L’exploitation de l’antiracisme par les salafistes
Dr Abderrahmane MEKKAOUI (Maroc)
L’assassinat de Georges Floyd aux Etats-Unis a suscité dans le monde une large vague de protestations et de dénonciations. Tous les humains épris de justice et de liberté sont unanimes sur le caractère criminel et raciste de cet acte abject.
Grâce aux media et aux réseaux sociaux, cet événement dramatique et condamnable s’est propagé dans plusieurs pays occidentaux ayant connu des incidents qualifiés de racistes.
À titre d’exemples, citons le cas particulier de l’affaire Adama Traoré en France et celui du massacre de musulmans en Irlande. Cependant, loin de l’émotion et de la surenchère politique, on constate que le salafisme (Frères musulmans et wahhabites) s’est emparé de la problématique du racisme et de la ségrégation raciale en ouvrant un autre front contre les démocraties. Actuellement, le salafisme se positionne comme le seul défenseur des communautés musulmanes, notamment africaines et asiatiques, en dissimulant bien le caractère ségrégationniste de sa doctrine et de son discours. Sa stratégie consiste à duper les ethnies émigrantes ne parlant pas l’arabe et ne comprenant pas les textes sacrés.
À travers ce combat bien ordonné, les extrémistes islamistes ont plusieurs objectifs :
– gangréner la masse musulmane, africaine et asiatique, et les convertis (embrigadement et endoctrinement),
– instrumentaliser cette masse comme bouclier politique (chantage) contre les partis et les associations démocratiques,
– se positionner comme l’interlocuteur incontournable et représentant légitime des musulmans face aux institutions de l’État.
Rappelons que le salafisme s’est scindé en deux courants diamétralement opposés et fratricides :
– le salafisme wahhabite soutenu par les confréries et les Zaouias soufies (Al-madkhalia) qui s’est investi dans la mouvance politique de la droite européenne,
– et le salafisme des Frères musulmans, éduqués et occidentalisés qui se sont approchés de la gauche, des écologistes, des altermondialistes et des indigénistes. L’obédience des Frères musulmans est animée par des Égyptiens ou des Turcs dont les bases-arrières se trouvent principalement en Allemagne et en Turquie (Tarik et Ali Ramadan).
Le combat antiraciste et les mécanismes du noyautage politique salafistes
Que savons-nous de la stratégie du combat antiraciste salafiste ? En tenant un discours contestataire révolutionnaire, les salafistes, toute obédience confondue, infiltrent partis, associations, réseaux philosophiques et institutions en instrumentalisant les Africains, les Asiatiques, les convertis et les migrants irréguliers, en les instrumentalisant dans les débats et les manifestations politiques (la lutte contre le « mécréant blanc »), récupérant ainsi la thématique du racisme.
Cette manœuvre d’infiltration, de contrôle ou de destruction des intermédiaires politiques et associatifs est mise en oeuvre depuis les défaites des islamistes en Algérie et au Moyen-Orient. Aujourd’hui, leur principal refuge en Europe se situe en France en raison du nombre important de musulmans qui s’y trouvent. Ce repli stratégique des islamistes maghrébins et moyen-orientaux dans l’hexagone s’est développé à partir de 1992 dans un climat de complaisance, voire de complicité de la part de quelques élus « ayant vendu leur âme[1] » et dans une atmosphère de désintérêt voire de mutisme de la part de la majorité des musulmans.
L’implantation du courant salafiste dans les banlieues des grandes métropoles a favorisé son rayonnement graduel en propulsant ses imams et ses prêcheurs comme interlocuteurs incontournables des pouvoirs publics. Ce contexte a favorisé leurs opérations commerciales et financières, souvent occultes ou opaques. L’organisation de multiples collectes directes ou indirectes par le biais de leurs associations alimente leurs budgets et permet leur contrôle sur la communauté. Une autre source de revenus est la médecine spirituelle « alrouqate », qui draine des sommes d’argent colossales.
Par ailleurs, le courant salafiste n’hésite pas à instrumentaliser les liens tribaux et régionaux des pays d’origine (assabia) des migrants, renforçant le phénomène d’enfermement sur soi et amplifiant les mécanismes de ghettoïsation préexistants.
En matière de manœuvre idéologique, le courant salafiste a adopté la posture de victime dans le but de provoquer la sympathie et la solidarité des laïcs et des républicains.
A l’occasion des récents événements à caractère raciste, en Europe et en Amérique du Nord, les salafistes ont d’abord joué la carte de la lutte des classes, soutenus par les syndicats ouvriers en déclin, lesquels leur ont permis de créer leurs propres associations tout en bénéficiant de dons et de subsides de l’État. Ce réseautage a donné naissance à des conflits fratricides au sein du salafisme entre wahhabites et les Frères musulmans, surtout depuis les « Printemps arabes ».
Ce qui nous a poussé à cette analyse, ce sont les nombreuses réactions des salafistes à travers le monde, suite à l’assassinat de Georges Floyd et à l’affaire Adama Traoré, en propageant sur les réseaux sociaux, les appels aux Américains et aux Européens à venir en terre d’islam afin d’apprendre la tolérance, la liberté et la fraternité !
Ces nombreuses réactions absurdes diffusées par les salafistes sur les réseaux sociaux suscitent un certain nombre d’interrogations sur les objectifs réels de l’islamisme et sa position à l’égard de la question des races et des minorités. Pour la première fois, le salafisme a adapté un discours spécifique en la matière afin d’en faire un instrument de son combat politico-religieux. Il a récupéré le thème de la lutte des races – qu’il privilégie sur la lutte des classes -, et focalisant son action sur le verbe et l’image.
La propagande salafiste est toutefois infondée et incohérente pour différentes raisons. D’une part, elle ne reflète pas la vérité des textes sacrés et de la tradition musulmane. D’autre part, elle ne correspond pas à la réalité politique des pays occidentaux. Certes, le racisme continue de produire des sympathisants dans certains courants politiques extrémistes ; mais cela reste une idéologie à laquelle n’adhère qu’une infime minorité de la population et qui est combattue et proscrite par la majorité des citoyens. De plus, les États se sont dotés d’un arsenal de lois et soutiennent de nombreuses de structures antiracistes institutionnelles ou associatives. L’idéologie pratique raciste est donc largement combattue par la majorité des Etats occidentaux, lesquels font par ailleurs la différence entre l’islam – religion des musulmans – et le salafisme politique.
Mais, si la stratégie islamiste d’amplification du racisme et de de récupération du combat antiraciste peut sembler inadaptée au regard de la situation politique dans le monde occidental, elle porte ses fruits car elle se fonde en réalité sur une incitation des musulmans à la procréation, et profite du désarroi des immigrés clandestins et de la frustration des convertis et des musulmans non avertis. Le laxisme et l’ignorance des classes dirigeants des Etats européens accentuent ces phénomènes.
En exploitant les « assassinats racistes » aux Etats-Unis et en France, les salafistes déclarent que leur combat pour l’Oumma, projet mythique irréalisable, est indissociable de la lutte des races. Pour comprendre ce discours, on note que leur argumentaire se base sur les points suivants :
– les sourates et les hadiths ;
– les récits, fatwas et exégèses des quatre écoles de pensée islamique (hanafisme, hanbalisme, malikisme et chafiisme).
Les salafistes fondent notamment leur discours antiraciste sur un verset coranique – « Ô gens, je vous ai créé mâles et femelles en vous transformant en peuples et en tribus pour vous connaitre » (sourate Al-Hujuraat, V13) – qu’ilsinterprètent hors du contexte réel de la révélation. Et sur le hadith selon lequel « il n’y a pas de différence entre un arabe et un étranger, entre un noir et un blanc, la seule distinction réside dans la foi ».
Eléments de déconstruction du discours antiraciste des salafistes
Afin de déconstruire le discours antiraciste des salafistes se référant aux sourates du Coran mecquois – qu’ils qualifient « d’islam d’exportation » -, il est nécessaire de décrypter la doctrine raciste du salafisme, inconnus des médias et des politiciens :
– Un salafiste est sectaire, quand il exprime son appartenance à une communauté religieuse supérieure aux autres communautés. Le projet d’Oumma des salafistes repose sur un socle de valeurs sacrées non négociables, non discutables et inviolables. Ce totalitarisme s’observe dans les relations conflictuelles des extrémistes islamistes avec les autres croyants qualifiés « d’associateurs » (mouchrikounes) et « d’égarés » (addalounes). Ces communautés sont considérées comme inférieures à l’Oumma, même si elles sont d’origine ibrahimique.
– Un salafiste est également raciste, quand il revendique encore en 2020 le retour de l’Andalousie et de Rome à Dar al islam.
– Un salafiste est raciste, quand il considère que les musulmans sont les plus forts et les plus puissants.
– Un salafiste est raciste, quand il considère les mécréants comme « des saletés » (Najas, cf. V 28 S 9).
– Un salafiste est raciste et criminel quand il véhicule un hadith non authentifié du Prophète selon lequel il aurait dit : « je suis l’envoyé pour l’égorgement ».
– Un salafiste est raciste quand il insulte dix-sept fois par jour dans ses cinq prières les chrétiens et les juifs (sourate El Fatiha)
– Un salafiste est raciste quand il refuse de marier une musulmane à un chrétien ou à un juif ou à une personne d’une autre croyance que la sienne.
– Un salafiste est raciste quand il interdit l’accès des femmes à la magistrature suprême : « Ô malheur aux gens qui attribuent leur destin à une femme ».
– Un salafiste est raciste quand il appuie la thèse selon laquelle les associateurs sont l’équivalent des chiens, et les juifs sont les descendants des singes et des porcs (sourate « La table établie », V 60 S 6).
– Un salafiste est raciste quand la charia musulmane donne à la femme la moitié de l’héritage et la moitié des droits du témoignage par rapport à l’homme devant le juge.
– Un salafiste est raciste quand il se permet de battre sa femme etde pratiquer sa sexualité avec elle sans condition aucune.
– Un salafiste est raciste quand il considère que son système de valeurs est le meilleur et le plus pur.
– Un salafiste est raciste quand il occulte les textes sacrés qui institutionnalisent l’esclavagisme et l’inégalité : pour lui, libérer un esclave n’est pas un principe mais un châtiment.
Ce ne sont là que quelques illustrations du racisme pratiqué par le salafisme dans son quotidien de manière directe ou rusée. En revanche, les salafistes n’hésitent pas à affirmer qu’un Occidental est raciste quand il considère que tous les musulmans sont racistes et/ou terroristes.
Comment le racisme est-il théorisé ou pratiqué par les salafistes ?
Force est de constater que le racisme salafiste se divise en trois catégories : le racisme théorique, le racisme pratique, la théorie de pureté raciale et culturelle.
Le racisme théorique est la classification des individus en fonction de leur race, de leur couleur ou de leur croyance. Dans ce cadre, la sourate 9, « la repentance » (hymne national du djihadisme), classifie les gens en trois catégories : les croyants, les mécréants et les hypocrites. D’autres catégories existent dans cette échelle de stratification sociale (Al-Aarabs).
En matière racisme pratique, le salafiste se comporte différemment avec chacune des catégories citées ci-dessus en employant la dissimulation ou le glaive. Le régime des dhimmis est une parfaite illustration du racisme pratiqué depuis l’origine de l’islam et jamais abrogé dans les textes sacrés. Les extrémistes ne respectent pas les droits des minorités, ethniques ou religieuses, même s’ils sont des « gens du livre ». Concernant les femmes, le salafiste se comporte différemment avec une femme esclave, vendue ou achetée comme un bien, et une femme libre à qui on impose le hidjab.
La théorie de la pureté raciale et culturelle avance que la communauté musulmane, bénie par Dieu, ira au paradis. En revanche, les autres seront voués à l’enfer. Le salafo-fascisme ressemble ainsi farouchement au nazisme qui a fondé son idéologie raciale sur la pureté de la race aryenne, en oubliant que la paix dans le monde est basée sur le respect de la diversité et de la différence.
On notera que le discours raciste des salafistes est toujours diffusé sur les 120 chaines de télévisions arabes lesquelles n’ont jamais été inquiétées pour la diffusion de cette idéologie haineuse. De plus, on entend souvent les érudits extrémistes faire l’apologie de l’islam conquérant (djihad attalab), à l’image du cheikh djihadiste égyptien Al Haouni qui rappelle à ses disciples que la pauvreté des musulmans est due à l’arrêt des conquêtes islamiques.
À ces remarques racistes contenues dans le discours intégriste, les doctrinaires salafistes se défendent en invoquant la sourate Al-Hujuraat (cf. supra), mais nous avons vu que celle-ci est évoquée hors contexte. En effet, beaucoup de sourates qualifient la couleur noire du visage de « signe de mécréance ou de perversion », contrairement à la blancheur et la brillance du visage des croyants le jour du Jugement dernier. D’autres hadiths évoquent la blancheur de la peau du Prophète à tels point que l’exégète Cadi Ayyad, dans une grande fatwa, condamne toute personne qui évoque la peau noire ou la nature métis du Prophète. Pourtant, la tribu du celui-ci, les Banou Hachim, est d’origine éthiopienne[2] et au VIIe siècle, le brassage des populations de l’Abyssinie et de la confédération Qourachite[3] était une réalité. Mais la peau blanche était très appréciée par les bédouins d’Arabie, qui rejetèrent les enfants de couleur qu’ils eurent avec des mères noires. Ces rejetons formèrent alors des milices de brigands (Al Assaaliks) qui terrorisèrent toute la péninsule arabique.
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Le combat contre le racisme et l’exclusion diffère profondément en Occident de l’idéologie véhiculée par l’extrémisme islamiste. Chez les uns, le phénomène est combattu avec acharnement et fermeté ; chez les autres, c’est un discours factice qui dissimule la supériorité de l’islam pour les salafistes, source de fierté et d’arrogance. Pour contrer cette propagande propageant l’incompréhension et la haine entre les peuples et les races, les musulmans doivent revoir leurs textes sacrés évoquant le racisme ou incitant à la ségrégation raciale selon des interprétations hors contexte.
Deux solutions sont envisageables :
– celle du soufi soudanais Mohamed Mahmoud Tahaa, guillotiné en 1985 par les salafiste. Dans son livre Le deuxième message, il exhorte les musulmans à réformer leur religion en se référant au Coran mecquois, dont les 86 sourates tolérantes et pacifiques se situent dans le prolongement biblique du judaïsme et du christianisme. Celles-ci sont pour lui les fondamentaux de l’islam modéré. En revanche, Mohamed Mahmoud Tahaa considère le Coran médinois comme un ensemble de faits historiques et politiques, à replacer dans le contexte de l’époque. Cette partie du Coran, selon lui, n’est pas adaptée à la civilisation contemporaine et à la charte universelle des droits de l’homme. Par cette réforme, Mohamed Mahmoud Tahaa vise l’isolement du salafisme et rend possible le combat de la communauté musulmane contre l’extrémiste islamiste ;
– celle de la nouvelle École de pensée musulmane appelée « les Coranistes », qui a adopté une nouvelle approche selon laquelle un musulman doit rejeter tout commandement contraire aux droits de l’Homme et aux libertés. Malgré les efforts considérables déployés sur les réseaux sociaux par ces érudits musulmans modernistes, leur projet humaniste et rassembleur est loin de faire l’unanimité dans la communauté musulmane à cause de l’imposture salafiste.
C’est pourquoi nous alertons les partis politiques, les associations et les médias sur le faux discours antiraciste des salafistes relatif à cette problématique complexe. Le positionnement contestataire, souvent « droit de l’hommiste » de cette mouvance religieuse, masque sa vraie nature et ses propres objectifs politiques, visant l’anarchie et le désordre.
[1] Le Point, du 13 février 2020.
[2] Cf. l’historien Jawed Ali dans son Histoire des Arabes.
[3] Tribus arabes de La Mecque.