Le prêtre et le prophète
Dr Abderrahmane MEKKAOUI (Maroc)
Politologue, spécialiste des questions sécuritaires et militaires. Membre du Collège des conseillers internationaux du CF2R.
En pleine guerre civile libanaise (1975-1979), un ouvrage inédit intitulé Le Prêtre et le Prophèteallait faire l’effet d’une bombe. Ecrit sous le pseudonyme d’Abou Moussa Al-Hariri (nom qui fait référence aussi bien aux chiites qu’aux sunnites), cet opus suscita un débat houleux, à telle enseigne que les armées saoudienne, soudanaise et syrienne présentes au Liban dans le cadre de la Force arabe de dissuasion (FAD) créèrent un QG commun dont la mission était de découvrir et de dévoiler l’identité véritable de l’auteur. Un doigt accusateur fut brandi en direction d’Israël, pays auquel on reprocha d’avoir édité ledit livre pour alimenter la guerre civile libanaise. Mais cet ouvrage, imprimé sous les bombes dans les quartiers sunnites occupés par la milice Al-Mourabitoune – financée à l’époque par les wahhabites et alliée de l’OLP -, était en fait l’œuvre du père maronite Joseph Azzi.
Le Prêtre et le Prophète est un livre relatif aux débuts de la religion islamique et au rôle déterminant – et occulté par la tradition musulmane – qu’y joua un prêtre ébionite[1] dénommé Waraqa Ibn Nawfal, qui était le cousin de la première femme du prophète Mahomet, Khadija bent Khouayled, commerçante richissime, appartenant à la tribu Abd al-Uzza.
Le père maronite Joseph Azzi alimente dans son ouvrage la polémique autour de la naissance de l’Islam et de ses fondements philosophiques. Ses recherches, qui durèrent plusieurs décennies, concluent que l’islam mecquois provient de deux principales sources : la philosophie grecque et l’église syriaque. Concernant ce dernier, le père Azzi met en relief la similitude entre l’islam mecquois et l’évangile hébraïque qui est en fait l’évangile de Matthieu modifié au fil des traductions de l’araméen, de l’hébreu et de l’arabe. Cette dernière langue, plus récente, n’est apparue, selon les archéologues, les linguistes et les codicologues qu’un siècle avant l’avènement de la prophétie mahométane[2]. Le père Joseph Azzi soutient que l’islam mecquois n’est qu’une reproduction textuelle de l’évangile hébraïque réalisée par Waraqa Ibn Nawfal.
Waraqa Ibn Nawfal : un acteur majeur passé sous silence par l’Islam
Bien des questions se posent au sujet de Waraqa Ibn Nawfal, l’auteur de cette traduction de l’évangile hébraïque. Beaucoup se demandent qui il était, quel fut son projet et comment le prophète Mahomet, homme intelligent et de caractère, en contact permanent avec ce prêtre, va réaliser un coup d’Etat historique après l’échec de ses prêches à La Mecque dans une société tribale polythéiste où la liberté de conscience était en vigueur.
Waraqa Ibn Nawfal était un ébionite, une branche divergente du judaïsme suite à la révélation du Christ. Les ébionites (les pauvres) – aussi appelés nazaréens – ont conservé le rituel juif tout en reconnaissant le Christ, mais pas sa nature divine. Ils le considéraient comme prophète non comme fils de Dieu.
Il convient de souligner que ce mouvement est très difficile à retracer car on ne les connaît sous cette dénomination qu’à travers les écrits des hérésiologues chrétiens de la fin du IVe siècle après J.-C. Les ébionites n’ont apparemment jamais constitué une église centralisée, hiérarchisée, mais plutôt des communautés dispersées et autonomes, voire opprimées. Ils furent attachés plus aux rites qu’aux dogmes. Selon les hérésiologues, la localisation géographique du mouvement semble avoir été initialement située à Jérusalem. Mais après la grande révolte juive, ils se sont dispersés dans tout le Moyen-Orient.
Les récits musulmans évoquent rarement Waraqa Ibn Nawfal qui a traduit en arabe l’évangile hébraïque[3] et qui était le chef du mouvement judéo-chrétien de La Mecque, appelé nazaréen. Pourtant, c’est lui qui recueillit le Prophète, à peine âgé de 19 ans, pour le marier à 25 ans à sa cousine Khadija, selon un rituel chrétien bien précis. Waraqa Ibn Nawfal appartenait à la fraction hachémite Abd Al-Uzza que l’historiographie musulmane ne mentionne nulle part afin de passer sous silence les liens de sang entre le Prophète et ce prêtre, cousins via un ancêtre commun, Qussai.
Le projet de l’islam mecquois porte l’empreinte de Waraqa Ibn Nawfal et a été exécutée par la femme du Prophète et par Ibnou abi Talib, l’oncle paternel de ce dernier. En réalité, le prêtrepréparait un successeur pour gérer l’intendance et les prêches en faveur des ébionites judéo-chrétiens de La Mecque. Ainsi, sur le plan du dogme, la plupart des sourates mecquoises sont pacifistes, universalistes et tolérantes. Sur le plan rituel, les ébionites continuaient à pratiquer le rituel juif tel que prescrit dans la Torah : circoncision, pèlerinage, sacrifice du mouton, polygamie, jeûne, prière, etc. Ils adoptaient également un code vestimentaire strict où le voile était recommandé pour les femmes et la barbe prescrite pour les hommes. Le rituel musulman a repris la totalité de ces pratiques ; d’ailleurs, la charia est mot emprunté à l’hébreu signifie « la norme », « la feuille de route ».
Contrairement aux dires des exégètes musulmans tels que Al-Boukhari – qui déclare que le Prophète n’aurait rencontré Waraqa Ibn Nawfal que trois fois -, les relations entre le prêtre ébionite et le prophète ont pris la forme d’un véritable compagnonnage, d’une préparation imaginée par le curé qui s’est déroulée sur plusieurs décennies[4].
Force est d’indiquer que Kahdija, première épouse de Mohamed, sa fille ainée Zineb et son cousin Waraqa Ibn Nawfal sont morts judéo-chrétiens. Il convient de rappeller également qu’avec la disparition de cs têtes pensantes de l’islam mecquois ; la source d’inspiration (« révélation ») allait se tarir pour le Prophète. Une disette qui allait durer trois années, comme le confirme le hadith authentifié « Touwaffia Waraqa wa fatoura al wahyou » rapporté dans le Sahihd’Al-Boukhari. Les exégètes reconnus par l’islam sunnite soulignent la frustration, voire le désespoir de Mohamed qui à plusieurs reprises voulut mettre fin à ses jours. Ce qui démontre le côté narcissique, voire schizophrène du messager d’Allah.
Dans son ouvrage, le père maronite Joseph Azzi créa la polémique en soutenant la thèse selon laquelle le tarissement de l’inspiration de Mohamed le força à changer de stratégie, en opérant un coup d’Etat avec l’appui des brigands et des commerçants qu’il comptait parmi ses amis[5]. Cela permit au prophète de disposer d’un noyau d’armée qui allait s’élargir avec le temps, c’est-à-dire avec le processus de migration vers Yathrib, et permettre ainsi l’émergence d’un courant médinois qui prônait la violence et le djihad avec un habillage religieux, reflétant le contexte des bédouins arabes pauvres et affamés.
*
Pour appréhender la violence actuelle légitimée par l’Islam radical, il s’avère nécessaire de faire la différence entre les fondamentaux de l’islam mecquois et l’islam médinois, deux univers opposés et contradictoires. Le premier étant plus conciliant que le second, marqué au fer du rigorisme et de l’exclusivisme nécessaires à l’émergence d’un Etat regroupant les tribus d’Arabie en confédération. L’islam médinois, par son coup d’Etat, s’est appuyé sur deux piliers pour galvaniser les bédouins arabes : l’abrogation de l’islam mecquois pensé par Waraqa Ibn Nawfal, et l’établissement d’une machine à tuer éternelle et générale, sur la base du principe de l’allégeance et du désaveu[6].
A ce stade, on signalera que les juifs de Yathrib – convertis à l’islam par conviction, par contrainte ou à dessein – disposaient ainsi d’une raison d’espérer la réalisation du Grand Israël en reconstruisant le Temple et en attendant la venue du Messie. Le Coran l’évoque à plusieurs reprises, le territoire des Bani Israël devant s’étendre du Nil à l’Euphrate, donnée qui a été avalisée par l’Imam des exégètes Al-Tabari et le parrain des wahhabites Ibn Taymiyya au XIIIe siècle. C’est ce même projet qui bénéficie aujourd’hui de l’assentiment de Riyad, soutenu dans cette démarche par les néo-conservateurs américains et le sionisme international.
[1] Hérésie judéo-chrétienne décimée par l’Empire romain en Arabie durant les IIIe et IVe siècles après J.-C.
[2] Son développement rapide s’est réalisé grâce à deux facteurs essentiels qui sont la poésie arabe et le commerce caravanier, lequel est devenu prospère suite au déclin du commerce maritime en raison du conflit opposant les deux puissances de l’époque, Byzance et la Perse.
[3] Waraqa Ibn Nawfal fréquenta plusieurs monastères ébionites hérétiques d’Irak et de Transjordanie et maîtrisait aussi bien l’hébreu, l’araméen que le syriaque, langue de communication et de commerce de l’époque.
[4] L’islam mecquois a également été influencé par deux autres religions : les Zoroastriens, qui ont transmis beaucoup de rituels à l’islam (jeûne du ramadan, prière cinq fois par jour, polygamie, etc.), et les hanifes, notamment à travers les poèmes d’Imrou’ou Al-Qais et d’Oumeya Ben abi Salt (réputé par son poème hégérique « A toi la bénédiction »), sans oublier le grand hanife de l’époque, Zeid Ibn Noufail, chef du mouvement hanife à la Mecque.
[5] Voir à ce sujet Abderrahmane Mekkaoui, « Le Prophète et les brigands », Tribune libre n°78, avril 2018 (https://cf2r.org/tribune/le-prophete-et-les-brigands/).
[6] Voir à ce sujet Abderrahmane Mekkaoui, « Takfir : le devoir de comprendre», Tribune libre n°66, juillet 2016 (https://cf2r.org/tribune/takfir-le-devoir-de-comprendre/).