Colombie : les cartels criminels n’ont pas disparu
Alain RODIER
Si le gouvernement Uribe a pu se prévaloir d'une lutte efficace contre les narcotrafiquants, il n'en reste pas moins que les organisations criminelles colombiennes sont toujours bien actives dans le pays comme à l'étranger.
Toutefois, de nombreux changements sont intervenus ces dernières années.
- Les organisations criminelles colombiennes sont plus réduites en taille – on les appelle les « cartelitos » (les « petits cartels ») – ce qui complique considérablement la tâche des services de renseignement et de police. Quand un groupe tombe, d'autres prennent immédiatement la relève, parfois aux prix de guerres intestines sanglantes. De plus, cette multitude de groupuscules criminels a pris la fâcheuse habitude d'adopter plusieurs appellations. Il est loin le temps où les « cartels de Cali et de Medellin » étaient bien définis dans le temps et dans l'espace.
- A de rares exceptions près, les trafiquants colombiens n'assurent plus l'ensemble des activités qui justifiaient l'appellation de « cartel », c'est à dire depuis la culture de la coca jusqu'à sa distribution sous forme de doses de cocaïne. La production est désormais laissée aux cocaleros « indépendants », les trafiquants se contentant d'assurer leur protection et de leur acheter leur marchandise. Par contre, dans la majorité des cas, ce sont toujours eux qui la transforment en cocaïne dans des laboratoires clandestins. Ce sont le plus souvent des installations sommaires et mobiles implantées dans la jungle.
Les trafiquants colombiens ont perdu la majorité du contrôle de l'expédition de la cocaïne sur le continent nord-américain. Ils en sont réduits à vendre leur production aux cartels mexicains qui se chargent de l'acheminer vers le nord. Toutefois, quelques cas d'acheminement de cocaïne à destination des Etats-Unis par des Colombiens ont été signalés. Ils ont alors employé des moyens navals, notamment des semi-submersibles, mais cette technique semble être en nette diminution. Il faut dire qu'elle est très risquée pour les équipages de ces engins de fortune.
Les organisations criminelles
Si le Cartel del Norte del Valle, de Carlos Alberto Renteria-Mantilla, tient toujours le haut du pavé dans la criminalité organisée colombienne, il est désormais fortement concurrencé par des bandes criminelles moins importantes en taille mais très actives. L'une d'entre elles a été démantelée lors d'une opération de longue haleine menée conjointement par les autorités nord-américaines et des services de police sud-américains. Connue sous le pseudonyme d'« El Dorado », elle aurait été dirigée par Luis Augustin Caicedo Velandia – alias « Don Lucho » – qui a été appréhendé le 12 avril 2010 à Buenos-Aires, en Argentine. Son principal lieutenant, Daniel Rendon Herrera – alias « Don Mario » – a été arrêté en Colombie le 15 avril 2010. Frère d'un ancien dirigeant des Forces d'autodéfense unies (AUC), les milices d'extrême-droite, il avait néanmoins conclu des accords avec les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) dirigées par Guillermo Leon Sanchez Vargas – alias Alfonso Cano – et l'Armée de libération nationale (ELN) de Gustavo Adolfo Giraldo Qinchia, de manière à se livrer tranquillement au trafic de cocaïne. Des doutes subsistent quant à savoir lequel de ces deux hommes commandait à l'autre. Il est possible Don Lucho n'ait été que le financier chargé de blanchir l'argent sale issu du trafic de cocaïne. Le reste des responsables importants de cette organisation ont été arrêtés par les autorités colombiennes en juin 2010.
La nature ayant horreur du vide, cette organisation va être remplacée par des gangs dont les leaders sont Vicente Castaño, les frères Javier Antonio et Luis Enrique Calle Serna – alias « Comba » -, Daniel Barrera Barrera – alias « El Loco » -, Pedro Oliverio Guerrero – alias « Cuchillo » -, Ruberney Vergara – alias « Maniquemado » -, Arnulfo Sanchez Gonzales – alias « Pablo » -, Walter Ochoa Guisao – alias « El Gurre » – et Diego Pérez Henao – alias « Diego Rastrojo ».

Offensive sur la vieille Europe
Le marché nord-américain de cocaïne étant saturé depuis des années, les narcotrafiquants ont bien compris qu'il fallait trouver de nouveaux débouchés. La vieille Europe s'est alors révélée un terrain de choix. En effet, les consommateurs quelque peu lassés par le cannabis d'origine marocaine se sont tournés vers la cocaine, plus euphorisante à leur gout, tandis que l'héroïne semblait marquer le pas. Pour le moment, il semble que les organisations criminelles colombiennes privilégient la route passant par l'Afrique de l'Ouest pour rejoindre l'Europe tout en bénéficiant des marchés émergents constitués par les stations touristiques marocaines et tunisiennes. Les Mexicains préfèrent toujours utiliser les routes plus classiques qui rejoignent l'Europe par ses ports britanniques et nordiques. Le point de rencontre incontournable reste la péninsule ibérique où nombre d'organisations criminelles transnationales (OCT) entretiennent une représentation, particulièrement sur la Costa del Sol, autour de Malaga. Mais les OCT sud-américaines ne sont aujourd'hui pas à même d'assurer la distribution de la cocaïne sur le continent. Des accords sont donc négociés, au cas par cas, avec les pègres locales. Toutefois, la présence des criminels sud-américains se fait de plus en plus pressante ce qui pourrait provoquer à terme des guerres des gangs sanglantes.