Liban : poursuite des combats dans le nord du pays
Alain RODIER
Du 20 au 22 mai 2007, des affrontements violents ont opposé, dans le nord du Liban, l’armée et les forces de sécurité intérieures (FSI, dont la gendarmerie) libanaises à des activistes du Fatah al-Islam, un groupuscule idéologiquement proche d’Al-Qaida. Les combats ont eu lieu dans la ville de Tripoli et aux abords du camp de réfugiés de Nahr al Bared. Ces heurts sont les premiers depuis six ans1 à opposer les autorités libanaises à un groupe armé palestinien. Dans les jours qui ont suivi, cessez-le-feu et échanges de tirs entre l’armée libanaise et les insurgés retranchés dans le camp de Nahr al Bared se sont succédés. L’armée qui avait utilisé plus du dixième de sa dotation en munitions entre le 20 et le 22 mai, a demandé à être ravitaillée par les Américains, ce qui a commencé à se faire à partir du 25 mai.
Les accrochages ont tout d’abord débuté le 20 mai vers 04 h 00 du matin, à Tripoli, alors que la police libanaise tentait de prendre d’assaut un immeuble dans le quartier de Miteyn où des activistes s’étaient réfugiés après le hold-up d’une banque d’Amioun (région de Koura), qui leur avait rapporté 100 000 dollars. Les forces armées et les FSI sont alors intervenues en renfort. Les combats se sont ensuite étendus aux abords du camp de Nahr al Bared qui accueille plus de 30 000 réfugiés2. Selon un accord signé en 1969 sous l’égide des pays de la Ligue arabe entre les autorités libanaises et les Palestiniens, les forces de sécurité n’ont pas le droit de pénétrer à l’intérieur des 12 camps de réfugiés installés sur le sol libanais. Cependant, depuis quelques semaines, l’armée libanaise a resserré son dispositif autour de Nahr al Bared de manière à tenter de contrôler, autant que faire se peut, les activistes du Fatah al-Islam commandés par Chaker al-Abssi.
Au petit matin du dimanche 20 mai, en représailles à l’opération menée à Tripoli, une patrouille de l’armée libanaise tombe dans une embuscade dans la région de al-Qalamoun, sur la route littorale, à 10 km au Sud de Tripoli. 7 soldats sont tués au cours de cette action. Dans la matinée, après des tirs nourris, les forces de sécurité appuyées par des blindés M 113, parviennent enfin à investir l’immeuble où étaient retranchés les activistes du Fatah al-Islam. Les pertes pour la seule journée du 20 mai s’élèvent à 59 tués : 27 soldats et membres des FSI, 17 activistes du Fatah al-Islam et 15 civils. Plus de 110 personnes, dont de nombreux civils pris entre les tirs, ont également été blessées. Une dizaine de suspects a été appréhendée. Le 21 mai, l’armée libanaise pilonne par intermittence à l’arme lourde les positions de Fatath al-Islam du camp de Nahr al Bared. Les victimes sont nombreuses au sein des réfugiés. Le nombre des victimes est alors évalué à 68 morts, mais des cadavres sont enfouis sous les décombres des maisons détruites par les tirs des chars et des mortiers de l’armée libanaise. Un décompte ultérieur fera état de 78 tués dont 33 militaires lors des trois premiers jours de combats.
Simultanément, dans la soirée du 20 mai peu avant minuit, une bombe de 15 kg explose dans une voiture garée dans le parking d’un supermarché ABC situé dans le quartier d’Achrafié, à Beyrouth-Est. On déplore la mort d’une femme de 63 ans et une dizaine de blessés. Le lendemain soir, une deuxième bombe explose à Verdun, un quartier sunnite de la capitale libanaise. La déflagration de la charge estimée à 15 kg fait cinq blessés. Ces deux attentats sont revendiqués par Fatah al-Islam : « en raison de la poursuite des combats contre l’armée libanaise, un groupe de moudjahiddines a fait exploser deux engins cœur de Beyrouth […] nous avons mis en garde l’armée et voila que nous tenons notre promesse […] Nous avons mis en flammes le cœur de Beyrouth et nous continuerons ».
En fait, les membres de Fatah al-Islam, rejetés par l’ensemble de la population libanaise, se sont retrouvés en position acculée. Le 24 mai à l’aube, quelques activistes ont même tenté de fuir le camp Nahr al Bared à bord d’embarcations pneumatiques. La marine libanaise qui assurait le bouclage du camp de réfugiés n’a eu aucun mal à faire échec à cette tentative d’exfiltration. Les activistes restant, estimés à plus d’une centaine d’hommes, ont continué à se retrancher dans le camp en empêchant les civils de fuir afin de s’en servir en tant que boucliers humains. Les observateurs sont frappés par le fait que les combattants du Fatah al-Islam possèdent armes (fusils d’assaut, mitrailleuses légères, RPG, mortiers, etc.) et munitions en nombre et qu’ils sont dotés de systèmes de visée nocturne qui leur permettent d’être beaucoup plus efficaces lors des tirs de nuit que l’armée libanaise qui en est dépourvue.
Les autorités libanaises accusent la Syrie d’être derrière ces événements qui seraient une réponse à l’éventuelle création d’un tribunal international destiné à juger les responsables du meurtre de Rafic Hariri. Cependant, une nouvelle forme d’unité nationale est en train de se créer autour de l’armée libanaise. En effet, tous les partis politiques et les différentes factions semblent soutenir l’action des forces de sécurité contre le Fatah al-Islam qui ne rencontre aucun soutien populaire. Même le Fatah se range du côté du gouvernement demandant seulement que les civils soient évacués du camp avant qu’un assaut ne soit lancé3. Une position discordante a toute fois été formulée, le 26 mai, par Hassan Nasrallah, le leader du Hezbollah qui, tout en demandant à ce que les insurgés soient arrêtés et jugés, a prévenu le gouvernement qu’en aucun cas il ne fallait déclencher une opération militaire dans le camp de réfugiés. A la mi-juin, le siège du camp Nahr al Bared se poursuivait causant de nouveaux morts – dont le nombre dépassait alors la centaine – et blessés. Pour emporter la décision, il semble que l’armée libanaise comptait alors plus sur l’épuisement des ressources en vivres et munitions des assiégés que sur un assaut frontal, qui serait cause de nombreuses pertes humaines, au sein des réfugiés Palestiniens, pris entre deux feux.
Tout laisse craindre une aggravation de la situation déjà très instable au Liban. Ainsi, le 3 juin, des activistes du mouvement sunnite Jund al-Cham (Les soldats du Levant), installés dans le camp d’Aïn Heloué, au sud du pays, s’en sont pris aux forces de sécurité faisant plusieurs blessés. Il ne semble pas qu’il y ait des lien organique entre Jund al-Cham et Ansar al Islam ; aussi les événements d’Aïn Heloué sont la conséquence de l’ambiance délétère qui perdure au pays du cèdre.
- 1 Des combats avaient opposé des extrémistes sunnites et l’armée libanaise du 31/12/1999 au 06/01/2000. Le bilan avait été de 29 extrémistes, 11 militaires et 5 civils tués.
- 2 31 680 en mars 2007 selon l’Unrwa – l’Office de l’ONU pour l’aide aux réfugiés palestiniens.
- 3 La plupart des civils doivent rejoindre le camp de Badawi situé à une quinzaine de kilomètres.