La mouche dorée de la diplomatie
Tawfik BOURGOU
Les lecteurs de Zola, ceux qui connaissent l’histoire de Nana comprendront ce que fut ce personnage de fiction pour la bonne société parisienne de la fin du XIXe siècle tout droit sortie de l’imaginaire de Zola.
Nana, courtisane sortie des bas-fonds parisiens partagea lits et confidences des hommes les plus puissants. Elle se hissa à hauteur de la bonne société dans la zone claire-obscure de la chair et de la politique. Nana fut une prostituée. Un journaliste fictif dans l’œuvre de Zola la désigna du sobriquet « La Mouche dorée », celle qui corrompt tout ce qu’elle touche et pollue la morale et l’ordre.
Mais le personnage de Zola n’est ni étranger à la réalité, ni à la politique. Il est plus actuel que jamais dans les méandres des jeux et les agissements des supplétifs et des factotums dans le monde arabe depuis 2011. Certains États arabes auront été des mouches dorées, un en particulier. Il est à la diplomatie ce que fut Nana à la vertu.
Ces derniers jours, le monde a découvert, médusé, ce que nous signalions il y aura bientôt treize ans : le rôle dévolu au Qatar par l’administration Obama. Tâcheron de la destruction des États par le financement des Frères musulmans et par l’infiltration dans les systèmes politiques et sécuritaires des États. Le Qatar a financé Ennahdha pour démolir la Tunisie. Sans l’ordre de Washington le micro État n’aurait pas osé bouger un cil.
Dans le financement des opérations de démolition, pas une monarchie n’a été touchée. Concernant le financement occulte des « funestes printemps », une réunion s’est tenue en Jordanie en 2011, dans la foulée des évènements en Tunisie, en Libye et en Égypte. Il a été convenu entre le Qatar, le Maroc, la Jordanie, les Émirats, l’Arabie saoudite et le Koweït de ne cibler que les républiques. Le Qatar a été intronisé par Washington comme supplétif et factotum. Gaza et les relations avec le Hamas ont apporté la preuve qui manquait.
Une question vient immédiatement à l’esprit : pourquoi ce rôle dévolu au Qatar ? La réponse est étonnante et très instructive : le Qatar a été investi par Washington de la mission de financer ce que nous appelons les « outils de la guerre sociale hybride » : la levée des troupes djihadistes pour aller transformer politiquement la Syrie, agir par le caritatif et le religieux afin de provoquer un basculement vers des formes d’organisation sociales plus perméables à des projets de transformation régionaux que voulait mener Washington par proxys interposés.
Ainsi, le ciblage de la Tunisie devait permettre d’avoir un accès vers la Libye, et plus tard l’Algérie, dans le cadre d’un projet transformationnel sous l’égide d’une « internationale » des Frères musulmans. La Syrie transformée devait être expurgée des éléments iraniens, préparant ainsi une étape suivante plus vaste dans le cadre d’une ingénierie régionale moyen-orientale.
Le Hamas aura été révélateur de ce jeu et surtout le grain de sable qui a bloqué la mécanique du Qatar, factotum et sous-traitant, surtout acteur d’une diplomatie du caritatif religieux transformationnel.
Mais tout ceci n’est pas inédit. Il a été expérimenté en Europe aussi. Dans les années 2007 à 2011, le Qatar avait déjà entrepris d’infiltrer les minorités maghrébines en France, proposant même de verser des fonds pour les banlieues pauvres des grandes villes françaises. A l’époque l’ingérence a été dénoncée par les Français et Paris avait tapé sur les doigts de Washington qui, en même temps que son factotum qatari, avait entrepris de s’approcher des « minorités » visibles en France pour aider la France à « mieux gérer » celles-ci.
Cet attelage nous rappelle beaucoup de choses en Tunisie. L’arrivée de ce couple improbable Qatar-USA et surtout les récentes déclarations de l’ambassadeur américain sur les soi-disant « habitants originaux » de la Tunisie, oubliant que la première habitante de la Tunisie est Dhya, la Kahena et non Saadia.
La mouche dorée de la diplomatie a agi sur ordre. Sans doute le coup de Gaza et la défection du Hamas ramènent-ils la Nana de la diplomatie moyen-orientale vers sa dimension et son protecteur et à méditer sa défaite morale[1].
[1] Ce texte est une version revue et corrigée de l’article initialement publié sur le site d’information tunisien Univers News(https://universnews.tn/la-mouche-doree-de-la-diplomatie/).