Prévisions, réalités et perspectives du conflit russo-ukrainien
Colonel Igor PRELIN
Le colonel Igor Nicolaevich Prelin a servi toute sa carrière (1962-1991) au KGB où il a occupé successivement des fonctions au Service de contre-espionnage, au Service de renseignement (Guinée, Sénégal, Angola), à l’École supérieure de renseignement[1] – en cette occasion, il a eu Vladimir Poutine parmi ses élèves – et comme officier de presse du dernier président du KGB, le général Kriouchkov. De 1995 à 1998, le colonel Prelin a été expert auprès du Comité de la Sécurité et de la Défense du Conseil de la Fédération de Russie (Moscou). Depuis, il consacre son temps à l’écriture d’essais, de romans et de scénarios, tout en poursuivant en parallèle une « carrière » d’escrimeur international. Igor Prelin est membre du collège des conseillers internationaux du Centre Français de Recherche sur le renseignement (CF2R), au profit duquel il a déjà publié plusieurs rapports et analyses[2].
Après les déclarations d’Emmanuel Macron sur l’envoi éventuel de troupes au sol en Ukraine, le 26 février puis le 1er mai, le CF2R a décidé de publier ce texte auquel il n’apporte ni approbation ni improbation, mais qu’il considère comme très intéressant, car il présente en réaction un point de vue russe, livre des informations inédites et permet de comprendre l’état d’esprit qui règne dans les cercles dirigeants des Siloviki[3] à Moscou. Nous sommes bien sûr conscients qu’il ne manquera pas de provoquer de nombreuses réactions.
Au cours des huit années qui se sont écoulées depuis le coup d’État armé de février 2014 en Ukraine – financé par Washington – qui a déclenché le conflit russo-ukrainien, les hommes politiques, les officiers militaires, les politologues et les experts de tous bords, ainsi que toutes les parties intéressées, se sont forgé certaines idées sur la nature et les causes, les développements possibles et les conséquences probables des événements qui se déroulent en Ukraine et autour de l’Ukraine. L’opération militaire spéciale lancée par la Russie le 24 février 2022 a obligé tous les acteurs à repenser, réévaluer, corriger et souvent réfuter complètement toutes les idées qu’ils s’étaient faites auparavant et à considérer la situation sous un angle complètement différent.
Il ne fait aucun doute que les dirigeants politiques russes, le ministère de la Défense et l’État-major général, le ministère des Affaires étrangères et les autres organisations et départements impliqués dans la planification et la conduite de l’opération militaire spéciale, avant de décider de prendre une décision aussi risquée, ont soigneusement analysé l’ensemble de la situation internationale, essayé de prévoir toutes les circonstances qui contribueraient à son succès ou pourraient l’entraver, et prédit la nature et l’intensité les plus probables de l’inévitable contre-action de la partie adverse.
Bien entendu, ni moi ni mes collègues de la communauté des experts russes n’étions au courant de la conception de l’opération militaire spéciale. Mais compte tenu de la situation extrêmement explosive qui régnait en Ukraine à l’époque, nous étions nombreux à prévoir – et certains d’entre nous, dont moi-même, y étaient même favorables – une telle opération. Nous avons donc essayé, au mieux de nos connaissances et de nos compétences, de planifier et de calculer toutes les options possibles et de prévoir comment elle se déroulerait et quels résultats il serait possible d’obtenir et dans quels délais. La réalité qui a émergé après le début de l’opération militaire spéciale a montré quels plans ont été réalisés et lesquels ne l’ont pas été, quelles prévisions étaient justifiées et lesquelles étaient erronées.
Prévisions et surprises
Je ne sais pas quelles prévisions ont été faites par ceux qui ont assumé la responsabilité du lancement et de la conduite de l’opération, et je ne peux donc pas juger dans quelle mesure elles ont été réalisées, quelles erreurs ont été commises et quelles idées fausses ont été véhiculées. Ce que je peux partager, ce sont les prévisions que j’ai personnellement faites et la mesure dans laquelle elles correspondaient à la dure réalité. Je ne vous parlerai pas de toutes mes prédictions non réalisées (qui veut confesser ses erreurs ?), mais je me concentrerai sur trois d’entre elles, qui me semblent les plus significatives.
- Au début de l’opération antiterroriste (ATO[4]), certains estimaient que le personnel des groupes armés illégaux (à l’époque) tels que le Secteur droit, Azov, les bataillons Aidar, etc. différait considérablement de celui des forces armées ukrainiennes (FAU) en termes de formation idéologique et de qualités morales. Si les soldats des groupes armés illégaux étaient pour la plupart des nationalistes idéologiques, des partisans convaincus de Stepan Bandera, haïssant la Russie et tout ce qui est russe de toutes les fibres de leur âme boueuse, pour qui il n’y avait aucune restriction morale et éthique dans la conduite des opérations militaires – et en particulier des opérations punitives –, les militaires des FAU, en particulier les officiers, dont beaucoup étaient passés par l’école militaire soviétique, semblaient encore dans une certaine mesure être des gens normaux, observant les règles écrites et non écrites de la guerre et s’y conformant. L’opération militaire spéciale a réfuté cette idée fausse et a montré de manière convaincante que, grâce à l’endoctrinement idéologique et à la russophobie active développés pendant les années de l’ATO, les officiers et les soldats des FAU se sont révélés n’être pratiquement pas différents dans leur comportement des nationalistes les plus ardents. Cette circonstance s’est révélée être une surprise très désagréable, non seulement pour moi, mais aussi pour de nombreux experts.
- Pour parler franchement, non seulement moi, mais en Russie en général, peu de gens s’attendaient à ce que, dès les premiers jours de l’opération militaire spéciale, les forces armées ukrainiennes et les unités nationalistes de la défense territoriale qui les ont rejoints se révèlent être de véritables fascistes et se battent non seulement contre l’armée russe, mais aussi contre la population de leur propre pays. Lorsque les FAU ont organisé leur résistance armée, elles ont placé leurs bastions et leurs postes de tir dans des immeubles résidentiels, en se servant des civils comme boucliers humains ; elles ont installé leurs véhicules blindés et leur artillerie au cœur de secteurs résidentiels et tiraient à partir de là, bombardant les hôpitaux, les jardins d’enfants, les écoles et autres installations civiles, non seulement dans les territoires libérés par les forces russes, mais aussi dans les localités qu’elles contrôlaient. Les FAU ont torturé et exécuté les militaires russes capturés. Elles ont également imposé un blocus des transports, de l’énergie, de l’eau et de la nourriture dans des régions entières où vivaient des dizaines, voire des centaines de milliers de personnes ; elles feront sauter des structures hydrauliques et provoqueront des inondations artificielles, faisant de nombreuses victimes. Les FAU bombarderont enfin une centrale nucléaire, provoquant une contamination radioactive de la région et mèneront des actes terroristes contre des civils – y compris des journalistes –, non seulement sur le territoire ukrainien quelles contrôlaient, mais aussi sur le territoire de la Russie. Le nombre de crimes de guerre commis par les FAU, à l’initiative et sur ordre direct des dirigeants du pays, est si important et leur nature et leurs conséquences si imprévisibles et terribles, qu’une personne normale n’aurait tout simplement pas eu le courage de les prédire ! Et je n’ai pas pu le prévoir non plus !
- La puissante « solidarité » dont ont fait preuve de nombreux pays, membres ou non de l’OTAN ou d’autres alliances, en soutenant l’Ukraine dans le conflit qui l’oppose à la Russie, a été tout à fait inattendue pour moi et, je pense, pour de nombreux fonctionnaires et experts. Bien sûr, avant le début de l’opération militaire spéciale, nous supposions et étions même convaincus que les États-Unis et leurs alliés de l’OTAN aideraient l’Ukraine dans sa lutte contre la Russie. Mais le fait que cette assistance soit si complète et globale, que l’Ukraine reçoive un soutien politique aussi frénétique, que la Russie soit soumise à un nombre incalculable de sanctions les plus incroyables – et parfois complètement absurdes –, que l’Ukraine bénéficie d’une assistance financière et militaire aussi importante – elle a été littéralement inondée d’argent et de matériels aussi bien obsolètes provenant des stocks de réserve, que les plus modernes des arsenaux actuels – tout cela n’était pas imaginable.
Une répétition de l’histoire ?
Lorsque j’ai commencé à réfléchir à ces événements et à chercher les motivations de cette incroyable « générosité », j’ai immédiatement eu une impression de « déjà vu ». Pour comprendre la raison de ce sentiment, il est nécessaire de se tourner vers les précédents historiques et de rappeler certains faits. Par exemple, la campagne de Russie de Napoléon en 1812, où sous sa bannière se trouvaient des représentants de presque tous les peuples d’Europe de l’époque poussés par le désir de s’enrichir sur les étendues russes. Les Français n’ont pas oublié, je crois, quelle a été l’issue de cette campagne !
Et il est encore plus utile de rappeler que, pendant la Seconde Guerre mondiale, toute une coalition s’est battue aux côtés du IIIe Reich contre l’Union soviétique, une sorte « d’Union européenne d’Hitler » qui comprenait directement ou indirectement tous les pays européens, à l’exception des États insulaires d’Angleterre, d’Irlande et d’Islande.
Rappelons quelques chiffres et faits historiques.
– Je commencerai par l’Italie, dont la Première ministre prône aujourd’hui, presque plus que les autres dirigeants européens, la victoire de l’Ukraine dans la guerre contre la Russie. L’Italie était l’alliée d’Hitler et a déclaré la guerre à l’Union soviétique en même temps que l’Allemagne. En septembre 1942, le corps expéditionnaire italien comptait 230 000 combattants. Les troupes italiennes s’emparèrent du Donbass, prirent d’assaut Stalino (aujourd’hui Donetsk), ainsi que Gorlovka et Ordzhonikidze (aujourd’hui Yenakievo). Des noms douloureusement familiers ! En décembre 1942, l’Armée rouge détruisit complètement six divisions italiennes près de Stalingrad et, en janvier 1943, le Corps alpin fut vaincu. Au total, 30 000 soldats italiens ont trouvé la mort sur le front soviétique et 64 000 ont été faits prisonniers.
– La Roumanie, qui est aujourd’hui devenue la plaque tournante méridionale de l’OTAN pour l’approvisionnement en armes importées par l’Ukraine, a également attaqué l’URSS le 22 juin 1941. Les avions roumains bombardèrent la Crimée, la Moldavie et l’Ukraine. Près de 420 000 Roumains ont participé aux batailles pour la Bessarabie, Odessa et la Crimée. Lors de la bataille de Stalingrad, sur 104 000 soldats roumains, 57 000 furent tués, blessés ou portés disparus.
– La Hongrie, qui fait désormais preuve de prudence dans le conflit russo-ukrainien, déclara la guerre à l’Union soviétique le 27 juin 1941. Dans le même temps, 44 000 soldats et officiers furent envoyés sur le front soviétique. Au printemps 1942, 205 000 Hongrois avaient déjà combattu sur le front de Voronej, dont 148 000 furent tués.
Voici comment d’autres amis européens de l’Ukraine se sont comportés pendant la Seconde Guerre mondiale.
– Le 29 juin 1941, les journaux du Danemark occupé annoncent la formation d’un corps de volontaires SS « pour la guerre contre le bolchevisme ». Environ 6 000 Danois s’y enrôlent (au total, jusqu’à 10 000 Danois se sont battus contre l’URSS). En mai 1942, les SS danois rejoignent la 3e division panzer SS « Totenkopf » et partent bientôt pour le front soviétique. Dans la région de Novgorod, ils tombent dans le « chaudron » de Demyansk, où ils perdent environ 5 000 soldats.
– La Slovaquie, qui a livré à l’Ukraine toutes les armes reçues de l’URSS avant l’élection du Premier ministre Robert Fico, déclara la guerre à l’URSS le 23 juin 1941 et envoya deux divisions d’infanterie, trois régiments d’artillerie, un bataillon de chars et un régiment d’aviation (41 chasseurs et 30 bombardiers) en Ukraine et en Biélorussie. Sur les 43 000 soldats et officiers slovaques qui combattirent sur le front soviétique, 3 000 furent tués et 27 000 choisirent de se rendre.
– La Finlande, qui a récemment rejoint l’OTAN, a manifesté son engagement à soutenir l’Ukraine avant même cet événement et aurait alloué, en guise de « droit d’entrée », plus d’un milliard d’euros d’aide à Kiev. Helsinki avait manifesté le même enthousiasme le 22 juin 1941, lorsque trois jours avant la déclaration officielle de guerre à l’Union soviétique, des avions allemands ont bombardé Leningrad depuis ses aérodromes. Au total, la Finlande a envoyé 530 000 soldats, 159 avions de chasse, 22 bombardiers et de nombreux navires de guerre sur le front soviétique. Au cours de l’été et de l’automne 1941, les Finlandais ont occupé la Carélie et bloqué Leningrad par le nord, d’où ils ont bombardé la « route de la vie », le long du lac Ladoga gelé, qui servait à livrer de la nourriture à la ville bloquée de tous côtés, ce qui a fait des milliers de victimes parmi la population civile. Plus de 42 000 prisonniers de guerre soviétiques sont morts dans les 49 camps de concentration mis en place par les Finlandais pendant la guerre. Les pertes finlandaises pendant la guerre s’élèvent à près de 85 000 hommes.
– La Croatie a déclaré la guerre à l’Union soviétique en même temps qu’à l’Allemagne. Dès juillet 1941, une brigade motorisée et un régiment d’infanterie croate de 2 200 hommes, ainsi que la Légion maritime croate, basée à Marioupol (Ukraine), ont été créés et rapidement envoyés sur le front soviétique. Au total, près de 10 000 soldats et officiers croates ont combattu l’URSS.
– La Pologne, devenue aujourd’hui la principale plaque tournante de l’OTAN pour la livraison à l’Ukraine de chars Leopardallemands, d’Abrams, de Bradley, de systèmes antiaériens et de lanceurs Patriot américains, de Challenger et de missiles tactiques britanniques, d’obus de gros calibre et d’autres armes meurtrières, avait proposé à Hitler, bien avant l’invasion allemande, d’organiser une guerre commune avec l’URSS et rêvait de parader sur la place Rouge à Moscou. Devant le refus d’Hitler – qui avait de tout autres projets pour la Pologne et préférait l’occuper –, elle envoya près d’un demi-million de Polonais dans la Wehrmacht, soit plus que les effectifs combinés de l’Armée populaire[5] et de l’Armée de l’Intérieur[6] – bien que cette dernière n’ait pas tant combattu les Allemands que les unités de l’Armée rouge qui libéraient la Pologne. Cependant, les Polonais ne bénéficiant pas de la confiance d’Hitler, ils reçurent rarement des armes et servirent principalement dans diverses unités auxiliaires de la Wehrmacht. En particulier, ils assurèrent l’entretien des avions allemands sur l’aérodrome de Sescha, d’où ces appareils bombardaient Moscou. Au cours de la guerre, 30 000 Polonais ont été faits prisonniers par les Soviétiques et, selon des sources occidentales, 20 000 autres ont été faits prisonniers sur le front occidental.
– La France de Vichy participa à l’armée d’Hitler avec le régiment Charlemagne – qui se rendit célèbre en mai 1945 lors des batailles pour le Reichstag, le dernier bastion du nazisme – et la Légion des volontaires français (LVF). Dès le mois d’août 1941, les 2 452 premiers légionnaires furent envoyés sur le front soviétique, et bientôt plusieurs milliers d’autres les rejoignirent. Les historiens militaires français savent mieux que moi combien plus de Français ont servi dans la Wehrmachtqu’ils n’ont combattu l’occupant dans la Résistance antifasciste, et combien d’entre eux sont morts sur le front soviétique. On sait de source sûre qu’à la fin de la guerre, il restait environ 10 000 Français en captivité dans les camps soviétiques. Peut-être que le président Macron a décidé, après plus de soixante-dix ans, de se venger de la Russie pour leurs souffrances et a donc ordonné d’envoyer en Ukraine des canons Caesar, grâce auxquels les néonazis bombardent les hôpitaux, les jardins d’enfants et les écoles…
Certains pays européens, qui ne participaient pas officiellement à la guerre contre l’Union soviétique, ont toutefois aidé l’armée d’Hitler en envoyant des volontaires.
– L’Espagne a opéré sur le front soviétique par l’intermédiaire de la division Azul, qui a vu passer 47 000 soldats pendant la guerre. Cette division a participé au blocus de Leningrad que les pilotes espagnols ont bombardé. Au total, les Espagnols ont perdu 5 000 hommes en Russie.
– Les Pays-Bas, qui ont été les premiers à promettre de livrer des chasseurs F-16 à l’Ukraine en 2024, ont mis sur pied trois divisions de chars-grenadiers SS volontaires contre l’URSS. Outre les Néerlandais, celles-ci comprenaient des Belges, des Danois, des Norvégiens, des Lettons, des Espagnols et des Français. L’une de ces divisions, Nordland a défendu le Reichstag aux côtés du régiment Charlemagne, où ils ont finalement été vaincus.
Mais il s’agit là d’une contribution incomplète des Européens « non-indépendants », aujourd’hui intéressés par l’adhésion de l’Ukraine à l’UE et à l’OTAN à la victoire espérée sur la Russie. Pendant la Seconde Guerre mondiale, toute l’industrie de l’Europe occupée par les Allemands travaillait pour l’Allemagne hitlérienne. Un char d’assaut allemand sur cinq était construit dans les usines tchèques de Skoda. Leningrad fut bombardée par des obusiers produits par la même société Skoda et la société française Le Creusot. Tous les chars allemands étaient composés d’un tiers de métal fabriqué à partir de minerai de fer provenant de la Suède « neutre ». Et la France a fourni à l’Allemagne fasciste 4 000 avions, environ 10 000 moteurs d’avion et 52 000 camions. D’autres pays européens ont également fourni à la Wehrmacht des équipements et du matériel militaires. Comme tout cela résonne avec ce qu’il se passe aujourd’hui en Ukraine !
Nul besoin d’être un grand analyste pour le comprendre : les États-Unis ont formé et dirigé une coalition antirusse de plus de 50 pays dans le seul but d’utiliser le conflit russo-ukrainien pour, comme ils l’ont déclaré, « vaincre et détruire stratégiquement la Russie », réalisant ainsi leur vieux rêve, qu’ils nourrissent avec la Grande-Bretagne depuis 1945, après la victoire des Alliés sur l’Allemagne.
Tous les pays européens ont manifesté le désir de rejoindre la coalition. Leurs motifs pour participer personnellement au massacre de la Russie varient, mais il y a de bonnes raisons de croire que certains des anciens alliés explicites et implicites d’Hitler espéraient se venger de leur défaite lors de la Seconde Guerre mondiale. Aujourd’hui, ce « quatrième Reich » n’est plus dirigé par l’Allemagne, mais par les États-Unis et leur plus proche allié, la Grande-Bretagne.
L’Allemagne s’est jointe à la coalition antirusse avec un enthousiasme tout particulier, prenant la deuxième place « honorable » (après les États-Unis, bien sûr) en termes d’aide financière et militaire à l’Ukraine. En avril 2022, par la voix de son chancelier Olaf Scholz, elle a déclaré que « les Allemands se sont libérés de leur culpabilité historique pour le passé », après quoi Berlin a commencé à envoyer de grandes quantités d’armes létales à l’Ukraine. À propos de cette déclaration, je voudrais poser la question suivante : depuis quand les héritiers de l’Allemagne nazie ont-ils commencé à se déculpabiliser des crimes sanglants commis par leurs ancêtres pendant la Seconde Guerre mondiale ? Je voudrais leur rappeler qu’ils n’ont pas ce droit et qu’ils ne l’auront jamais ! Le tribunal de Nuremberg n’a accordé ce droit qu’à leurs victimes ! Que l’Allemagne soit coupable ou non, c’est une question que nous devrions poser à la Russie, le pays qui a le plus souffert des atrocités nazies. En participant de manière effective à la guerre actuelle en Ukraine, l’Allemagne prolonge sa culpabilité historique, au minimum de 80 ans ! Et ce n’est pas fini ! En 2023, l’Allemagne a officiellement déclaré que la Russie était son principal ennemi, confirmant ainsi son désir de vengeance.
Mais l’Allemagne n’est pas la seule à vouloir réhabiliter son passé nazi et à satisfaire ses ambitions revanchardes. Ce n’est pas un hasard si l’Europe observe avec tant de tolérance, et parfois d’approbation, la Pologne et les États baltes qui rendent aux soldats soviétiques morts un hommage d’une noire ingratitude, en démolissant leurs monuments et en se moquant de leurs tombes. En 1945, à Potsdam, le maréchal Joukov, lors d’une conversation avec le maréchal Rokossovsky avant de signer l’acte de reddition inconditionnelle de l’Allemagne, a prophétiquement déclaré, en parlant des peuples d’Europe libérés du fascisme par l’Armée rouge : « Nous les avons libérés, et ils ne nous le pardonneront jamais ! ». Comme nous pouvons le constater, la prédiction du maréchal Joukov est en train de se réaliser !
*
Dans des articles publiés dans les médias russes ces dernières années, j’ai exprimé à plusieurs reprises l’opinion selon laquelle tout ce qui se passe dans le monde au XXIe siècle, quelles qu’en soient la nature et les conséquences attendues, absolument tout est objectivement orienté et fonctionne en faveur de la Fédération de Russie et conduira finalement à une croissance sans précédent de l’autorité et de l’influence internationales de la Russie dans la résolution des problèmes mondiaux. Cela s’est produit à de nombreuses reprises dans l’histoire de la Russie par le passé, parce que la Russie a une capacité unique à surmonter les difficultés apparemment les plus insurmontables et à renaître après les chocs les plus graves, tout en augmentant son potentiel économique et militaire ! Il en sera de même cette fois-ci !
Pour ceux qui en doutent, je vous conseille de vous rappeler qu’à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, malgré des pertes humaines incroyables pour un pays – près de 27 millions de morts, dont 9 millions de militaires, mais surtout 18 millions de civils – et la destruction catastrophique des infrastructures industrielles et civiles, l’Union soviétique avait acquis en 1945 une telle puissance économique et une telle supériorité militaire sur tous les pays européens que même les États-Unis, qui disposaient pourtant de la bombe atomique, n’ont pas osé entrer en guerre. Après la Seconde Guerre mondiale, les habitants de l’Europe occidentale ont fait des cauchemars en pensant aux armadas de chars soviétiques qui pourraient atteindre la Manche en quelques jours !
À cet égard, je pense que, prévoyant une telle perspective, l’ancien Premier ministre et ex-président de la Fédération de Russie, et actuel adjoint de M. Poutine au Conseil de sécurité de la Fédération de Russie, Dmitri Medvedev, n’a pas déclaré par hasard qu’après l’achèvement réussi de l’opération militaire spéciale en Ukraine, la Russie établirait des relations avec les autres pays en tenant compte de leur rôle et de leurs actions spécifiques au cours du conflit russo-ukrainien. En langage diplomatique, cela signifie que la Russie n’oubliera jamais rien et ne pardonnera jamais à personne. La dernière décennie nous a beaucoup appris et, cette fois, nous avons été des observateurs assidus et avons tiré les conclusions qui s’imposaient. Les dirigeants des pays européens ont donc de quoi réfléchir sérieusement !
Il est déjà clair pour toute personne saine d’esprit ayant au moins une certaine compréhension des affaires militaires qu’après l’échec cuisant de la contre-offensive ukrainienne de l’été 2023, tous les espoirs pour la campagne du printemps/été 2024 sont vains et qu’une nouvelle résistance des forces armées ukrainiennes est futile. L’Ukraine a déjà perdu cette guerre, mais la Russie ne l’a pas encore gagnée. Lorsque cela se produira – et cela se produira, il ne peut en être autrement ! –, l’Ukraine sera confrontée à un dilemme : admettra-t-elle sa défaite et capitulera-t-elle, ou aura-t-elle de nouveau recours à l’intercession des États-Unis ? Cette perspective réelle soulève une question fatale : les États-Unis vont-ils permettre que le régime néonazi qu’ils ont nourri connaisse une fin aussi ignominieuse, ou vont-ils décider d’intervenir ouvertement dans le conflit russo-ukrainien en envoyant un contingent militaire de l’OTAN sur le théâtre de la guerre ? À en juger par les déclarations des responsables d’outre-Atlantique, cette option n’est pas à exclure, ce qui signifie qu’elle sera suivie d’abord d’une escalade des hostilités sur le territoire de l’Ukraine, puis d’une guerre en Europe avec l’utilisation d’armes nucléaires tactiques et sa transformation inévitable et très rapide en une guerre mondiale ! Dans ce cas, les États-Unis ne demanderont pas l’accord de leurs alliés européens de l’OTAN, ils décideront de tout eux-mêmes. Et le rôle le plus important dans cette décision reviendra au président américain Joe Biden !
À cet égard, je voudrais souligner un point qui, à mon avis, mérite l’attention. J’ai cinq ans de plus que Biden et, à mon avis, cela me permet, étant dans des paramètres d’âge comparables avec lui, d’évaluer objectivement son état psychologique et de prédire sa réaction au stress causé par la nécessité de prendre une décision aussi cruciale. Et si, au moment le plus critique, alors que le sort de l’humanité dépend de sa décision, il avait ce monologue intérieur : « Qu’est-ce qu’ils veulent tous de moi ? Ma vie est arrivée à une fin inévitable, j’ai déjà un pied dans le monde des ténèbres. Je n’ai pas peur de la mort, je n’ai rien à craindre ! Je me moque du monde qui m’entoure, de ce qu’il adviendra de l’humanité après ma mort ! Je peux donc faire ce que je veux ! ».
On voit bien le danger d’un tel raisonnement ! Avec un tel état d’esprit et une approche aussi inadéquate de la résolution des problèmes mondiaux, une personne mentalement pas très saine peut commettre un acte téméraire, prendre une décision folle et, sans prendre la peine de réfléchir, mettre en péril l’existence de toute vie sur la planète !
La guerre entre les États-Unis, l’OTAN et la Russie en Ukraine débouchera-t-elle sur la Troisième Guerre mondiale ? En résumant tout ce qui précède, c’est avec grand regret que nous devons constater que, jusqu’à présent, tous les événements évoluent dans cette direction extrêmement dangereuse. Aujourd’hui au moins, un nombre écrasant de parlementaires européens votent régulièrement en faveur d’une guerre avec la Russie, et de hauts responsables militaires américains déclarent que « les États-Unis sont prêts pour une guerre avec la Russie en Europe ». La question de savoir si les États-Unis et les autres membres de l’OTAN ont tiré les enseignements de la Seconde Guerre mondiale, et quelles leçons ils en ont tirées est primordiale. Réalisent-ils les conséquences qu’aura pour eux le fait d’oublier qui a réellement libéré l’Europe du fascisme et que ceux qui ont vaincu ce fascisme sont capables et prêts à faire dans la lutte pour la liberté et l’indépendance de leur propre pays ?
La troisième guerre mondiale, si elle a lieu, sera celle des États-Unis et de leurs alliés de l’OTAN. Pour la Russie, ce sera la troisième guerre patriotique –en tenant compte de la guerre de 1812 contre Napoléon. Ses opposants devront alors se rappeler que même « l’ami juré » de la Russie, Winston Churchill, a averti dans ses mémoires, pour lesquelles il a reçu le prix Nobel de littérature : « Ceux qui se mettent en travers du chemin des Russes ne peuvent que prier ».
Des paroles vraiment prophétiques !
[1] Institut du Drapeau rouge, devenu en 1984 Institut Youri Andropov.
[2] Morale et éthique dans le renseignement : le point de vue du KGB/SVR, Rapport de recherche n°30, CF2R, novembre 2021 (https://cf2r.org/recherche/morale-et-ethique-dans-le-renseignement-le-point-de-vue-du-kgb-svr/). Les services de renseignement soviétiques et russes : considérations historiques, Rapport de recherche n°28, CF2R, avril 2021 (https://cf2r.org/recherche/les-services-de-renseignement-sovietiques-et-russes-considerations-historiques/). « La chute du mur de Berlin et la réunification de l’Allemagne : réflexions et conclusions du KGB », Tribune libre n°5, CF2R, décembre 2009 (https://cf2r.org/tribune/la-chute-du-mur-de-berlin-et-la-reunification-de-l-allemagne-reflexions-et-conclusions-du-kgb/).
[3] Membres des forces de sécurité (armée, police, services spéciaux, parquet général), y compris ceux entrés dans l’administration et en politique.
[4] « Anti-terrorist operation » : nom donné par le gouvernement de Kiev à son opération de reconquête par la force des provinces autonomistes du Donbass.
[5] L’Armée populaire (Armia Ludowa) était un mouvement de résistance communiste polonais. Son objectif était de soutenir les actions de l’URSS. Elle n’était ralliée au gouvernement polonais en exil à Londres.
[6] L’Armée de l’intérieur (Armia Krajowa) fut le plus grand mouvement de résistance dans toute l’Europe occupée.