La France et son renseignement. Après la réorganisation, objectif : maturité
Général Michel MASSON
Ancien directeur du renseignement militaire (2005-2008)
« La France n’a jamais aimé ses services secrets, même si ses dirigeants n’ont pas de réticence à les utiliser[1]»
La lecture d’un article du Monde daté du samedi 21 janv. 2012[2] donnait de la Direction Centrale du Renseignement Intérieur[3] (DCRI) jusqu’à l’outrance l’image d’un « nid d’espions » (sic) se retranchant derrière le « secret défense » pour comploter, attenter aux libertés d’opinion, aux mouvements sociaux… en bref aux plus sensibles des libertés publiques propres à un Etat de droit chèrement acquises et mises en place par la République.
Vis-à-vis du renseignement, c’était un nouvel amalgame journalistique abrupt et superficiel de la part d’un fleuron de notre presse nationale, une caricature entre secret, besoin d’en connaître, « opérations spéciales », surveillances téléphonique et informatique… Police politique, espions et cabinets noirs : le décor traditionnel cher aux media français lorsqu’il s’agit de renseignement était à nouveau planté, éternel recommencement.
On peut renvoyer les auteurs de ce type d’article (pas celui-ci en particulier) à ce que les rares chercheurs et universitaires intéressés par la matière dans ce domaine en pensent. Dans un ouvrage récent, Sébastien Albertelli[4] note que « l’étude des services occupe une place marginale en France, où elle relève le plus souvent du travail journalistique, à la fois peu soucieux d’exposer ses sources au travail critique et davantage intéressé par les affaires et les scandales que par le fonctionnement de ces organisations et leur place dans l’Etat ». Pas élogieux pour la recherche historique et universitaire, non plus que pour le travail journalistique contemporain.
Pour sa part, Sébastien Laurent[5] s’interroge sur l’absurdité de ces dérives dans son ouvrage Politiques de l’ombre : « L’on peut ainsi se demander si le constat fait par le sociologue Dominique Monjardet que la police était « un objet sale[6] » ne doit pas être étendu au renseignement ».
Elections présidentielles obligent : on n’a pas manqué alors, en marge de l’article évoqué, de demander, en témoignage, son avis à un député (un seul, une seule sensibilité politique, pas d’opinion contradictoire), enchaînant le tableau bâclé du « nid d’espions »[7] par le constat d’un manque de contrôle démocratique des services de renseignement dans notre pays.
En l’espèce, le député interpelé par Le Monde est Mr Jean-Jacques Urvoas (député PS de la 1ère circonscription du Finistère, membre de la Commission des lois de l’Assemblée Nationale).
Cet élu avait cosigné avec Mr Floran Vadillo[8], en avril 2011, un travail de réflexion de la Fondation Jean-Jaurès (le Think Tank du Parti socialiste) sur notre renseignement national[9]. Quelles étaient alors les lignes directrices de cette étude qui se voulait réfléchie, réaliste et pragmatique ? En substance, les rédacteurs dénonçaient alors :
- un système de renseignement national « présidentialisé » qui voyait disparaître le Premier ministre de ce paysage ;
- un cadre législatif inexistant quant à l’existence et les missions des services ;
- un rôle effacé pour une Académie du Renseignement à revaloriser ;
- un dispositif administratif insuffisant quant au suivi des activités des services ;
- un paysage « impressionniste » de la communauté nationale du renseignement, alors qu’une approche spécifique pour chacun des services se révélerait nécessaire.
Les deux auteurs de l’essai proposaient en conclusion 36 propositions (et non 36 chandelles) pour mieux éclairer et valoriser le dispositif national de renseignement.
Une étude réaliste et fouillée
Cette étude était pertinente dans son ensemble quant à l’approche du dispositif actuel, mais se révélait aussi, quant au fond, profondément politisée, fortement critique contre le pouvoir alors en place, avec des justifications parfois peu convaincantes quant au sujet lui-même. C’était donc là plus un pamphlet sur l’action de l’administration au pouvoir dans le domaine du renseignement national qu’un document prospectif et impartial.
La Fondation Jean-Jaurès a depuis édité un nouveau travail sur le même sujet daté du 10 avril 2012, en mettant en ligne une étude réalisée par le groupe Orion[10], chargé au sein du Parti socialiste de la réflexion stratégique et de défense. Dans ce papier plus abouti et plus fouillé, que signe Louis Gautier[11], le réalisme est de mise. Il n’y est pas non plus question de faire table rase du passé comme le soulignait déjà l’essai de la Fondation Jean Jaurès citée supra en avril 2011 : « Le temps n’est plus comme en 1978, où le Parti socialiste semblait totalement ignorant de ces sujets et laissait libre cours à ses peurs et phantasmes. Faut-il rappeler, par exemple, que le programme commun se contentait de préconiser : « les polices parallèles seront dissoutes. Le S.D.E.C.E. [ancêtre de la DGSE] sera supprimé »[12], avant d’envisager des mesures presque aussi drastiques à l’encontre de la Direction de la surveillance du territoire (DST) et de la Direction centrale des renseignements généraux (DCRG) ? ».
Le Livre Blanc de juin 2008, ouvrage collégial, non partisan et multidisciplinaire est passé par là. Le renseignement y a été élu nouvelle[13] «grande fonction stratégique » dans le cadre de la politique de défense et de sécurité nationale. Les conséquences de la mondialisation comme le constat qui y est fait des risques et menaces auxquels est confronté notre pays s’imposent à tous. D’ailleurs le rédacteur d’Orion s’en inspire pour introduire son plaidoyer.
Imaginons en effet un instant la France sans capacité d’anticiper les menaces que met en exergue le Livre Blanc de 2008. Les citoyens ne sauraient imaginer les projets de tous les enragés de la terreur qui ont avorté grâce à la sagacité et la pugnacité de nos services, DCRI (ex-DST + ex-RG) et DGSE en tête, avec la collaboration des autres acteurs de la communauté du renseignement. « Le problème est politiquement et techniquement complexe, puisqu’il faut faire face non plus à un adversaire unique[14] et identifié, mais à une multitude de petits entrepreneurs locaux de la violence, aux stratégies souvent tortueuses » : on ne peut que faire ce constat avec Alain Chouet[15], à la lumière de la récente affaire Mohamed Merah[16] et donc du défi qui se pose aujourd’hui aux services de renseignement dans la protection des citoyens et, au-delà, dans leur participation à la sécurité de l’Etat.
Pour revenir à l’étude d’Orion, la politisation de l’argumentaire est moins affirmée, plus subtile et, en outre, l’essai ne rejette pas non plus en bloc le nouveau dispositif mis en place par l’administration issue des élections présidentielles de 2007.
Au-delà de quelques considérations de forme – sans utilité pour le fond mais qui sont la preuve méritoire d’une volonté d’exploration exhaustive du système – de quelques inexactitudes aussi, qui montrent toutefois que la connaissance des services est encore perfectible, les lignes essentielles des travaux précédemment réalisées par la Fondation Jean Jaurès ont été conservées.
Pour dégager les idées-forces de cette étude, nous nous sommes avantageusement inspirés du résumé bien obligeamment rédigé par le rédacteur. Qu’il en soit ici remercié[17].
Pour le rédacteur de l’étude, les réformes de l’appareil de renseignement instituées en 2008 n’ont pas été conduites au bout de leur logique. Il importe donc, selon lui, de les poursuivre avec un objectif double : rationaliser la fonction renseignement et l’inscrire pleinement – en respectant sa singularité – dans le cadre institutionnel, administratif et juridique de l’Etat républicain. Il faut pour cela :
1. Réorganiser la gouvernance :
a. En commençant la réforme par une réorganisation du dispositif autour d’un « chef d’orchestre », interface entre le chef de l’Etat et les organes de renseignement. Deux options structurantes sont, à cette fin, proposées :
. L’option « présidentielle », qui a présidé aux réformes récentes (création du Conseil national du renseignement – CNR – et du coordonnateur du renseignement) : l’étude argumente que le rôle du coordonnateur devrait inévitablement être repensé et renforcé.
. L’option « gouvernementale » : il s’agit de créer un secrétariat d’Etat ou un haut-commissariat au renseignement, lequel aurait une autorité fonctionnelle sur l’ensemble des services.
b. Trois évolutions parallèles sont aussi envisagées: la création d’une formation restreinte du CNR; celle aussi d’une Inspection générale du renseignement, organe de conseil et d’évaluation en matière d’opérations, d’administration, de moyens et de déontologie ; enfin l’accroissement du pouvoir de contrôle a posteriori de la Délégation parlementaire au renseignement.
2. Il faut faire émerger une « communauté » du renseignement
Pour cela, l’essai propose d’élargir les contours actuels de cette « communauté du renseignement » : la structuration de cette entité doit favoriser les synergies, faciliter la mutualisation des moyens (techniques principalement) et promouvoir une gestion administrative et budgétaire raisonnée ainsi qu’une administration transversale des personnels.
Parallèlement, il faut clarifier deux missions essentielles:
. La mission de renseignement dans ses déclinaisons principales : le renseignement de sécurité, le renseignement d’appui de la politique nationale et le renseignement militaire ; l’étude souhaite identifier d’autres aspects, en particulier l’assistance au service de la justice nationale ou internationale, la contribution à la prospective et le renseignement économique.
. L’action clandestine : il faut encadrer ces missions par un contrôle parlementaire a posteriori respectant la confidentialité ; clarifier la responsabilité politique en instituant le suivi des opérations en cours via le coordonnateur/secrétaire d’Etat/Haut-commissaire.
Il n’est pas question dans l’esprit du rédacteur d’uniformiser un système par nature complexe ou de raboter les cultures de chaque service, mais plutôt, une fois les périmètres respectifs précisés, de reconnaître ce que certains ont en commun et de construire une véritable logique coopérative. Celle-ci passe non seulement par l’approfondissement des relations transversales, mais aussi par la reconnaissance du leadership que les différentes entités de la « communauté » sont susceptibles d’exercer sur des thématiques identifiées.
L’arrêté du Premier ministre du 9 mai 2011[18] a défini six « services spécialisés de renseignement » : DGSE, DCRI, DRM, DPSD, DNRED et TRACFIN[19]. La répartition des tâches entre DGSE et DCRI est, pour le rédacteur, dans l’ensemble bien fixée, mais la DRM souffre d’une certaine marginalisation ; la mission et le périmètre d’action de la DPSD sont à revoir ; il faut mieux associer les autres services aux missions de la DNRED et de TRACFIN.
La « communauté » devrait par ailleurs intégrer plus nettement d’autres entités qui, pour tout ou partie de leur activité, participent de la fonction renseignement : la Direction du renseignement de la préfecture de police (DRPP) ; l’Unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT) ; la Sous-direction de l’information générale (SDIG) et ses services départementaux ; la Gendarmerie Nationale. S’y ajouteraient le SGDSN[20] et l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI) ainsi que le Groupement interministériel de contrôle (GIC).
L’étude suggère aussi que l’Académie du renseignement, outre sa mission de formation, pourrait être au centre des questions de gestion commune des personnels (concours, mobilité, formations spécialisées). Enfin il est proposé de réfléchir à la création d’une agence de l’information ouverte.
La question budgétaire : seule une opération de « reconstitution » collationnant des données éparses permettrait d’obtenir une estimation approximative du budget global et du nombre total de personnels de cette fonction stratégique. La « balkanisation » budgétaire actuelle fragilise tout effort de stratégie d’ensemble, interdit aux parlementaires de voter les crédits en connaissance de cause et ne permet pas de faire jouer les techniques budgétaires de base pouvant encourager les mutualisations et les projets communs. L’étude propose de consacrer la fonction renseignement en « une sorte de politique publique », au sens de la LOLF.
Gouvernance et Communauté
Le mérite de l’étude d’Orion ainsi résumée (par son rédacteur lui-même, ici paraphrasé) est donc de se pencher avec attention et volontarisme sur un sujet qui ne passionne pas les foules et qui a pourtant son importance vis-à-vis de l’autonomie d’appréciation, de décision et d’action de l’appareil politique décisionnel national.
Les deux axes principaux de cet essai concernent l’un la « gouvernance », l’autre la « communauté du renseignement ».
– S’agissant de la gouvernance, c’est un lieu commun d’affirmer qu’en France, il n’y eut pas vraiment d’appétence au sommet de l’Etat, au long de notre histoire moderne, vis-à-vis des questions de renseignement: on se remémorera avec saveur la réplique du président François Mitterrand à Michel Rocard, son Premier ministre, « un mercredi matin de printemps [1989] vers 9h30… », après que ce dernier lui ait proposé de s’immiscer dans un domaine traditionnellement réservé au Chef de l’Etat sous la Ve République, dans le but d’« améliorer » (sic) le dispositif national de renseignement. Le Président laisse traîner la conversation et finit par lui « lâcher » (sic), le regardant bien dans les yeux : « Si ça vous amuse…»[21].
En matière d’orientation et de coordination, le CIR[22], balloté au fil du temps et au gré des humeurs politiques du moment, avait vécu en 2008, après avoir fait la preuve de son inefficacité. Pardon Mr Rocard, malgré votre intérêt pour cette fonction[23] et pour cette politique publique que vous avez été le seul homme politique français (avant 2007) à réellement défendre et vouloir valoriser (de 1988 à 1991) au niveau qui fut le votre[24]. On observera donc que le CIR (lorsqu’il se réunissait en format ministériel, ce qui fut rare) était présidé par le Premier ministre. Son secrétariat (permanent) était assuré par le SGDN[25] D’expérience, cette situation n’était satisfaisante pour personne, à commencer par les services eux-mêmes. On peut donc se poser la question du retour à une mécanique qui confierait un rôle prééminent au Premier ministre et ses services dans la mécanique d’orientation et de coordination des services. Dans notre République, qui a confié depuis 1958 au chef de l’Etat la responsabilité de présider les conseils de défense (et de sécurité), comment celle de diriger l’instance qui définit le rôle et les tâches des services ne lui reviendrait pas également ?
La création d’un « Secrétariat d’Etat/Haut Commissariat » avec autorité fonctionnelle sur les services – les ministres de tutelle conservant leurs prérogatives organiques (donc budgétaires, par exemple) – n’est manifestement pas une option génératrice de simplification dans la sérénité pour le fonctionnement de l’appareil d’Etat.
Il ne reste donc que l’option « présidentielle », choix fait en 2008, qui a manifestement débouché sur une meilleure visibilité du rôle des services, un dispositif de coordination plus efficace et plus ouvert (entre services et entre ces derniers et l’autorité politique suprême), plus opérationnel (synergies et mutualisations) et plus souple qu’auparavant (task-forces interservices), ce dont les services eux-mêmes étaient demandeurs. On peut à ce sujet ajouter que, confrontés au monde réel, les professionnels avaient déjà pris des initiatives et s’étaient organisés en ce sens sans attendre les réflexions de penseurs éclairés.
L’essentiel pour une meilleure gouvernance a donc été fait en 2008. Tenons nous-y.
– Pour ce qui concerne la « communauté » maintenant, paysage aujourd’hui en trompe l’œil si l’on suit le rédacteur d’Orion : on ne décrète pas une communauté, non plus qu’on ne la façonne par un remodelage institutionnel et administratif. Une communauté se construit de prime abord par la reconnaissance mutuelle et la confiance entre ses membres et par leur coopération transversale. Mais il faut un « chef d’orchestre » pour mettre cela en musique. Il faut aussi veiller à éduquer d’abord, former ensuite la ressource humaine dans un même creuset, en veillant à une bonne connaissance les uns des autres, ainsi qu’à une reconnaissance des uns pour les autres. Or, dans l’étude d’Orion, cette notion de « communauté » ressemble plus à une pâte à modeler à laquelle on peut imprimer toutes les formes, toutes les tailles selon le projet politique poursuivi et non un objectif stratégique et opératif.
Le « chef d’orchestre » a été mis en place en 2008 : c’est le coordonnateur. Il faut le conserver, dans son positionnement actuel, et surtout confier cette responsabilité à un ancien acteur majeur de la fonction. Car le « chef d’orchestre » se doit de connaître la musique, telle qu’on la joue réellement.
Le creuset a lui aussi été mis en place par la réforme de 2008 : c’est l’Académie du renseignement. Il appartiendra au coordonnateur, en particulier, de veiller à ce que les services acceptent chacun franchement cette institution et participent pleinement à son action. Celle-ci ne devrait d’ailleurs pas se limiter à œuvrer au profit des seuls organismes du renseignement, mais s’ouvrir à l’ensemble des élites nationales. Il ne saura en effet y avoir de « communauté » forte et consciente de ses particularités, ses privilèges, mais aussi de sa mission et de ses devoirs sans que nos responsables de tous bords et de toutes fonctions ne comprennent et n’acceptent la justification, la place dans l’Etat et les missions des services.
On citera utilement un extrait du discours du directeur général de la Sécurité extérieure prononcé à l’occasion du 30e anniversaire de ce service, le 2 avril dernier, tel qu’il est paru dans la presse : « Or aujourd’hui, il faut le dire, sous la houlette du coordonnateur national du renseignement, nous formons une communauté, avec nos collègues de la DCRI, de la DRM, de la DPSD, de la DNRED et de TRACFIN, et les échanges entre nos services n’ont jamais été aussi fluides, jamais été aussi efficaces, jamais été aussi réactifs. L’actualité, malgré la critique facile, en est l’illustration. Nous formons une communauté qui veut se forger une culture commune ».
Le budget, le nerf de la guerre…[26]
Ainsi que le soulignait déjà Philippe Hayez[27] dans une tribune parue dans Le Figaro du 15 septembre 2006, pour le renseignement, la « LOLF[28], qui vise l’adéquation des missions et des moyens, demeure en-deçà des attentes ».
La principale innovation de la LOLF[29] fut de consacrer l’importance du Parlement tant dans l’élaboration a priori du budget que dans l’évaluation a posteriori de l’action publique, en participant au vote de la totalité des crédits du budget de l’Etat, ce qui était loin d’être le cas sous le régime de l’ordonnance de 1959. Désormais, le Parlement peut se prononcer sur chaque programme et peut faire varier la répartition des crédits entre les programmes d’une même mission de l’Etat[30]. Des amendements justifiés peuvent modifier la répartition des crédits entre programmes, à condition toutefois de ne pas dépasser le plafond de la mission.
Les deux piliers de la LOLF sont la performance et la transparence :
– performance, car la construction du budget de l’Etat oblige désormais les administrations à justifier leurs besoins dans un premier temps et à rendre compte de leurs dépenses dans un second temps ;
– transparence, car le Parlement contrôle la totalité du budget, alors qu’auparavant il ne pouvait se prononcer que sur les mesures nouvelles, qui ne représentaient qu’une part réduite du budget total en volume.
Mais comment, tout d’abord, soumettre un service de renseignement au volet « performance » de la LOLF ? Cette notion, toute relative quand il s’agit de cette fonction particulière de l’action de l’Etat, paraît difficilement mesurable selon des indicateurs rigoureux, qui plus est s’ils doivent être étalés sur la place publique.
Le volet « transparence », quant à lui, pose des limites évidentes : faire étalage urbi et orbi de la gestion interne des services, c’est donner autant d’informations à tous ceux qui ne sont pas fondés à en connaître, à commencer par les services étrangers qui épluchent, eux aussi, les sources ouvertes.
Pourtant, la recherche d’une certaine transparence est plus que légitime, pour se départir au moins partiellement de la désaffection et de la méfiance, parfois farouches, de la part des représentants du peuple, des élites comme des media et ainsi, malheureusement, du peuple. Et donc la logique de rationalisation portée par la LOLF s’est appliquée avec un bilan mitigé aux différents services de renseignement : elle pose en effet un certain nombre de questions sur la compatibilité entre les exigences d’information rationnelle des parlementaires et la nécessaire confidentialité sur ce qui touche à l’activité des services.
Et puis l’éclatement de la fonction stratégique entre plusieurs missions, plus encore de programmes, ne participe pas non plus d’une bonne visibilité, ce que le rédacteur de l’essai d’Orion traduit par une « balkanisation » budgétaire. Car la répartition des administrations de renseignement dans les crédits des lois de finances fait apparaître une dispersion qui n’est que le reflet de l’éclatement réel de ces administrations : certaines se trouvent dans des programmes du ministère de la Défense rattachés à la mission « Défense » ; certaines sont sous l’égide du ministère de l’Intérieur dans la mission « Sécurité » ; d’autres sous celles des ministères chargés de l’économie et des finances, ainsi que du ministère délégué au budget et à la réforme de l’Etat ; enfin, d’autres administrations ayant des fonctions de coordination (hors « communauté » au sens de l’arrêté de Matignon du 9 mai 2011, cité supra) sont sous l’égide du programme « Coordination du travail gouvernemental » de la mission « Direction de l’action du Gouvernement ».
L’exemple de la Direction du renseignement militaire (pris en appendice de cette tribune) va en ce sens. Mais l’exemple de la DGSE est tout aussi parlant.
Dans le programme n°144 (« Environnement et prospective de la politique de défense »), se « cache » la DGSE dans les six actions qui caractérisent ce programme. Si ce service semble ainsi tout à fait pris en compte et intégré dans la répartition des crédits, ce positionnement dans l’architecture budgétaire n’est que superficiel, car quelque peu étranger à la logique d’objectifs et d’indicateurs clairement identifiés, pourtant pierre angulaire du système voulu par le législateur.
Rappelons aussi que la LOLF dispose que chaque programme des lois de finances doit avoir un responsable. Pour le programme 144, le choix fut fait de le confier au Directeur des affaires stratégiques (DAS) du ministère de la Défense. Si cette option peut paraître évidente pour mener une prospective de la défense – le DAS ayant pour mandat principal de définir au sein de son ministère (dont dépend organiquement la DGSE) les orientations de la politique de défense[31] – ce choix apparaît moins pertinent pour ce qui est du pilotage budgétaire des crédits du service chargé du renseignement extérieur: comment peut-on envisager une supervision et un pilotage réellement efficaces des crédits alloués à cette maison si la responsabilité en est confiée à une personne extérieure à cette administration, à sa mission opérationnelle, sans parler de sa culture ?
On comprend aisément qu’aucun objectif ni indicateur explicite et publiable n’ait trait à la DGSE. Si les autres administrations du ministère de la Défense sont donc bien soumises aux évaluations, on pourrait donc penser en toute rigueur qu’il n’en va pas de même pour la DGSE – tout au moins pas de la même manière que d’autres organismes du ministère – artificiellement insérée dans le programme 144.
Cet exemple suggère donc que la dynamique de la LOLF n’est pas la plus adaptée à un contrôle démocratique et transparent pour les parlementaires des services de renseignement. Car cette intégration relative de la DGSE dans l’architecture budgétaire est relativement partagée par les autres services.
Mais précisons que l’impossibilité pour les services de renseignement de se soumettre formellement aux contraintes nouvelles instaurées par la LOLF, évoquée ici, n’empêche toutefois pas ces administrations de l’Etat de satisfaire, autrement, à l’esprit de performance et de transparence porté par cette loi.
Par exemple, les progrès de mutualisation de certaines capacités entre services participent également de l’effort de réduction des dépenses : la mutualisation de dispositifs de haute technologie, particulièrement coûteux mais indispensables à plusieurs services à la fois, par exemple entre la DRM et la DGSE, ou entre cette dernière et la DCRI. Ces questions sont toutefois couvertes par le secret de la défense nationale car elles touchent aux capacités mêmes des services : la logique de transparence ne doit pas porter atteinte à leur efficacité et à la confidentialité de leurs missions.
La question d’un contrôle budgétaire de l’opportunité des dépenses importantes se pose donc : il s’agit de savoir si, à l’heure actuelle, les services de renseignement sont capables de remplir toutes les missions que l’on attend d’eux ?
… et le respect de l’Etat de droit, la crédibilité démocratique des « guerriers » du renseignement.
Dans ses nombreuses réflexions sur le cadre juridique du Renseignement, le professeur Bertrand Warusfel[32] pose que les fondements indispensables de l’Etat de droit doivent respecter les trois principes: séparation des pouvoirs, prééminence du droit, respect des libertés fondamentales. En tant que politique publique, le renseignement pour garder sa noblesse et sa crédibilité, doit s’inscrire dans le cadre ainsi posé.
On ne refera pas ici l’histoire de nos services après-guerre, et nous ne digresserons pas ici sur les raisons ayant souvent fait passer la raison d’Etat avant le droit.
– La communauté du renseignement que nous avons évoquée et appelée de nos voeux supra ne sera fiable et viable que si, dans son existence même comme dans ses activités, elle n’offre pas le flanc à des amalgames anecdotiques rapides et réducteurs tels que celui que nous rapportions en liminaire à notre propos.
Une amélioration en 2009 des prérogatives de la Commission consultative du secret de la Défense nationale (CCSDN)[33] a renforcé le rôle de cette commission. Ce fut là une avancée substantielle s’agissant d’intermédiation et d’amélioration des rapports entre l’autorité publique qui commande aux services avec la justice, au nom de la « séparation des pouvoirs ». Mais d’autres initiatives relevant de la même préoccupation doivent être envisagées, s’agissant du renseignement en propre, en particulier dans une extension des prérogatives de la Délégation parlementaire pour le renseignement (DPR), instituée par la loi du 9 octobre 2007[34].
Comme le souligne justement l’essai d’Orion, « Une loi permettrait de sortir ces activités de l’ambiguïté dans laquelle elles se trouvent »[35]. En particulier, pour donner une définition aux missions de renseignement leur conférant la légitimité nécessaire, «… il convient que toutes les prérogatives reconnues à ces services et susceptibles de constituer des restrictions à l’exercice des libertés publiques soient établies de manière précise par la loi[36] ». Ainsi serait respectée la « prééminence du droit » évoquée plus haut.
– Le contrôle parlementaire en matière de renseignement a longtemps été marginal. Les premières lois de transparence de 1978 initièrent un premier mouvement d’ouverture à la Nation de domaines associés à la confidentialité : la création de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL)[37] et de la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA)[38] constituèrent des signes d’ouverture, mais ne concernaient pas précisément les services de renseignement et ne consacraient pas spécifiquement le rôle du Parlement.
Il fallut attendre 1991 pour que, suite à l’affaire dite des « écoutes de l’Elysée », soit instaurée une Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS)[39]. La question de l’accès aux documents classifiés quant à elle entraîna la création de la CCSDN que nous évoquons supra. Enfin, en 2001 fut créée la Commission de vérification des fonds spéciaux (CVFS)[40].
Un dispositif donc là encore très « balkanisé ».
– S’agissant de la CVFS – dont les prérogatives touchent directement à l’activité des services – dans une note qu’il remit au Président de la République et au Premier ministre et reproduite dans un ouvrage dédié[41], son président, Mr René Galy-Dejean, exposait les enseignements tirés des premiers travaux de la commission. Selon lui, bien qu’ayant pu par le biais de son contrôle appréhender de nombreux aspects du fonctionnement des services (plus particulièrement la DGSE), une telle commission restait limitée dans son domaine d’intervention, l’objet de sa mission restant principalement d’ordre comptable et financier[42].
Depuis, la loi a institué la DPR. Un pas en avant fut ainsi fait pour sortir la France d’une singularité guère enviable (que nous partagions auparavant dans l’Union Européenne avec la Finlande et Chypre). Psychologiquement, cette loi se devait d’initier une véritable réconciliation des représentants du peuple avec le renseignement dans notre pays et, en cela, représenter une véritable rupture avec l’histoire et mettre fin à une particularité bien française tant décriée.
Rappelons en effet que les prérogatives des commissions visées supra – comme la CVFS ou la CNCIS – ne leur permettent pas d’exercer leur mandat sur des questions opérationnelles, ni sur les dépenses pouvant se rattacher à des opérations en cours, en application d’une décision du Conseil constitutionnel du 27 décembre 2001.
Pour sa part, la CVFS établit un rapport annuel sur les conditions d’emploi des crédits provenant des fonds spéciaux. Il est remis par le président de la commission au Président de la République, au Premier ministre et aux présidents et rapporteurs généraux des commissions des finances des deux assemblées. Il y a là une incohérence : les membres de la DPR ne sont pas destinataires du rapport de la CVFS, alors que leur compétence en matière de renseignement est au moins égale à celle des présidents et rapporteurs généraux des commissions des finances des deux assemblées.
On voit qu’en termes de transparence et de contrôle des activités de renseignement, comme de cohérence du dispositif parlementaire, du chemin reste à faire. En particulier, un réaménagement du domaine d’intervention et de la composition de la DPR est donc nécessaire pour lui permettre d’instaurer un « contrôle interne » adapté aux exigences des activités des services, comme de répondre de façon satisfaisante au besoin d’information du Parlement. Mais celui de la CVFS ne doit pas rester en reste, et une reconfiguration du dispositif « balkanisé » formé par les autres commissions évoquées ici (CCSDN, CNCIS et CNIL) serait du meilleur effet pour, cette fois, dynamiser le « contrôle externe » des mêmes activités.
Le constat fut fait par le Livre Blanc de 2008[43] d’une indispensable amélioration du cadre juridique dans lequel doit évoluer le renseignement dans notre pays. Si depuis, on l’a vu, des avancées ont été faites en ce domaine, une partie du chemin reste cependant à parcourir pour adapter définitivement le dispositif législatif en vigueur aux métiers et aux exigences du renseignement dans le droit positif national[44].
Il reviendra donc au nouveau pouvoir exécutif de s’investir en ce sens, mais également à la prochaine législature de s’intéresser à cette matière[45], plus qu’elle n’a pu le faire par le passé…
Une conclusion
Le Livre Blanc de 2008 eut pour singularité majeure et mérite de mettre en valeur, souligner l’importance d’une fonction jusque là mésestimée en France, même si l’exercice précédent de 1994 avait déjà largement défriché le sujet.
Pour sa part, il s’agit d’une louable initiative pour le groupe Orion de s’être penché sur le renseignement. C’est véritablement une première dans ce pays, quand bien même cela n’a pas fait frémir la grande presse : la viande hallal et la réforme du permis de conduire furent bien plus pétulants dans la furia médiatique pré-élections.
Cet essai livre indéniablement des réflexions intéressantes sur des problématiques incontournables. Mais tout cela se cantonne toutefois au réaménagement du dispositif actuel : il faut bien marquer un changement.
Dans une telle optique, du point de vue des services, les efforts à entreprendre pour améliorer le dispositif se résument en fait à peu de mots :
– orientons convenablement les services, au plus haut niveau de l’Etat ;
– favorisons les coopérations opérationnelles en matière de recherche et n’enfermons pas le renseignement dans un carcan institutionnel et administratif sclérosant ;
– ne ménageons aucun effort en matière de recrutement, d’éducation et de formation de la ressource humaine du renseignement ;
– réaménageons l’ensemble du budget dédié à la fonction et donnons nous un dispositif juridique adapté et protecteur pour les services, les agents et les sources;
– ouvrons les portes de l’Académie du renseignement (créée elle aussi sur les fondements du Livre Blanc) à nos élites pour les acculturer. Mais ouvrons les aussi au profit des journalistes : si on n’évitera jamais les amalgames et les articles orientés, au moins seront-ils faits en toute connaissance de cause et non plus, comme c’est malheureusement le cas aujourd’hui, par immaturité dans cette matière.
L’étude d’Orion livre indéniablement des pistes intéressantes pour crédibiliser et renforcer notre outil de renseignement. On n’évitera pas toutefois, au-delà, une réflexion plus profonde :
– que faire pour améliorer le lien entre le pays et son renseignement ?
– quelles grandes orientations stratégiques pour l’outil national de renseignement[46] destiné à permettre à la France de conserver sa place dans le monde, assurer son statut et respecter ses engagements internationaux, à la fois dans une logique de puissance comme d’influence ?
– quelle place demain pour la cybernétique (offensive et défensive) et quel(s) lien(s) avec les services dans notre posture de défense ?
Voilà un questionnement qui ne devra pas, bien entendu se limiter à la fonction « anticipation et connaissance », mais qui rejoindra et s’intégrera dans celui plus global relatif à la posture stratégique de défense et de sécurité à venir de la France. Tout cela devra être débattu au plus tôt sur l’initiative du pouvoir en place. « Deux graves enjeux stratégiques sont à considérer, celui de notre capacité à nous défendre par nous-mêmes, et celui – directement lié – du maintien de notre souveraineté de défense[47] ».
On évoquera le regretté Raymond Aubrac qui vient de s’éteindre et qui regrettait sur la chaîne radiophonique France Culture en janvier 2012, à l’aube de la campagne électorale qui vient de s’achever, l’ « absence de politique et de projets à long terme. On aurait besoin de quelques perspectives d’avenir, on en a absolument besoin ».
Général Michel Masson
Mai 2012
APPENDICE
OBSERVATOIRE DE LA DEFENSE/ORION
Introduction
. « L’organisation actuelle participe d’une conception très centralisatrice du rôle du président de la République, minimisant d’autant le rôle du Premier ministre » [p.11] : argumentaire rebattu à satiété. Si la situation pré-Livre Blanc n’était pas satisfaisante, c’est bien en grande partie parce qu’en France, sous la Ve République, le niveau du Premier ministre (PREMIN) ne s’est pas montré efficient pour une orientation et une coordination satisfaisantes du renseignement: ni au niveau politique, ni au niveau opérationnel. Aucune administration au pouvoir n’a échappé à cette faillite, malgré le « dépoussiérage » Rocard en 1989.
. Dire qu’ « En dépit des avancées enregistrées, et de l’intérêt suscité les premiers mois, l’appareil de renseignement tend naturellement à retrouver son état initial : une juxtaposition de services dotés d’une culture propre (par leur histoire, leur recrutement, leurs missions, leurs modes opératoires, etc.) sans autres liens entre eux que ceux tissés par quelques responsables. L’idée que les services de renseignement puissent former une communauté est restée sous-jacente et n’a jamais été exploitée » [p.11] est une affirmation gratuite et politiquement partisane (tout autant qu’affirmer que tout est parfait maintenant). La pratique enregistrée depuis la réorganisation de 2008 a vu une amélioration sensible des coopérations opérationnelles, ciment du façonnage d’une véritable « communauté », au sens intellectuel du terme comme fonctionnel.
Définir la gouvernance de l’appareil de renseignement
Deux « solutions structurantes » [p.13] sont proposées pour le positionnement d’un coordonateur national, dont la création est ici, contre toute attente, jugée « utile » [p.14].
. L’option présidentielle.
– Le coordonnateur : le soutien de ce « chef d’orchestre » par une équipe réduite était bien dans les intentions initiales de la réforme. Malheureusement, les moyens
effectivement mis en place lors de la création de cette fonction n’ont pas été réellement à la hauteur des intentions initiales.
– On peut s’interroger sur l’utilité, telle que proposée ici, de la création d’une « inspection générale » [p.17] qui va alourdir le dispositif existant, compliquer les rapports entre les individus et les services, et très vraisemblablement susciter la méfiance dans ce monde du renseignement qui peut facilement virer à la paranoïa.
– S’agissant du rôle des ministres, le positionnement des services au sein des différents ministères n’est pas le même :
a) on observera qu’avant d’être « soumise à une forte tutelle opérationnelle et administrative du ministre de l’Intérieur » [p.18], la DCRI l’est à celle du DGPN;
b) la DPSD n’est pas sous la tutelle du chef d’état-major des Armées (CEMA), mais du ministre de la Défense (MINDEF) ;
c) la DRM, pour sa part, est l’outil renseignement du CEMA, pas du ministre (même si le DRM est le « conseiller renseignement » du MINDEF aux termes du décret de juin 92[49]) : le décret qui fonde les responsabilités du CEMA (n° 2009-869 du 15 juillet 2009) dispose d’ailleurs que c’est lui (le CEMA) qui est le responsable du renseignement d’intérêt militaire (« Il [ndr : le CEMA] assure la direction générale de la recherche et de l’exploitation du renseignement militaire »). La mission première de la DRM est l’appui renseignement aux opérations militaires ;
d) s’agissant de la DGSE, le rédacteur vient un peu compliquer le débat en soulignant la tutelle du … DAS[50], mais oublie de préciser qu’il s’agit là des dispositions de la LOLF (cf. supra en première partie).
Un peu de confusion dans cette énumération des services. Mais on peut être d’accord toutefois avec l’assertion qu’« il convient une fois pour toutes de clarifier leur situation [ndr : des ministres de tutelle] en leur demandant d’assurer un simple rattachement administratif » [p.20].
. L’option « Premier ministre ».
– Le SGDSN : « C’est pourquoi le SGDSN a désormais perdu la capacité de piloter la communauté du renseignement, s’il l’a jamais eue. Les services bénéficient, de ce fait, d’une large autonomie par rapport à lui » [p.21] : le SGDSN n’a ni le positionnement institutionnel (les ministères ne lui reconnaissent en général – de facto – pas la compétence du rôle de coordination interministérielle qui lui est imparti, hormis certaines niches bien spécifiques), ni les moyens (humains en particulier) pour exercer une fonction de coordination des services (revaloriser le rôle des ministres au sein de la fonction renseignement aggraverait donc encore cette situation). Louis Gautier fut conseiller pour les affaires de défense d’un Premier ministre[51] : le Secrétaire Général de la Défense Nationale titulaire à l’époque était tributaire de l’entremise dudit conseiller pour accéder au Premier ministre (cette sournoise mais omnipotente influence des cabinets ministériels en France). En conséquence, on peut extrapoler en craignant, par exemple, que ce soit ce conseiller qui pourrait de facto accaparer les pouvoirs effectifs de coordination dans cette l’option « Premier ministre ». D’ailleurs, reconnaissons au rédacteur le mérite d’être pleinement réaliste, honnête et conscient de cette situation, puisqu’il écrit : « Cependant, l’expérience montre qu’un haut fonctionnaire placé sous la tutelle du Premier ministre n’aura jamais la stature institutionnelle pour s’imposer auprès des responsables des services, du fait de la concurrence des ministres ou des collaborateurs du président de la République. Quels que soient les mérites des personnes nommées à cette fonction, les tensions sont inévitables. Cette solution n’est pas pertinente » [p.22].
– Créer un secrétariat d’Etat placé sous l’autorité du Premier ministre : « Cette personnalité politique pourrait disposer en propre … D’un cabinet,… D’un secrétaire général,… D’une inspection générale,… D’un centre opérationnel, … » [p.23]. Il s’agit là ni plus ni moins de créer un ministère du renseignement, ce qui ne répond pas véritablement à une fluidification du dispositif actuel ou ante. Bien entendu, « En conclusion, cette option qui valorise le rôle du Premier ministre, favorise la constitution d’une véritable communauté du renseignement » [p.25]: conclusion qui n’est en rien démontrée au plan opérationnel. La crainte de créer une « usine à gaz » supplémentaire, en quelque sorte, est par contre réelle. Outre que « La création du secrétariat d’Etat au renseignement (ou à la sécurité nationale) entraînerait de facto la disparition du coordonnateur » [p.25], elle aurait aussi donc la caractéristique de tout remettre à zéro pour un dispositif qui ne demande que la sérénité – sa caractéristique étant de travailler dans la durée – et non des bouleversements au rythme des changements politiques à la tête de l’Etat.
. Questions communes aux deux options
– Le CNR. La création d’une formation « restreinte » du CNR : « instance proche du président de la République chargée d’évaluer régulièrement les menaces et de préparer ses décisions. Cette formation restreinte, toujours présidée par le président de la République, pourrait jouer le rôle du Joint Intelligence Committee que le Premier ministre britannique réunit une fois par semaine. Il s’agirait ainsi de renforcer le dispositif du renseignement par le haut et de porter l’analyse des menaces au niveau des décideurs politiques. Ce collège pourrait réunir selon un calendrier resserré les ministres intéressés par l’ordre du jour, fixé par le coordonnateur ou le secrétaire d’Etat. Les responsables des services en seraient naturellement membres » [p.27]. On ne voit pas très bien ce qu’il y a de novateur dans cette formation (restreinte) par rapport à la situation actuelle. Le CNR peut aujourd’hui se réunir dans toutes sortes de formats souhaitables, tel que le décide le Président de la République[52]. Il n’y a pas plus de « solennité » dans le dispositif actuel que dans ce qui existe de longue date par exemple en matière de défense (« conseil de défense », en format plénier ou restreint). L’expérience du fonctionnement de l’Etat en France – sous toutes les administrations de la Ve République – a prouvé par le passé que lorsqu’il s’agit de réunir les ministres pour les besoins du renseignement, rien n’est plus aléatoire.
Ce qui a fait que durant de longues années, le CIR sous format ministériel ne se réunissait pratiquement jamais. Il n’y a pas de raison que ça change en revenant à la situation ante, si le Premier ministre doit hériter des rênes d’un nouveau dispositif. Tout ceux qui connaissent le fonctionnement interministériel dans notre pays savent bien que ce qui ne vient pas de l’Elysée a tendance à s’étioler, se liquéfier, voire s’évaporer dans le fonctionnement de l’appareil d’Etat dès qu’on touche aux responsabilités régaliennes.
La comparaison avec le JIC[53] britannique n’est pas pertinente, même si elle est toujours tentante. Toutes les options furent étudiées en amont du Livre Blanc. Ce sont en fait les « Principals » que le PREMIN britannique réunit régulièrement[54], c’est-à-dire certaines hautes autorités gouvernementales avec les directeurs des principaux services (SIS, SS, GCHQ, DIS[55], à l’exclusion des autres organismes concourant au renseignement de sécurité). Ce qui ressort de la pratique d’une autre culture du renseignement, bâtie durant la Seconde Guerre mondiale, au cours de laquelle l’ « Intelligence », associée à l’action clandestine et l’intoxication de l’adversaire eurent la part belle dans la conduite de la guerre par Winston Churchill. Elle a été consolidée depuis, sans toutefois être exempte de reproches, comme le démontra l’affaire des préalables à l’engagement britannique dans la seconde guerre d’Irak[56].
. Le contrôle parlementaire de la communauté du renseignement. Il n’y a pas véritablement ici de proposition plus élaborée que ce que recouvre actuellement le texte de loi. Pourtant, la délégation gagnerait à devenir une véritable « commission » parlementaire (donc avec des pouvoirs étendus, en particulier en matière d’audition des services), ainsi que nous l’avons développé supra.
Cette commission gagnerait effectivement aussi à se rapprocher, voire absorber « les trois commissions relatives aux fonds secrets, au secret de la défense et aux écoutes et interceptions » [p.28] (et pas uniquement « si elle déléguait ses membres dans les trois commissions » [p.28]), fut-ce au prix d’un cloisonnement de ces spécificités au sein de cette commission nouvelle par souci de confidentialité et de spécialisation de ses membres.
. Pour conclure sur le dispositif gouvernemental.
On ne reviendra pas sur la création d’une « inspection des services » vue supra. « Pour conclure, quelle que soit l’option retenue, cette structuration du renseignement national, destinée à mieux insérer les services au sein de l’appareil d’Etat et à favoriser les synergies, passe par l’existence d’un niveau de coordination clairement identifié qui assure un lien de proximité entre services et pouvoirs politiques. Elle ne doit en aucun cas constituer un cadre trop rigide. Les services doivent conserver une indispensable capacité d’initiative et de propositions. S’il convient de limiter les risques propres à ces métiers, il serait contreproductif de vouloir les éliminer » [p. 30].
On ne voit pas ce qui, dans le dispositif actuel, n’est pas « clairement identifié » ou revêt un caractère « trop rigide » comme il est écrit. Dans les faits, l’efficience de la mécanique repose avant tout sur le volontarisme du politique et sur son appétence pour la matière. On sait ce qu’il en a été pour chacun des chefs de l’Etat de la Ve république. On connait aussi la méfiance atavique des hommes politiques envers la chose, quand ils ne l’utilisent pas à mauvais escient. Elle repose certes également sur la personnalité et le positionnement de l’autorité chargée de la coordination des services, le « chef d’orchestre ». La subordination actuelle au Secrétaire général de l’Elysée n’est sans doute pas la meilleure solution, et en tous cas pas ce qui était attendu par les services, lors des travaux sur le Livre Blanc.
Vers une communauté mieux définie
. On ne voit pas très bien ce que le SGDSN vient faire dans cette « communauté ». Ce n’est qu’un client des services, même s’il réalise à son niveau des synthèses générales au profit du gouvernement, ou dans des domaines bien ciblés qui ressortissent de ses responsabilités régaliennes (transfert et technologies sensibles par exemple, ou coordination interministérielle de la sécurité de l’Etat) basées sur les productions des services.
C’est par contre plus discutable en ce qui concerne l’ANSSI. Mais il y a là sous-jacent un autre débat qui est celui de l’engagement de la France dans une véritable stratégie de la « cyber-guerre », défensive comme offensive[57]. Ce qui pose à son tour la question du statut de cette « agence », de sa tutelle, et de ses relations avec les autres acteurs de l’Etat – civils et militaires – concernés. Son positionnement actuel est cohérent avec le rôle du SGDSN en matière de protection et sécurité de l’Etat, des outils et infrastructures vitaux à son fonctionnement. Mais quid d’un outil ou d’une mécanique qui donne toute crédibilité à la France vis-à-vis de ce nouveau défi stratégique[58] ?
La Gendarmerie n’est pas un service de renseignement, malgré ses efforts ces dernières années pour développer en propre des capacités déjà possédées par d’autres, et qui gagneraient à être mutualisées : préoccupation existentielle.
S’agissant du GIC, les particularité et sensibilité politique, administrative et juridique de sa mission militent pour qu’il ne change pas de tutelle. Sa mission et son apport au dispositif ne justifient pas de modification.
Il ne faut pas tout mélanger. L’objectif est de faire se rencontrer, se concerter, échanger, s’organiser et s’informer mutuellement – sans préjudice de leurs orientations propres et de leurs obligations vis-à-vis de leurs clients – des services dont la finalité et le fonctionnement opérationnels relèvent d’une même logique. Pas de créer une Tour de Babel de tout ce qui concourt à la sécurité nationale. D’ailleurs, le rédacteur confirme cette réflexion un peu plus loin (« Une communauté pour quelles missions ? ») : « La notion même de sécurité nationale est – et doit être – plus large, au point d’englober des domaines critiques pour les intérêts supérieurs de la Nation mais dans lesquels les services de renseignement ne jouent qu’un rôle accessoire » [p.42].
. Les entités périphériques
L’Académie du renseignement. A ce stade, les services n’ont pas (tous) joué le jeu de la même façon dans leur acceptation de cette entité et dans leur participation à sa mission. Il revient donc à l’autorité politique d’y veiller et d’y inciter les directeurs car c’est leur responsabilité.
A la question « sous-jacente (est de savoir) quelle place peut prendre l’Académie dans la gestion des ressources humaines des services de renseignement (concours communs, mobilité professionnelle au sein ou à l’extérieur de la communauté, formations spécialisées, linguistique, informatique, administrative, etc.) » [p.39], la réponse est donnée par le rédacteur : « Le potentiel de cette Académie est de devenir un lieu de convergence (profession – université – société civile) et un outil de formation de haut niveau au profit non seulement des services concernés mais aussi des responsables de la sécurité des entreprises » [p.39]. Il ne revient pas à l’académie de devenir un outil de gestion (donc aussi de recrutement) des RH du renseignement en général, sauf à faire table rase des spécificités des missions des services, et surtout au risque de créer une nouvelle administration en période de diminution des effectifs.
Enfin, l’analyse et la prospective stratégique relèvent d’un autre besoin et d’une autre logique : les services de renseignement sont des prestataires de service, pas des organismes de réflexion. Il s’agit là d’un autre sujet, même s’il est connexe.
. Une communauté pour quelles missions ?
Le renseignement. La limite entre renseignement « ouvert » et « fermé » est de moins en moins marquée. Par contre, l’explosion du dernier mérite une réflexion de la part des services eux-mêmes. Faut-il ou pas déléguer la recherche et l’exploitation (au moins partielle) du renseignement ouvert à un organisme particulier à créer[59] ? Comme le souligne le rédacteur, « Le traitement de ce type d’information repose sur des méthodes complexes exigeant une solide formation » [p.44].
La création d’une agence (ou tout autre statut) dédiée au renseignement ouvert est une proposition intéressante. Cela existe ailleurs : « Il serait utile de réfléchir à la création d’une agence d’information gouvernementale, disposant de moyens et de techniques adaptées (exploitation automatisée, datamining, etc.), et faisant partie intégrante de la communauté du renseignement » [p.45]. L’expérience de l’ADIT montre tout l’intérêt d’une telle option.
La « sécurité économique ». Il y a là un sujet de fond qui n’est pas traité à bon niveau. Cette politique doit être définie, conduite et coordonnée au plus haut niveau de l’Etat (Premier ministre, oui cette fois, plutôt qu’au ministère chargé de l’économie. Les services ont bien entendu un rôle à jouer dans ce domaine, là encore en tant que prestataires, et non dans « la participation (des services) à la définition et à la conduite des stratégies industrielles et commerciales de la France » [p.48].
L’action clandestine. Il est indéniable qu’il faut travailler – tel que le prévoyait le Livre Blanc – à un dispositif légal (tel qu’il existe aux Etats-Unis) destiné non seulement à encadrer, mais aussi à protéger les services, leurs agents et leurs sources. Comme de responsabiliser l’Etat. La France demeure un des rares pays où la loi n’a pas encadré le statut et l’activité de ces agences. Ce point est développé supra dans la partie principale de cette tribune.
La définition des missions : « force est de constater que les forces spéciales, unités militaires qui doivent agir en tenue militaire au nom du gouvernement français, sont de plus en plus employées dans des missions dont certaines relèvent de l’action clandestine » [p.56] : c’est une assertion gratuite. Certes, les missions de certaines unités militaires spécialisées (recherche dans la profondeur, contrôle avancé et guidage sur objectifs, etc.) se déroulent dans un contexte de discrétion et de confidentialité inhérent à la spécificité de ces modes d’action, mais le rédacteur mélange ici des engagements dont il parait ne pas maîtriser le contenu et les modalités opératoires.
Le budget
Ce chapitre débute de façon pertinente : « Cette balkanisation budgétaire, frontalement contradictoire avec l’esprit de la LOLF, constitue un frein important à la mise en oeuvre d’une gestion cohérente et optimale » [p.57].
La « balkanisation » évoquée ici résulte des choix faits lors de l’élaboration de la LOLF. A cette époque, la fonction stratégique « anticipation et connaissance, incluant le renseignement » n’existait pas. La ventilation des budgets des services retenue correspond donc à une logique organique de ministères et non fonctionnelle.
Par exemple, les activités de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) sont comptabilisées dans une sous-action (« renseignement extérieur ») et celles de la direction de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD), dans une autre sous-action (« renseignement de sécurité de défense ») de l’action « recherche et exploitation du renseignement intéressant la sécurité de la France » au sein du Programme 144 (« Environnement et prospective de la politique de défense ») de la mission « défense » du budget de l’Etat (l’une des trois missions qui relèvent du ministère de la défense). Par contre, les crédits de la direction du renseignement militaire (DRM) relèvent du programme 178 « préparation et emploi des forces » (de cette même mission « défense »), et du programme 146 « équipement des forces » du fait de la vocation opérationnelle du renseignement d’intérêt militaire.
Quant aux crédits de la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), qui relève de la direction générale de la police nationale du ministère de l’intérieur (donc du ministère de l’intérieur), ils sont inscrits dans le programme « police nationale » de la mission « Sécurité ».
Sans parler des budgets des services relevant du ministère de l’Economie (TRACFIN, DNRED) qui font eux aussi partie de la « communauté du renseignement » telle qu’elle est actuellement définie.
. Il apparait donc évident qu’avoir une vision « cohérente et optimale » [p.57] de l’effort budgétaire consenti par la communauté nationale pour la fonction renseignement dans son ensemble relève dans de telles conditions de la gageure…. Rappelons que l’esprit de la LOLF fut de définir un outil pour une meilleure gestion des deniers publics !
Bien sûr, il sera difficile d’isoler par exemple la DRM des crédits qui relèvent du CEMA. D’autant que la DRM n’est que la « tête de chaîne » (comprendre le pilote et coordonnateur) du renseignement (d’intérêt) militaire qui regroupe bien d’autres acteurs au sein des armées (unités et organismes spécialisés ou non, relevant chacun organiquement de leurs propres armées[60]). De ce fait, le Directeur du Renseignement militaire n’a aucun pouvoir d’arbitrage de sa mass salariale en fonction de ses propres priorités qui lui sont fixées par le CEMA (et non bien entendu par les armées, lesquelles disposent de ce pouvoir en propre pour leurs personnels), ni aucun moyen pour gérer sa ressource humaine (pour les mêmes raisons). Il est donc totalement tributaire du bon vouloir de chacune des armées (et de la Gendarmerie ou de la Direction Générale de l’Armement, « pourvoyeurs » interarmées de ressource humaine, elles aussi).
Bien plus ardu encore, le regroupement budgétaire dans une même mission de la LOLF associée à cette fonction stratégique, de « la coordination (que le vocabulaire budgétaire dénomme souvent « le pilotage »), les contributions d’entités extérieures à la fonction renseignement (la DAS, la Direction générale de l’armement (DGA), le ministère des Affaires étrangères, etc.) ou encore la part prise par les services à d’autres actions ou programmes que ceux qui les abritent (par exemple la part prise par la DGSE à l’action Analyse stratégique du programme 144). Il n’a pas été possible, au vu des documents budgétaires, de reconstituer la part prise par la Gendarmerie dans la fonction renseignement » [p.58] : annuaire à la Prévert qu’il faudrait passer au crible de l’apport opérationnel réel à l’activité quotidienne du renseignement.
Ainsi que le souligne le rédacteur, non seulement « La reconstitution budgétaire faite à partir des documents remis au Parlement est impossible à établir en toute rigueur » [p.59], mais encore faut-il être circonspect dans la définition de ce qui contribue directement à cette fonction. Et on ne peut donc – au plan budgétaire tout au moins – qu’approuver qu’« Aujourd’hui, les composantes, lorsqu’elles sont identifiées, sont réparties en quatre missions budgétaires et six programmes (sans tenir compte de l’éparpillement des actions budgétaires). Tout semble fait pour que l’idée même d’une communauté du renseignement soit impossible à concevoir », [p.64] et que « D’autre part, la question de fond est impossible à régler, et même à poser : les crédits sont-ils suffisants pour la mise en oeuvre de cette fonction et sont-ils bien répartis ? » [p.64].
Bien entendu, la réorganisation budgétaire ne doit pas être le prétexte ou une voie détournée pour réorganiser la fonction renseignement. Mais en l’espèce, on ne peut qu’approuver le rédacteur dans son souci de « mettre un terme à un désordre qui conforte les corporatismes et les baronnies ministérielles » [p.66].
. Trois solutions pour pallier l’éparpillement budgétaire
Si les considérations supra militent pour un regroupement dans une seule mission budgétaire, pour plus de cohérence avec le Livre Blanc, plus de lisibilité de l’action de l’Etat, il faut toutefois conserver au dispositif une souplesse opérationnelle et organisationnelle qu’il perdrait inéluctablement en mettant « tout dans le même sac ». Indubitablement, un réaménagement budgétaire dans l’esprit de la LOLF s’impose. Mais en tirer une rigidification de la mécanique d’ensemble serait bien entendu contre-productif. Le rédacteur s’est d’ailleurs ménagé en ce sens une porte de sortie en soulignant : « Les réflexions précédentes montrent que vouloir « rassembler » les services de renseignement ne saurait se faire sous une forme trop rigide » [p.73].
S’en suivent des considérations très générales sur ce que les militaires connaissent mieux sous les termes de « veille stratégique » (la recherche et l’exploitation résultant des orientations du PNR) et d’ «appui aux opérations » (les exigences contingentes résultant des opérations en cours ou en phase de planification). Cette approche distinctive du service attendu peut être étendue à l’ensemble de la communauté du renseignement au travers des priorités stratégiques nationales partagées, et des priorités sécuritaires à caractère temporel (même si le « temporel » peut s’inscrire dans le long terme ; ex. : le terrorisme). Ce qui, peu ou prou, peut se résumer dans la phrase « Il importe donc de rapprocher deux finalités complémentaires : définir une stratégie nationale indiquant aux services la voie des priorités à suivre, mais aussi leur laisser une marge d’initiative pour entretenir leur documentation générale et leurs compétences techniques » [p.77].
Une des conclusions de cette étude aurait pu être : « La primauté de l’orientation stratégique s’impose : en premier lieu, elle clarifie les attentes profondes du pouvoir politique vis-à-vis de la communauté du renseignement. En second lieu, en lui assignant des priorités de long terme, elle évite l’éparpillement des missions » [p.76].
Il s’agit bien de cela.
- [1] Laurent Zecchini. « L’exception française du renseignement », Le Monde, analyse, 12 juillet 2006.
- [2] « La DCRI prise au piège de ses secrets (p.11, rubrique « Société »).
- [3] Créée par le décret n°2008-609 du 27 juin 2008 (publié au journal officiel du 28 juin 2008) et mise en place le 1er juillet suivant. Elle assure le renseignement intérieur, mission qui était dévolue auparavant à deux services distincts dépendant de la Direction général de la police nationale (DGPN) : la Direction de la surveillance du territoire (DST) et la Direction centrale des renseignements généraux DCRG, plus communément appelée « RG »).
- [4] Sébastien Albertelli, Les services secrets du Général de Gaulle – Le BCRA 1940-1944, Perrin, 2009.
- [5] Maître de conférences habilité à l’université de Bordeaux. Enseigne également à Sciences Po Paris et dirige un programme de recherche de l’Agence nationale de recherche (ANR) sur le renseignement.
- [6] Cité par Jean-Marc Bélière, « Entre pages blanches et légende : un corps sans mémoire ? », Pouvoirs n°102, 2002 (p.11). Dans Sébastien Laurent : « Politiques de l’ombre. Etat, renseignement et surveillance en France » ; Fayard, 2009 (p.10)
- [7] On peut encore en rajouter en citant L. Zecchini dans l’article visé supra (note n°1) : « En France, la question des services secrets est presque aussi taboue que la dissuasion nucléaire, et un parfum de soufre s’y attache : les « services », cela a un relent de « barbouzerie », d’officines et de « cabinets noirs ».
- [8] Politiste, Centre Emile Durkheim (Sciences Po Bordeaux). Lui-même auteur le 8 décembre 2009 d’une note (1/6-2009) de la Fondation « Terra Nova », « Le Conseil National du Renseignement : une présidentialisation sans justification » ; www.tnova.fr
- [9] Jean-Jacques Urvoas et Floran Vadillo : « Réformer les services de renseignement français. Efficacité et impératifs démocratiques » ; Fondation Jean Jaurès/Essais 04/2011 ; www.jean-jaures.org
- [10] http://www.jean-jaures.org/Publications/Les-essais/Le-renseignement-en-France.-Quelles-perspectives
- [11] Conseiller maître à la Cour des comptes, spécialiste des questions de défense (il fut le conseiller « affaires budgétaires » de Pierre Joxe – ministre de la Défense de 1991 à 1993 – avant d’être son directeur adjoint de cabinet ; puis il fut le conseiller ès affaires de sécurité et de défense de Lionel Jospin – Premier ministre de 1997 à 2002), il est aussi le « maître à penser » sur ces affaires au Parti Socialiste, en tant que président du groupe Orion, pôle de réflexion et d’analyse sur les questions stratégiques et de défense de la Fondation Jean Jaurès (cf. son site en ligne : http://www.louisgautier.net/).
- [12] « Le programme commun de gouvernement de la gauche : propositions socialistes pour l’actualisation» ; Paris, Flammarion, 1978, pp. 93-94.
- [13] Le prédécesseur, le Livre Blanc de 1994 avait consacré quatre grandes Fonctions stratégiques : Dissuasion, Prévention, Protection, Projection
- [14] Al-Qaïda
- [15] Alain Chouet : « Violence islamiste et réseaux du terrorisme international »., Politique Etrangère, 3e trimestre 2003.
- [16] Comme elle ce fut également le cas en mars 2004 à Madrid et en juillet 2005 à Londres, pour ne parler que de deux de nos voisins proches
- [17] Le lecteur trouvera en appendice de la présente tribune une analyse critique plus détaillée au fil du texte de l’essai d’Orion
- [18] Arrêté du 9 mai 2011 pris en application du troisième alinéa du I de l’article L. 2371-1 du code de la défense, en son art. 1
- [19] Respectivement : Direction Générale de la Sécurité Extérieure ; Direction Centrale du Renseignement Intérieur ; Direction du Renseignement Militaire ; Direction de la Protection et de la sécurité de la Défense ; Direction Nationale de la Recherche et des Enquêtes Douanières ; et TRACFIN, la cellule de renseignement financier (CRF) française, au sens du Groupe d’Action Financière (GAFI) sur le blanchiment des capitaux de l’Union Européenne
- [20] Secrétariat Général de la Défense et de la Sécurité Nationale
- [21] Michel Rocard : « Si ça vous amuse. Chronique de mes faits et méfaits ». Flammarion, 2010
- [22] Comité Interministériel du Renseignement : instance d’orientation et de coordination des services pré-Livre Blanc de 2008, prévue par l’article 13 de l’ordonnance n° 59-147 du 7 janvier 1959 portant organisation générale de la défense.
- [23] Lire à ce sujet dans Michel Rocard : « Si ça vous amuse. ..». op. cité, pp. 9 et 182.
- [24] Comme le note Claude Faure dans son remarquable ouvrage « Aux services de la République : du BCRA à la DGSE » (Fayard, 2004), Mr Michel Rocard fut le premier chef de gouvernement à se rendre, le 20 décembre 1988, au siège de la DGSE
- [25] Secrétariat Général de la Défense Nationale ; aujourd’hui, après le Livre Blanc de 2008, Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN)
- [26] Merci à Mr Rémi Meunier pour nous avoir donné accès à son mémoire de fin d’études à l’Ecole des Hautes Etudes Commerciales – Promotion 2009 – présenté en juin 2009: « Renseignement et contrôle démocratique : au-delà de la LOLF », qui nous bien inspiré pour la rédaction de ce paragraphe
- [27] Conseiller à la Cour des Comptes, ancien directeur adjoint du renseignement à la DGSE ; animateur à Sciences Po Paris du groupe de recherche – dit « METIS » – sur le renseignement
- [28] La Loi d’Orientation sur les Lois de Finances
- [29] La LOLF fut mise en place le 1er janvier de la même année. Elle visait à modifier la manière de présenter le budget de l’Etat et de voter les lois de finances. Elle comporte deux axes principaux : la performance, et la transparence.
- [30] En 2012, le budget de l’Etat est organisé autour de 34 missions. L’approche par missions rompt avec la rigidité de l’ancienne approche ministérielle qui était régie par l’ordonnance de 1959, puisqu’elle permet d’embrasser des politiques qui ont la même finalité mais dont les acteurs peuvent provenir de plusieurs administrations : certaines des missions du budget de l’Etat sont interministérielles. Chaque mission est ensuite divisée en programmes, qui sont eux ministériels et correspondent à une politique publique précise. Au total, on compte 133 programmes dans le budget, eux-mêmes divisés en quelque 580 actions.
- [31] La Délégation aux Affaires Stratégiques (DAS) est en charge au sein du ministère de la Défense – entre autres missions – du pilotage de la prospective géostratégique ; il lui appartient d’assurer la cohérence globale de la démarche prospective de son ministère de tutelle
- [32] Professeur à la faculté des sciences juridiques et politiques de Lille 2. Egalement avocat au barreau de Paris. Auteur de nombreuses publications se rapportant entre autres à la protection du secret, au cadre juridique du renseignement et de l’intelligence économique. S’agissant de ce sujet en particulier, on se reportera utilement à son article paru dans Les Cahiers de la sécurité, n°13, « Renseignement et Etat de droit » (p.114)
- [33] Créée par la loi du 8 juillet 1998. Il est fait ici allusion aux dispositions des art. 11 à 13 de la loi de programmation militaire du 29 juillet 2009, lesquels modifient le Code pénal, le Code de procédure pénale, et le Code de la défense, en étendant les pouvoirs de la CCSDN en matière de perquisition dans les lieux classifiés
- [34] Loi n° 2007-1443 du 9 octobre 2007 parue au JO n° 235 du 10 octobre 2007.
- [35] § « Système français et normes démocratiques », p. 54.
- [36] Pr Bertrand Warusfel , op. cit.
- [37] Loi du 6 janvier 1978
- [38] Loi du 17 juillet 1978
- [39] Loi du 11 juillet 1991
- [40] Loi de finances pour 2002 (en son art.154, abrogeant le décret de 1947 afin d’y substituer une nouvelle Commission de Vérification des Fonds Spéciaux).
- [41] René Galy-Dejean : « Circonstances et convictions » ; Ed. Numéris, 2007
- [42] Et ainsi que le note le professeur Warusfel (cf. note 23, supra), ses prérogatives restent paradoxalement en-deçà de celles de la commission instituée en 1947, qu’elle a remplacée
- [43] Chap. 8 « Connaître et anticiper » ; § « Un cadre juridique adapté » : « Les activités de renseignement ne disposent pas aujourd’hui d’un cadre juridique clair et suffisant ».
- [44] Nous n’évoquerons pas ici la toute récente note (n°130) de Floran Vadillo publiée le 17 avril 2012par la Fondation Jean Jaurès : « Une loi relative aux services de renseignement : l’utopie d’une démocratie adulte ». Ce travail bien documenté, très fouillé techniquement, n’en reste pas moins très partial, voire caustique au plan politique, ce qui sort du cadre de notre préoccupation dans la présente tribune (http://www.jean-jaures.org/Publications/Les-notes/Une-loi-relative-aux-services-de-renseignement-l-utopie-d-une-democratie-adulte)
- [45] Dans leur essai de 2011, Jean-Jacques Urvoas et Floran Vadillo (« Réformer les services de renseignement français. Efficacité et impératifs démocratiques » ; cf. supra) notent : « Sans doute vaudrait-il mieux confier cette tâche à des parlementaires manifestant un intérêt pour le sujet et prêts à y consacrer le temps nécessaire » (p. 33)
- [46] Sébastien Laurent : « (Avec cette transformation en profondeur de l’Etat), le renseignement est devenu une réalité située au cœur de l’Etat, au plus près du pouvoir politique. On peut dès lors se poser la question de l’existence d’une politique du/de renseignement ». « Politiques du Renseignement » ; Presses universitaires de Bordeaux, 2009
- [47] Jean Dufourcq ; éditorial, revue Défense Nationale, avril 2012.
- [48] Des extraits du texte de l’étude du groupe Orion figurent ici en italique
- [49] Décret n°92-523 du 16 juin 1992 portant création de la Direction du renseignement militaire
- [50] Directeur de la Délégation aux affaires stratégiques du ministère de la Défense
- [51] Lionel Jospin, 1997-2002
- [52] Décret no 2009-1657 du 24 décembre 2009 relatif au conseil de défense et de sécurité nationale et au secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (J.O.R.F. du 29.12.2009) : « Art. R.* 1122-3. – Le conseil de défense et de sécurité nationale peut être réuni en conseil restreint, dans une composition fixée par son président en fonction des points figurant à son ordre du jour. Il peut également être réuni en formation spécialisée. » ; « Art. R.* 1122-6. – Le conseil national du renseignement constitue une formation spécialisée du conseil de défense et de sécurité nationale… » ; « Art. R.* 1122-7. – Siègent au conseil national du renseignement, sous la présidence du Président de la République, le Premier ministre, les ministres et les directeurs des services spécialisés de renseignement dont la présence est requise par l’ordre du jour ainsi que le coordonnateur national du renseignement ». Ce dispositif n’a donc rien de « figé » et prévoit de facto un périmètre variable des formats de travail.
- [53] Joint Intelligence Committee :
- [54] Au minimum de façon hebdomadaire
- [55] Respectivement : Secret Intelligence Service (ancien MI6) ; Secret Service (plus connu sous le sigle de MI5) ; Government Communications Headquarters ; Defence Intelligence Staff
- [56] Car les spécialistes du renseignement au Royaume Uni – ils y sont plus nombreux, et surtout plus pertinents que chez nous ; ce n’est guère difficile – lui reprochent, dans le mécanisme institutionnel, d’être à la fois juge et partie. Ce qui fut le cas en 2002 avec l’évaluation qui fut faite par les services britanniques de l’état d’avancement des programmes d’armes de destruction massive de Saddam Hussein.
- [57] « De même, dans le domaine de la sécurité des systèmes d’information, un rapprochement, au sein d’une même agence gouvernementale, des équipes d’attaque (cryptanalyse) et de défense (cryptographie), serait créateur de fortes synergies opérationnelles : analyse et conception sont des activités distinctes mais le retour d’expérience de l’une à l’autre est fondamental, comme l’estime le cryptologue Jacques Stern, médaille d’or du CNRS » Michel Rocard au Figaro, 06.03.2008 : «Pour une politique de renseignement » .
- [58] Voir à cet effet l’excellente étude de la Fondation pour la Recherche Stratégique « Recherche et Documents » n°03/2012, signée par Bruno Tertrais, Bruno Gruselle et Alain Esterle : « Cyber Dissuasion ». http://www.frstrategie.org/barreFRS/publications/rd/2012/RD_201203.pdf
- [59] « Par ailleurs, l’efficacité de nos services serait renforcée par la mise en place d’une unité centralisée de collecte et de traitement des sources ouvertes chargée de recueillir l’information et les signaux faibles afin d’en faire la synthèse à destination des décideurs gouvernementaux ». Michel Rocard au Figaro, 06.03.2008 : art. déjà cité.
- [60] Une réflexion similaire peut-être faite s’agissant de la DGSE, comme le souligne d’ailleurs le rédacteur dans sa note (6) du tableau relatif au « Budget consolidé de la fonction renseignement en euros Une estimation – 2011 », p.60 du document. Ce point est abordé dans le texte principal de cette tribune.