Israël/Soudan/Gaza : frappe aérienne et riposte du Hamas
Alain RODIER
Drapeau de la Force aérienne et spatiale israélienne
Dans la nuit du 23 au 24 octobre 2012, vers minuit, quatre chasseurs-bombardiers israéliens F-15 auraient mené une mission de bombardement sur le complexe militaire de Yarmouk, situé au sud de Khartoum. L'action, qui n'aurait duré que cinq minutes, aurait eu des résultats dévastateurs, les explosions et des incendies se poursuivant durant au moins trois heures. Selon des images satellites, deux bâtiments ont été complètement détruits et 21 autres endommagés.
Plus curieusement, une quarantaine de containers qui n'étaient pas présents au début octobre auraient été littéralement pulvérisés.
Image prise le 23 octobre dans la journée.
Les 40 containers sont visibles (grosse flèche verte).
Image prise après la frappe. Les containers ont disparu
et des bâtiments aux alentours ont été endommagés.
Selon plusieurs sources, le complexe de Yarmouk, une fabrique de munitions, abritait depuis quelques jours ces containers qui auraient été chargés de missiles iraniens Shahab. En effet, dans la crainte d'une frappe préventive israélienne sur ses propres installations, Téhéran aurait envoyé au Soudan un certain nombre de ses armements stratégiques. Il est possible qu'en compensation, Khartoum ait demandé à recevoir quelques missiles sol-sol pour équiper ses propres forces armées.
Afin de confirmer l'hypothèse de la frappe aérienne et d'exclure le banal accident, les photos satellites mettent en évidence six cratères d'une quinzaine de mètres de diamètre chacun, caractéristiques de l'effet de munitions air-sol.
Les six impacts de bombes
Les pertes humaines sont restées limitées puisque seulement deux personnes auraient été tuées et une troisième sérieusement blessée. Il s'agit donc là d'une frappe « chirurgicale ». Les radars de l'aéroport international de Khartoum ont, comme par hasard, été déconnectés par un « phénomène extérieur » durant toute la période de l'attaque.
Si l'information se confirme, cela prouve qu'Israël est en mesure de lancer un raid aérien à 1 900 kilomètres de ses bases alors qu'un des centres nucléaires iraniens les plus visés, celui de Fordo, ne se trouve situé qu'à 1 600 kilomètres de l'Etat hébreu. Cela prouverait que les capacités de ravitaillement en vol de la Force aérienne et spatiale israélienne[1] seraient performantes, au moins pour quatre appareils volant de conserve. Cela dit, il est possible que ce raid ait engagé un plus grand nombre d'appareils, certains étant chargés de protéger les avions ayant pour mission de bombarder le site. Des sources avancent le chiffre de huit F-15 au total. Rien ne filtre par contre sur les moyens de guerre électronique qui auraient pu rendre inopérants les radars soudanais.
Les capacités israéliennes de brouillage de radars de fabrication russe qui équipent, non seulement le Soudan mais également l'Iran, sont donc aussi confirmées. Cela avait déjà été constaté le 6 septembre 2007 lors du raid lancé contre la centrale nucléaire syrienne de Tall al-Abyad, alors en construction. A l'époque, des experts russes se sont même rendus à Damas pour essayer de comprendre comment la détection aérienne avait été bernée. Les Russes sont les premiers intéressés car ils sont dotés de systèmes de détection identiques.
En réaction à cette opération, le 27 octobre, le président soudanais Omar el-Béchir affirmait que « les intérêts israéliens sont maintenant des cibles légitimes ». En effet, une importante délégation d'experts iraniens aurait visité le site dévasté et aurait formellement identifié le reste de munitions sophistiquées uniquement mises en œuvre par Israël dans la région.
Munition retrouvée sur le site de Yarmouk
La riposte du Hamas
Le Hamas, qui reçoit la majorité de ses armements depuis le Soudan, ne pouvait non plus rester sans réagir.
Le 28 octobre vers 07 h 45, une salve de plusieurs roquettes Grad lancées depuis la bande de Gaza tombe dans le désert du Neguev au sud-ouest de Dimona. Les autorités israéliennes craignent que la cible, visée vraisemblablement en représailles de l'attaque du complexe de Yamourk[2], ne soit la centrale nucléaire de Dimona. En effet, cette dernière avait été survolée le 6 octobre par un drone d'origine iranienne qui avait été lancé par le Hezbollah depuis le Sud-Liban. Il aurait été piloté depuis un PC protégé installé au sud de Beyrouth par des techniciens du Hezbollah aidés par des gardiens de la Révolution iraniens. Avant d'être abattu par la chasse israélienne, il a très bien pu prendre et transmettre des photographies du site de Dimona et, en particulier, de sa défense anti-aérienne organisée autour de batteries de missiles Patriot. Ces renseignements, s'ils ont été transmis au Hamas, ont pu lui servir pour lancer son attaque.
Tel-Aviv est inquiet car les roquettes Grad de 122 mm de dernière génération sont armées d'une charge explosive de 30 kilos et disposent d'une une portée de 50 kilomètres alors que la centrale israélienne ne se trouve qu'à 42,5 kilomètres de la bande de Gaza. Heureusement, ces armes non guidées sont d'une précision assez aléatoire, surtout au maximum de leur portée.
Le raids de Yamourk ainsi que la « réponse » du Hamas font partie de la guerre psychologique qui oppose actuellement Israël à l'Iran. Tel-Aviv a voulu montrer ses capacités de frappes aériennes et Téhéran les cibles qui seraient prioritairement visées en rétorsion en cas d'attaque de son territoire. Seulement, ces sortes d'avertissement se heurtent à la réalité des faits.
Israël n'a pas les capacités suffisantes pour détruire d'un coup tout le potentiel nucléaire iranien, ni pour retarder de manière significative sa montée en puissance. L'Iran sait très bien que le centre nucléaire de Dimona est ultra protégé et que, sauf un miracle, il ne pourra être atteint de manière efficace. Il est vrai que les Iraniens recherchent dans cet affrontement plutôt le symbole que l'efficacité tactique.
Les vrais perdants de cette opération sont les Soudanais. Les Israéliens pénètrent et agissent dans ce pays sans jamais rencontrer d'obstruction majeure. Plusieurs trafiquants et convois d'armes ont ainsi été transformés en chaleur et lumière ces dernières années grâce aux bons soins du Mossad et de Tsahal[3]. C'est une véritable humiliation pour le président Omar el-Béchir qui ne peut envisager qu'une seule riposte : celle du terrorisme.
- [1] Heyl Ha'Avir Ve'Hahalal.
- [2] Ces derniers transitent ensuite par l'Egypte pour rejoindre la bande de Gaza.
- [3] Le 22 mai 2012, Nasser Awadallah Ahmed Said, un trafiquant d'armes approvisionnant régulièrement le Hamas, est tué à bord de son véhicule par un tir air-sol à la sortie de Port Soudan. En 2011, deux hommes avaient été tués dans les mêmes conditions et, en 2009, c'est un navire iranien chargé d'armes qui avait été coulé à Port Soudan, faisant 40 victimes.