La guerre en Ukraine est-elle une rupture historique ?
Yann MARQUAND
Identifier la rupture historique dans le présent, un exercice périlleux
Si l’histoire est faite par les historiens et l’actualité par les hommes, l’un des paradoxes de la science historique – et corrélativement l’un de ses obstacles – est précisément que l’histoire est faite par un homme à la fois observateur du présent et interprète du passé. L’historien est donc à la croisée d’une double tension intellectuelle : analyser le passé avec son regard du présent, observer le présent avec son interprétation du passé.
Interpréter le passé, c’est donner un sens à la chronologie, c’est la condenser dans des moments de ruptures explicatives. Cette opération de condensation a le bénéfice de démêler l’écheveau de la complexité événementielle à travers la simplicité d’un prisme interprétatif. Interpréter les événements c’est au fond peser, évaluer, trier, conserver les faits déterminants, rejeter les quantités négligeables. C’est finalement construire la chronologie et rendre tangible les ruptures. L’événement-rupture quant à lui, est un basculement, une discontinuité dans la continuité temporelle, un bouleversement notable avec un avant et un après.
Il est d’autant plus aisé pour l’interprète-historien d’identifier la rupture passée que l’après rupture est donnée dans une perspective historique déjà visible. En revanche, l’observateur du présent, historien ou non, peut identifier un événement présent comme une rupture alors que l’histoire prouvera qu’il n’en est rien. Inversement, ce même observateur peut vivre la rupture sans la voir puisque l’après rupture est encore invisible.
Les guerres et les révolutions sont-elles des indices de rupture ?
« L’histoire universelle n’est pas le lieu de la félicité. Les périodes de bonheur y sont ses pages blanches. » Cette formule, extraite des Leçons sur la philosophie de l’histoire du philosophe allemand Hegel, peut servir de guide méthodologique pour identifier l’événement-rupture. Si nous retenons de l’histoire sa dimension tragique faite essentiellement de guerres et de révolutions, c’est sans doute parce que ce genre d’événement peut prétendre constituer des moments décisifs de compréhension. Ils sont des marqueurs qui méritent toute notre attention.
Tentons d’illustrer ces quelques réflexions par l’exemple, ou plutôt commençons par le contre-exemple. Les biens mal nommés « printemps arabes » de 2011 ont pu laisser penser à l’observateur contemporain que nous avions à faire aux signes objectifs d’une rupture révolutionnaire avec à la clef l’avènement de la liberté démocratique dans le monde arabe. Rares sont les contemporains irrévérencieux qui contre les opinions reçues ont analysé qu’il n’en était rien. Au risque de subir les affres de l’ostracisme intellectuel, rares sont les rabat-joie qui ont osé dire que ces expressions de « printemps arabes », de « liberté », de « droits de l’homme » et de « démocratie » n’étaient que préjugés, la projection de catégories occidentales en l’occurrence peu consistantes qui ne correspondaient pas à la réalité sociologique et politique régionale. Ces catégories ont été évidemment largement relayées par les médias occidentaux du tout-venant et le nez pointé sur l’information du jour, l’Occident a célébré le Moyen-Orient touché par la grâce révolutionnaire et démocratique.
Pourtant, il n’y a pas eu d’authentique révolution démocratique ni en Tunisie – quand bien même ce cas est plus discutable que les autres – ni en Égypte, ni en Libye, ni en Syrie, ni au Yémen, ni à Bahreïn. Nous avons voulu voir ce que nous croyons, principe peu défendable du point de vue scientifique, alors que nous aurions dû inverser la syntaxe dans une approche empirique et croire en ce que nous voyons. Comprenons par le verbe « voir » : enquêter, analyser, distinguer. Nous conseillons à ce propos l’excellent ouvrage d’Alain Chouet, Au cœur des services spéciaux. La menace islamiste : fausses pistes et vrais dangers. L’auteur, ancien directeur de la DGSE, chargé de mission notamment à Damas ou Beyrouth, arabophone, pétri de culture arabo-musulmane et de ses alentours (Turquie, Iran, Afghanistan et Pakistan) mérite une attention particulière sur le sujet.
L’ouvrage questionne[1] en effet cette expression de « printemps arabes » dans sa spontanéité, sa profondeur et son authenticité. Au fond, dit-il, la question n’est donc pas tant de savoir pourquoi ces pays arabes connaissent de tels mouvements de contestations en 2011, mais plutôt : pourquoi les Occidentaux s’y intéressent-il tant, alors que depuis la fin des années 60 les contestations violentes dans cette région sont observées avec une splendide indifférence ? D’une manière générale, l’Occident a manifesté, il est vrai, un enthousiasme doublé d’une volonté « bienveillante » et toute paternaliste d’accompagner le « dégagisme » des autocraties arabes. En préambule de l’analyse de Chouet, relevons sa formule qui propose une analogie intéressante : « Quelle aurait été la légitimité des révolutionnaires de 1789 si c’était une coalition anglo-russo-prussienne qui avait coupé la tête du roi de France ? »[2].
En Tunisie, en 2010, « pour la première fois depuis cinquante ans, l’armée n’a pas voulu jouer son rôle traditionnel de répression »[3] de la contestation. Par ailleurs, le chef de l’état-major Rachid Ammar est en déplacement aux États-Unis au début des émeutes. Ce n’est donc pas le peuple mais l’armée qui aurait chassé l’autocrate Ben Ali, de connivence avec le parrain américain. La lecture de l’ouvrage de Gilles Kepel[4] complète les propos d’Alain Chouet. Le parti salafiste des Frères musulmans, Nahda, par ailleurs financé par le Qatar, sort provisoirement vainqueur des élections de l’Assemblée constituante d’octobre 2011. La spécificité tunisienne est de ne pas avoir basculé dans l’islam politique parce que sa société civile est manifestement plus structurée qu’ailleurs et veille au grain, notamment à travers des institutions telles que la Haute instance pour la sauvegarde des acquis de la Révolution ou encore le Quartet du dialogue national. Mentionnons également que contre la politique d’influence du Qatar, les Émirats arabes unis financent la campagne de 2014 du parti laïc Nida Tunis qui en sortira vainqueur[5]. Aujourd’hui, le président Kaïs Saïed, suite à son coup de force du 25 juillet 2021, mène une opération de nettoyage contre la corruption qui gangrène le pays. Le parti des Frères musulmans, Nahda, se présentant comme un parangon de la vertu islamique, n’échappe pas à cette opération et les Tunisiens formés se résignent à quitter le pays.
D’après Chouet, en Égypte, la situation est beaucoup plus claire : Obama pousse Moubarak à la porte. Ce dictateur avait une fâcheuse gestion prédatrice des deniers américains versés chaque année depuis l’accord de paix israélo-égyptien de 1979, privant de cette manne financière les autres membres de l’appareil militaire égyptien qui régleront leur compte à cette occasion. L’Égypte, sous régime autoritaire depuis des décennies, n’a d’autre relève politique que celle des Frères musulmans – le Parti Liberté et Justice – ou autre mouvement salafiste – le Parti de la Lumière – qui se sont structurés efficacement dans l’action sociale de proximité mais qui ont su démontrer la plus parfaite incompétence dans la gestion d’un État. Gilles Kepel témoigne avoir été dans la confidence d’un général de l’état-major égyptien : « Laisser les Frères musulmans remporter les élections, y compris présidentielles – occasion pour eux d’exposer leur sectarisme et leur incompétence aux yeux de l’ensemble de la nation. »[6] Les faits ont prouvé la pertinence du propos. Le frèriste Morsi élu président en juin 2012 est destitué par la rue égyptienne avec les encouragements de l’armée le 3 juillet 2013. La parenthèse « printanière » islamiste est vite refermée. Précisons qu’ici encore les ingérences du Golfe sont massives : 3 milliards de dollars du Qatar à la présidence Morsi contre 12 milliards de dollars du groupe saoudien, émirati et koweitien à la faveur du maréchal Sissi[7].
La Libye est un cas très différent des deux précédents car il n’y a aucune revendication sociale de civils affamés. Les six millions de Libyens bénéficient de la rente pétrolière qui leur assure un niveau de vie acceptable. Pourtant, dès le 15 février de cette année 2011, dans la région de Benghazi, des civils lourdement armés surgissent au grand jour alors que les arsenaux du régime de Kadhafi sont encore sous clef. On peut également relever que le Conseil national de transition (CNT) constitué le 5 mars et se déclarant seul représentant de la Libye est peuplé de membres connus qui n’ont aucune vocation démocratique et dont les différents sièges politiques sont situés en Arabie saoudite, à Washington, à Londres ou au Caire. On sait par ailleurs que la « rébellion » a reçu un soutien actif de la part des Frères égyptiens et la contribution chevaleresque de l’OTAN. Aujourd’hui la Libye est dans le chaos d’une guerre internationalisée. Le pays est ouvert aux passeurs et aux migrants qui se précipitent vers le mirage européen. La social-démocratie suédoise vacille aux élections de septembre 2022 et met la barre à droite toute. L’Italie, aux premières loges des flux migratoires, confirme son cap avec la nomination de Giorgia Meloni à la présidence du Conseil des ministres le 22 octobre 2022.
En ce qui concerne la Syrie, Alain Chouet n’est pas indifférent au fait que la contestation naisse dans la petite ville frontière de Deraa à proximité de la Jordanie. Depuis le règne de Hafez el-Assad en 1971, le régime syrien combat vigoureusement toute tentative de dérive islamiste et les Frères musulmans syriens se souviennent encore de la douloureuse issue de leur tentative insurrectionnelle en 1982. Les Frères de Jordanie n’ont eu aucun mal à exploiter un épisode de répression du régime mené sans proportion face aux incidents provoqués par une poignée d’adolescents de Deraa le 6 mars 2011. Drapés sous les oripeaux de sa majesté les Droits de l’homme, les Frèristes fondamentalistes, experts en communication et sachant manier le double langage, alertent la presse internationale avide de « Printemps » et de surcroit transforment la contestation en subversion armée. Aucun représentant des différentes communautés syrienne (alaouite, chrétienne, chiite, druze, ismaélienne, kurdes et autres sunnites) n’avait intérêt à allumer le feu ravageur de cet équilibre intercommunautaire, intertribal pourrions-nous préciser, méticuleusement tressé sous l’autorité du pouvoir Assad[8]. En revanche, ce nouveau foyer « révolutionnaire » correspond au prolongement d’une stratégie frèriste plus globale du djihad international[9]. A ce jour, Bachar al-Assad que l’Occident enfiévré souhaitait abattre est resté en place avec la contribution de la Russie, de l’Iran et ajoutons discrètement, de la Chine.
Pour ce qui est du Yémen et Bahreïn, nous pouvons nous référer à Gilles Kepel[10]. L’argument principal étant que les deux pays en proie à des divisions confessionnelles sont pris dans la nasse d’une guerre froide que se mènent l’Iran chiite et l’Arabie saoudite sunnite. La contestation chiite de Bahreïn est réprimée le 14 mars 2011 par les forces du Conseil de coopération des États arabes du Golfe. Quant au Yémen, nous savons que la guerre se poursuit dans l’indifférence médiatique et de la politique internationale.
La guerre en Syrie (2011) préfigure-t-elle la guerre en Ukraine (2022) ?
La rupture démocratique disconvient donc fondamentalement à ces manifestations « printanières » et « l’effet domino » d’un peuple inspirant le voisin ne résiste pas davantage à l’analyse. Ces mouvements de contestation immédiatement récupérés, voire provoqués, par des acteurs extérieurs n’ont rien d’authentiquement révolutionnaire. Le cas libyen est encore plus franchement douteux dans ses prémisses insurrectionnelles.
Cependant un même événement, le « printemps » syrien par exemple, peut à la fois être disqualifié en tant que rupture politique comprise à travers notre prisme libéral et démocratique, mais requalifié comme rupture géopolitique à travers un autre prisme, celui du rééquilibrage des forces stratégiques. Expliquons-nous, et pour ce faire, il est intéressant de se référer à l’analyse de Michel Raimbaud[11] qui, sachant prendre la hauteur de vue nécessaire, identifie l’année 2011 comme un moment de rupture géopolitique et l’on pourrait peut-être ajouter de rupture culturelle.
Afin de mieux comprendre cette rupture de 2011, remontons un peu le temps. La déclaration victorieuse de Reagan : « J’ai gagné la Guerre froide », s’est doublée en 1992 d’un succès de librairie que tout étudiant en sciences politiques se devait d’avoir dans sa bibliothèque : La fin de l’histoire et le dernier homme de Francis Fukuyama. Cet ouvrage, véritable phénomène culturel, emblématique de la perception de l’époque, inspiré par la philosophie hégélienne sur le sens de l’histoire, brille moins par sa thèse que par le sens universel qu’il cristallise dans les consciences occidentales. La victoire américaine de la Guerre froide est la victoire de son modèle. C’est une victoire sans partage qui, dans un contexte de sidération internationale face à la rapidité de l’effondrement du bloc soviétique, justifie son impérialisme universel, politique, économique et culturel. L’American way of life est voué à modéliser le monde. Il incombe donc au vainqueur auto-proclamé la lourde tâche du « devoir de civilisation » (Jules Ferry).
Une première tentative de déstabilisation de la Pax americana et de ce nouvel ordre mondial unipolaire est lancée avec bravoure par l’État français. Une fois n’est pas coutume et le fait est suffisamment notable pour être relevé. Le 7 mars 2003, Dominique de Villepin, ministre des Affaires étrangère du président Chirac, s’oppose conjointement avec l’Allemagne et la Russie au vote d’une résolution du Conseil de sécurité onusien qui légitimerait une intervention américaine en Irak, réponse inepte aux attentats du 11 septembre 2001. Peine perdue, les États-Unis, soutenus par la Grande-Bretagne de Blair, l’Espagne de Aznar et l’Italie de Berlusconi, n’en ont cure et lancent leur agression illégale le 20 mars 2003. La France devra purger sa peine pour son intolérable audace puisque Washington a décidé de « punir la France » (Condoleeza Rice). Les Gaulois devront se plier aux exigences américaines en approuvant l’occupation américaine en Irak, en prenant leurs distances vis-à-vis de sa politique arabe et en se rapprochant d’Israël. Le coup d’éclat chiraquien pro-palestinien du 22 octobre 1996 à Jérusalem restera sans lendemain.
C’est ici que l’analyse de Raimbaud[12] intervient concernant la rupture de 2011. Pour ce faire, repassons par la Libye pour arriver en Syrie. Lors du « printemps » libyen, la « communauté internationale » occidentalisée convoque l’irrévocable principe d’intervention R2P (Responsability to Protect). Il est vrai que le coup de la fiole irakienne, arme de destruction massive en éprouvette, secouée par Colin Powell devant le Conseil de sécurité en 2003 peut difficilement être resservi une seconde fois. Il faut trouver mieux. Le fondamentalisme « démocratique » des Frères musulmans « révolutionnaires » qui demandent ardemment l’aide occidentale, les populations civiles qui n’ont rien demandé mais qu’il faut impérativement protéger, c’est mieux. L’activisme forcené des trois membres permanents du Conseil de sécurité : les États-Unis d’Obama – et n’oublions pas, d’Hillary Clinton –, la Grande-Bretagne de Cameron et la France de Sarkozy, parviennent à convaincre les autres membres en faisant passer la pilule du « droit d’ingérence humanitaire ». La résolution 1973 est adoptée le 18 mars 2011 par 10 voix contre 3, la Chine et la Russie n’utilisent pas leur droit de veto mais s’abstiennent pour marquer leur réticence. Il est donc convenu d’une intervention préventive afin de protéger les populations. Le mandat est confié à l’OTAN. Le devoir de protection devient rapidement une entreprise aveugle de destruction de régime, visant des objectifs indifféremment militaires et civils. La pilule est amère et la Chine, la Russie floués, humiliés, ne peuvent s’en prendre qu’à leur crédulité, voire peut-être à leur frilosité.
Nos trois Occidentaux, gonflés à bloc, veulent remettre le couvert en Syrie en ressortant la grande cavalerie otanesque. Après leur intervention en Libye qui s’est transformée en un épouvantable chaos humain, politique et économique aux conséquences incalculables, le tandem Russie-Chine va s’opposer systématiquement aux quatre résolutions présentées au Conseil de sécurité de l’ONU à propos de la Syrie (octobre 2011, février 2012, juillet 2012 et mai 2014), résolutions soutenues âprement par les trois autres membres permanents et par certains membres de la Ligue arabe en accointance avec l’activisme islamiste de la confrérie[13]. C’est ce qui fait dire au géographe Fabrice Balanche, spécialiste de la région syrienne, que cette crise constitue un tournant dans les relations internationales et la fin de l’hégémonie occidentale : « L’intervention occidentale en Libye, cautionnée par la résolution 1973 de l’ONU, sera sans doute la dernière opération de ce type pour plusieurs décennies. »[14]. Ce « non » sino-russe est à la fois un « non » politique à l’ordre américain et aux Occidentaux inféodés. Il constitue également un changement de paradigme culturel. Plus qu’un « choc civilisationnel » (Huntington), c’est la mise en place d’un rééquilibrage des forces géostratégiques après deux décennies de prostration. C’est un « non » à la thèse de Fukuyama : l’Histoire est loin d’être finie et son sens n’est pas si clair.
La guerre en Ukraine : point d’orgue d’une montée en puissance des rapports de force
La guerre d’Ukraine commencée le 24 février 2022 constitue-t-elle une véritable rupture ou se situe-t-elle dans la continuité de l’épisode syrien en l’approfondissant ? Telle est la question qui nous importe dans cet essai de réflexion sur notre actualité. Tâchons de reconstruire la genèse du choc international ukrainien et pour ce faire, il convient de s’intéresser à l’action politico-militaire en laissant de côté la question morale de la légitimité, question qui fatalement tourne court et ne relève pas de la science historique, si ce n’est simplement comme fait de perception ou « argument » politique.
Ainsi, le jugement juridico-moral que les experts de plateau satisfaits profèrent pour condamner la Russie comme État agresseur de la souveraineté territoriale de son voisin ukrainien fait commencer cette histoire en février 2022. Or la Russie contre l’argument de la violation territoriale oppose le droit des minorités, en l’occurrence celles du Donbass, désireuses de s’affranchir de la tutelle de Kiev. En vérité, cette guerre n’a pas commencé en février 2022 mais en avril 2014, en Ukraine, entre les forces kiéviennes et les séparatistes pro-russes. Les protocoles de Minsk co-signés en septembre 2014 et février 2015 par l’Ukraine, la Fédération de Russie et l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) tentent d’y mettre un terme et prévoient pour les Républiques populaires auto-proclamées de Donetsk et Lougansk la mise en place d’une autonomie locale. Ces protocoles resteront des échecs dans leur application.
Finalement, cette dialectique historico-juridique opposant droit souverain contre droit des minorités, n’est en réalité qu’un rapport de force sous couvert de rapport juridique. L’aveu récent d’Angela Merkel dans l’hebdomadaire Die Zeit du 7 décembre 2022 en est l’illustration : les accords de Minsk ont été signés pour donner le temps à l’Ukraine de se renforcer. Elle ajoute que l’OTAN n’aurait pas eu non plus les ressources nécessaires pour soutenir l’Ukraine[15]. Ces aveux ont été précédés en des termes équivalents par ceux de l’ex-président ukrainien Petro Porochenko sur la BBC et suivis de près par le « président normal », François Hollande, dans The Kyiv Independant, le 28 décembre 2022. La franchise de ce trio, qui détonne avec le discours officiel, laisse quelque peu songeur sur les intentions que ces trois ex-négociateurs nourrissent pour l’avenir. S’agit-il de pourrir un peu plus les relations avec le voisin russe afin de rendre la situation absolument irréconciliable ?
Ce rapport de force, c’est une évidence, oppose au premier chef la Russie et les États-Unis. C’est ce qui a fait dire à certains commentateurs que nous revivions la Guerre froide. Certes nous avons les mêmes acteurs, mais la Russie n’est plus soviétique et ce qui caractérisait proprement cette guerre était la confrontation idéologique de deux systèmes sociaux antagonistes. L’historien Georges-Henri Soutou, auteur de La guerre de cinquante ans, questionne dans l’introduction de son livre la raison pour laquelle la Guerre froide n’est jamais devenue chaude[16]. Il l’explique moins par la thèse traditionnelle de la dissuasion nucléaire que par la volonté réciproque de transformer l’adversaire de l’intérieur afin de démontrer par la conversion de l’autre la victoire d’un modèle. Or détruire l’adversaire ne permet pas de le convertir. Dans un article récent[17], Soutou analyse la guerre actuelle de manière très différente. La géostratégie américaine ne vise pas la transformation de la Russie mais vise à « éliminer la Russie comme puissance mondiale ». Ce qui se joue à présent est une guerre d’influence géostratégique perçue par les deux protagonistes comme une guerre existentielle, point que nous développerons plus tard. En note bibliographique, l’auteur fait référence à l’ouvrage de Zbigniew Brzezinski, Le Grand échiquier, paru en 1997, qui a laissé une trace sérieuse dans la politique extérieure américaine de ces vingt-cinq dernières années.
Il vaut la peine de reprendre connaissance de ce petit mode d’emploi géopolitique pour comprendre la perception américaine et ce qui se joue actuellement. Qualifiant l’Ukraine de pivot géostratégique, Brzezinski affirme : « Sans l’Ukraine, la Russie cesse d’être un Empire en Eurasie »[18], puisque derrière l’Ukraine, il y a la mer Noire. Sans grande surprise, nous y apprenons[19]que l’OTAN constitue un enjeu crucial pour garantir l’influence américaine sur le continent. Par ailleurs, les États-Unis doivent savoir soutenir et encourager l’unité et l’élargissement de l’Union européenne et favoriser son lien historique et privilégié (depuis la crise de Berlin de 1948) avec l’Allemagne. L’admission des États d’Europe centrale dans cette Europe unie doit coïncider avec leur admission au sein de l’OTAN. A la question de savoir jusqu’où cet élargissement doit-il s’étendre, l’auteur, lui-même d’origine polonaise, répond plus loin[20] que la réconciliation de l’Allemagne réunifiée avec la Pologne, constitue une étape décisive vers le prolongement de l’influence allemande dans les Pays Baltes, en Ukraine et en Biélorussie. Comprenons que l’Allemagne serait le vecteur d’un élargissement de l’Europe et de l’OTAN « sous la pression amicale des États-Unis ». Il prophétise : « En 2010, la collaboration franco-germano-polono-ukrainienne (…) pourrait devenir la colonne vertébrale géostratégique de l’Europe »[21]. S’il réaffirme plus loin[22] que l’extension de l’OTAN est essentielle, c’est pour mieux prévenir qu’à défaut de la réussite de cette stratégie, les conséquences seraient désastreuses pour la suprématie américaine et réveilleraient sans doute « les aspirations géopolitiques dormantes » de la Russie. Il semblerait en l’occurrence que l’activisme américain aux frontières de la Russie est parvenu à réveiller l’Ours endormi. Ce petit bréviaire mentionne toutefois précautionneusement que les candidats à une adhésion otano-européenne doivent avoir surmonté toute tension interne liée aux droits des minorités ou à des revendications territoriales[23]. Notons que l’activisme débridé de l’actuelle Commission européenne, en la personne de Ursula von der Leyen, pour mettre en place une procédure accélérée d’adhésion de l’Ukraine à l’Union Européenne (juin 2022), ne semble pas être retenue par ce détail du droit des minorités du Donbass. Il est parfois fait mention d’un autre détail, celui de la corruption endémique ukrainienne.
Cette lecture du monde selon Brzezinski a profondément inspiré la politique interventionniste des administrations américaines successives, indifféremment démocrates ou républicaines, de Madeleine Albright sous Bill Clinton à Hillary Clinton et John Kerry sous Obama, en passant par les néoconservateurs de l’administration Bush. Cet accord bi-partisan est provisoirement mis en suspens durant le mandat de Trump et sa politique de l’« America first ». Puis l’administration Biden renoue avec le « vieux » réflexe. Le piteux retrait américain d’Afghanistan (2021) se situe en vérité dans la continuité de l’administration trumpienne.
Conformément à l’analyse de Brzezinski, ce messianisme libéral de l’après-Guerre froide se cristallise en Ukraine à deux reprises avec la Révolution orange (2004) et l’Euromaïdan (2014).
Révolutions ou involutions en Ukraine ?
Il est intéressant de lire l’article de Viatcheslav Avioutskii[24] qui détaille les différents acteurs en présence, intérieurs et extérieurs, lors de l’épisode électoral de 2004 surnommé Révolution orange. « Orange » parce que c’est la couleur revêtue par le mouvement contestataire des résultats électoraux du deuxième tour des présidentielles en novembre. Les résultats devant départager Iouchtchenko et Ianoukovitch sont soupçonnés de fraude. L’auteur analyse notamment la rivalité entre les États-Unis et la Russie dans une Ukraine fortement divisée entre l’Ouest-centre pro-occidental et le Sud-Est pro-russe et rappelle à cette occasion le principe néoconservateur qui guide la politique extérieure américaine post-Guerre froide : « Shape the world » ou façonner le monde à l’image des États-Unis. Durant la période Clinton, sa secrétaire d’État, Madeleine Albright, détaille le monde politique en quatre catégories : les pays industriels avancés et démocratiques, « les alliés naturels » comme l’Allemagne ; les démocraties émergentes qui représentent la cible privilégiée de l’action extérieure américaine, comme l’Ukraine ou la Géorgie ; les « Rogue States » ou États voyous qui doivent être combattus et transformés (« Regime Change ») comme l’Irak et plus tard la Libye et la Syrie ; et enfin les « Failed States », États faillis, qui doivent être aidés, comme l’Afghanistan à l’époque, fin des années 1990. « Le but final de la politique étrangère américaine est la formation d’un environnement favorable aux États-Unis »[25]. Le successeur Bush restera fidèle à ces engagements : « Au printemps 2005, il confirme la volonté des États-Unis d’exporter la démocratie dans les coins les plus éloignés du monde, en parlant de la « vague de la liberté » qui envahira la planète. » L’auteur ajoute que Bush n’a pas hésité à se féliciter de la Révolution orange en Ukraine. Sa propre secrétaire d’État, Condoleezza Rice, parle de « diplomatie transformationnelle » au service de la promotion de la « bonne gouvernance » qui combine l’économie de marché au libéralisme démocratique.
L’auteur insiste également sur le rôle d’un acteur interne : Pora, « organisation étudiante qui a joué un rôle significatif dans la Révolution orange. »[26] Pora est un des maillons d’un mouvement transnational de démocratisation que l’auteur identifie à une « Internationale de velours », expression caractéristique de ces changements politiques reposant sur « des techniques de résistance non-violentes et sur des campagnes massives de communication »[27] en opposition à des États autoritaires. Le phénomène débute dans la seconde partie des années 1990, dans les anciennes démocraties populaires de l’Europe de l’Est. Puis, dans les années 2000, c’est au tour des anciennes Républiques de l’URSS, « l’étranger proche » de la Russie : Géorgie, Ukraine, Biélorussie, Kirghizstan, Azerbaïdjan, Kazakhstan. Pora s’inspire notamment du mouvement serbe Otpor et géorgien Kmara qui se mettent en contact en décembre 2003 lors d’un séminaire dans la ville de Vinnitsa en Ukraine. Ces mouvements de jeunesse « s’appuient sur des militants formés et financés par des ONG et des fondations essentiellement américaines qui mettent à leur disposition un canevas intellectuel, des formations pratiques et d’importants moyens financiers et matériels. »[28] Parmi ces fondations occidentales et généreux donateurs qui financent le mouvement, nous retrouvons l’Open Society du milliardaire américain George Soros, d’origine hongroise. Le résultat semble probant et la stratégie mise en place en soutien au candidat à la présidence pro-occidental, Iouchtchenko contre le candidat pro-russe Ianoukovitch, permet cette « révolution de velours » en 2004.
Certes, ces révolutions sont le fait d’une volonté populaire qui aspire à se libérer de son passé et il ne s’agit pas de négliger cette aspiration qui constitue un facteur déterminant. Mais de la même manière, nous ne pouvons pas négliger les soutiens extérieurs massifs et la perception russe qui voit l’activisme américain comme une forte intrusion dans sa sphère d’influence. Et à ce jeu, les Américains ne peuvent pas non plus manquer de connaître la perception de la Russie sur ce phénomène. Nous pouvons reprendre les mots de Boris-Mathieu Pétric : « Dans un premier temps, les analyses de ces événements ont été marquées par une polarisation simpliste : côté russe, la théorie du complot, consistant à voir dans ces révolutions essentiellement la main américaine ; de l’autre, la minimisation ostensible du rôle des ONG et des autres acteurs occidentaux dans les changements en cours. »[29]
C’est dans cette ambiance générale de l’universalisme américain qui additionne soft power et interventionnisme belliqueux que l’Ours russe opère un virage significatif le 10 février 2007 lors de la Conférence sur la politique de sécurité de Munich. Dans son allocution, le président Poutine aborde les problèmes de sécurité internationale et crée la rupture en dénonçant vertement l’unilatéralisme américain violant les « principes fondamentaux du droit international ». Pour Poutine, l’ONU est le seul instrument décisionnel quant à l’emploi de la force, en dernier recours. L’OTAN ou l’UE ne sauraient se prévaloir d’un tel droit.
Précisons que l’OTAN est fondée le 4 avril 1949 à la demande de l’Europe occidentale qui se sentait menacée par l’URSS. Ce Pacte de l’Atlantique qui permet de se soustraire au veto soviétique onusien, n’a jamais activé sa force intégrée durant la Guerre froide. Pourtant, si la menace soviétique disparait en 1991, l’Alliance persiste et son nouvel ennemi stratégique semble être la Russie. En toile de fond du discours de Poutine, nous pouvons penser à la double extension de l’OTAN en 1999 (Hongrie, Pologne et République tchèque) et 2004 (États Baltes, Roumanie, Bulgarie, Slovénie, Slovaquie), à son intervention en Serbie (1999) sans l’autorisation du Conseil de sécurité, contournant ainsi le veto russe. L’intervention en Afghanistan (2001) n’est pas retenue dans la liste des griefs, puisqu’elle se fait d’une part dans le cadre légal de l’OTAN et d’autre part avec l’approbation de Poutine dans la lutte commune contre le djihad, dont les deux guerres opposant la Russie à la Tchétchénie en sont une déclinaison. En revanche, la campagne de bombardements massifs effectués en Serbie en 1999 remet fondamentalement en question le cadre défensif de l’Alliance militaire défini par l’article 5, puisqu’en l’occurrence aucun membre de cette Alliance n’a eu à souffrir d’une agression extérieure. Pourtant cet article 5 resté aujourd’hui identique est défini par l’OTAN comme « la pierre angulaire de l’Alliance »[30]. Ainsi, les faits contreviennent au droit et la perception russe du caractère nouvellement offensif de l’OTAN sera renforcée par l’intervention catastrophique en Libye (2011).
Ironie de l’histoire, ce même article 5 revêt subtilement entre les lignes un caractère non contraignant de l’OTAN en cas de crise : « Lors de la rédaction de l’article 5, à la fin des années 1940, un consensus se dégageait sur le principe d’assistance mutuelle, mais il y avait un désaccord fondamental sur les modalités de mise en œuvre. Les pays membres européens souhaitaient s’assurer que les États-Unis apporteraient automatiquement leur aide si l’un des signataires venait à être attaqué ; les États-Unis, quant à eux, ne souhaitaient pas prendre un tel engagement et l’article 5 a été formulé en conséquence. »[31] Il faut savoir que les États-Unis à l’époque, dans un réflexe isolationniste traditionnel, ne souhaitaient pas être contraints par une assistance militaire automatique qui par ailleurs eut été anticonstitutionnelle. Une telle Alliance, nous dit Soutou, « risquerait de provoquer l’entrée en guerre des États-Unis sans un vote préalable du Congrès. »[32] La résolution Vandenberg du 11 juin 1948, dans le contexte de la crise de Berlin (juin 48-mai 49), remet en question de manière décisive cet isolationnisme américain.
La Russie peut bien s’agiter et Poutine hausser le ton à Munich, l’Occident n’en a cure et une nouvelle extension atlantiste à la Géorgie et l’Ukraine est envisagée au sommet de Bucarest en avril 2008[33]. Précisons avec Maurice Vaïsse qu’en 2008 « la Géorgie est le troisième plus important récipiendaire d’aide américaine par tête d’habitant après Israël et l’Égypte »[34]. Dans ce contexte, le 7 août 2008 la Géorgie lance une opération militaire en Ossétie du Sud pour couper la volonté séparatiste pro-russe. La réaction militaire russe est immédiate et foudroyante. Suite à la signature de paix le 16 août, la Russie reconnait l’indépendance des deux régions géorgiennes d’Ossétie du Sud et d’Abkhazie. Comme l’analyse Mearsheimer[35], malgré l’épisode géorgien qui vaut pour avertissement sur la détermination russe à ne pas laisser franchir une ligne rouge géostratégique – « l’étranger proche » de la Russie – l’OTAN et l’UE ne démordent pas de leurs objectifs en manifestant un intérêt appuyé pour l’Ukraine. L’Union européenne en mai de cette année 2008 dévoile son programme de Partenariat oriental avec six pays de l’Europe et du Caucase (l’Arménie, l’Azerbaïdjan, la Biélorussie, la Géorgie, la République de Moldavie et l’Ukraine) en vue d’une intégration commerciale et d’une association politique. L’extension de l’OTAN se poursuit en 2009, de manière moins chatouilleuse, avec la Croatie et l’Albanie.
L’Ukraine de son côté ne consolide pas sa Révolution orange et vit une période d’instabilité institutionnelle chronique entre 2005 et 2010 avec une coalition « orange » fracturée, deux élections législatives et trois premiers ministres. Ce phénomène est résumé par Pétric : « Une fois le pouvoir conquis, la référence à la démocratie n’est souvent plus une priorité et les mêmes logiques de pouvoir s’instaurent. Les programmes de la promotion de la démocratie sont donc aussi souvent l’objet d’une manipulation de la part d’un groupe local qui cherche à conquérir le pouvoir. »[36] Avec la débâcle « orange », l’ex-candidat malheureux à la présidentielle, Ianoukovitch, est élu président en février 2010. Comme nous l’explique Dominic Fean[37], celui-ci mène une politique extérieure d’équilibriste et cherche dans un contexte de crise économique – le PIB a perdu 15% en 2009 – à renouer de solides relations avec la Russie et son gaz tout en maintenant la construction diplomatique d’association avec l’UE. Cette politique « multivectorielle » a l’avantage de pouvoir ménager un compromis dans une Ukraine divisée entre l’Ouest et l’Est. Cependant, « en mars 2010, José Manuel D. Barroso promettait 500 millions d’euros d’aide à Kiev, à condition que l’Ukraine se plie aux conditions du FMI. Cette position, qui laisse ainsi au FMI un rôle leader en Ukraine, reflète les hésitations de l’UE quant à son propre rôle en Europe orientale, tout comme le formalisme institutionnel avec lequel elle traite ses partenaires. Certains analystes ont alors jugé que l’UE n’avait pas pleinement profité des chances offertes par la révolution orange. »[38] En novembre 2008, le FMI conditionne l’octroi d’une aide de 16,4 milliards de dollars à un assainissement drastique des comptes ukrainiens. En novembre 2009, une tranche de 3,8 milliards de dollars est bloquée devant le manque d’engagement de l’Ukraine dans les réformes. La politique ukrainienne est également caractérisée par une fragilité institutionnelle résultat du clientélisme et de rivalités internes : « La plupart des partis politiques d’Ukraine sont constitués autour de leaders ou d’intérêts économiques, plus qu’autour de la vision politique commune de leurs membres. »[39]
C’est dans ce contexte délétère que se produit la rupture. Comme nous l’apprend Dominik Tolksdorf[40], début 2013, l’Ukraine doit choisir entre la contre-proposition de Poutine d’une Union douanière, 15 milliards de dollars dans les obligations d’État ukrainiennes et une réduction substantielle du prix du gaz. De l’autre, l’Accord d’association avec l’UE est conditionné aux exigences démocratiques : corriger une « justice sélective » en référence à l’emprisonnement de Timochenko et corriger les failles du système électoral. A cela s’ajoutent 700 millions d’euros de soutien financier pour cette période transitoire. Bruxelles, début 2013, a fait savoir à Ianoukovitch que l’Ukraine ne pourrait pas signer l’Accord si elle devient membre de l’Union douanière du système russe. Le 21 novembre 2013, le Parlement ukrainien suspend sa signature avec l’Europe et souhaite avoir une discussion trilatérale de manière à obtenir une libéralisation des échanges conjointement avec l’UE et la Russie. Comme le dit Jean-Pierre Chevènement : « Bruxelles a mis l’Ukraine devant le dilemme impossible d’avoir à choisir entre l’Europe et la Russie ».[41] Le jour même commence la mobilisation contre cette décision politique : l’Euromaïdan. Le 22 février 2014 Ianoukovitch est évincé du pouvoir malgré l’accord du 21 février qui prévoyait une élection présidentielle à la fin de l’année. En dépit du caractère anticonstitutionnel de cette destitution, l’UE reconnaît le nouveau gouvernement et le Président par intérim. Et l’Accord d’association est finalement signé en mars 2014 sans condition si ce n’est le soutien de l’UE au futur gouvernement pour l’accompagner dans la voie réformatrice. C’est ce qui fait dire au pouvoir russe que l’Ukraine et ses parrains étrangers ont mené un « coup d’État ». L’ancien ministre Chevènement ajoute : « Les manifestations de Maïdan ont été encouragées sur place par les multiples visites de responsables européens, mais surtout américains, souvent éminents, tandis qu’organisations non gouvernementales et médias initiaient une véritable guerre de l’information. » Parmi ces responsables « éminents » sont présents notamment Mme Victoria Nuland, secrétaire d’État adjointe américaine pour l’Europe et l’Eurasie, le sénateur américain John McCain ou le ministre allemand des aAffaires étrangères Guido Westerwelle qui sont en soutien de la « révolution ».
Arrêtons-nous un instant sur la physionomie de cet Euromaïdan qui a suscité beaucoup d’enthousiasme parmi les observateurs étrangers, notamment européens. Et pour ce faire, il faut lire l’article de Olha Ostriitchouk[42] qui est tout à fait instructif et précis dans la déconstruction de ce phénomène politique. L’image médiatique dominante qui nous a été servie à l’époque est celle d’un irrépressible « romantisme révolutionnaire » habituel et sans nuance, comme si l’Ukraine démocratique et cosmopolite s’était magnifiquement levée dans une fusion hostile à l’épouvantable oligarchie dominante. Ce discours a bien entendu exploité les ressorts dramatiques de la violence du régime qui s’acharnait sur les fondements mêmes de l’humanité. Pourtant, « s’il y a eu une surmédiatisation des cas de violence policière (…) rien n’a été dit sur la violence des révolutionnaires de Maïdan dont ont été victimes les policiers »[43]. Rapidement, en ce début de l’année 2014, la brutalité des ultranationalistes s’est exprimée ouvertement parmi les manifestants. « Dès le 16 janvier (jour de la promulgation des lois anti-contestation), on est entré dans la phase de lutte ouverte, une véritable guérilla urbaine, au sein de laquelle se distinguait un noyau dur de factions extrémistes de droite et leurs extensions paramilitaires (UNSO auprès de l’UNA, Trident de Bandera auprès du KUN, Patriote d’Ukraine auprès de la SNA et C14 auprès de Svoboda), auxquels se joignaient d’anciens combattants d’Afghanistan et des radicaux de tous bords ». Le bilan est lourd : une centaine de morts et des centaines de blessés chez les différents acteurs, par balles réelles ou en caoutchouc, par cocktail Molotov ou pavés. « Même s’il est encore difficile d’établir les responsabilités exactes dans la montée des violences, il ne fait aucun doute qu’elles étaient réciproques »[44].
Ces factions ultranationalistes et pour certaines néonazies sont présentes dès le début des manifestations pacifiques au mois de novembre 2013 arborant crânement leurs étendards flamboyants. Cette récupération par l’extrême droite de l’Euromaïdan marginalise rapidement les aspirations démocratiques et européennes et clôt toute discussion avec le gouvernement : « Au fur et à mesure que le conflit s’envenimait, c’est la frange ultranationaliste la plus active de Maïdan (appelé Pravy Sektor, « secteur de droite ») qui a pris en main le mouvement et a décidé de son avenir, en adoptant une position de refus systématique de tout compromis ».[45] Parmi ces factions extrémistes, seul Svoboda s’est constitué en parti politique, représenté au Parlement national et dans les régions. La carte électorale de ce parti montre une coupure historique entre l’Ouest et l’Est du pays avec une répartition qui pèse du côté occidental de l’Ukraine. Il faut se rappeler que cette partie ukrainienne était polonaise dans l’entre-deux guerre et en septembre 1939, conformément au pacte germano-soviétique, Staline récupère la partie Est de la Pologne et les Pays Baltes. L’invasion nazie de l’URSS à partir de juin 1941 a été vécue par cette population récemment soviétisée non pas comme une invasion mais comme une libération et leur accueil a facilité la progression rapide des premiers mois de l’armée allemande. Svoboda et les autres factions extrémistes capitalisent le ressentiment nationaliste antirusse sur deux traumatismes infligés par le régime soviétique stalinien : les répressions politiques et l’Holodomor, famine de 1932-33 qui aujourd’hui encore fait débat sur sa prétendue nature génocidaire.
La révolution de Maïdan est donc avant tout la révolution de l’Ouest de l’Ukraine et de ses soutiens occidentaux. Elle est aussi fondamentalement celle d’un nationalisme extrémiste et violemment antirusse qui réactualise la stigmatisation nazie de l’ennemi judéo-bolchévique avec un nouveau concept : l’ennemi « judéo-moscovite »[46], expression chère au chef de Svoboda, Oleh Tiahnybok. « Alors que l’antisémitisme n’apparaît qu’en arrière-plan et à l’abri des caméras (vandalismes nocturnes des synagogues, attaques physiques, propos et port de symboles racistes), la haine des Moskals[47] prend progressivement toute la place. »[48] Preuve en est la manifestation anti-Maïdan à Odessa le 2 mai 2014 qui se termine par la carbonisation de plusieurs dizaines de citoyens pro-russes dans la Maison des syndicats sans que l’information soit davantage relayée, sans que la justice ukrainienne ne fasse son travail de manière appropriée.
Le nouveau gouvernement provisoire reconnu par l’UE est représentatif de cette cassure ukrainienne entre l’Ouest et l’Est, mais également de cet extrémisme nationaliste avec un parti Svoboda avantageusement représenté. « Rien d’étonnant, donc, que les premières mesures de ce gouvernement répondent non pas aux revendications de départ (plus de justice, plus de transparence), mais aux revendications partisanes des nationalistes de l’Ouest : la suppression initiale de la loi sur les langues de Kolesnitchenko, la restauration de l’Institut de la mémoire nationale »[49]. Svoboda a en effet mené un activisme particulièrement prégnant pour réhabiliter la mémoire des acteurs de la « libération nationale » comme l’UPA, armée de résistance antisoviétique constituée en 1942 sous la conduite de Bandera, ou encore « la division Halytchyna, ancienne division SS formée au printemps 1943 de volontaires galiciens. »[50] Ces anciens combattants sont aujourd’hui largement célébrés comme héros de la libération contrairement aux soldats de l’armée rouge qui sont déconsidérés, méprisés. L’Est de l’Ukraine tout comme la Crimée, est au contraire très hostile à ces réhabilitations de héros nationalistes perçus comme collaborateurs nazis. A ce propos, l’auteur précise que le personnage Stephan Bandera a conduit la branche révolutionnaire de l’OUN[51] lors de l’occupation allemande, parallèlement à une autre faction de cette même organisation conduite par Andriy Melnyk jugée plus collaborationniste. Néanmoins, Bandera est le sujet de nombreuses controverses, résultat sans doute de l’opposition fondamentale qui s’est cristallisée au lendemain de la Révolution orange entre la propagande du nationalisme ukrainien parfois extrémiste et raciste et la propagande russe antifasciste. La polémique Bandera s’invite également à l’extérieur des frontières ukrainiennes. Le Premier ministre polonais Morawiecki, lors de sa conférence de presse du 2 janvier 2023, a manifesté sa colère à l’égard de la commémoration faite la veille par la Rada, le Parlement ukrainien, en hommage au 114e anniversaire de Bandera. Il a accusé les nationalistes ukrainiens d’avoir commis un génocide polonais durant la Seconde Guerre mondiale. En 2016, le Parlement polonais a reconnu les massacres de Volhynie comme un génocide perpétré par des membres de l’UPA conduit par Bandera. Israël n’est pas en reste et manifeste régulièrement sa réprobation à l’égard de telles manifestations commémoratives en hommage à Bandera ou à l’occasion du 28 avril 2021, date anniversaire de la création de la division SS Galicienne n°1 en 1943.
Certes cet extrémisme ukrainien, politique ou paramilitaire, entache quelque peu la belle image d’une Ukraine révolutionnaire, libre et démocratique. Et cette image ternie, il est important de la passer sous silence ou de l’édulcorer. Et pour reprendre le titre de l’article de Pierre Rimbert[52] « Ne pas voir, ne rien dire », telle est la conduite que l’Occident s’est prescrite afin de mener à bien et sans complexe sa vertueuse lutte universelle en Ukraine. Pourtant, le passé peu reluisant ouest-ukrainien, en particulier en Galicie, sous domination hitlérienne n’est pas un phénomène superficiel. De même à ce jour, nous ne pouvons pas rejeter d’un revers de main comme quantité négligeable la présence de groupes ultranationalistes au sein des forces combattantes de l’Ouest du pays. Cet héritage du passé et ce constat présent ne peut manquer de nous questionner. Quelle est la proportion de ces groupes ultranationalistes ukrainiens ? Quels sont leurs rôles et quelle est la nature de leurs accointances au sein d’un État encourageant la commémoration nationaliste et collaborationniste ? Avons-nous à faire à une infiltration profonde et structurante de l’armée et de l’État ou bien est-ce le fait de quelques brigades indépendantes qui sont au bénéfice d’un régime de tolérance particulier dans un contexte de guerre commencée en 2014 ? La carte électorale de Svoboda et les faibles résultats législatifs de ses dernières mandatures ne constituent pas une réponse suffisante. Nous pouvons clairement y constater une fracture de cette société ukrainienne, mais nous ne voyons pas l’extrémisme dans sa réalité infra-électorale, administrative, policière et militaire. Il est aujourd’hui honnêtement difficile d’avoir des informations suffisamment éprouvées pour s’en faire le porte-parole et nous préférons laisser la recherche poursuivre son enquête sur cette question. Toutefois, nous pouvons recommander l’article de Josh Cohen[53] qui aborde le sujet avec moins de frilosité que la littérature francophone. Signalons également l’article de Sébastien Gobert[54] qui fait une étude comparée de l’historiographie Est et Ouest ukrainienne.
La suite est bien connue et la réaction de Poutine à l’épisode de Maïdan est le rattachement de la Crimée. Rappelons les propos de Brzezinski : sans l’Ukraine la Russie cesse d’être un empire eurasiatique. Mais derrière l’Ukraine, il y a plus fondamentalement la Crimée et son complexe portuaire de Sébastopol ouvert sur la mer Noire et donc sur la Méditerranée. L’intérêt stratégique de ce poste maritime a été renégocié par la Russie le 21 avril 2010 : le gaz russe à bon prix contre la prorogation des accords de stationnement de la flotte russe en Crimée jusqu’en 2042. Néanmoins, le 27 février 2014 les députés de la Crimée votent l’organisation d’un référendum qui le 16 mars valide à 96,6% le rattachement de la péninsule à la Russie. Chevènement suppose que cette « annexion » de la Crimée n’était pas programmée et il ajoute : « M. Poutine, en Crimée, a fait passer les intérêts stratégiques de la Russie en mer Noire avant toute autre considération, redoutant sans doute que le nouveau gouvernement ukrainien ne respecte pas l’accord donnant Sébastopol en bail à la Russie… jusqu’en 2042 ! »[55] Philippe Lefort confirme cette part d’improvisation dans la manœuvre : « L’annexion de la Crimée viole le droit international, dont le respect est le premier des cinq principes de politique étrangère énoncés par le président Medvedev en 2008 et un des fondements sur lesquels reposent la sécurité et l’influence de la Russie. »[56] Il ajoute plus loin : « On peut lui reconnaître une certaine cohérence avec la vision ethno-territoriale de l’État telle qu’elle s’est développée et renforcée depuis la guerre de Géorgie : la Crimée étant majoritairement peuplée de Russes (ou revendiqués comme tels), il n’y avait pas de raison de leur refuser une intégration à la Fédération de Russie »[57]. En effet, la défense des « citoyens russes », où qu’ils se trouvent, est établie par le quatrième des cinq principes directeurs de Medvedev. Il faut se rappeler que Poutine lors de son adresse annuelle à la nation le 25 avril 2005 affirme que « la chute de l’URSS a été la plus grande catastrophe géopolitique du siècle passé ». Comment faut-il comprendre cette phrase ? Il ne s’agit nullement de la volonté poutinienne d’un retour au communisme. Comme il l’a maintes fois répété, ce ne serait ni possible, ni souhaitable. La « catastrophe géopolitique » doit être comprise dans une perspective ethno-nationaliste. D’après les estimations du Kremlin, suite à la reconfiguration territoriale de 1991, 25 millions de Russes se retrouvent à l’extérieur de la Russie dans cet « étranger proche », ce qui en fait la plus grosse diaspora.[58] Cette perception ethno-nationaliste nous laisse d’ailleurs penser que les intentions de Poutine ne sont certainement pas celles que de nombreux Occidentaux lui prêtent. La Russie n’a pas la volonté de réintégrer l’Ukraine au-delà de la partie Est et Sud qui lui est favorable. Il serait aberrant d’absorber un territoire parfaitement hostile et de devoir gérer au quotidien un harcèlement terroriste mettant en péril la sécurité de l’État. Avec l’Ukraine, nous avons tout bonnement affaire à la répétition du scénario géorgien de 2008. Pour les mêmes raisons, nous ne croyons pas à une volonté impérialiste du Kremlin absorbant les pays Baltes, la Pologne et d’autres anciens États satellites de l’ex-URSS. Qui plus est, rappelons-le, ces pays sont aujourd’hui membres de l’OTAN.
Notons également que le Kremlin peut vivre en bonne intelligence avec cet « étranger proche », qu’il soit Biélorusse ou Kazakh tout en restant attentif à toute tentative de déstabilisation du pouvoir, comme ce fut le cas dans ces deux pays, tour à tour en 2020 et 2021. A l’occasion de cette guerre, les commentateurs relèvent que le Kazakhstan n’est pas tout acquis à la cause russe, notamment en accueillant ses réfugiés qui ont préféré échapper à la conscription. Cette déduction nous semble hâtive et simpliste. A propos de la relation structurelle entretenue entre la Russie et le Kazakhstan l’article de Karan Vassil[59]définit le multivectorisme : « L’origine du concept de multivectorisme est attribuée à Noursoultan Nazarbaïev, président du Kazakhstan de 1990 à 2019. Celui-ci a en effet redéfini la politique étrangère kazakhstanaise au lendemain de son indépendance. Son objectif était de conserver des liens forts avec Moscou, tout en développant des coopérations avec d’autres puissances, telles que la Chine ou les États-Unis »[60]. Ce type d’association « permet de tirer profit des partenariats économiques et militaires avec les grandes puissances, sans pour autant tomber sous leur dépendance »[61]. Ainsi, par exemple, durant la crise insurrectionnelle du Kazakhstan en janvier 2022, la Russie envoie des troupes aéroportées à la demande du président Kassym-Jomart Tokaïev afin de stabiliser la situation. Nous pensons que le réalisme de Poutine ne s’offusque aucunement de ce multivectorisme qui relève davantage de l’intelligence politique que de la trahison morale. Ce multivectorisme est un jeu d’équilibriste dans lequel le Kremlin semble être passé maître. Les relations bilatérales de la Russie avec Israël n’empêchent pas celles de la Russie avec l’Iran. Relevons également les triangulaires entre Russie, Azerbaïdjan, Arménie ; Russie, Syrie, Turquie ; Russie, Iran, Arabie Saoudite ou encore Russie, Chine, Inde.
Revenons à la crise de 2014. Les États-Unis saisissent l’occasion de cette « annexion » de la Crimée pour débuter un régime de sanctions économiques en juillet 2014 qui se renforce sévèrement en septembre. Ce premier épisode de sanctions est un exercice préparatoire de celles qui sont appliquées aujourd’hui depuis février 2022 avec davantage de vigueur. Cette guerre économique mérite une attention toute particulière.
[1] Alain Chouet, Au cœur des services spéciaux. La menace islamiste : fausses pistes et vrais dangers, La Découverte, Paris, 2013 (2011), pp. 269-301
[2] Ibid. p. 295
[3] Ibid. p. 274
[4] Gille Kepel, Sortir du chaos, Gallimard, Paris, 2018, pp. 177-200
[5] Ibid., p. 193
[6] Ibid., p. 203
[7] Ibid., p. 206
[8] Alain Chouet, (1995), « L’espace tribal des alaouites à l’épreuve du pouvoir » in « Tribus, tribalisme et États au Moyen Orient », Maghreb-Machrek, vol. 147, n°3
[9] Alain Chouet, « L’association des frères musulmans. Chronique d’une barbarie annoncé. », European Strategic Intelligence and Security Center (ESISC), note d’analyse du 6 avril 2006
[10] G. Kepel, op. cit., pp. 259-281
[11] Michel Raimbaud, Tempête sur le Grand Moyen-Orient, Ellipses, 2017
[12] Ibid., pp. 314-319
[13] M. Raimbaud, op. cit., pp. 387-388
[14] Fabrice Balanche, « Syrie : de la révolution laïque et démocratique à Daech », Hérodote, vol. 160-161, n°1-2, 2016, p. 125.
[15] https://www.monde-diplomatique.fr/2023/01/A/65415
[16] Georges-Henri Soutou, La guerre de cinquante ans, Fayard, 2001, p. 11
[17] Georges-Henri Soutou, « L’Europe dans le nouveau conflit Est-Ouest », Le Grand Continent, 22 mars 2022
[18] Zbigniew Brzezinski, Le Grand échiquier, Bayard, 1997, p. 74
[19] Ibid., pp. 78-79
[20] Ibid., p. 99
[21] Ibid., p. 118
[22] Ibid., p. 113
[23] Ibid., p. 116
[24] Avioutskii, Viatcheslav. « La Révolution orange en tant que phénomène géopolitique », Hérodote, vol. 129, no. 2, 2008, pp. 69-99.
[25] Ibid., p. 86
[26] Ibid., p. 74
[27] Ibid., p. 96
[28] Ibid., pp. 96-97
[29] Pétric, Boris-Mathieu. « À propos des révolutions de couleur et du soft power américain », Hérodote, vol. 129, n°2, 2008, pp. 16.
[30] https://www.nato.int/cps/fr/natohq/topics_110496.htm
[31] Idem
[32] G-H Soutou, La guerre de cinquante ans, op. cit.
[33] https://www.nato.int/cps/fr/natolive/official_texts_8443.htm
[34] Maurice Vaïsse, Les relations internationales depuis 1945, Armand Colin, Paris, 2011, p. 253
[35] John J. Mearsheimer, « Why The Ukraine Crisis is the West’s Fault », Foreign Affairs, September/October 2014
[36] Pétric, Boris-Mathieu. op. cit., p. 17.
[37] Fean, Dominic. « Ianoukovitch et la politique étrangère ukrainienne : retour à l’équilibre ? », Politique étrangère, vol., n°2, 2010, pp. 413-426.
[38] Ibid., p.421
[39] Ibid., p. 422
[40] Tolksdorf, Dominik. « L’Union européenne au secours de l’Ukraine », Politique étrangère, vol., n°3, 2014, pp. 109-119.
[41] Jean-Pierre Chevènement, « Crise ukrainienne, une épreuve de vérité », Le Monde diplomatique, juin 2015, p. 11
[42] Ostriitchouk, Olha. « Les dessous de la révolution ukrainienne. D’une contestation civique à une guerre identitaire », Le Débat, vol. 180, n°3, 2014, pp. 3-16.
[43] Ibid., p. 6
[44] Idem.
[45] Idem.
[46] Ibid., pp. 8, 13
[47] L’expression péjorative « Moskal » désigne le Russe.
[48] Ibid., p. 13
[49] Ibid., pp. 11-12
[50] Ibid., p. 8
[51] Organisation des nationalistes ukrainiens fondé en 1929
[52] Pierre Rimbert, « Ne pas voir, ne rien dire », Le Monde diplomatique, mars 2022, p. 2
[53] https://www.reuters.com/article/us-cohen-ukraine-commentary-idUSKBN1GV2TY
[54] Gobert, Sébastien. « En Ukraine, le passé toujours vivant », Études, vol., n°5, 2018, pp. 19-30.
[55] Jean-Pierre Chevènement, op. cit., p. 11
[56] Lefort, Philippe. « La crise ukrainienne ou le malentendu européen », Politique étrangère, vol., n°2, 2014, p. 117
[57] Ibid., p. 119
[58] L’interview intégrale de Vladimir Poutine sur Europe 1 et TF1 en 2014 (archives) : https://www.youtube.com/watch?v=l9mi_9T_3ds
[59] Vassil, Karan. « La politique d’alliance russe à l’épreuve des limites du « multivectorisme » », Revue Défense Nationale, HS2, 2022, pp. 33-40
[60] Ibid., p. 35
[61] Idem.