Pour un réveil de l’Europe face au terrorisme islamique
Jonathan LOCUFIER
Ancien membre du Service Général du Renseignement et de la Sécurité (SGRS)
Dans une Europe merveilleuse…
Un parlementaire français déambule dans les couloirs du BfV (Bundesamt für Verfassungsshutz – service de renseignement intérieur allemand). Dans le même temps, son homologue espagnol prend un café au bar du service en discutant avec ses voisins de l’actualité récente. Le président hongrois de la « Commission d’enquête parlementaire européenne », quant à lui, fume tranquillement sa cigarette dans la cour du BfV. En tirant une bouffée, il repense à l’attentat qui a été perpétré à Budapest dernièrement et qui aurait pu être évité si les Allemands avaient transmis toutes les informations en leur possession sur la « Plateforme Européenne Inter-Services de lutte contre le Terrorisme Islamique – PEISTI ». Un collègue danois lui ayant assuré que la PEISTI fonctionne parfaitement (elle a en effet permis de démanteler une cellule djihadiste qui s’apprêtait à faire exploser des digues aux Pays-Bas), la question est maintenant de savoir pourquoi l’Allemagne n’a pas agi en toute transparence. Ce haut fonctionnaire européen et son équipe sont maintenant chargés de répondre à cette interrogation et, dans ce but, vont mener les investigations nécessaires.
Si seulement ce scénario n’était pas une fiction et que cette Commission d’enquête parlementaire européenne existait vraiment…
Dans une Europe du blabla…
Après les derniers attentats (Paris et Bruxelles), les belles paroles des politiques ont faits la Une des médias : plus de coopération entre les pays, nécessité de renforcer la présence policière et militaire, patriotisme, « engagez-vous », etc. Toujours les mêmes paroles après chaque attentat. Pendant ce temps, les modus operandi terroristes ne font que se perfectionner, devenant ainsi plus meurtriers et impressionnants.
Ce qu’il faut comprendre, c’est que les terroristes s’adaptent parfaitement aux nouvelles entraves que les Etats membres mettent en place (exemple : contrôles aux frontières). Ce ne sont pas de simples « barbus » écervelés qui s’entrainent à la guerre dans le désert syrien ou dans une clairière quelque part au fin fond des Ardennes belges. Ils sont les pions de réseaux organisés, dirigés par des manipulateurs brillants, souvent même diplômés. Ces réseaux ont une connaissance profonde de notre mode de vie car la majorité de leurs membres vit ou a vécu en Europe. En un mot : ils sont extrêmement bien organisés.
Ce que nous voyons, nous citoyens européens, ce n’est que la partie émergée de l’iceberg. Cette partie émergée est représentée par les attentats du 11 septembre 2001 au Etats-Unis, du 11 mars 2004 en Espagne, du 7 juillet 2005 au Royaume-Uni, des 7 janvier et 13 novembre 2015 en France, et du 22 mars 2016 en Belgique. Quatorze longues années que cet iceberg est là devant nous, en train de dériver vers sa prochaine cible…
Dans une Europe qui bricole…
La « Grande Muette » dans cette histoire n’est pas l’Armée, mais l’Union européenne (UE). Une des seules idées intéressantes avancée après les attentats de Paris émane du Premier ministre belge Charles Michel. Ce dernier a suggéré la création « d’une CIA européenne ».
L’UE possède déjà des outils pour lutter contre le terrorisme, mais ces instruments sont rangés méli-mélo dans une grande caisse où personne ne s’y retrouve. Pour n’en citer que quelques uns :
– Le SIS (Système d’information Schengen), qui regroupe les données biométriques des personnes contrôlées aux frontières de l’UE (frontières extérieures et douanes). Pour l’instant c’est ce qui fonctionne le mieux.
– EUROPOL, qui n’est autre qu’un service centralisé de police à l’échelle européenne. Son arme principale est le mandat d’arrêt européen. Quid de ses résultats ? Ce service est très silencieux.
– AIRPOL, qui est un réseau travaillant à la sécurisation des aéroports civils en Europe. Quid de ses actions et de ses résultats ?
Par ailleurs, il existe des accords de coopération entre les différents services de renseignement (SR) européens, mais chacun continue de donner ce qu’il veut bien : c’est l’éternel système du « donnant-donnant ». Les SR étatiques sont les derniers vestiges de la souveraineté des Etats membres et chacun, malgré les impératifs sécuritaires liés l’actualité, désire préserver son pré-carré.
Dans une Europe qui se prend en main…
Arrêtons ces effets d’annonce avec des accords ou des partenariats transfrontaliers. Arrêtons ces contrôles inutiles aux frontières qui ne font que ralentir encore plus nos économies défaillantes. Arrêtons de mettre l’armée et la police à chaque coin de rue, les attentats du 13 novembre à Paris et ceux du 22 mars à Bruxelles ont clairement démontré leur inutilité. N’imaginons même pas la création d’un organe européen permanent de contre-terrorisme dont la seule présidence serait à l’origine de querelles intestines contre-productives et chronophages.
Au lendemain de chaque attentat, les SR européens se sont rendu compte qu’ils disposaient d’informations sur les réseaux, sur les commanditaires ou sur les kamikazes. En effet, on peut considérer que chaque pays européen est la base arrière djihadiste d’un autre ! Si tous ces SR mettaient en commun les informations dont ils disposent sur le terrorisme islamique, ils pourraient démanteler plus aisément les cellules terroristes présentes sur le Vieux continent et prévenir plus rapidement de nouveaux attentats.
C’est sur ce point que l’UE doit enfin taper du poing sur la table. L’harmonisation de la lutte contre le terrorisme à l’échelle européenne est la meilleure arme pour contrecarrer Daesh. Pour parvenir à ce résultat, l’UE doit :
– tout d’abord, édicter non pas une Directive[1] mais, un Règlement quant au partage de l’information sur le terrorisme islamique. Il faut légaliser et obliger les échanges d’informations sur cette thématique entre les SR européens, sous peine de sanctions économiques (seul moyen de pression efficace sur les Etats membres) ;
– ensuite, permettre à un Etat membre, victime d’une attaque terroriste, d’exiger la création d’une « Commission d’enquête parlementaire européenne » destinée à s’assurer qu’aucune rétention d’information n’a été effectuée par ses voisins européens. Cette mesure ultime obligerait le politique à s’intéresser pleinement au travail de ses SR et contraindrait ces derniers à une totale transparence en matière de terrorisme islamique. En effet, le « spectre » d’un contrôle parlementaire européen susceptible de mettre en lumière des défaillances en matière de partage d’informations stratégiques jetterait l’opprobre à la fois sur le gouvernement du pays concerné et sur ses SR.
Dans le même temps, il y a fort à parier que la perspective de voir les couloirs des services arpentés par des parlementaires étrangers perturberait les hommes de l’ombre qui, en conséquence, préfèreraient certainement « communiquer » en amont plutôt qu’en aval.
– Enfin, copier le Système d’information Schengen (SIS) qui fonctionne plutôt bien afin de créer une « Plateforme européenne inter-services de lutte contre le terrorisme islamique – PEISTI ». Chaque SR européen serait connecté à ce système et l’alimenterait, permettant ainsi des échanges instantanés avec ses homologues européens et les gouvernements des Etats membres.
Qu’importe que ces mesures puissent paraître révolutionnaires ou compliquées à mettre en place, ou qu’elles heurtent la sensibilité des politiques et autres élites intellectuelles : ce qu’il faut maintenant c’est de l’EFFICACITE et de la COORDINATION dans la lutte contre le terrorisme islamique !
Dans une Europe responsable…
Les 17 membres de la commission d’enquête parlementaire belge se sont rendus le 21 avril 2016 (jour de l’adoption de la Directive PNR) sur les lieux des attentats, à Zaventem et à la station de métro Maelbeek, afin de rendre hommage aux victimes. Il faut souhaiter que les résultats des travaux de cette commission soient pertinents et permettent de pointer les responsabilités, même si ces dernières impliquent directement la classe politique.
Il faut que les politiques des Etats membres de l’UE comprennent qu’il est inutile de déployer l’armée ou la police dans nos capitales européennes, que nos bombes, nos missiles, nos satellites et toute notre technologie ne servent à rien dans cette lutte si nous sommes incapables de fonctionner en réseau comme Daesh le fait si bien.
Jonathan Locufier
https://be.linkedin.com/in/locufier
Mai 2016
- [1] Une Directive propose des résultats à atteindre et nécessite d’être transposée en droit national, tandis qu’un Règlement est directement applicable dans tous ses éléments à l’ensemble des Etats membres.