Les services de renseignement et de sécurité français : perspective historique
Éric DENÉCÉ
Une histoire ancienne
Si l’on excepte quelques expériences isolées au cours du Moyen-Age, c’est au XVe siècle que naît le renseignement français
C’est Louis XI (1423-1483) qui apparaît comme le premier monarque français à recourir naturellement au renseignement, grâce auquel il consolida le pouvoir royal. A partir du XVe siècle également, les écritures secrètes connaissent un développement rapide dans le royaume. François Ier (1494-1547) puis Henri IV (1553-1610) s’attachent les services de mathématiciens (de la Bourdaizière, Viète) pour percer les codes des messages secrets de leurs adversaires. Puis, en 1586, de Vigenère, invente un procédé de chiffrement qui restera longtemps inviolable.
Avec Richelieu (1624-1642), le renseignement français connaît un essor considérable, car le cardinal va faire du pays, le première puissance européenne aux XVIIe et XVIIIe siècles. Les trois missions que Richelieu confia à ses « services » furent : l’abaissement de la maison d’Autriche ; la répression des complots ourdis par la noblesse en liaison avec les puissances ennemies ; et le démantèlement de l’organisation protestante en France. Le cardinal créa, parallèlement, le « Cabinet noir », une cellule secrète chargée d’intercepter les correspondances postales de la noblesse française et des cours étrangères. Mazarin (1601-1661), qui lui succèdera, héritera de ces réseaux et de ces savoir-faire.
Une nouvelle impulsion est donnée au renseignement sous le règne de Louis XIV (1643-1715), grâce à Colbert qui développe le renseignement économique, n’hésitant pas à envoyer des agents dans les nations voisines, afin de subtiliser leurs secrets industriels. Le Roi-Soleil infiltre également ses agents à la cour d’Angleterre ; ils poussent Charles II à déclarer la guerre à la Hollande en 1672, servant la politique européenne de la France.
Parfaitement conscient de l’importance des actions clandestines en politique étrangère, Louis XV (1715-1774) se dota d’un service de renseignement et de diplomatie parallèle : le « Secret du Roi ». Cette organisation secrète fonctionna pendant près de vingt ans dans la clandestinité, à l’insu des ministres et de la Cour. Il s’agissait d’un véritable service de renseignement et d’action aux ramifications multiples. Il interceptait et lisait le courrier des diplomates étrangers et de la noblesse française. Il recrutait des agents et distribuait des fonds en Pologne, en Suède, à Constantinople et à Saint Petersbourg. Si ses plus célèbres agents furent le chevalier d’Eon, Vergennes et Breteuil, d’autres personnalités célèbres participèrent à ses actions occultes, dont Voltaire, qui en 1742, reçut pour mission d’intoxiquer Frédéric II, le roi de Prusse, dont il était l’ami. La France fut également très active en matière de renseignement économique, notamment afin de s’approprier les secrets industriels britanniques. Louis XV envoya outre-Manche des agents formés à espionner et débaucher des artisans spécialisés. En réaction, les Britanniques adoptèrent une loi interdisant l’émigration de certains ouvriers qualifiés, mais les opérations françaises se poursuivirent néanmoins.
A la mort de Louis XV, la pratique des actions secrètes se poursuivit. Remarquablement assisté par son ministre des Affaires étrangères, le comte de Vergennes – un ancien du « Secret du Roi » -, Louis XVI ne cessa d’acheter tout au long de son règne des intelligences chez ses voisins européens. Surtout, il s’engagea dans la lutte aux côtés des « insurgents » américains en leur apportant non seulement son soutien politique, mais aussi des renseignements, des armes et finalement un corps expéditionnaire. Cette opération clandestine de soutien aux colonies d’outre-Atlantique et de déstabilisation de l’empire britannique était la riposte de la France à la défaite subie face à l’Angleterre lors de la guerre de Sept ans (1756-1763), qui entraîna la perte de son premier empire colonial.
Sous la Révolution, le renseignement français est principalement orienté vers la lutte contre l’ennemi intérieur (royalistes, chouans, Vendéen) et leurs soutiens étrangers, notamment l’Angleterre, qui veut prendre sa revanche de l’affaire américaine. De 1792 à 1799, l’état permanent de la menace intérieure conduit au développement des pratiques de police secrète et de contre-espionnage. Le renseignement sur l’étranger n’en n’est pas pour autant négligé par les dirigeants révolutionnaires et joue un rôle majeur lors des opérations aux Pays-Bas, en Allemagne, en Italie et en Egypte. Par ailleurs, le Comité de Salut public n’hésite pas à recourir à l’action subversive, notamment en 1798, en réaction aux manœuvres anglaises. La République tenta de soulever l’Irlande contre Londres, avec l’aide d’un contingent français débarqué dans l’île, mais l’opération échoua.
Au cours de ses campagnes de la Révolution et de l’Empire, Napoléon fait un usage permanent du renseignement. L’Empereur veut tout savoir de ses ennemis et de ses futurs théâtres d’opération. Il estime « qu’un espion bien placé vaut vingt mille combattants ». Avide de renseignements opérationnels, il exige de ses « services » une connaissance détaillée des itinéraires, de l’état des routes, des vivres qu’il pourra trouver en chemin et surtout, des forces adverses.
Au plus haut niveau, le Grand quartier-général pilote le travail de recherche des informations, leur centralisation et l’analyse du renseignement. Sur le terrain, tous les commandants de corps d’armée disposent d’un bureau renseignement. Les fiches concernant les armées étrangères sont conservées jusqu’au niveau du bataillon et quotidiennement mises à jour. Les interceptions des courriers étrangers sont nombreuses, œuvre d’un cabinet noir composé d’une multitude de décrypteurs et linguistes. Mais la pièce maîtresse du renseignement de Napoléon se nomme Charles-Louis Schulmeister, un habile contrebandier alsacien. En quelques années, il développe ses réseaux dans le monde germanique, disposant d’agents jusqu’en Autriche et en Hongrie. Il conduit de remarquables opérations de pénétration et d’intoxication sous identité d’emprunt. Les renseignements qu’il recueille contribuent à la victoire de Napoléon à Austerlitz.
L’empereur ne limita pas l’action de ses services à l’Europe et l’étendit à l’Amérique latine, qu’il espéra un moment s’approprier. Il organisa dans ce but, à partir de 1809, un réseau de renseignement et d’action dont les agents opérèrent à partir de Mexico, de La Nouvelle Orléans et de la Californie. Ils parvinrent à déclencher une insurrection qui, en 1811, fut bien près de chasser les Espagnols du Mexique.
Le renseignement intérieur fut également particulièrement actif sous l’Empire, notamment en matière de surveillance de l’opposition et de contre-espionnage. A partir de 1799, le ministre de la Police, Fouché, met au point une police secrète implacable qui lutte contre les complots et surveille les étrangers. A partir de 1801, la Gendarmerie se mêle également de contre-espionnage. La volonté de neutraliser les actions secrètes des puissances ennemies donne par ailleurs lieu à des opérations clandestines. Le 24 octobre 1804, une centaine de soldats français débarquent de nuit sur la côte prussienne. Ils enlèvent Sir Rumbold, l’ambassadeur britannique à Hambourg, responsable de nombreuses opérations d’espionnage et de subversion en France. Cette opération permet de démanteler l’ensemble du dispositif d’espionnage anglais en Europe du Nord.
Après la chute de Napoléon, la Restauration s’acharne à effacer toute trace du renseignement impérial. Le renseignement français en sera durablement désorganisé. De 1815 à 1870, il n’existe aucun service permanent. En différentes occasions, de petites structures sont mises sur pied mais ne durent qu’un temps. Le renseignement est totalement négligé par l’état-major français et le contre-espionnage est quasiment inexistant. En conséquence, les capacités de la France en la matière seront plus faibles au milieu du XIXe siècle qu’elles ne l’étaient un siècle plus tôt.
À la veille de la guerre de 1870, la France ne dispose donc pas de service de renseignement digne de ce nom, ni d’un seul agent durablement implanté en Allemagne, alors que les Prussiens ont considérablement développé leur espionnage. Ainsi, l’armée française commence la guerre en état de cécité complet et court ainsi de défaite en défaite au cours du conflit qui voit la perte de l’Alsace et de la Lorraine.
La France ne crée un Deuxième bureau qu’en mars 1874. Mais en cette fin du XIXe siècle, le pays traverse une période de nationalisme et d’antisémitisme. C’est dans ce contexte que les services sont impliqués dans l’affaire Dreyfus (1894), officier juif accusé à tort d’être un espion allemand. Cette affaire divisera la France et portera un coup terrible au renseignement militaire : le contre-espionnage (CE) lui échappe pour être confié la police.
Toutefois, à partir de 1881, la cryptologie française connaît une modernisation sans précédent. L’armée conduit d’importants travaux de décryptement et teste la radiotélégraphie pour la recherche du renseignement. La création, en juillet 1912, de la Section du chiffre au ministère de la Guerre fera de la France le pays le mieux préparé dans ce domaine lorsqu’éclatera la Première Guerre mondiale. A partir de 1915, les écoutes téléphoniques fournissent quantité de renseignements. Le Deuxième bureau est en mesure de prévenir les commandements tactiques des attaques adverses grâce à sa connaissance des intentions allemandes. Le renseignement humain n’en est pas négligé pour autant : au cours d’une de ses missions clandestines en Allemagne, un agent assiste à un essai d’armes chimiques. Grâce à ce renseignement, les masques à gaz français seront fabriqués avant l’offensive de Verdun (février 1916), sauvant la vie de milliers de combattants.
A l’issue du conflit, en 1918, le renseignement français a connu une évolution considérable et bénéficie d’une solide expérience. Pourtant, il est toujours le parent pauvre des armées, manquant de ressources et de prestige. De plus, les politiques ne s’y intéressent pas. En conséquence, l’entre-deux guerres sera pour les services une nouvelle période de recul. Toutefois, malgré la faiblesse des moyens humains et financiers qui lui sont accordés, le Deuxième Bureau est, dès le milieu des années 1930, remarquablement informé sur l’Allemagne, ses services et son chiffre.
Dès le début de la Seconde Guerre mondiale, le service de renseignement (SR) réussit l’exploit de percer les codes allemands. Il obtient dès 1931 d’un de ses agents outre-Rhin – Hans-Thilo Schmidt, – le manuel de fonctionnement de la machine Enigma et ses livres des codes. Le premier décryptement complet d’un message chiffré aura lieu le 17 janvier 1940. Lors de l’offensive allemande en France, le Service du chiffre s’installe en zone libre avec une des machines qu’il a conservé et poursuit ses écoutes des communications ennemies. Les renseignements obtenus sont transmis quotidiennement aux services anglais. Puis, lors de l’armistice de juin 1940, l’ensemble des archives et du savoir français est transmis aux cryptographes britanniques. Grâce à eux – mais aussi travail effectué avant guerre par les Polonais -, les Anglais peuvent décrypter, à partir de mai 1940, les messages de la Luftwaffe, puis de la Kriegsmarine (1941) et de la Wehrmacht (1942). Ce fut là l’une des plus grandes contributions françaises à la victoire des Alliés. Le décryptement des messages entre la marine allemande et ses sous-marins raccourcit de plusieurs mois la bataille de l’Atlantique et les interceptions de la Luftwaffe permirent d’anticiper les raids aériens lors de la bataille d’Angleterre.
Parallèlement, à partir de juin 1940, le SR et le CE relancent leurs opérations d’espionnage depuis la Zone libre. Lors de l’invasion du sud de la France, en novembre 1942, les deux organisations entrent dans la clandestinité. Depuis Alger, elles maintiennent les liaisons avec les réseaux implantés en France occupée, renseignent les services britanniques et américains, contribuent à induire les Allemands en erreur sur les intentions des Alliés et préparent la reprise en main du pays en prévision de la Libération. En Afrique du Nord, le contre-espionnage anéantit littéralement les réseaux de renseignement et de sabotage allemands.
Parallèlement, en 1942, le général de Gaulle crée le Bureau central de renseignement et d’action (BCRA) à Londres, afin de participer à la lutte clandestine contre les Allemands. Ce service envoi de nombreux agents en France et apporte un soutien aux organisations de résistance, rapportant lui aussi une quantité impressionnante de renseignements
Ainsi, entre 1940 et 1945, une somme considérable d’informations a été fournie par les services français aux Alliés. Leur production mensuelle de renseignements en 1943-1944, atteignit 200 000 pages, 60 000 cartes, 10 000 clichés photographiques. C’est absolument considérable, quand on songe aux conditions dans lesquelles ces informations ont été recueillies. Bill Donovan, le patron de l’Office of Strategic Services (OSS) américain, confia à Roosevelt, en 1945, que le BCRA avait fourni 80% des renseignements utilisés pour préparer le débarquement en Normandie.
A l’issue de la Deuxième Guerre mondiale, l’organisation des services dont la France dispose encore aujourd’hui se met en place, même si les structures changeront régulièrement de nom. Le Service de documentation extérieure et de contre-espionnage (SDECE) et la Direction de la Surveillance du territoire (DST) sont créés en 1946, respectivement chargés du renseignement extérieur et de la contre-ingérence. Toutefois, les situations dans lesquelles la France se trouvé engagée au cours de la deuxième moitié du XXe siècle (Indochine, Algérie, Afrique) vont contribuer à faire du SDECE un service davantage orienté vers l’action clandestine que vers la recherche de renseignement.
Le SDECE participe activement à tous les conflits de la décolonisation, conduisant de nombreuses opérations de renseignement et d’action en Afrique et en Extrême-Orient. En revanche, ses performances sont plus limitées en Europe de l’Est, face à l’ennemi soviétique, car il ne peut y consacrer qu’une faible partie de ses moyens. Il est renommé Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) en avril 1982. La DST conduit une action efficace contre les agents de Moscou, parvenant même à recruter une source de haut niveau au sein du KGB.
L’événement majeur qui conduit à une évolution du renseignement français est l’apparition de la menace terroriste. Celle-ci n’a pas débutée avec les attentats du 11 septembre 2001. Dès le début des années 1980, la France a créée des cellules spécialisées au sein des services (DST et DGSE) et au ministère de l’Intérieur (Unité de coordination de lutte antiterroriste/UCLAT) et en adaptant sa législation antiterroriste. La France dispose d’une réelle expertise en la matière et ses services sont rompus, depuis le début des événements d’Algérie, en 1954, à la lutte contre le terrorisme arabe, sur son sol comme à l’étranger.
A partir de 1991, la menace s’accroit encore, en raison de la situation en Algérie ou les Groupes islamiques armés (GIA) essaient de s’emparer du pouvoir et menacent directement la France. Puis, l’affaire du gang de Roubaix (1996) est un événement révélateur de l’évolution de la menace, celle-ci n’étant plus liée aux terroristes du GIA algérien, mais à des immigrés et des Français de souche convertis à l’islam radical, formés en Bosnie ou en Afghanistan.
En parallèle, à l’occasion de la première guerre du Golfe (1991), le corps expéditionnaire français se trouva totalement démuni en matière de renseignement opérationnel en comparaison des Américains. Les unités déployées ne disposaient que du satellite civil Spot pour surveiller le champ de bataille. Les leçons de cette expérience allaient être retenues. En 1992, l’état-major des armées crée la Direction du renseignement militaire (DRM). Elle sera régulièrement étoffée dans la décennie suivante, notamment suite aux interventions en Bosnie (1995) et au Kosovo (1999), développant significativement ses capacités techniques d’acquisition du renseignement.
Après les attentats de New York et Washington (2001), de Madrid (2004) et de Londres (2005), la France va procéder à une réorganisation des ses services qui connaîtront un accroissement des leurs effectifs et de leurs moyens. En 2008, sous l’impulsion du président Sarkozy, la DST et une partie de la DCRG – Direction centrale des renseignements généraux, service en charge du renseignement intérieur – sont fusionnés pour donner naissance à la DCRI (Direction central du renseignement intérieur), qui sera renommée DGSI (Direction générale de la sécurité intérieure) en 2014.
Les actes terroristes de Toulouse (2012) et de Paris (2015) entraînent de nouveaux aménagements et surtout, un renforcement significatif des effectifs des services de renseignement. D’ici 2018, la communauté du renseignement française devrait passer de 14 000 à 16 000 personnes.
La communauté française du renseignement en 2016
La France compte en 2016 six services de renseignement ainsi que plusieurs autres organismes contribuant à la collecte du renseignement.
Les six organismes désignés comme services de renseignement sont :
- la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE). Forte de plus de 5 000 femmes et hommes, la DGSE est le plus important des services français. Elle est chargée de rechercher à l’étranger, les renseignements intéressant la sécurité de la France, ainsi que de détecter et d’entraver les activités d’espionnage et de terrorisme contre les intérêts français. L’une des caractéristique de la DGSE est d’être un « service intégré », c’est-à-dire qu’elle est à elle seule une petite communauté du renseignement, cumulant les fonctions de recherche humaine, de recherche technique, d’analyse et d’action. Autant de métiers qui relèvent, le plus souvent, de services différents à l’étranger.
- la Direction du renseignement militaire (DRM) – forte de 1 700 personnels – a pour mission de fournir en renseignements les forces armées en opération. Elle pilote et coordonne les moyens de renseignement des trois armées et est en charge du renseignement d’imagerie (satellites d’observation de la terre).
- la Direction du renseignement et de la sécurité de la Défense (DRSD) compte 1 100 personnels. Elle est présente sur l’ensemble du territoire national et sur tous les théâtres où les forces françaises sont engagées. Ses missions sont le renseignement de sécurité, la protection des forces, des systèmes d’information et du patrimoine industriel et économique lié à la Défense.
- la Direction générale de la Sécurité intérieure (DGSI) regroupe 3 600 personnels. Elle a pour compétence de lutter, sur le territoire français, contre toutes les activités susceptibles de constituer une atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation : subversion, extrémisme violent, espionnage et terrorisme.
- la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED), (800 personnes) est chargée de la collecte du renseignement relatif aux trafics internationaux de toute nature (armes, drogue, contrebande).
- le service Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins (TRACFIN), est la cellule nationale de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (100 personnes).
La DGSE, la DRM et la DPSD sont rattachées au ministère de la Défense, la DGSI au ministère de l’intérieur et la DNRED et TRACFIN au ministère de l’Economie et des Finances. Au total, la communauté française du renseignement compte près de 14 000 personnels. Suite aux renforcement décidés suite aux attentats de janvier 2015, elle en comptera près de 16 000 en 2018.
Aux six services renseignement, s’ajoutent plusieurs autres organismes contribuant à la collecte du renseignement de sécurité :
- le Service central du renseignement territorial (SCRT) – 2 000 personnels -, rattaché à la police nationale, est chargé de la surveillance des mouvements revendicatifs ou protestataires et de la contestation politique violente.
- la Direction du renseignement de la préfecture de Police (DRPP), regroupant 800 personnels, est chargée du renseignement antiterroriste et antisubversion à l’échelon de la région parisienne (12 millions d’habitants).
- le Service d’information, de renseignement et d’analyse stratégique sur la criminalité organisée (SIRASCO), créé en 2009, est chargé de surveiller toutes les organisations criminelles transnationales opérant sur le sol français. Il est également rattaché à la police nationale.
- la Gendarmerie nationale participe aussi à l’action de renseignement à travers sa Sous-direction de l’anticipation opérationnelle (SDAO), qui est présente dans tous les départements français et son Bureau de lutte antiterroriste (BLAT).
- Enfin, le ministère de la Justice dispose d’un Bureau du renseignement pénitentiaire (dénommé MI3), ne comptant que quelques dizaines de personnels, chargé de surveiller les détenus les plus dangereux, notamment les islamistes radicaux.
Les services spécialisés ou contribuant au renseignement sont pilotés ou coordonnés au travers de différentes structures.
- Le Conseil de Défense et de Sécurité nationale (CDSN) présidé par le chef de l’Etat et réunissant le Premier ministre et les ministres de la Défense, de l’Intérieur, de l’Economie, du Budget et des Affaires étrangères est chargé, de définir les orientations et de fixer les priorités en matière d’opérations militaires, de renseignement, de sécurité intérieure ou de lutte contre le terrorisme.
- Le Secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale (SGDSN) est un organisme de coordination interministériel chargé de l’ensemble des dossiers intéressant la sécurité intérieure et extérieure du pays. Il assure le secrétariat du Conseil de défense et de sécurité nationale.
- Le Coordinateur national du renseignement (CNR), placé sous la responsabilité du Président de la République est son conseiller en la matière. Il est chargé de définir les orientations stratégiques et les priorités du renseignement, de s’assurer que les services disposent des moyens nécessaires (personnels, budget), de coordonner leurs actions et de veiller à la bonne coopération des services.
- L’Unité de coordination de lutte antiterroriste (UCLAT), rattachée au ministère de l’Intérieur, est chargée de coordonner la lutte antiterroriste entre tous les services de l’État.
- Enfin, l’Académie du renseignement est chargée de développer des programmes de formation interagences, grâce auquel les différents services apprennent à mieux se connaître afin de mieux travailler ensemble.
Le contrôle parlementaire du renseignement
Avec beaucoup de retard sur les autres pays occidentaux, en 2007, la France a mis sur pied une délégation parlementaire chargée du suivi des affaires de renseignement. Les élus français se sont très longtemps désintéressés des questions de renseignement, considérant que celles-ci relevaient exclusivement de l’exécutif.
Auparavant, le seul « contrôle » que le Parlement exerçait sur les services de renseignement était d’ordre financier, dans le cadre du vote des budgets de la Défense, de l’Intérieur et des fonds spéciaux, mais les parlementaires n’étaient consultés sur aucun autre sujet. Toutefois, même en l’absence d’un contrôle des Assemblées, il a toujours existé un contrôle gouvernemental. En effet depuis les origines de la Ve République, les services ont fait l’objet d’un contrôle étroit de la Cour des comptes. Les services – notamment la DGSE – ont toujours été dans l’impossibilité de dissimuler des opérations au gouvernement, notamment en cas de changement de régime. Cette capacité de contrôle administratif était un garant démocratique en l’absence d’une commission parlementaire. Il convient par ailleurs de rappeler que les services français n’ont jamais outrepassé leurs directives et sont toujours restés d’une loyauté totale à l’exécutif, quelle que soit sa couleur politique
La Délégation parlementaire au renseignement (DPR) est composée de huit parlementaires, 4 membres de l’Assemblée nationale et 4 du Sénat. Elle reçoit du gouvernement des informations sur les budgets, l’activité générale et l’organisation des services de renseignement. Elle peut entendre les ministres de l’Intérieur et de la Défense, les directeurs des services de renseignement, ainsi que tout membre des services et tout expert extérieur qu’elle souhaite. Chaque année, elle remet un rapport au président de la République, au Premier ministre et aux présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat sur l’activité des services de renseignement et de sécurité français.
Quelques réussites majeures du renseignement français
– Au cours de la Seconde Guerre mondiale, le BCRA et les services de renseignement et de sécurité militaires ont permis au général De Gaulle d’occuper pleinement sa place auprès des Alliés, en leur fournissant une grande quantité de renseignements et en participant à leurs côtés aux actions clandestines en Europe et en Extrême-Orient. Surtout, le BCRA lui permit d’organiser la résistance intérieure et de préparer sa prise de pouvoir en France.
– Durant la Guerre froide, le SDECE a rapidement cessé d’opérer derrière le Rideau de fer pour se concentrer sur les conflits de la décolonisation dans lesquels la France fut engagée (Indochine, Algérie) où il obtint de nombreux succès. Puis il s’est transformé en service de défense du pré-carré africain, afin de maintenir les ex-colonies devenues indépendantes dans le giron de la République. Cet objectif fut parfaitement atteint. Le SDECE – puis de la DGSE – est devenu l’un des services occidentaux les plus performants sur ce continent. Au cours des années 1970, en Angola, le service français apporta son soutien à Jonas Savimbi, le dirigeant de l’UNITA, mouvement de guérilla qui luttait contre le régime communiste au pouvoir dans son pays. Il organisa, au Maroc, des camps d’entraînement pour les combattants de la résistance angolaise, avec des instructeurs marocains. Ainsi, la France a pu conserver une influence notable en Afrique et des alliés indéfectibles lors des votes à l’ONU, ce qui lui permis de prolonger son statut de puissance mondiale et de garder son siège de représentant permanent au Conseil de sécurité des Nations unies. De plus, le soutien apporté par le SDECE à la société Elf a permis à notre pays de sécuriser une partie de son approvisionnement énergétique. Ce service a ainsi pleinement joué son rôle au profit de la défense des intérêts nationaux.
Parallèlement, le SDECE a très efficacement œuvré afin d’aider les scientifiques du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) à développer nos armes nucléaires, ainsi que l’état-major des armées à obtenir les coordonnées précises des cibles civiles et militaires en URSS au profit de notre force de frappe. Il a joué également un rôle non négligeable dans le développement de notre industrie d’armement, par « l’acquisition » de hautes technologies à l’étranger.
En 1979, le SDECE annonça avant qu’elles aient lieu la chute du Shah d’Iran et de l’invasion soviétique en Afghanistan (décembre 1979). Pendant le conflit, son service Action entraîna des combattants du commandant Massoud en France, lui livra des armements et du matériel de communication et détacha divers conseillers auprès de ses troupes, dans la vallée du Panshir.
– La DST s’est honorablement comportée dans la lutte disproportionnée contre les services de l’Est. Certes, elle n’a probablement jamais démasqué la totalité des agents de Moscou en France, mais elle est parvenu à perturber significativement l’action du KGB et de ses alliés. Elle a réussi à traiter, en 1981 et 1982, à Moscou même, Vladimir Vetrov, officier supérieur du service de renseignement scientifique et technologique du KGB. Pendant plus d’un an, sous le nom de code de Farewell, il remet à ses traitants près de 3 000 documents d’une grande importance sur l’ampleur de l’espionnage communiste en Occident. Le contre-espionnage français communique son incroyable moisson aux services américains qui prennent conscience des développements de l’espionnage technologique soviétique sur leur propre sol.
La DST s’impliqua également, au cours des années 1950, dans la lutte contre le FLN et, au cours des années 1960, contre l’Organisation armée secrète (OAS) refusant l’indépendance de l’Algérie. Puis, à partir de la fin des années 1970, elle s’adapta très efficacement à la lutte contre le terrorisme arabe, précédant, en ce domaine, les autres services occidentaux de plusieurs décennies. Depuis la fin de la Guerre froide, elle a aussi été amenée à neutraliser plusieurs opérations d’espionnage américaines en France, notamment celle qui en 1993, a conduit à l’expulsion de cinq membres de la CIA.
– Depuis 1992, la DRM, grâce au développement de ces moyens de recueil techniques et humains a fait la preuve de son efficacité sur tous les théâtres d’opération où les forces françaises ont été engagées. La France a ainsi fourni la plus importante contribution européenne en matière de renseignement lors de l’opération Allied Force au Kosovo, en 1999. Puis en 2003, à l’occasion de l’invasion de l’Irak par les Etats-Unis, Paris, a pu s’opposer aux arguments américains, parce que la DRM a pu fournir aux autorités gouvernementales des renseignements contredisant la version construite par Washington pour justifier son action. Depuis l’opération Serval (2013), la DRM est largement impliquée dans la surveillance du Sahel dans le cadre de la lutte contre les groupes terroristes qui y opérant.
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Bien qu’ils aient bénéficié de moyens inférieurs à ceux de leurs alliés et de leurs adversaires, les services de renseignement français sont de bonne qualité et se sont révélés bien adaptés aux besoins du pays depuis 1945. La France dispose de capacités de renseignement et d’action très honorables, y compris par rapport aux Etats qui dépensent infiniment plus qu’elle en ces domaines. Elle reste l’un des rares pays du monde à surveiller l’évolution de toutes les zones de la planète.
Grâce aux réformes entreprises à partir du début des années 1990, elle est aujourd’hui la seule des nations de l’Union européenne qui dispose d’une panoplie presque complète des moyens de renseignement techniques (stations d’écoutes, drones, satellites), donc d’une véritable indépendance en matière de renseignement. Cela lui permet de conserver sa totale autonomie d’appréciation des crises internationales et, lorsque cela s’avère nécessaire, d’apporter à ses partenaires d’autres éclairages que ceux fournis par Washington.