En janvier 1985, deux sous-officiers français sont assassinés par balles à Beyrouth. La même année, il dirige personnellement le détournement du vol TWA 847 Rome-Athènes au cours duquel Robert Stehem, un marin américain, est violement battu avant d’être assassiné. C’est à partir de cet instant que sa tête est mise à prix par le FBI. Il est peut-être également impliqué dans la campagne d’attentats qui a lieu à Paris en 1985-86 au cours de laquelle 10 personnes sont tuées et 40 autres blessées.
En 1987, il rejoint l’Iran où il séjourne à Qom. Il ne retournera au Liban qu’en 1990. A partir de 1988, il supervise l’aide apportée par le Hezbollah aux mouvements palestiniens Hamas et Djihad Islamique. A ce titre, il apporte une aide logistique et organise des stages d’instruction en Iran au profit d’activistes membres de ces organisations.
Le 17 mars 1992, il dirige les attentats lancés contre l’ambassade d’Israël en Argentine (29 morts et 220 blessés), puis le 18 juillet 1994, les attaques menées par des kamikazes contre l’« Association mutuelle argentino-israélienne » à Buenos Aires (86 morts et 220 blessés). Un des kamikazes a été identifié des années plus tard. Il s’agit de Ibrahim Hussein Berro, un Libanais membre du Hezbollah qui avait séjourné précédemment dans la « région des trois frontières » (Argentine, Brésil, Paraguay). A la suite de ces attentats, la cour suprême argentine lance un mandat d’arrêt international contre lui. Les 27 et 28 juillet de la même année, des attentats ont lieu à Londres contre l’ambassade d’Israël et le siège d’organisations juives. Heureusement, seulement 20 personnes sont blessées. Depuis, les Israéliens tentent alors sans succès de le neutraliser.
En 1993, il aurait rencontré Oussama Ben Laden alors que ce dernier était en exil au Soudan. C’est lui qui aurait négocié l’entraînement (payant) de militants d’Al-Qaida aux techniques d’attentats suicide. Cette formation fut dispensée au Liban dans la plaine de la Bekaa.
Le 13 novembre 1995, les intérêts américains en Arabie saoudite sont visés lorsqu’un centre d’entraînement de la Garde Nationale est la cible d’un attentat occasionnant la mort de sept personnes, dont cinq Américains. Cette opération est suivie le 25 juin 1996 par l’attentat contre les tours d’Al-Khobar, près de Dahran, qui cause la mort de 19 militaires américains. Le nom de Mugniyah est également cité comme un des responsables de ces actions terroristes revendiquées entre autres par le « Hezbollah du Golfe ».
En 2001, il organise l’accueil en Iran de taliban et de membres d’Al-Qaida fuyant l’Afghanistan. En 2003-2004, il aurait été vu en Irak aux côtés de Moktada Al-Sadr, le leader de l’Armée du Medhi qui est soutenu en coulisses par Téhéran.
En janvier 2006, Mugniyah aurait accompagné le président Ahmadinejad en visite officielle en Syrie. Non seulement les deux hommes rencontrent le président syrien Bashar al-Assad, mais surtout une réunion discrète a lieu avec les leaders des principaux mouvements palestiniens que le nouveau pouvoir en place à Téhéran a décidé de soutenir encore plus intensément que par le passé, en particulier sur le plan financier. Et pourtant, ces mouvements sont soit sunnites, soit d’idéologie marxiste !
Mugniyah dont la présence a été signalée à plusieurs reprises en Cisjordanie joue depuis des années un rôle de tout premier plan dans l’aide apportée par Téhéran aux activistes palestiniens. Une rumeur fait état de la mise au point, lors de cette réunion, des enlèvements des soldats israéliens dans la bande de Gaza et au sud de l’Etat d’Israël, actions coordonnées qui conduiront à la deuxième guerre du Liban en juillet-août 2006. L’objectif de Téhéran était de provoquer une insurrection générale au Moyen-Orient et d’écarter par là, tout risque d’intervention étrangère sur son territoire. Le rôle qu’il joue durant ce conflit reste aujourd’hui inconnu, mais il semble qu’il n’ait pas participé directement (ou indirectement) aux combats, étant gardé en réserve pour consolider les implantations du Hezbollah à l’étranger. Néanmoins, il aurait assisté en août à une réunion à Damas entre le Cheikh Nasrallah et des responsables iraniens et syriens.
Sa position récente
Sa position récente était difficile à définir avec précision car il avait un pied au sein du Hezbollah et l’autre en Iran. Il dirigeait la branche renseignement et opérations spéciales du Hezbollah, baptisée « Appareil de sécurité spéciale » (Jihaz al-Amn al-Khas). A ce titre, il était chargé des opérations extérieures du mouvement chiite libanais et ne rendrait compte de ses activités qu’à son secrétaire général, Hassan Nasrallah. Il est à noter que l’« Appareil de sécurité spéciale » est placé sous la tutelle du ministère du Renseignement et de la Sécurité nationale iranien (Vezarat-e Ettela’at Va Amniat-e Keshvar – VEVAK -).
Certaines sources font état de son changement d’identité. Depuis le 6 e congrès du Hezbollah qui s’est tenu en juillet 2001. En plus de ses missions habituelles, il était désormais chargé du contre-espionnage sous le nom de Jawed Nourredine.
En Iran, il aurait été un cadre de la force Al-Qods (Jérusalem) des pasdarans, dirigée par le général Qassim Suleimani, mais il entretenait aussi des liens étroits avec le VEVAK. En fait, il semble qu’il prenait directement ses ordres auprès du guide suprême de la révolution iranienne, l’Ayatollah Khamenei.
Mugniyah était un responsable opérationnel expérimenté de haut niveau totalement inféodé à Téhéran. Il figurait en tête de liste des personnes recherchées par les services spéciaux occidentaux en premier rang desquels le Mossad, la CIA et la DGSE. Ses capacités de nuisance étaient considérables car il s’appuyait sur les structures clandestines très professionnelles du Hezbollah, implantées au Proche-Orient, en Afrique (particulièrement en Libye), en Europe (des cellules ont été formellement identifiées en Suisse et en Espagne), sur le continent américain (Canada, Etats-Unis, Colombie, Paraguay, Venezuela, etc.) et en Asie. Si l’ordre lui en était donné, il pouvait mener à tout moment des opérations terroristes d’envergure dirigées contre les intérêts israéliens et occidentaux.
Sa mort laisse craindre de vastes opérations de représailles qui devraient être dirigées contre les intérêts israéliens. En effet, cette opération « homo » est imputée par le Hezbollah au Mossad. Les Israéliens ne s’y trompent pas et ont fait renforcer les mesures de sécurité autour de leurs représentations diplomatiques à l’étranger.