J’accuse ! L’attentat que les services craignaient
Bernard SNOECK
Ancien membre du Service Général du Renseignement et de la Sécurité (SGRS), spécialiste du contre-espionnage opérationnel (fin de la Guerre froide) et du contre-terrorisme (années 2000).
Avec colère, suite aux événements du 22 mars 2016, j’accuse la Belgique d’avoir été attentiste depuis des années et de n’avoir jamais donné les moyens aux services de renseignement de faire leur travail professionnellement, pour tenter de prévenir ce genre d’attaques.
J’accuse… les politiques !
J’accuse les responsables politiques de n’avoir jamais voulu comprendre la montée de l’islam radical et de l’avoir délibérément ignorée pour cause d’électoralisme et de « politiquement correct ». Je les accuse d’avoir laissé plusieurs communes belges développer un radicalisme djihadiste depuis des années, au point qu’un responsable socialiste m’avait un jour dit « nous connaissons le problème de Molenbeek mais, que voulez-vous, c’est un électorat qu’on ne peut négliger ».
J’accuse les responsables politiques, à tous les niveaux, de ne pas donner les moyens nécessaires et indispensables aux services de renseignement et de police, de continuer à les sous-financer chroniquement et de ne pas mettre en place les législations qui permettraient une action efficace. Le renseignement surtout manque de moyens. Je les accuse de ne pas former suffisamment le personnel des services et de préférer les nominations politiques à celles de dirigeants compétents.
J’accuse un ancien ministre de la Défense de n’avoir pas autorisé une enquête approfondie sur l’islam radical au sein des forces armées afin de « ne pas stigmatiser la population musulmane au sein de l’armée » (dixit), alors même que nous avions connaissance de personnes radicalisées au sein de la « grande muette ».
J’accuse… les services de renseignement
J’accuse le Service Général du Renseignement et de la Sécurité (SGRS, le service militaire) de ne pas développer un département analytique digne de ce nom : des informations sont collectées mais pas analysées. Le service se retrouve avec des données dont il ne sait que faire, faute de compétences internes pour les exploiter. Ses « analystes » sont surtout des gestionnaires des dossiers opérationnels. Le SGRS a par exemple eu en mains les milliers de pages du manuel du djihad d’Al-Qaïda, il n’a jamais été analysé, faute de compétences et de moyens.
J’accuse l’incompétence de certains responsables du contre-terrorisme militaire qui ne comprennent pas le travail de renseignement et le mettent en danger chaque jour par les décisions inconséquentes qu’ils prennent. Aujourd’hui, en Belgique, le responsable du contre-terrorisme militaire n’est jamais un homme issu du renseignement et il ne faut aucune compétence spécifique pour occuper ce poste ! Le dernier colonel en charge du contre-terrorisme nous disait son peu d’intérêt pour l’analyse (« nous n’en n’avons pas besoin, disait-il ») et a pris la décision de supprimer la bibliothèque consacrée à ce sujet. Comment peut-on analyser sans connaissances, sans background, sans compréhension profonde des enjeux ? Comment peut-on utiliser l’information opérationnelle récoltée sur le terrain si elle n’est pas connectée, investiguée, mise en liens et en perspective ?
Je me souviens d’un responsable de la sécurité belge qui me disait « que l’on peut régler une attaque chimique avec l’eau des camions de pompiers » (sic) … Propos tenus lors de la visite du président Bush à Bruxelles en 2005.
Je me souviens des propos d’un responsable de la Sûreté de l’Etat qui s’énervait lorsque je disais en 2001 que la Belgique était une base arrière du terrorisme depuis des décennies. Une situation connue depuis plus de 20 ans et pour laquelle rien ou presque n’a été fait faute de moyens et de volonté. Toujours ce politiquement correct qui gouverne notre pays !
J’accuse le contre-terrorisme militaire d’amateurisme : manque criant d’inspecteurs de terrain (combien en avons-nous sur le terrain, général ? Je sais, c’est secret mais c’est surtout dramatique) et manque critique de connaissances sur l’islam radical.
J’accuse… et après ?
Je ne peux terminer ce « j’accuse » sans une pensée pour mes anciens collègues du renseignement et de la police fédérale qui, toujours, ont fait montre d’une volonté de travailler le plus professionnellement possible sans que le monde politique ne leur témoigne le moindre soutien réel, hors des discours en conférence de presse.
Les responsables politiques n’écoutent pas les services de renseignement. Jamais. Quand sont-ils venus pour la dernière fois dans les bureaux des services militaires pour tenter de comprendre nos missions ? Quand ont-ils constaté de visu le manque de moyens de services sur lesquels ils comptent pour assurer la sécurité des citoyens ?
Malheureusement il est trop tard. Les morts sont là et l’on ne peut que pleurer sur l’impéritie de nos responsables. Toutes mes pensées se dirigent bien sûr vers les victimes et leurs familles. Mais ma colère se tourne aujourd’hui vers le monde politique. Si les coupables sont bien évidemment les djihadistes, il y a également des personnes responsables d’avoir laissé ces attaques se perpétrer ; et elles devront rendre des comptes aux citoyens belges. Ce sont des années de mauvaise gestion et de défaut de prévoyance qui sont à l’origine de cette situation ; le gouvernement actuel ne fait que tenter de colmater les brèches d’une situation héritée de ses prédécesseurs.
Mais maintenant, il nous faut réagir et proposer des solutions. Ce n’est plus un choix, c’est une obligation que nous devons aux victimes du terrorisme et afin de remédier à nos incompétences.