Europe – Pakistan : Fin de rêve pour les apprentis djihadistes européens
Alain RODIER
Depuis ces dernières années, il a beaucoup été question des jeunes Européens qui avaient rejoint la guerre sainte en Irak, puis en Afghanistan. Ce qui a été moins raconté, ce sont les conditions dans lesquelles se sont retrouvés ces volontaires qui étaient partis chercher l'aventure au nom d'un idéal qu'ils s'étaient découverts dans les banlieues des mégapoles européennes.
Ne connaissant que la misère, l'absence totale d'avenir et peut-être encore plus l'ennui, certains jeunes des citées « défavorisées » se sont laissés convaincre, soit en consultant des sites internet spécialisés, soit et c'est le plus souvent, en rencontrant un « grand frère » déjà converti à la cause. Ils pensaient alors qu'ils pourraient échapper à leur morne quotidien en s'engageant dans la lutte contre « l'impérialisme occidental qui asservit les peuples musulmans ». A une autre époque, ils auraient peut-être trouvé le même échappatoire en rejoignant la lutte révolutionnaire prônée alors par l'URSS et la Chine.
Dès le début du parcours : les désillusions
La première difficulté qu'ont rencontré ces volontaires a consisté à trouver une filière qui assure le voyage dans la plus grande discrétion. La grande peur réside en effet d'avoir à faire à des réseaux infiltrés par la police qui garantissent, quand on a eu affaire à eux, d'être fiché à vie comme « bien connu des services de police pour activités subversives ».
La première désillusion suit aussi très rapidement. Malgré ce que l'on dit partout sur la richesse d'Al-Qaida, le volontaire est tenu de payer son voyage. Il lui est même conseillé d'amener avec lui une somme minimum de 2 000 euros !
Ensuite, c'est l'attente qui commence. Le postulant doit en être bien conscient, cette phase de non action et de profond ennui se répétera ensuite à maintes reprises. En effet, il est hors de question qu'un voyage soit organisé pour une personne seule. Il convient donc d'attendre dans un lieu sécurisé mais généralement pourvu du confort minimum que d'autres volontaires soient de la partie.
Les circuits des voyages sont divers et variés mais, chose curieuse, beaucoup passent par Zahedan en Iran. A croire que les services iraniens se tranforment en Tour Operators pour djihadistes sunnites ! Sans surprise, une escale est souvent prévue en Syrie. Mais ce pays a perdu un peu de son attrait depuis que les volontaires répugnent à se rendre en Irak, l'Afghanistan constituant une destination beaucoup plus attractive [1]. Le passage de la frontière irano-pakistanaise se fait souvent sans aucune difficulté car celle-ci semble être particulièrement perméable, les contrôles étant quasi inexistants.
Le séjour au Pakistan
La grosse deuxième désillusion réside dans le fait que les apprentis djihadistes européens ne sont pas accueillis avec l'enthousiasme qu'ils attendaient. En effet, les activistes locaux, qu'ils soient talibans ou membres d'Al-Qaida [2], les considèrent avec une immense suspicion.
Dans le pire des cas pour les volontaires, ils peuvent être des espions occidentaux. Résultat : certains ont ainsi « disparu » sans laisser la moindre trace. C'est d'ailleurs ce moment qui est très délicat pour les anciens « caïds de banlieue » qui ont choisi d'être du voyage. En effet, au sein de la « maison », on n'aime guère les fortes têtes. Une petite accusation d'espionnage et le problème est définitivement réglé. Il faut savoir que le doute n'est pas toléré par les membres d'Al-Qaida et les talibans. Dans leur esprit, il vaut mieux éliminer un innocent (de toute façon, il ne fait pas réellement partie de la « famille ») que de laisser passer un espion.
Pour les autres, ils comprennent vite qu'ils doivent passer par un rite qui peut être qualifié d'initiatique avec toutes les humiliations que cela peut comporter. Ils sont répartis par groupes d'une dizaine de volontaires dans des « camps » établis au Waziristan Sud et Nord. Les Européens sont affectés au sein d'unités regroupant les volontaires arabes. Ces derniers seraient au nombre de quelques centaines.
En fait de camps, les installations sont de simples habitations rudimentaires dont il est formellement interdit de sortir. Il ne faut pas attirer l'attention, ni des espions qui se cachent dans la population civile, ni des satellites d'observation qui peuvent localiser leur position. Le risque serait alors grand que ces installations soient soumises à des tirs de drones américains. Il est important de souligner que cette menace est devenue avec le temps une véritable obsession pour les talibans et leurs alliés d'Al-Qaida. Pour l'exemple, on décapite régulièrement des civils accusés d'espionnage au profit de la CIA. Pour les satellites, il n'y a pas grand-chose à faire. Même sortir la nuit est risqué puisqu'ils « voient dans le noir » ! En conséquence, par mesure de précaution, les volontaires doivent régulièrement changer d'endroit de résidence.
Si des instructeurs, majoritairement syriens ou égyptiens, leur font subir un entraînement de base au maniement de la kalachnikov et des explosifs [3], ils doivent également s'astreindre à l'apprentissage de la langue arabe de manière à pouvoir « étudier » le Coran – en fait, l'apprendre par cœur. Quand on connaît les résultats scolaires obtenus par ces volontaires lors de leur prime jeunesse, on ne doit pas s'étonner par la déception que rencontre l'encadrement. C'est une des raisons qui fait que ces volontaires sont toujours très mal considérés. A quelques exceptions près, il n'est même pas question de les envoyer combattre en Afghanistan, leur fiabilité étant jugée comme nulle.
Il leur est régulièrement demandé de l'argent pour subvenir à leurs besoins, même si ceux-ci sont rudimentaires. A eux de se débrouiller pour faire parvenir l'argent depuis l'Europe [4].
Si les volontaires n'ont que peu ou pas de contacts avec l'extérieur, certains d'entre eux ont pu constater que les cadres parviennent relativement aisément à communiquer avec l'étranger, particulièrement en utilisant internet.
Le questionnaire
Continuant à perpétuer une vieille tradition en vigueur au sein d'Al-Qaida, leur encadrement leur fait remplir de longs questionnaires sur leur vie d'antan. Tout doit y être compilé : les renseignements familiaux précis, les activités, notamment criminelles – surtout si elles ont été suivies d'une incarcération, moment privilégié pour les services de sécurité de recruter un agent -, les convictions religieuses, etc.
La dernière question est la plus importante : sont-ils volontaires pour devenir des kamikazes (en langage correct : des martyrs) ? En effet, seuls ces derniers pourront effectivement rejoindre un théâtre d'opération qui n'est pas forcément l'Afghanistan. Pour leurs employeurs, ils ne présentent alors plus de risques puisqu'ils seront étroitement encadrés et conduits jusqu'à leur objectif final. Et bien sûr, après la réalisation de leur mission, ils ne pourront plus faire part de leur expérience à qui que ce soit !
Ces longs questionnaires sont suivis d'un engagement qui doit être dument signé. Il est inscrit dans le contrat que tout manquement à la discipline est sévèrement puni, généralement de mort.
Le retour dans le pays d'origine
Au bout d'un certain temps, en raison des nombreuses désillusions rencontrées, la plupart des survivants choisissent de rentrer au pays, bien sûr à leurs propres frais.
Ultime humiliation, ils sont alors assez mal accueillis par les services de sécurité locaux qui les considèrent comme des terroristes potentiels puisque, théoriquement, ils ont acquis connaissance et expérience en terre de djihad !
Leur seule ressource consiste alors à devenir à leur tour des recruteurs tout auréolés de leur expérience récente en terre étrangère. Ils vont ainsi faire payer – en se servant au passage – une nouvelle génération de volontaires. Il y a peu de chance qu'un ancien caïd reprenne le dessus car, ces derniers ne rentrent jamais au pays !
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Ces informations qui ont été recueillies auprès d'anciens volontaires européens, ne sont pas à appliquer à l'ensemble de cette communauté. Il semble que les personnes d'origine pakistanaise sont mieux traitées que leurs homologues européens.
Une grande méfiance est d'usage en direction des « nouveaux convertis » qui resteront, quelles que soient leur foi et leurs connaissances (il y a des intellectuels talentueux parmi eux) des musulmans de « seconde zone ».
D'autres terres de djihad paraissent être plus accueillantes pour les volontaires étrangers comme la Somalie. Une nuance est toutefois à apporter, les citoyens américains qui y ont été bien accueillis par les milices Shabaab étaient majoritairement d'origine somalienne.
- [1] L'Irak attire moins les volontaires étrangers. Cela peut s'analyser par différents facteurs. Al-Qaida en Irak a défrayé la chronique par les nombreuses atrocités que cette organisation a commise contre les populations civiles. De plus, elle est en totale perte de vitesse depuis des mois, ses chefs étant neutralisés les uns après les autres. A tort ou à raison, les djihadistes sunnites semblent considérer que la guerre y est sans espoir. En réalité, c'est Téhéran qui tire les ficelles.
- [2] Les membres des deux organisations coopèrent étroitement dans les zones tribales pakistanaises. S'il pouvait y avoir un doute sur les relations entretenues entre les deux mouvements, il est indéniablement levé par les observations faites sur place.
- [3] Qu'ils doivent payer de leurs deniers entre 500 et 1 000 euros.
- [4] Les opérations financières leur sont parfois facilitées par le biais de comptes discrets ou des receveurs locaux qui ensuite pratiquent l'hawala.