L’avenir du Sahel, entre retrait européen et engagement africain
Dr Abderrahmane MEKKAOUI (Maroc)
Que savons-nous de la géopolitique et des enjeux du Sahel ?
Géographiquement, le grand Sahara est un vaste territoire d’environ 9,7 millions de km² de l’Atlantique à la mer Rouge. Le terme Sahel, qui vient de l’arabe et signifie « littoral », désigne, au nord, la bande côtière méditerranéenne dite « Tell de l’Afrique du Nord » et au sud, la bande de savane ou de brousse située entre le Sahara et la forêt d’Afrique de l’Ouest. Ce territoire compte près de 100 millions d’habitants d’une population multiethnique, répartie notamment dans la partie sud, en cinq Etats : la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad (pays du G5 Sahel). Plusieurs géographes incluent le Maroc, l’Algérie, la Libye, l’Égypte et le Soudan dans cet espace qu’ils qualifient de sahélo-saharien.
Cette zone doit affronter de nombreux problèmes : croissance de la menace djihadiste, crime organisé transfrontalier, désertification et bouleversements climatiques, explosion démographique, fragilité des armées et des pouvoirs locaux, etc. Autant de facteurs qui contribuent à l’instabilité de la région. Face à cette situation de crise et aux défis qui touchent tous les Etats de la région, la solution doit être collective, politique, socio-économique et militaire.
Rappelons que la situation depuis les indépendances est devenue instable chaque fois que l’équilibre entre les deux groupes humains de la région a été remis en question par les gouvernants. Le premier est celui des populations qui nomadisent, depuis des millénaires, du Burkina Faso jusqu’aux confins égyptiens. L’autre est celui des sédentaires de l’extrême sud du Sahel qui sont généralement des alliés du pouvoir.
Quelles sont les forces en présence dans ce vaste territoire ?
À côté des forces locales du G5 Sahel, on trouve la France avec ses partenaires européens et internationaux qui se sont engagés pour appuyer les États de la région dans leurs efforts multiples. C’est à la demande des pays africains concernés que les Occidentaux mènent une action multiforme s’articulant entre diplomatie, intervention militaire et développement, en insistant sur le fait que l’engagement collectif contre le terrorisme permettra le décollage économique et la participation des populations à la vie politique.
Le dispositif français
Dès le début de la crise sécuritaire au Grand Sahara, la France s’est dépêchée d’endiguer la menace terroriste. En effet, plusieurs groupes djihadistes alliés à des organisations criminelles menaçaient la sécurité et la stabilité du Mali, risquant de créer un califat islamique dans la région. Paris, grâce à l’opération Serval a repoussé le groupe d’Ansar Dine avec l’appui des forces maliennes et africaines. Cette opération d‘envergure a également reçu le soutien des Algériens qui ont ouvert leur ciel et ravitaillé des troupes au sol.
L’objectif fondamental de la France et de ses partenaires impliqués dans le grand Sahara est d’éviter que cette zone stratégique ne devienne l’Afghanistan de l’Afrique du Nord – voire de l’Afrique -, et un foyer d’insécurité ou un refuge pour les groupes terroristes et les différents cartels de trafiquants (drogue, armes, traite des êtres humains et des migrants clandestins).
Selon certains observateurs, le soutien militaire de la France se chiffre ainsi :
– 5 100 militaires déployés sur le théâtre sahélo-saharien (opération Barkhane) ;
– 75 coopérants militaires ayant de plus, réalisé 750 actions de formation ou d’accompagnement ;
– 7 000 soldats africains formés,
L’objectif de ces actions multiples est le renforcement des États fragiles jusqu’à ce que ceux-ci soient en mesure de se défendre eux-mêmes.
En complément, depuis 2020, la task force Takuba[1] – qui regroupe des forces spéciales de plusieurs Etats européens sous commandement français- a été déployée dans la région appuyer les forces du G5 Sahel et de la MINUSMA avec lesquels elle entretient une coordination très suivie.
Les forces du G5 Sahel
Sous l’impulsion de l’Union Africaine, les cinq pays du G5 Sahel ont déployé 5 000 hommes appartenant à leurs troupes d’élite. Leur encadrement est assuré par des officiers français, estoniens, espagnols et polonais et leur état-major se trouve en Mauritanie
Leur mission principale sur le terrain consiste à :
– sécuriser des frontières toujours poreuses.
– lutter contre l’insécurité dans sa dimension globale,
– mener des actions socio-économiques pour désenclaver les territoires,
– apporter leur soutien aux populations déplacées notamment dans le camp de Mbera à l’est de la Mauritanie où s’est réfugiée une grande partie de la population de la région Tombouctou/Araouane, sous l’égide du HCR.
La mission de l’ONU
La force onusienne (MINUSMA) a un objectif multidimensionnel visant à la stabilisation du Mali. Sa mission est de :
– soutenir la mise en œuvre de l’accord de paix d’Alger,
– appuyer les autorités maliennes pour stabiliser leur pays.
Elle comprend 15 000 hommes, civils et militaires et est principalement déployée dans l’Azawad et au centre-sud du pays.
À ces forces s’ajoutent les missions européennes : EUTM Mali, EUCAP Sahel Mali et EUCAP Sahel Niger. Leurs missions consistent en la formation des militaires et des forces de sécurité et en la restructuration des services de renseignement infiltrés par les djihadistes et les trafficants.
Une absence d’évolution significative
Malgré la détermination des Etats de la région, de la France, des Européens et de l’ONU, plusieurs groupes islamistes restent actifs dans l’espace sahélo-saharien, qui devient un point de fixation de tous les extrémistes, surtout après la défaite de Daech et d’Al-Qaïda en Syrie et en Irak et le refoulement de nombreux éléments de l’AQMI du Nord algérien. Cela constitue une véritable menace pour le sud de l’Algérie déjà ébranlé par des attaques terroristes comme celle de l’usine de gaz de Tiguentourine à In Amenas[2]. D’ailleurs, tous les émirs autoproclamés au Sahel sont d’origine algérienne, y compris ceux qui se sont convertis aux activités criminelles en tout genre, en alternance avec le djihadisme (l’industrie des otages), selon que l’un ou l’autre soit plus rentable. La violence armée dans la région a doublé d’intensité depuis 2019 d’après le Centre espagnol d’études sur le terrorisme.
Malgré tous les efforts, diplomatiques, militaires, économiques, la situation humanitaire dans la plupart de ces pays ne s’améliore pas à cause, notamment, des millions de déplacés internes et des réfugiés qui viennent grossier sans cesse les bidonvilles autour des métropoles. En plus de la sous-alimentation, la pandémie du Covid-19 a accentué la détresse des populations locales.
Le dernier sommet du G5 Sahel, qui s’est récemment tenu à Ndjamena au Tchad, avait pour objectif d’examiner la situation militaire et le degré d’engagement des uns et des autres dans la lutte contre le terrorisme. Le G5 Sahel a pris en compte désengagement graduel des forces françaises, qui ne peuvent rester indéfiniment dans la région. En cette occasion, le G5 Sahel a acté le réengagement de l’Algérie et du Maroc, les deux pays sahélo-sahariens les plus puissants et les mieux armés. Les Forces armées royales (FAR) marocaines sont appréciées pour leur expérience et, selon les experts du Pentagone, les seize années de guerre contre les séparatistes du Polisario et les nombreuses manœuvres conduites avec les Marines américains ont fait d’elles une force redoutable dans ce genre de conflit. Concernant l’Algérie, le réengagement de ce pays demeure toujours ambigu et incertain en raison des différents internes et des luttes de clans au sein de l’état-major et de la présidence de la République. Ces dissensions internes sont la résultante de la pression de la rue en effervescence (Hirak).
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De l’avis de nombreux stratèges militaires, le Grand Sahara n’a jamais connu une telle instabilité, ce qui pourrait avoir des conséquences graves sur toute la zone qui s’étend de la Mauritanie au Soudan. Au-delà du terrorisme, les raisons de cette situation de crise semblent liées aux interventions étrangères car les richesses de cette zone sont convoitées par les Chinois, les Russes, les Américains et les Français.
Une autre cause majeure ayant contribué à l’insécurité du Grand Sahara est le renversement du colonel Kadhafi par l’OTAN en 2011. La principale conséquence en a été sont l’éclatement de ses brigades de sécurité formées principalement par des Touaregs et des Toubous et l’évaporation dans la nature de quarante millions d’armes. Ce sont autant de facteurs ayant contribué à la fragilité des États du Grand Sahara.
Afin de réduire les menaces, il est important de se focaliser sur les solutions politiques qui favorisent un développement endogène. Les efforts militaires devraient être accompagnés d’une restructuration radicale des services de renseignement de tous les États concernés et de leurs armées. Il convient également de faire participer les différentes ethnies à la décision politique dans le cadre d’un partage équitable et démocratique du pouvoir. Par ailleurs, force est de constater que les accords d’Alger concernant le Mali sont aujourd’hui dépassés par l’évolution des événements, d’autant que les groupes armés ont basculé vers le djihadisme en transcendant le cadre national. Enfin, l’ONU doit promouvoir dans la région des conférences nationales réunissant toutes les parties n’ayant pas d’agenda idéologique ou religieux sur le modèle libyen.
[1]« L’épée » en touareg.
[2] « Source des chameaux » en touareg.