Succession de Vladimir poutine enjeux géopolitiques et géoéconomiques
Viatcheslav AVIOUTSKII
Qui sera le nouveau président russe en mars 2008 ? Les Européens se sont habitués à l’image de Vladimir Poutine qui dirige la Russie d’une main de fer depuis 2000 et croient qu’il va se représenter et se faire réélire. Or, le président russe ne cesse de répéter qu’il respectera la Constitution et qu’il ne se représentera pas aux élections présidentielles de 2008. Sans leur favori habituel, comment ces élections se dérouleront-elles et qui sera le nouveau président ? Quels seront ses projets ? Conduira-t-il la Russie sur le chemin tracé par Poutine en renforçant un régime autoritaire et une démocratie contrôlée et en s’opposant à l’Union européenne ? Ou se rapprochera-t-il de l’Europe en rétablissant les libertés fondamentales?
Bilan des années Poutine
Le bilan des deux mandats de Vladimir Poutine (2000 et 2004) peut être résumé à la restauration de l’ordre public (la « verticale du pouvoir »), la poursuite de la guerre en Tchétchénie, le démantèlement du système multipartite, le retour progressif de la Russie sur la scène internationale et l’émergence de la nouvelle puissance énergétique. Pour comprendre la période Poutine, il est nécessaire de comprendre l’évolution géopolitique de la Russie. Le président russe a commencé par mettre en place une nouvelle diplomatie économique, en renonçant définitivement à la dimension idéologique de la politique étrangère russe. Poutine s’est ainsi appuyé tour à tour sur le complexe militaro-industriel, sur le pétrole et sur le gaz. Ce pragmatisme s’est accompagné d’un renforcement disproportionné de l’Etat.
Les nouveaux acteurs de la géopolitique russe : conglomérats et compagnies transnationales
Dès son arrivée au pouvoir, le président Poutine a souhaité mettre fin à l’intervention illimitée du grand capital dans la politique. Il a organisé une chasse aux hommes d’affaires multi-milliardaires qui contrôlaient l’essentiel de l’économie russe. Ceux-ci avaient profité de la faiblesse de l’Etat dans les années 90 pour s’emparer des fleurons de l’industrie nationale par le biais d’enchères truquées et avec la molle complaisance de l’ancien président Boris Eltsine. La puissance de ces oligarques se fondait davantage sur leur contrôle de secteurs stratégiques que sur les fortunes colossales qu’ils avaient amassées : pétrole, acier, aluminium, nickel, diamants, médias.
Vladimir Poutine a mis au pas les oligarques en chassant ou en emprisonnant les plus rebelles qui menaçaient son pouvoir conçu comme absolu. Une fois soumis, les oligarques ont cependant été autorisés à poursuivre leur croissance, mais en internationalisant leurs « empires » au travers d’acquisitions externes dont la multiplication a échappé aux observateurs européens. Ainsi, deux groupes d’aluminium russes, RusAl et Sual, contrôlent à plus de 80% de la Compagnie unifiée d’aluminium russe, le leader mondial de l’aluminium, dont les mines et usines sont actuellement présentes dans 17 pays et sur cinq continents. Le groupe russe de production d’acier Severstal défie aujourd’hui le leader bien connu de la métallurgie mondiale, l’indien Mittal Steel. Le champion russe Nornickel (20% du marché mondial du nickel) a racheté le canadien Lionore et ses combinats miniers en Australie, en Afrique du Sud et au Botswana. Enfin, le consortium gazier russe Gazprom, qui contrôle 20% de la production mondiale de gaz, tisse en silence une toile d’araignée à l’échelle mondiale. Le 27 décembre 2006, la capitalisation boursière de Gazprom atteignait 270 milliards de dollars, plaçant celle-ci au cinquième rang dans le classement mondial des entreprises. La valeur du consortium russe reste sous-évaluée et devrait atteindre à terme 1 000 milliards de dollars.
Les « Nouveaux empires » et le reste du monde
Bien placé pour analyser au jour le jour les volontés hégémoniques des puissances étrangères sur son jeune pays, le directeur de l’Institut de politique stratégique de Kiev, Andreï Michine, qualifie cette nouvelle politique économique de « post-colonialiste» : celle-ci consiste en un système de relations inégales (économiques et politiques) que les « nouveaux empires » imposent à d’autres pays. Michine dessine une nouvelle rivalité planétaire entre deux colonialismes : « l’empire énergétique » russe et « l’empire des services » américain. La Russie participe désormais au nouveau partage de ressources mondiales, ce qui entraîne des rivalités politiques, économiques et stratégiques à propos de zones d’influence. A la différence d’autres puissances énergétiques ou industrielles, ces néocolonialismes s’accompagnent d’une volonté politique certaine. De plus, à la différence de l’époque coloniale classique, on retrouve parmi les « nouvelles colonies », des pays développés totalement dépendant de ces deux puissances, telle l’Europe, et qui seront amenées à terme à s’opposer aux « empires ».
Les enjeux de la succession de Poutine
Sur ce fond de réussite économique et de réémergence de la puissance russe, le retrait de Poutine paraît étrange. Pour le comprendre, il faut rappeler que Vladimir Poutine a construit un régime beaucoup moins individualiste que Boris Eltsine. Le régime de Poutine a été bâti par deux clans politiques issus respectivement du FSB, services secrets russes héritiers du KGB, et de l’équipe de l’ancien Maire de Saint-Petersbourg, Anatoli Sobtchak, dont Poutine faisait partie.
En 2008 ces deux clans présenteront chacun leur propre candidat : d’un côté, l’ancien officier du KGB, Sergueï Ivanov (actuel ministre de la Défense et vice-premier ministre) et de l’autre, Dmitri Medvedev (comme Poutine, ancien conseiller de Sobtchak et actuellement vice-premier ministre et président du Conseil des directeurs de Gazprom). Si Ivanov gagne, la Russie sera dominée par l’armée et le complexe militaro-industriel. Sur le plan géopolitique, le pays suivra la ligne néoimpériale en revenant vers un « impérialisme classique », du type soviétique, fondé sur la dissuasion nucléaire. Si Medvedev remporte les élections, le nouveau régime sera dominé par Gazprom, et l’affirmation de la Russie en tant qu’ « empire énergétique » se poursuivra.
Sondages d’opinion en vue des présidentielles de 2008 (en %).
2007 | Janvier | Février | Mars | Avril | Mai | Juin |
---|---|---|---|---|---|---|
Sergueï Ivanov | 21 | 27 | 25 | 31 | 31 | 31 |
Dmitri Medvedev | 33 | 32 | 31 | 29 | 34 | 27 |
Vladimir Jirinovski | 14 | 13 | 14 | 11 | 13 | 14 |
Guennadi Ziouganov | 14 | 13 | 15 | 17 | 12 | 14 |
"Candidat libéral"* | 11 | 8 | 8 | 6 | 6 | 7 |
Sergueï Glaziev | 5 | 5 | 6 | 5 | 3 | 5 |
Dmitri Rogozine | 1 | 2 | 4 | 2 | 2 | 2 |
*L’addition des voix pour les représentants de « l’opposition libérale » ; dans des sondages différents ont été inclus dans les listes : I. Khakamada, N. Belykh, M. Kassianov, V. Ryjkov et G. Iavlinski.
Hypothèse du duel Medvedev – Ivanov au second tour (en %)
2007 | Janvier | Février | Mars | Avril | Mai | Juin |
---|---|---|---|---|---|---|
Sergueï Ivanov | 46 | 48 | 52 | 55 | 49 | 55 |
Dmitri Medvedev | 54 | 52 | 48 | 45 | 51 | 46 |
Source : Levada Tsentr du 25 juin 2007
- 1 Docteur en géopolitique, enseignant-chercheur à l’OCRE-EDC (Observatoire centre de recherches en entrepreneuriat – Ecole des dirigeants et créateurs d’entreprise), spécialiste du monde russe et auteur de Géopolitiques continentales (Armand Colin, 2006), Les révolutions de velours (Armand Colin, 2006) et Géopolitique du Caucase (Armand Colin, 2005).