L’hyperreligiosité (Al Ghoulou ): la face cachée du confinement
Dr Abderrahmane MEKKAOUI (Maroc)
L’hyperreligiosité est définie en psychiatrie comme un intérêt pathologique pour la religion. C’est un comportement d’excès de zèle dans la pratique d’une croyance et de son rituel. C’est aussi une manifestation d’orthodoxie et d’intégrisme, phénomène connu dans toutes les religions abrahamiques. Les personnes atteintes de troubles d’hyperreligiosité peuvent présenter des modifications du comportement comme des délires religieux sous forme d’hallucinations auditives, persuadées d’entendre la voix de Dieu ou du prophète. L’hyperreligiosité se manifeste également par un choc corporel anormal et douloureux à caractère souvent hallucinatoire.
Or, on observe que cette pathologie est apparue pendant la crise sanitaire sous forme de troubles psychotiques à contenu religieux, parfois violent : comme le délire d’identité (appartenance à l’oumma) ou le délire mystique à tendance suicidaire (affaire de la préfecture de police de Paris). Elle se fait sentir aussi par des troubles obsessionnels compulsifs et agressifs : incivilité verbale ou agression physique. Ce comportement traduit le hadithdu prophète Mohammed « tout musulman est appelé à changer un péché ou un blasphème par trois moyens essentiels : le cœur, la langue et la main ».
Plusieurs érudits musulmans comme Avicenne, Al Farabi et Ibn Wardi Al Halabi, ont évoqué avec détails le lien organique entre l’hyperreligiosité et les troubles obsessionnels. Rappelons que lors de l’épidémie de peste qui a frappé le Moyen-Orient au VIIe siècle durant la prophétie du Messager de l’islam, plusieurs de ses compagnons se sont rués vers les foyers de l’épidémie afin de chercher le statut de martyr. L’histoire nous enseigne l’impact des pandémies sur les individus entrainant un retour vers une religion refuge. Cela signifie que la maladie produit la peur et l’anxiété et fait le lit du fondamentalisme et de l’extrémisme.
Dans le cas de l’épidémie actuelle de Covid-9, les comportements anormaux se sont manifestés lors de la période de retour à la normalité. Cela s’explique par l’impact des prêches à distance « d’imams de la haine » ayant appelé les croyants à purifier leur âme et à s’approcher de Dieu car la pandémie est une occasion divine de se repentir.
Nous pensons que ce type de maladie se développe en raison d’une peur d’avoir commis une faute, d’être dans l’erreur ou tout simplement de la mort. Cet état psychologique est le tunnel par lequel pénètre l’extrémisme islamiste. Ce dernier, armé de récits musulmans (sourates, versets et hadiths), a réussi à adapter son discours et sa stratégie au Covid-19 et en s’adressant particulièrement à deux catégories de population vulnérables et fragiles : les jeunes et les défavorisés. Par le biais du jihad électronique, la communication entre les imams virtuels et les catégories citées est devenue permanente, transcendant les liens familiaux et sociaux. Pendant l’isolement, on a remarqué que plusieurs communiqués des organisations terroristes sur les réseaux sociaux ont appelé tous les musulmans à multiplier les invocations, les prières, le jeûne et l’application stricte du principe « de l’allégeance et du désaveu ». En effet, il faut faire la différence entre l’hyperreligiosité et l’épilepsie, qui est une crise neurologique sous forme d’hystérie marquée par des mouvements incontrôlés accompagné parfois d’une perte de connaissance. Cette dernière selon une école de psychiatrie soutenue par des guérisseurs musulmans (rokates) est un délire religieux comprenant la conversion religieuse, la lecture compulsive de livres sacrés comme le Coran, le jeûne et la multiplication des prières nocturnes (kyam allayl). Généralement l’anxiété observée pendant l’isolement provoque des formes de peur et des troubles psychologiques variés.
Que savons-nous de la stratégie de gestion des maladies mentales de l’OMS ? Et quel serait le lien entre l’hyperreligiosité et la pandémie actuelle ?
Notre objectif dans cette note est d’apporter un éclairage complémentaire sur une pathologie souvent inexpliquée, voir méconnue.
Dans son dernier rapport l’OMS n’évoque pas cette maladie en termes de santé mentale. Ce dernier rapport est réducteur quand il évoque un taux élevé de stress ou d’anxiété. Les mesures imposées (confinement par endroit et couvre-feu) ont conduit les individus vulnérables souffrant de solitude ou de dépression, à des comportements agressifs ou suicidaires. Ainsi, l’hyperreligiosité a surgi en Lombardie et les curés de paroisse se sont vu assaillir par des croyants souffrant de troubles mentaux demandant la repentance et la clémence de Dieu. Dans les pays arabo-musulmans, faute de hiérarchie théologique, il a été remarqué un repli sur soi et un retour à l’islam fondamentaliste, chez les séniors et les adolescents. La pandémie de Covid-19 qui se propage rapidement dans le monde entier suscite un degré considérable de crainte, d’inquiétude et de préoccupations dans la population en général, et surtout chez certains groupes, comme les personnes âgées, les jeunes et les personnes souffrant d’affections de longue durée.
Face à cela, nous pensons que la réaction de l’OMS demeure encore insuffisante voire superficielle. Ce n’est pas avec des supports de gestion de l’anxiété et du stress que l’on peut affronter l’hyperreligiosité et ses corollaires. Cette maladie a besoin d’un soutien psychosocial et d’une approche thérapeutique globale incluant les familles les psychiatres et les sécuritaires, car la problématique est plus profonde dès lors qu’elle touche la sécurité publique, car elle provoque des bascules de comportement vers une idéologie mortifère.
L’impact psychologique du Covid-19 sur les confinés
Il est incontestable que le Covid-19 a des conséquences gravissimes sur la cohésion sociale et la santé mentale des individus. La peur du Coronavirus a causé des effets psychologiques ressemblant à ceux des guerres ou du terrorisme. Les dénominateurs communs de ces deux menaces sont invisibles, insaisissables et imprévisibles. A ce titre, la seule différence entre ces deux dangers est l’infectiosité de ce micro-organisme et sa transmission dans la société, résidant principalement dans son incubation encore mal connue, voir mal maitrisée par les scientifiques de tous bords.
Selon une étude australienne récente en neurologie, de nombreux troubles mentaux conduisent à l’hyperreligiosité, dans les milieux aisés comme dans les milieux défavorisés, chez les croyants comme chez les athées, d’ailleurs les morts musulmans du coronavirus sont considérés comme des martyrs (hadith du prophète). Beaucoup de prêches islamistes sur les réseaux sociaux font allusion à ce » soldat invisible envoyé par Dieu afin de châtier les mécréants et les pervers » (sourate n°74 Al-Moudatir, « Le revêtu du manteau »). Face à cette situation inédite dans l’histoire des pandémies, nous remarquons que les décideurs politiques ont déclenché une guerre tous azimuts contre cet ennemi aux effets pervers.
Cependant, nous observons que son évolution nous surprend chaque jour et maintient la population en alerte quasi permanente. Alerte amplifiée au quotidien par de nombreux scientifiques redoutant une seconde vague plus meurtrière. Dans ce climat de peur et de stress, la recrudescence du virus est accentuée par une crise économique mondiale et la propagation virale de fausses informations (fake news). Tous ces éléments angoissent au quotidien les opinions publiques et favorisent le repli sur soi de nombreux citoyens cherchant le réconfort dans la religion.
Cette situation conduit les psychiatres à alerter les pouvoirs publics de l’absence d’une solution miracle répondant à cette pathologie et dont les données sont inexistantes. Rappelons que la pratique de l’isolement est une mesure historique qui a montré ses limites à l’occasion de plusieurs épidémies historiques (voir les écrits d’Ibn Al-Wardi et la peste noire). En revanche c’est aussi une mesure de guerre apparentée à une tactique entre un adversaire redoutable et sans visage que l’idéologie salafiste tente d’instrumentaliser à des fins stratégiques. Les salafistes appellent la communauté musulmane à revenir à la pureté de la religion avant qu’il ne soit trop tard, c’est-à-dire avant l’Apocalypse. Ce discours cataclysmique propagé sur les médias numériques a eu un impact extrêmement négatif sur les individus vulnérables et fragiles psychologiquement déjà connus pour des syndromes de détresse et de frustration.
Par ailleurs, le Covid-19 tue dans tous les pays sans distinction d’âge, de race, de sexe ou de couleur, mais bien moins que d’autres pathologies comme l’alcoolisme, le tabagisme ou les accidents de la circulation. Les statistiques de l’OMS nous montrent que d’autres maladies ont été délaissées pendant l’épidémie, comme le cancer et les maladies cardiovasculaires ; et les patients souffrants de troubles mentaux préexistants ont été occultés volontairement ou involontairement. Or, l’hyperreligiosité, pathologie méconnue, construit le lit de l’extrémisme religieux et affectent la santé mentale des citoyens. Ajoutons à cela l’absence de données fiables concernant ce phénomène et la gestion uniquement sécuritaire de l’extrémisme religieux. En conséquence, la démission collective des psychiatres ouvre la voie aux guérisseurs salafistes (rokates).
Le Coronavirus : quelles conséquences sur l’hyperreligiosité ?
Peur de la contagion et de la mort, isolement, réduction des relations sociales : le Covid-19 a mis à mal la santé mentale de la société. Si les dispositions et les consignes étatiques sont nombreuses sur le plan sanitaire, aucune prise en charge n’a été envisagée pour le moment concernant la dimension psychiatrique.
Or, on observe que le retour à la normalité a fait exploser ici et là un certain nombre d’actes violents, dont certains en relation avec l’hyperreligiosité : hausse des violences conjugales, des homicides, des suicides, des attaques à l’arme blanche ou à la voiture bélier, guérilla urbaine entre bandes musulmanes rivales, indiscipline, incivilités et appels au meurtre, sans oublier l’augmentation des fugues de jeunes adolescents.
Ces comportements anormaux remettent en cause l’autorité sous toutes ses formes. Ils sont le produit et les séquelles des troubles mentaux, notamment de l’hyperreligiosité. Ces pathologies en rapport avec la santé mentale sont en augmentation dans les milieux qui ont le plus souffert d’après l’enquête de l’INSEE parue le 19 Juin 2020. Les comportements extrémistes et criminels sont, selon des spécialistes, engendrés par le confinement, assimilé à l’univers carcéral et considéré comme une phase pénible et difficile pour une certaine catégorie de population. Il est indéniable que l’isolement et le couvre-feu ont eu un effet positif contre la circulation du virus, mais ils ont eu aussi des effets négatifs sur la santé mentale : pendant la quarantaine, certains individus ont été dans l’incapacité de s’adapter à cette situation délicate et de maintenir leur équilibre psychique. Dans ces circonstances, la demande des patients explose, au moment où la compétence dysfonctionne et la colère horizontale se transforme en colère verticale (contestation de l’Etat).
*
Malgré les consignes étatiques, les nombreuses études et la multiplication des sondages, on ne peut pas considérer l’hyperreligiosité comme simplement un stress ou une anxiété. Ces derniers sont les générateurs de la maladie mais n’expliquent pas tout, ce n’est pas avec un guide ou un dépliant de gestion du stress ou avec des exercices pratiques que l’on peut traiter une pathologie aussi complexe. A cet effet, nous plaidons pour une approche psychoculturelle, globale et multidisciplinaire. Le statut des patienst se situe entre le psychopathe et l’extrémiste. Une commission incluant les psychiatres, les familles et les sécuritaires est devenue une nécessité afin d’éviter le basculement vers la violence sacrée (terrorisme). Après les défaites cuisantes du djihad Al-tamikine (conquête territoriale), nous avons assisté pendant la pandémie au renforcement du djihad électronique, plus rentable et peu coûteux. Cette stratégie numérique a touché un maximum de confinés, exploitant tous les troubles de personnalité fondés sur la peur et le stress, facilitant l’auto-radicalisation.
C’est pourquoi nous pensons que la riposte des pouvoirs publics devrait tout d’abord repenser la classification des fichiers S, en les divisant en quatre catégories distinctes :
– Fichés S/A : patients atteints d’hyperreligiosité, premier stade de la pathologie ;
– Fichés S/B : patients ayant basculés vers le complotisme et l’isolement, second stade de la pathologie ;
– Fichés S/C : patients irrécupérables et dangereux (adhérant à une idéologie contre l’ordre établi), troisième stade de la pathologie ;
– Fichés S/X : patients auto-radicalisés et non fichés S.
Une échelle de mesure et de classification de la pathologie de l’hyperreligiosité déterminant les différentes classes de patients fichés S ou non est possible grâce à la contribution des spécialistes de l’intelligence artificielle et des cryptologues. Ce mécanisme, au stade de l’expérimentation, devrait réduire la menace et les dépenses de façon substantielle, et devrait aider également les psychiatres à appréhender la maladie et sa prise en charge. Finalement dans ce dispositif, la responsabilité des familles demeure incontournable et leur inaction devrait être sanctionné par la loi. Cette approche était utilisée pendant le temps idyllique de l’Islam par le prophète Mohammed, déjà confronté à l’époque à un islamisme contestant de l’ordre établi.