Quelle politique étrangère dans un monde à la dérive ?
Jacques MYARD
La politique étrangère n’a jamais passionné les Français, ils ont toujours estimé que cela était une affaire de spécialistes, de diplomates avant tout et de gouvernements. Néanmoins, ils ont toujours eu conscience que l’Histoire n’était pas un long fleuve tranquille, elle pouvait même être terrible pour les faibles et les naïfs.
Le général de Gaulle rappelait sans cesse que « les États n’ont pas d’amis » et que « la France devait tenir son rang » en Europe et dans le monde, d’où l’impérieuse nécessité de s’en donner les moyens : une armée puissante soutenant une diplomatie agissant dans la cohérence pour défendre nos intérêts !
Ces principes demeurent le fondement même de notre politique étrangère. Toutefois le monde d’aujourd’hui nécessite une analyse complémentaire pour faire face et faire échec aux multiples forces hostiles qui agissent et déstabilisent l’ordre international.
Les États ont perdu le monopole des relations internationales et leurs actions sont fortement concurrencées par de nouveaux acteurs qui disposent de moyens considérables : les multinationales, les GAFAM sont des forces mondiales qui agissent sans entraves ou presque dans un monde sans frontières.
L’ordre international né après la seconde guerre mondiale est fortement remis en cause, notamment par les États qui en étaient les inventeurs, au premier chef les États-Unis avec leurs actions unilatérales et les guerres préventives pour punir les pays voyous.
Mais cette remise en cause n’est pas limitée aux États-Unis ; la Chine consciente de sa puissance retrouvée, visiblement frappée d’hubris, bouscule les règles diplomatiques et le droit international de la mer.
Une confrontation avec les États-Unis ne peut être exclue. C’est au demeurant l’un des scénarios (le n°2) de l’étude des Services de renseignement américains Global Trrends 2040 (Tendances mondiales 2040 : un monde plus contesté.)
La démographie mondiale se ralentit, ce qui va provoquer des tensions intérieures dans de nombreux pays dont la Chine, mais l’Afrique échappe à ce ralentissement et constitue toujours une bombe démographique pour la France et l’Europe.
La démocratie est en crise et régresse comme mode de gouvernement dans le monde. De plus en plus de pays sont gouvernés par des régimes autoritaires.
Les religions représentent des forces grandissantes, l’intégrisme islamique est toujours prosélyte et source de conflits internes dans de nombreux pays.
Le concept de laïcité est quasiment une spécificité française, incomprise de nos partenaires et alliés, au rang desquels les Américains.
La technologie et plus précisément l’Intelligence artificielle vont devenir prégnantes et conférer des avantages aux États ou autres entités qui les maîtrisent. Les cyberattaques sont de plus en plus fréquentes, illustrant la complète fragilité des économies développées.
La prochaine confrontation sera certainement et d’abord une attaque cyber. Le roman de P.W. Singer et August Colle La Flotte fantôme, le 3eme conflit mondial est là, tout en étant un roman de fiction, illustre les possibilités prévisibles de la technologie que des États ou autres pourraient utiliser pour s’imposer à leurs adversaires. Les attaques cyber d’aujourd’hui démontrent déjà notre fragilité et ce n’est pas de la fiction !
N’oublions pas que le dérèglement climatique, les conflits de toute nature, religieux, ethniques ou sociaux, les répressions politiques provoquent des migrations de population : en 2020, 270 millions de personnes vivaient dans un pays dans lequel elles ont migré, soit 100 millions de plus qu’en 2000.
Les pandémies, selon nombre d’experts, feront toujours partie de notre monde ; nous avons oublié la grippe espagnole de 1918-1919, tout comme la peste du Moyen Âge.
Tous ces éléments peuvent s’additionner, s’amalgamer, s’opposer et risquent d’engendrer un monde à la dérive auquel la France devra faire face
Notre politique étrangère doit d’abord se fonder, en s’appuyant sur une situation intérieure maîtrisée. Cela suppose que l’autorité de l’État soit fermement rétablie : tolérance zéro pour les délinquants, contrôle de nos frontières, expulsion des immigrés illégaux et des individus qui professent l’islam intégriste, réforme de Schengen, déchéance de la nationalité pour toute personne qui s’est mise au service d’un État étranger ou d’une organisation militaire, conformément aux codes civil et pénal actuels, rétablissement de la supériorité de la loi française sur tout accord international ou texte dérivé.
En un mot, rétablir notre souveraineté tout en participant activement à la coopération européenne et internationale.
En matière économique, il est impératif de mettre en place des politiques industrielles et de l’aménagement du territoire, tout en simplifiant radicalement le dix-millefeuilles territorial pour réaliser des économies substantielles.
La France doit maintenir son indépendance énergétique grâce au maintien d’EDF et du nucléaire et refuser fermement toute ingérence de la Commission à ce titre. Elle doit, de même, mettre son veto à toutes les velléités de la Cour de l’UE de réglementer le temps de travail des militaires et des sapeurs-pompiers. Ce n’est pas de sa compétence, elle viole les traités !
La situation intérieure étant assainie et en ordre, la France doit conduire sa politique étrangère en toute indépendance avec le soutien de forces armées qui investissent fortement dans l’intelligence artificielle et le cyber, en maîtrisant la fabrication en France de tous les composants informatiques ; ce n’est pas le cas aujourd’hui.
A cet égard, nous devons poursuivre le renforcement de nos services de renseignement, tant sur le plan des équipements électroniques que celui des moyens humains. Sur ce point précis, il est heureux que le gouvernement poursuive le plan de développement lancé sous Nicolas Sarkozy.
Notre politique doit se concentrer sur quatre zones prioritaires
-La Méditerranée
-Le Proche et le Moyen-Orient
-L’Afrique
-L’Europe
Dans les trois premières zones, la France doit recouvrer la plénitude de sa politique par des actions bilatérales, en reprenant les aides affectées dans les organisations multilatérales dans lesquelles son aide est anonyme.
En Europe, nous devons retrouver notre totale liberté d’action et sortir du carcan des sanctions contre la Russie ; d’une manière générale, la politique des sanctions multilatérales est un piège, leur efficacité est inopérante sur la Russie, et sur l’Iran elles ont renforcé le camp des ultras conservateurs.
La Francophonie doit redevenir au centre de notre politique d’influence
La défense de notre langue est un atout incontournable. Tout fonctionnaire, diplomate, qui utilise le « globish » pour se faire valoir auprès de ses adversaires doit être sanctionné, question de cohérence ! Les politiques qui se targuent d’utiliser le globish doivent être publiquement dénoncés et fustigés !
Nos alliances ne doivent pas masquer la réalité : nos alliés ont des intérêts fort différents des nôtres, voire poursuivent des objectifs directement contraires aux nôtres – les lois extraterritoriales des États-Unis le prouvent.
La conduite de la politique étrangère exige de la cohérence, de la discipline et surtout du recul, y compris pour le chef de l’État qui agit trop souvent comme s’il réglait une question intérieure, en voulant intervenir sans délai sous la pression médiatique.
Ce défaut de la diplomatie en direct pour un chef d’Etat est dangereuse ; elle a ridiculisé Valéry Giscard d’Estaing, qualifié de petit télégraphiste de Varsovie, qui a cru benoîtement Brejnev : « Nous allons sortir rapidement d’Afghanistan »… sans commentaire !
Quant aux déclarations tonitruantes et moralisatrices d’Emmanuel Macron au Liban, pour ne citer que cette action, elles sont le paroxysme de l’amateurisme !
Le monde qui se trame sous nos yeux est un monde d’incertitudes, de dérives potentielles, il sera tout aussi implacable que celui que nos pères ont connu depuis des temps multiséculaires.
C’est grâce à notre capacité d’analyse autonome, la mobilisation de nos moyens diplomatiques et militaires que nous pourrons faire face et maintenir notre indépendance, notre liberté.
Soyons déterminés : « Le caractère restera toujours la vertu des temps difficiles », Charles de Gaulle*.
* Ce texte est initialement paru sur le site de la Revue politique et parlementaire, le 16 août 2021 (https://www.revuepolitique.fr/quelle-politique-etrangere-dans-un-monde-a-la-derive/).