Al-Qaida sur le déclin ?
Alain RODIER
Depuis le début de l’année, de nombreux experts en terrorisme estimaient qu’Al-Qaida est sur le déclin, voire n’existe plus (certains adeptes du « conspirationisme » allant jusqu’à prétendre que cette organisation a été inventée de toutes pièces par Washington). Les faits survenus en ce début d’automne semblent les contredire. Al-Qaida a certes considérablement évolué comme elle l’a toujours fait depuis sa création, mais l’organisation mise sur pied par Oussama Ben Laden est toujours présente comme le disait le regretté Robert Lamoureux dans son sketch « le canard est toujours vivant ».
Oussama Ben Laden à la manœuvre
Tout d’abord, son chef historique, Oussama Ben Laden, semble être « toujours vivant » si l’on en croit les deux enregistrements qui viennent d’être publiés à 24 heures d’intervalle par des sites islamiques les 1er et 2 octobre. Non seulement, il appelle le monde musulman à porter secours au Pakistan suite aux effroyables inondations de cet été, soulignant au passage que le pétrole de la péninsule arabique appartient à tous les musulmans, mais il verse également dans le très médiatique combat des écologistes repris par l’ensemble des hommes politiques du monde occidental : la protection de l’environnement.
En dehors de ces deux préoccupations qui ont un but essentiellement de propagande, ce qui démontre d’ailleurs chez lui une analyse fine de la situation de l’opinion internationale, il aurait personnellement inspiré le complot, théoriquement déjoué, qui visait à déclencher des opérations terroristes d’envergue en Europe occidentale et vraisemblablement aux Etats-Unis. Le modèle de l’attaque de Bombay de novembre 2008 (173 morts et 308 blessés) semble lui avoir bien plu. En effet, neuf hommes lourdement armés et bien entraînés avaient alors provoqué des évènements sanglants qui ont défrayé la chronique mondiale en tournant en boucle sur les télévisions internationales. La perspective d’envoyer des jihadistes préalablement formés dans les zones tribales pakistanaises, attaquer plusieurs grandes villes européennes (on peut un peu plus douter de la faisabilité de telles actions aux Etats-Unis étant donné les mesures de sécurité draconiennes qui y sont en vigueur) aurait eu son assentiment. Une partie des activistes détectés par les services de renseignement occidentaux seraient des combattants internationalistes britanniques et allemands. L’affaire aurait été révélée par des interceptions de conversations téléphoniques passées depuis le Pakistan vers l’Europe, ce qui tend à prouver que le réseau Echelon fonctionne encore très bien. A savoir, ces activistes tentaient de préparer des infrastructures d’accueil et de soutien aux commandos qui auraient rejoint l’Europe. Ces renseignements auraient été recoupés par les aveux d’au moins un activiste fait prisonnier en Afghanistan. A noter qu’Al-Qaida au Maghreb Islamique (AQMI) ne serait pas partie prenante de cette opération. En effet, la filière serait essentiellement pakistanaise. Elle serait conduite par le nouveau chef opérationnel d’Al-Qaida : Ilyas Kashmiri qui a déjà organisé l’attaque de Bombay en 2008.
Le cas d’Al-Qaida au Maghreb Islamique (AQMI)
Il semble qu’AQMI n’a pas aujourd’hui les moyens nécessaires pour déclencher des actions coordonnées de type « commando » sur le sol européen en général et français en particulier.
Il n’en reste pas moins que ce mouvement affilié à Al-Qaida défraye la chronique. Sa composante sahélienne multiplie les enlèvements dans sa zone d’influence, obligeant la majorité des expatriés à rentrer au pays et interdit la région aux touristes, ce qui constitue un manque à gagner immense pour les sociétés travaillant dans ce secteur au Sahara et une perte de crédibilité générale de l’Occident auprès des populations locales. Plus généralement, AQMI est en train de créer un vent de panique au sein du monde politique français confronté à une menace d’attentats dans les lieux publics hexagonaux. En effet, AQMI peut très bien se livrer à des attentats du type de ceux qui sont survenus en 1995, le procédé étant plus simple à réaliser que celui des opérations « commando ».
L’effet recherché par tout terroriste (terroriser) est parfaitement rempli par la direction d’AQMI basée à l’est d’Alger : créer un sentiment de peur qui ravit les activistes en herbe implantés en France. Cela donne déjà des idées à de mauvais plaisants qui déclenchent des alertes qui obligent à évacuer la tour Eiffel par deux fois, la gare Saint Lazare et le RER Saint Michel une fois et un centre de tri dont le personnel est mis en quarantaine après réception d’un colis contenant une poudre suspecte.
Plus inquiétant encore, cela pourrait également influencer des individus ou des groupuscules isolés qui voudraient profiter de cette période particulièrement sensible pour faire parler d’eux. Les fondamentalistes musulmans sont immédiatement pointés du doigt mais ils ne sont pas les seuls à souhaiter passer à l’action. En effet, les libertaires-anarchistes encouragés par la crise économique qui perdure en créant un immense sentiment de frustration au sein des populations, semblent vouloir profiter de l’occasion qui leur est offerte.
La situation sécuritaire mondiale se dégrade peu à peu.
Si l’on fait un rapide tour du monde, il est aisé de s’apercevoir qu’Al-Qaida, ses mouvements affiliés ou alliés et des groupuscules ou des individus isolés qui se réclament de son idéologie sont passés à la vitesse supérieure.
Sans entrer dans les détails, force est de constater que le gouvernement intérimaire de transition somalien ne contrôle plus qu’une partie de la capitale, et encore grâce aux forces de l’AMISOM (mission africaine de maintien de la paix en Somalie). Les fondamentalistes somaliens sont également en train d’étendre leurs actions à l’étranger, pour le moment aux pays proches mais peut-être demain à des contrées plus lointaines. Les actes de piraterie et de terrorisme maritime devraient s’accroître dans les semaines ou les mois à venir car les milices Al-Shabab liées à Al-Qaida, au moins sur le plan idéologique, ne s’interdisent plus ces activités jugées auparavant comme « criminelles ». La seule différence réside dans le fait que leurs responsables ont déclaré ne pas vouloir s’en prendre aux bâtiments de pays musulmans.
Cela risque d’être aussi le cas au Yémen où le gouvernement est engagé sur deux fronts : au Nord face aux tribus du clan Al Houthi plus ou moins appuyées par Téhéran, au Sud et à l’Est face à Al-Qaida dans la Péninsule Arabique (AQPA) qui profite des volontés sécessionnistes très présentes dans la région en raison de la situation de misère qui y prévaut.
Le théâtre Afpak reste toujours aussi préoccupant avec, en plus, les débordement qui ont eu lieu en Asie centrale ces derniers temps, notamment au Tadjikistan. Certes, les rebelles afghans sont essentiellement des taliban et des chefs de guerre (Haqqani et Hekmatyar), mais ces derniers ont incorporé dans leurs rangs quelques dizaines de combattants internationalistes d’Al-Qaida reconnus pour leur professionnalisme.
La même situation prévaut au Pakistan où les lignes d’approvisionnement de l’OTAN sont de plus en plus menacées par les taliban pakistanais appuyés par des activistes d’Al-Qaida, notamment originaires d’Asie centrale.
Si les forces coalisées se retirent d’Afghanistan comme cela semble être désormais inéluctable, il est probable que la guerre civile donnera l’avantage aux taliban et que le feu se propagera progressivement à différents pays d’Asie centrale obligeant Moscou à passer en première ligne. La Russie est déjà empêtrée dans le Caucase, la révolte tchétchène ayant largement débordé sur les pays voisins. Moscou craint également une vague d’attentats terroristes qui pourraient affecter les grandes villes du pays.
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Pour un mouvement moribond, Al-Qaida, tel le Phoenix, paraît bien renaître de ses cendres. Certes l’établissement du califat mondial souhaité par Oussama Ben Laden semble être aujourd’hui très loin voire utopique. Par contre, en ce qui concerne la propagation de la terreur, cela parait être en bonne voie. A titre d’exemple, même la Suède, pays pacifique et peu concerné apparemment, vient de relever son niveau d’alerte passant d’un coup de « faible » à « élevé ».
La crise économique mondiale qui perdure fragilise considérablement les Etats développés et met en péril certains gouvernements de pays pauvres. Cela constitue un terreau sur lequel les révolutionnaires en général, et les fondamentalistes musulmans en particulier peuvent s’appuyer. Ainsi, jamais les Touaregs n’auraient rejoint AQMI si leur situation s’était améliorée. En fait, Al-Qaida est dans une phase d’offensive et les « pays cible » sont sur la défensive. Même sans vouloir trop dramatiser, le chaos ne semble aujourd’hui pas être bien loin.