L’Europe dans l’étreinte étouffante des États-Unis
Giuseppe GAGLIANO
L’Europe, autrefois protagoniste de la diplomatie internationale et adepte d’un pragmatisme géopolitique unique, semble aujourd’hui reléguée à un rôle subalterne. Depuis le début de la guerre en Ukraine, l’Union européenne s’est laissée entraîner dans le sillage stratégique de Washington, abandonnant ses politiques traditionnelles de médiation. Cet alignement a imposé des coûts élevés : économiques, énergétiques, politiques et sociaux. L’Europe risque non seulement de perdre sa centralité géopolitique, mais aussi de sombrer dans une crise structurelle dont il sera difficile de sortir.
La subordination géopolitique : une Europe sous influence américaine
Depuis février 2022, la politique étrangère européenne a été définie à Washington. La narration américaine, centrée sur une victoire totale de Kiev, a annulé toute possibilité de négociation, une stratégie qui contraste profondément avec la tradition européenne. Des leaders comme Emmanuel Macron, qui avaient auparavant plaidé pour une autonomie stratégique du continent, se sont pliés à une ligne belliciste, craignant l’isolement politique au sein de l’OTAN. Les sanctions contre la Russie en sont un exemple frappant. L’Europe a imposé des mesures sans précédent, ignorant les risques de représailles et le poids des interdépendances économiques.
En 2021, le commerce UE-Russie représentait plus de 260 milliards d’euros : l’interruption brutale a durement frappé des secteurs clés, de l’industrie manufacturière à l’agroalimentaire, tandis que Moscou a trouvé de nouveaux partenaires comme la Chine, l’Inde et la Turquie. Même l’explosion du gazoduc Nord Stream, attribuée officieusement à des saboteurs proches des intérêts américains, n’a pas suscité une réponse forte de Bruxelles. La destruction d’une infrastructure stratégique pour l’approvisionnement énergétique européen a été traitée presque comme un incident secondaire, confirmant la soumission politique aux États-Unis.
L’effet boomerang des sanctions
Les sanctions, loin d’affaiblir gravement Moscou, ont eu des effets dévastateurs sur l’économie européenne. Selon les données de la Commission européenne, le coût du gaz pour l’industrie européenne a augmenté en moyenne de 70% entre 2022 et 2023. Cette hausse a rendu de nombreux secteurs industriels non compétitifs par rapport à leurs concurrents mondiaux. L’Allemagne, pilier économique du continent, a vu sa balance commerciale s’effondrer, enregistrant un déficit pour la première fois depuis 1991.
L’Inflation Reduction Act (IRA) des États-Unis, avec ses énormes incitations pour la transition verte, a encore accéléré la fuite des capitaux et des entreprises européennes vers l’autre rive de l’Atlantique. Selon une étude de la Banque centrale européenne, en 2023 et 2024, au moins 10 000 emplois dans l’industrie automobile et chimique ont transférés aux États-Unis, attirés par des coûts énergétiques divisés par deux et des avantages fiscaux.
Le modèle économique européen, basé sur une haute productivité et des coûts énergétiques compétitifs, est en crise. La désindustrialisation, un phénomène amorcé avant la pandémie, s’est accélérée. Des secteurs clés tels que l’automobile, la chimie et la sidérurgie allemande perdent du terrain en raison d’une combinaison d’énergie coûteuse, de dumping américain et de concurrence chinoise.
*
L’Union européenne est à un carrefour : elle peut choisir de renforcer son autonomie stratégique, en retrouvant un rôle central dans le nouvel ordre mondial, ou continuer à suivre passivement une voie qui la condamne à la marginalité. Cela nécessite des choix courageux : une politique énergétique basée sur une véritable diversification, une défense de l’industrie européenne contre le dumping mondial, et une diplomatie dépassant la logique de confrontation idéologique.
Le risque, cependant, est que l’Europe soit incapable de surmonter ses divisions internes, perdant ainsi l’occasion de se réaffirmer comme une puissance mondiale. Dans un monde en mutation rapide, l’inertie est une condamnation. Et le temps pour agir s’épuise.