Grande-Bretagne/Russie mais qu’est-ce qui a pique nos amis britanniques ?
Alain RODIER
Le 16 juillet 2007, le gouvernement britannique annonce qu’il va expulser quatre diplomates russes, arrêter les négociations devant conduire à une simplification des procédures d’obtention des visas pour les citoyens russes et revoir la politique de coopération avec Moscou. Ces mesures sont prises afin d’exprimer le mécontentement des autorités judiciaires d’outre-Manche qui ont été éconduites de leur demande d’extradition d’Andreï Lougovoï, le premier suspect dans l’affaire de l’empoisonnement de l’opposant russe Alexandre Litvinenko, en novembre 2006.
La réaction de Moscou s’est fait un peu attendre, ce qui peut être un indice de l’embarras du pouvoir russe. Ce n’est en effet que le 19 juillet que le Kremlin annonce des mesures similaires : il demande à quatre diplomates britanniques de quitter la Russie dans les dix jours et instaure des restrictions sur les demandes de visas en provenance du Royaume Uni, y compris ceux des personnages officiels. Par ailleurs, la coopération anti-terroriste bilatérale est suspendue. C’est une décision majeure car, dans les domaines de la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée, les accords se font majoritairement d’Etat à Etat.
Sans revenir sur le fond de l’affaire Litvinenko (cf. la NA°56 de décembre 2006), laquelle fait toujours l’objet d’enquêtes, le comportement des Britanniques ne peut qu’étonner. Quelles peuvent en être les raisons ?
Pourquoi un tel bruit autour de l’extradition de Lugovoï ?
Les Britanniques savent très bien que la constitution russe – à l’instar de la majorité des Etats – ne permet pas l’extradition d’un de leurs ressortissants. Eux-mêmes se montrent d’ailleurs très pointilleux sur cette notion refusant ou retardant pendant des années l’extradition de criminels ou de terroristes présumés. Ainsi, l’extradition vers la France de Rachid Ramda impliqué dans les attentats de 1995 dans le métro parisien a pris plus de dix ans.
C’est sur ces deux faits que s’appuie le Kremlin pour refuser de livrer Lugovoï à la justice britannique. En effet, comme ce dernier est citoyen russe, il doit, si les éléments à charges sont suffisants, être jugé en Russie.
D’autre part, le Kremlin demande depuis des années que Boris Berezovski, un oligarque russe, ancien fidèle de Boris Eltsine tombé en disgrâce sous la présidence du président Poutine, soit extradé car il est accusé de nombreux faits criminels dont celui de malversations financières. Or, il a obtenu le statut de réfugié politique en Grande-Bretagne, ce qui le rend quasiment intouchable. C’est également le cas d’Akhmad Zakaïev, le « ministre des Affaires étrangères » de la république d’Ichkérie (appellation donnée par les indépendantistes à la Tchétchénie). Au total, Moscou a demandé l’extradition de 21 de ses ressortissants qui vivent en Grande-Bretagne. Si les mêmes règles appliquées dans le cas Lugovoï avaient été suivies, ce seraient 84 diplomates britanniques qui auraient du être expulsés. La « modération » de Moscou a de quoi surprendre… Même le président Poutine fait état d’une « mini crise » dans les relations russo-britanniques. La raison en est simple, les enjeux économiques sont considérables de part et d’autre.
La justice britannique avance l’argument selon lequel l’assassinat de Litvinenko au Polonium 210 a fait courir de nombreux risques – notamment cancérigènes – aux personnes qui se sont trouvées dans l’environnement immédiat des différents protagonistes de cet assassinat. S’il avait été abattu d’une manière « classique » (par balle, empoisonné ou par tout autre méthode non « polluante » pour l’environnement), il est possible que Londres se serait montré moins intransigeant sur le principe. Cependant, Litvinenko était devenu depuis peu citoyen de sa gracieuse Majesté et l’on n’assassine pas impunément un Britannique !
Ces raisons semblent cependant être beaucoup trop réductrices. Il est tout à fait probable que les services britanniques concernés aient en leur possession des informations qu’elles ne tiennent pas à divulguer au grand public.
L’étrange Mr Berezovzki
Quelques indices arrivent cependant à filtrer. Ainsi, Boris Berezovzki -protecteur (pour ne pas dire mentor) de Litvinenko – aurait été la cible d’une tentative d’assassinat à l’hôtel Hilton de Londres à la mi-juin. Un individu qui, pour ne pas attirer l’attention, était accompagné d’un enfant, projetait d’abattre le magnat russe dans sa chambre. Les services de renseignement britanniques, MI-5 et MI-6, auraient fait échouer cette tentative. Le suspect a été appréhendé par Scotland Yard le 21 juin. Suite à cette tentative, Berezovski aurait quitté la Grande-Bretagne le 16 juin pour se mettre à l’abri. De retour sur le sol britannique vers le 27 juin, il fait l’objet d’une protection rapprochée importante et voyante. Ainsi, son appartement londonien est équipé de portes et de vitres blindées, de caméras de surveillance et il est protégé en permanence par des privés, anciens membres de la Légion étrangère.
Cette apparente volonté de Moscou d’effectuer une opération homo sur le sol britannique irrite au plus haut point Downing Street. Encore faut-il qu’elle soit démontrée. En effet, avec les années, Berezovski s’est fait, en raison de ses activités professionnelles, de nombreux ennemis qui ne sont pas seulement politiques. Il peut très bien être menacé par des Organisations criminelles transnationales (OCT) russes ou autres. Il est plus convenable pour sa réputation d’affirmer que c’est le président Poutine qui veut sa peau que reconnaître que quelques « parrains » mafieux ont émis un contrat sur sa personne. En effet, il serait alors légitime de se demander pourquoi ? Il est à noter que dans le passé, même avant l’arrivée au pouvoir de Poutine, Berezovski a échappé à de nombreuses tentatives d’assassinats attribuées à des OCT. Ainsi, en 1994, sa voiture avait été détruite par une explosion criminelle. Lors de cet attentat, son chauffeur avait été décapité et lui-même sérieusement brûlé. Pour revenir à la dernière tentative d’assassinat dirigée contre Berezovski, il semble qu’elle ait été le fait d’un « amateur ». Les services spéciaux russes et même les grandes OCT ne semblent pas être directement impliqués dans cette affaire car, généralement, ces organisations agissent avec un minimum de professionnalisme. Par exemple, l’aspirant tueur tentait d’acquérir une arme au marché noir afin d’effectuer son forfait. C’est vraisemblablement pourquoi ses intentions ont été découvertes par les services de sécurité britanniques.
Cependant, les Britanniques étant de grands professionnels, il est impensable de croire qu’ils se fient aux seules déclarations de Berezovski dont ils connaissent parfaitement le passé et en qui ils n’ont qu’une confiance limitée. Ils détiennent donc par ailleurs des renseignements qui corroboreraient la thèse de l’implication des services secrets russes dans des activités illégales jugées inadmissibles sur le territoire britannique.
Vers une nouvelle « Guerre froide » ?
Le retour au « bon vieux temps de la Guerre froide », au moins dans les opérations que livrent les services secrets, est donc de mise. Il convient de souligner que Londres, juste après Washington, a toujours été en pointe dans le domaine de la guerre secrète menée contre la défunte URSS. Le MI-6 et les services soviétiques se sont affrontés durement dès la fin de la Seconde Guerre mondiale. A la différence de nombreux autres services occidentaux, le MI-6 n’a pas adopté qu’une posture défensive vis-à-vis des coups de boutoir assénés par le KGB. Il s’est aussi montré très offensif et l’a parfois payé très cher en vies humaines. Depuis la dissolution du KGB consécutive à la chute de l’URSS, les opérations extérieures sont désormais du ressort du SVR, ancienne 1 ère Direction du KGB. Le renseignement militaire – GRU – est bien sûr également présent à l’étranger.
Les ennemis d’hier semblaient s’être réconciliés, d’autant qu’un péril nouveau mais commun menaçait l’ensemble de la planète : l’islamisme radical. Cependant, dans le cas de Londres, il semble que les Britanniques ont toujours joué un jeu très personnel. En particulier, ils ont Berezovzki accueillir sur leur sol des terroristes ou agitateurs islamiques patentés en achetant une certaine « tranquillité ». Ainsi, les rebelles tchétchènes ont toujours trouvé un refuge sûr sur le sol britannique, ce qui, évidement, a agacé au plus au point le Kremlin.
C’est pourquoi – en dehors des manifestations d’amitiés affichées par les différentes délégations des services qui se sont rencontrées alternativement à Londres et à Moscou – la coopération naissante entre les organismes de renseignement russo-britanniques a été étouffée dans l’œuf. Le SVR reproche à Londres d’abriter des « terroristes » tchétchènes ainsi que des opposants au président Poutine qui, pour certains d’entres eux, sont soupçonnés de liens avec les OCT russes. Le MI-5 (service de contre-espionnage intérieur) affirme pour sa part que le SVR et le GRU sont beaucoup trop actifs sur le territoire britannique, bien au-delà des limites du raisonnable admissible.
Il est vrai que les services russes sont non seulement très agressifs contre « l’opposition en exil », mais, plus gênant pour le pays d’accueil, très dynamiques dans le domaine de l’espionnage industriel. En effet, comme par le passé, Moscou a crucialement besoin de la technologie moderne développée en Occident. Il est moins cher de copier que de financer des centres de recherches autochtones. La seule différence notable avec la grande période de l’URSS réside dans le fait que les objectifs recherchés sont sensiblement différents. Les services russes s’intéressent plus aux technologies ayant trait aux biens de grande consommation qu’aux renseignements concernant les politiques et les armements stratégiques. Le développement industriel d’un lave-vaisselle révolutionnaire est plus attractif que la technologie du dernier missile anti-missile ! La cessation de la coopération bilatérale dans le domaine de la lutte anti-terroriste annoncée par Moscou n’aura donc que des retombées symboliques car, on l’a bien compris, cette collaboration n’a jamais été particulièrement franche et efficace.
Les manœuvres britanniques
Un épisode loufoque de désinformation lancée par Londres a été donné le 17 juillet. Deux avions de chasse Tornado de la RAF ont décollé de la base de Leeming, située au nord de l’Angleterre pour intercepter deux Tupolev 95 Bear russes qui avaient été signalés par la défense aérienne norvégienne comme se dirigeant vers l’Ecosse. Les journalistes s’en sont donnés à cœur joie pur monter l’événement en épingle. Un bref coup d’œil sur les caractéristiques du Tu 95 aurait montré que ce vénérable bombardier mis en service en 1956 ne représentait en aucun cas une menace sérieuse pour le Royaume-Uni. D’ailleurs, les appareils russes avaient fait demi-tour avant de rencontrer les Tornados de sa gracieuse Majesté. Mais là également se pose la question : pourquoi tant de publicité ?
Actuellement, les Etats-Unis et l’Union européenne soutiennent Gordon Brown dans sa politique de fermeté vis-à-vis de Moscou. Si l’on peut parfaitement comprendre l’attitude de Washington – qui renvoie l’ascenseur à son indéfectible allié pour son soutien dans les opérations en Irak et en Afghanistan – des interrogations peuvent naître concernant l’attitude des dirigeants européens. Pourquoi emboîter le pas de Londres alors que les intérêts économiques et commerciaux en jeu sont immenses, particulièrement dans le domaine des approvisionnements énergétiques du vieux continent ? Peut-être ces dirigeants ont-ils été informés par Downing Street d’éléments à charge accablants pour Moscou. Mais alors, pourquoi les cacher à l’opinion publique ? Les citoyens qui risquent peut-être d’être privés de gaz russe (il est vrai que la demande est moins pressante en été) sont sans doute trop « stupides » pour comprendre ce que les décideurs européens envisagent de faire. Si telle est la vérité, on peut comprendre le « non » français à la constitution européenne et avoir des doutes concernant la traité simplifié.