Ressources minérales et puissance militaire
Giuseppe GAGLIANO

Les ressources minérales jouent un rôle fondamental dans le développement de technologies pour la défense et l’armement, définissant ainsi le pouvoir militaire d’une nation. Elles sont des éléments vitaux dans la production d’équipements militaires tels que les sous-marins, les aéronefs, les missiles et les torpilles. La capacité d’un pays à accéder à des ressources minérales fiables peut être considérée comme une indication de ses capacités militaires. Cette capacité est connue sous le nom de puissance minière. Une nation disposant d’un large accès à des ressources minérales fiables détient une puissance considérable. Lorsqu’un pays combine cette puissance minière avec des forces militaires modernes, il peut aspirer à devenir une puissance dominante dans le contexte international, influençant les politiques de sécurité mondiale.
La relation entre les ressources minérales d’une nation et son pouvoir a été reconnue par des historiens, des géologues et des fonctionnaires pendant une longue période. En 1902, l’historien Brooks Adams soulignait comment l’histoire avait démontré que les centres de production minière sont souvent aussi les centres des empires. Franklin K. Lane, secrétaire à l’Intérieur des États-Unis en 1916, considérait les minéraux comme l’un des piliers du pouvoir national, un concept réitéré par George Otis Smith, directeur du Service géologique des États-Unis, qui affirmait que la richesse minière était un fondement du pouvoir. En 2023, David Humphreys relevait que les nations puissantes s’appuient sur un large approvisionnement en ressources minérales. Ces observations convergent sur l’idée que les ressources minérales sont un facteur critique pour le pouvoir d’un État. En outre, l’importance des minéraux pour le domaine militaire a été soulignée au fil du temps, avec le géologue C. K. Leith qui, en 1939, appelait le passage de la mesure de la puissance militaire basée sur la force de travail à celle fondée sur les armements et les véhicules, soulignant le rôle central des minéraux. James Boyd, en 1949, identifiait le potentiel minier comme indicateur de force militaire, tandis que John D. Morgan, Jr. définissait l’industrie minière comme un élément clé de la capacité d’un pays à soutenir un conflit. Ces affirmations mettent en évidence l’effet déterminant que les ressources minérales ont sur les capacités militaires et le pouvoir global d’une nation.
Ce lien entre la disponibilité des ressources minérales et la puissance militaire est illustré par de nombreux exemples, en particulier ceux des États-Unis et de la Chine.
La démarche américaine
Au début du XXe siècle, les États-Unis ont émergé comme puissance dominante, se positionnant comme le principal producteur de minéraux au niveau mondial. Dès 1913, ils contrôlaient la production de 13 des 30 minéraux les plus importants, se classant deuxième pour quatre autres. Par exemple, en 1915, ils étaient responsables de 60% de la production mondiale de cuivre et de 32% de celle de plomb et de zinc. Franklin K. Lane, à l’époque secrétaire de l’Intérieur des États-Unis, notait que, à quelques exceptions près, les États-Unis étaient capables de produire chaque minerai essentiel pour l’industrie, un privilège unique au niveau international. En 1917, ils avaient consolidé leur statut de nation leader mondial en matière de production de richesse minière. Au cours des années 1920, leur domination dans le secteur minier s’intensifia, car ils devinrent le premier producteur de fluorite, un minerai clé pour l’industrie sidérurgique et chimique.
Mais pendant les premières décennies du XXe siècle, le gouvernement américain ne créa pas de stocks de minéraux. Il n’existait pas de politique établie pour la réserve de ressources minérales jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale. A l’issue du conflit, en 1922, l’Army and Navy Munitions Board fut créée dans le but de gérer les fournitures militaires et d’organiser la mobilisation industrielle en vue de futures guerres. Par la suite, en 1939, le Strategic and Critical Materials Stock Piling Act fut adopté, établissant et finançant un programme d’accumulation de ressources stratégiques. Cependant, avec l’entrée en guerre des États-Unis lors de la Seconde Guerre mondiale, l’attention du gouvernement se déplaça vers la satisfaction immédiate des besoins de guerre plutôt que la création de réserves à long terme. Par conséquent, jusqu’au années 1950, les États-Unis se trouvaient sans stocks minéraux significatifs. Malgré cette absence de réserves internes, les entreprises américaines jouaient un rôle prépondérant dans la production minière internationale. Elles possédaient et exploitaient d’importantes mines dans divers pays de l’hémisphère occidental. En particulier, elles contrôlaient les plus importantes mines de cuivre au Canada, au Chili et au Mexique, dominant le marché mondial de ce métal. De même, des groupes financiers américains avaient une présence déterminante dans les secteurs de production d’autres minéraux clés comme le nickel au Canada et le vanadium au Pérou, confirmant l’impact significatif des corporations américaines sur l’industrie minière mondiale pendant la première partie du XXe siècle.
En ce qui concerne certains minéraux spécifiques, les États-Unis dépendaient significativement des importations, en particulier de celles provenant de l’Empire britannique, avec lequel ils contrôlaient ensemble environ 75% des réserves minières mondiales jusqu’en 1938. Par exemple, la principale source d’étain provenait des mines situées dans les territoires de l’Empire britannique, comme la Malaisie. De manière similaire, une grande partie du chromate qui arrivait aux États-Unis entre 1913 et 1933 provenait de zones sous contrôle britannique, comme la Rhodésie, ou de colonies françaises, comme la Nouvelle-Calédonie. Pour le manganèse également, les États-Unis étaient fortement dépendants des importations, qui dans certains cas représentaient plus de 90% de leur consommation totale. En 1913, les principales importations de manganèse aux États-Unis provenaient de l’Inde britannique, de la Russie et du Brésil, soulignant l’importance des alliances commerciales pour leur approvisionnement
Néanmoins, les États-Unis exerçaient une influence minière significative au début du XXe siècle. En effet, l’objectif principal du gouvernement des États-Unis était de protéger et de renforcer l’industrie minière nationale, en adoptant des politiques tarifaires protectrices. Selon l’analyse détaillée de Harold Barger et Sam Schurr sur l’industrie minière américaine de 1899 à 1939, les droits de douane représentaient l’aspect le plus influent de la politique fiscale sur le secteur minier, avec l’introduction de taxes sur des minéraux tels que le plomb, le manganèse, le mercure, le tungstène et le zinc. De plus, le gouvernement apportait un soutien significatif à l’industrie minière national via diverses initiatives. Par exemple, après la Première Guerre mondiale, une aide financière fut fournie aux producteurs de minéraux spécifiques tels que le chromate, la pyrite, le manganèse et le tungstène, qui avaient étendu leurs opérations à la demande du gouvernement mais avaient ensuite subi des pertes. Ces mesures ont permis aux États-Unis de devenir une puissance minière significative dès les premières années du XXe siècle.
Ainsi, la capacité des États-Unis à exercer une influence considérable dans le domaine minier à l’échelle internationale, s’est solidement établie au fil du temps. Malgré des défis initiaux liés à l’absence de réserves minérales stratégiques et à une dépendance significative à l’égard des importations pour certains minéraux essentiels, les politiques gouvernementales ciblées, l’innovation industrielle et l’expansion à l’étranger ont permis aux États-Unis de surmonter ces obstacles. Ils sont ainsi devenus une superpuissance minière, façonnant activement les dynamiques géopolitiques et économiques mondiales à travers leur leadership en la matière.
La stratégie chinoise
Au XXIe siècle, c’est désormais la Chine qui s’affirme comme leader mondial et principal producteur de minéraux. L’USGeological Survey a mis en évidence une augmentation marquée de la production minière chinoise de 1990 à 2018, parallèlement à son ascension en tant que puissance dominante, la qualifiant même de superpuissance. En 2022, la Chine dominait la production mondiale de 30 des 50 minéraux considérés comme critiques par les États-Unis, s’affirmant comme le principal fournisseur pour bon nombre de ces matériaux. De plus, en novembre 2023, le ministre chinois des Ressources naturelles annonçait l’intention de Pékin de renforcer la recherche et l’extraction minières, afin d’accroître significativement les capacités de production de la Chine au cours de ce siècle. De, la Chine possède également d’importantes réserves de minéraux critiques. Son Administration nationale des réserves alimentaires et stratégiques gère des stocks de matériaux essentiels tels que l’aluminium, le cobalt, le cuivre, les terres rares et le zinc. Bien que le volume de ces stocks soient confidentiels, ils sont estimés être conséquents et en croissance. Les entreprises chinoises détiennent également une influence considérable sur la production minière mondiale, contrôlant directement ou indirectement entre 40% et 50% de la production de cobalt en République démocratique du Congo depuis 2020. De même, elles possèdent une part prédominante dans les projets d’extraction du nickel en Indonésie (84% en 2023), lequel est notamment utilisé pour les batteries.
La Chine importe également de grandes quantités de minéraux de pays avec lesquels elle partage des intérêts commerciaux. Une portion significative (environ 40%), de ses terres rares lourdes provient du Myanmar (ex Birmanie). De plus, elle met l’accent sur l’achat de lithium, en particulier auprès de producteurs australiens. Grâce à la combinaison de ses productions internes abondantes, de ses vastes réserves, de son contrôle de certaines productions minières étrangères et de ses importations stratégiques, la Chine s’affirme comme une superpuissance dans le secteur minier en ce début du XXIe siècle. La stratégie minière du pays est clairement orientée vers le maintien d’un flux constant de ressources minérales, essentielles à la fois pour l’économie et pour le secteur militaire, soulignant le rôle essentiel de la puissance minière tant pour la sécurité nationale que pour le développement économique.
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L’histoire des stratégies minières des États-Unis et de la Chine met en évidence le rôle stratégique que jouent les ressources minérales pour la sécurité nationale, le développement économique et l’influence géopolitique. La capacité d’un pays à sécuriser, produire et gérer efficacement ces ressources essentielles sert non seulement de levier pour sa propre sécurité et sa prospérité, mais conditionne également son pouvoir sur l’échiquier international.
Ainsi, la puissance minière continue d’être un élément central de la politique et de la stratégie nationales, reflétant les interconnexions profondes entre les ressources naturelles, la technologie, l’économie et la politique mondiale. Un exemple frappant en est donné par la Chine au XXIe siècle.
Sources
– Robert A. Batchelor and James E. Kirby, “The National Defense Stockpile: An Organizational Perspective” (master’s thesis, Air University, March 1985), 10, https://apps.dtic.mil/.
– James Boyd, “Strategic Mineral Resources for National Security,” Military Engineer 41, no. 282 (1949), 261, http://www.jstor.org/.
– David Humphreys, “Mining and Might: Reflections on the History of Metals and Power,” Mineral Economics, 3 May 2023, 2, https://doi.org/.
– David Humphreys, “Mining and Might: Reflections on the History of Metals and Power,” Mineral Economics, 3 May 2023, 2, https://doi.org/.
– C. K. Leith, “The Struggle for Mineral Resources,” The Annals of the American Academy of Political and Social Science 204, no. 1 (1939), 42, https://doi.org/.
– National Research Council, Managing Materials for a Twenty-first Century Military (Washington, DC: National Academies Press, 2008), 23, https://doi.org/.
– Herbert K. Russell, “State Mineral Helped End World War II,” Illinois Heritage, 24 September, 2018, 24, https://www.historyillinois.org/.
– George Otis Smith, “The Public Interest in Mineral Resources,” in Mineral Resources of the United States 1915 (Washington: Government Printing Office, 1917), 1a, https://www.forgottenbooks.com/.