Du secret d’Etat au Royaume-Uni : à propos de Classified. Secrecy and the state in modern britain
Philippe-Joseph SALAZAR
Ancien élève de la rue d’Ulm et ancien directeur en « Rhétorique et démocratie » au Collège international de philosophie, il dirige la collection « Pouvoirs de Persuasion » aux éditions Klincksieck Il gère plusieurs équipes internationales en rhétorique, dont l’une sur les phénomènes de « surveillance » avec la philosophe Dominique de Courcelles et le rhétoricien américain Erik Doxtader. Dernier ouvrage paru : De l’art de séduire l’électeur indécis, Bourin Paris, 2012.
Avant d’entamer mon compte rendu de l’ouvrage de Christopher Moran, Classified. Secrecy and the State in Modern Britain, je voudrais fixer mon angle d’attaque à partir de trois aperçus philosophiques concernant le « secret ».
1. Trois approches philosophiques du secret
1.1 Un mécanisme philologique
D’abord, un rappel philologique concernant le terme de « secret » (sur le mode du Vocabulaire des Institutions Indo-Européennes d’Émile Benveniste). « Secret » a pour étymologie le verbe latin cernere, « séparer en agitant, cribler, trier », d’où, une fois le tri fait, « choisir » ce qui convient à ce qu’on veut en faire (le germe de blé plutôt que l’écorce), donc « décider ». Une décision (qui se dit en latin decretum, aussi sur cernere) est le résultat d’un tri entre des informations. Il est intéressant de noter que le terme anglais riddle (même racine indo-européenne que « secret » ou « crible ») signifie à la fois « passer au crible » et « énigme » : l’énigme est la question que l’on pose à celui qui n’a pas le secret de la réponse, mais que l’on a (une technique assez retorse d’interrogatoire, me dit-on). Et pour résoudre une énigme, il est conseillé de passer au crible, de trier les différentes options afin d’atteindre la bonne. Nous sommes ici au cœur de l’analyse des données. Mais la philologie nous offre encore plus : « secret », secretum, fait partie d’une triade, avec excretum et decretum.
Ces trois termes dénotent trois actions : par le tri on évacue ce qui n’a plus d’intérêt (« excrément ») ; on met de côté, par devers soi, ce qui a de la valeur (« secret ») ; et on décide de rendre public (« décret ») ce qu’on décide que le public doit savoir d’une action, quitte à réinjecter de l’excretum ou du secretum à bon escient (mécanisme des scandales d’Etat avec révélations tardives, venues de nulle part, apparemment). La triade révèle le fonctionnement du travail du secret d’Etat : collecter et trier, puis classer, archiver ou détruire, réserver et utiliser, publier. Ce dispositif est un fil conducteur de Classified.
1.2 Un mécanisme rhétorique
Deuxièmement, le secret est au fond de l’invention de la philosophie par les Grecs : avant eux le savoir était ésotérique, conservé par les prêtres au fond des sanctuaires, censés donner aux initiés seuls les trois contrôles fondamentaux – sur la Nature (ainsi les arts mécaniques, le calendrier des saisons ou des marées, bref les poids et mesures), sur les hommes (par la médecine en particulier), et en relation avec les puissances supérieures (les techniques rituelles ou divinatoires). Avec d’une part l’avènement de la rhétorique (comme technique de gestion publique de la cité démocratique) et de la philosophie d’autre part (comme réflexion ouverte sur les questions fondamentales), la valeur, la prime, la puissance accordées au savoir secret sont expulsées de l’enquête civique et intellectuelle, pour se réfugier peu à peu soit dans des fantasmes religieux (la pierre philosophale, la magie, le pacte faustien), formes archaïques du secret au sens original (comment contrôler secrètement la Nature par des pratiques secrètes) ; soit dans la politique après la démocratie grecque ou la république romaine (comment contrôler secrètement le pouvoir par des pratiques secrètes avec une langue réservée – le latin médiéval, par exemple, et l’invention des codes écrits de la chancellerie pontificale, mais aussi pour le droit).
Il est notable que ce système s’effondre à l’époque de la Révolution, d’une part après l’essor rationaliste de la science de l’économie politique comme interprétation et gestion des « richesses » d’une nation (le rapport Nature-Politique), et d’autre part avec la pratique républicaine de la publicité de l’action politique (le rapport gouvernants-gouvernés en tant qu’ Öffentlichkeit). Sur ce dernier point, le premier ministre anglais William Pitt, dans un de ses discours On the French War, attaqua violemment la Convention pour délibérer au vu et au su de tous et surtout pour publier quotidiennement le texte de ses délibérations. Pitt affirma qu’il était désormais impossible de négocier avec la France dès lors que les tractations diplomatiques, domaine par excellence du secret d’Etat, se faisaient en public. Il est notable que les penseurs contre-révolutionnaires français présentèrent la Révolution comme l’effet de complots secrets, et que cette idée d’un gouvernement secret de la France fera florès sous la IIIe République, jusqu’au Protocole des Sages de Sion : si cette fantasmagorie répondait à une pulsion naturelle chez des intellectuels à la fois religieux et monarchistes, leur réaction était cependant paradoxalement très moderne, à savoir que le contrôle nécessite le secret, et le secret est le ressort d’un Etat qui fonctionne à plein rendement. Cette notion est également au cœur du livre de Christopher Moran.
1.3 Un mécanisme phénoménologique
Une troisième contribution de la philosophie à l’analyse du secret se trouve chez Heidegger, dans son livre fondateur de la phénoménologie, Etre et Temps – l’importance de ce texte pour le secret, et le renseignement, n’a pas été jusqu’ici notée – je le donne dans ma traduction en laissant d’abord le mot clef en allemand : « Erscheinung comme Erscheinung de ‘quelque chose’ ne signifie donc justement pas ‘s’indiquer soi-même’ mais le signal donné par quelque chose, qui ne s’indique pas, à travers quelque chose qui s’indique. Erscheinung est un ne-pas-s’indiquer » (Sein und Zeit, II, § 7, A). Il faut expliquer cette phrase dense, où Erscheinung qualifie le phénomène au sens où l’on parle de « phénomène pathologique » : un phénomène pathologique, physiologique ou social, fait son apparition (pensez à l’Internet) mais la lumière qu’il jette (scheinen, « briller » ; le coup de projecteur dont raffolent les réseaux sociaux) n’est pas sur lui-même et par soi-même (puisqu’un phénomène pathologique n’a pas de sens en dehors d’une nomenclature explicative) mais sur quelque chose qui signale sa présence à travers le phénomène pathologique, sans nécessairement se révéler elle-même. Ce ‘quelque chose’ sous-jacent, en retrait, en réserve, ce secret donc, ne s’indique pas (au sens où il fournit les vrais indicateurs de sa définition et de son opérativité) mais signale qu’il est là, grâce ou à cause du phénomène qui apparaît en public, en toute lumière (sauf que cette lumière ne reste qu’à la surface du phénomène – c’est le règne des réseaux sociaux, cette excitation continuelle de la surface des choses voulant passer pour de la profondeur).
Ce mécanisme phénoménologique permet de cadrer philosophiquement le phénomène des lanceurs d’alerte, whistle blowers , et des leaks (Assange, Manning, Snowden, le système AMS comme je le nomme). Par exemple, les révélations concernant PRISM et la NSA : ce que M. Snowden a fait, qu’il soit ou non un type intéressant d’opérateur (recruté pour révéler ce que l’agence ennemie sait déjà mais veut faire apparaître « au grand jour », en vue d’un certain but – plomber par exemple les pourparlers sur les relations commerciales EUA-EU), revient à indiquer que les relations officielles, publiques, « apparentes » entre alliés occidentaux sont pathologiques, c’est-à-dire qu’elles recèlent en réalité un mécanisme secret. Tout le discours justificatif de M. Snowden est que la politique internationale, surtout entre Occidentaux, est malade du secret. La révélation est alors une occasion de cure, dit-il. Le chaînon manquant dans cette manipulation rhétorique est le suivant : c’est la révélation elle-même, la fuite, qui est un phénomène pathologique puisqu’elle ne dit de soi-même, aux journaux qui ont eu le bénéfice de leur lecture, rien d’autre que « voilà les documents, lisez et jugez », et met donc en lumière la porosité d’un système de contrôle et de surveillance qui est supposé être, justement, étanche et secret. Mais ce qui n’est pas révélé sont les relations exactes entre telle prise de décision et telle action de surveillance, c’est-à-dire l’efficacité du secret. En outre, les fuites AMS sont elles-mêmes une pathologie d’Internet et des réseaux sociaux, ce par quoi ‘quelque chose’ signale sa présence sans que le véritable secret s’indique soi-même. Ce secret est évidemment celui de l’efficacité politique des grands Etats et du fait que, sous la pathologie Nations Unies, les relations hégéliennes de puissance sont la réalité effective, « l’âme du monde ». Et nous sommes ici, derechef, au cœur de Classified.
2. Dispositif du secret d’Etat
2.1 Du secret des documents au contrôle des flux communicationnels
L’ouvrage de Moran est essentiellement un livre d’histoire qui retrace depuis 1889 l’histoire du dispositif du secret d’Etat au Royaume-Uni, au sens que Michel Foucault donne à « dispositif » : un ensemble de codes qui forment un « discours » cohérent même, surtout si ce discours n’est pas formulé comme tel, et qui instrumentent des effets de pouvoir. Si Moran ouvre son livre sur un chapitre intitulé « Fondations du contrôle », il se garde bien toutefois de signaler à ses lecteurs ce que précisément la théorie de la société de contrôle doit à Michel Foucault qui dans Surveiller et punir en a inventé le concept, ensuite repris par Gilles Deleuze (Pourparlers, 1972-1990). Dans sa présentation au Reform Club je suppose qu’il ne veut donc pas, comme disait Oscar Wilde, « effrayer les chevaux », en assénant sur les honorables membres les concepts de la French Theory. Néanmoins c’est bien d’un dispositif qu’il s’agit.
Pourquoi 1889 ? Vote de l’Official Secrets Act, que les Américains d’alors critiquèrent comme « une monstruosité juridique et un travesti de l’état de droit dont la Grande Bretagne est le flambeau » (p. 23) – les Britanniques pourraient, suite au Patriot Act, faire une réponse du berger à la bergère. La classification des documents d’Etat se met alors en place, c’est-à-dire le tri entre documents sur lequel j’ai ouvert cette analyse. Il existe désormais en droit des documents classifiés (de quelque manière que ce soit), c’est-à-dire des secrets d’Etat, certains mis de côté, certains utilisés – les secrets qui comptent -, et d’autres rarement publics par décision du gouvernement. La législation fêta son centenaire en 1989, occasion de neutraliser la fameuse Section 2 qui interdisait à tout fonctionnaire, tout politicien élu (ou nommé) et tout journaliste de divulguer ou de recevoir sans autorisation tout document gouvernemental, même après avoir quitté leurs fonctions.
La notion de base est qu’un document d’Etat appartient à l’Etat et à personne d’autre. Seul le monarque peut lever l’interdiction de publier les minutes et documents des réunions du cabinet. Donc quand en 2000 la loi Freedom of Information Act codifia l’accès du public aux secrets d’Etat , « la nouvelle législation renversa un ordre des choses qui semblait naturel depuis des siècle, nommément que l’information appartient à l’Etat et pas au citoyen » (p. 329). « Renverser » est une exagération : disons plutôt que le point de vue changea en accord avec la doxa du moment.
En effet, quant au fond, la nouvelle codification introduisit deux restrictions qui n’existaient pas durant la centaine d’années qu’opéra l’Official Secrets Act, à savoir : le rejet par le législateur de la notion d’intérêt public, qui était une défense généralement acceptée pour excuser une fuite et échapper à la justice (d’où la libéralité à publier des secrets qui fit les grands jours de Fleet Street, de la presse anglaise) ; et l’introduction d’un délit nouveau, celui de « publication sans autorisation » c’est-à-dire la publication d’un document classifié même si celui qui le divulgue ignore son statut classifié, en l’ayant reçu d’un tiers par exemple. « Freedom of information » est une antiphrase rhétorique : la loi libère ce qui importe peu ou est gérable, pour mieux cadenasser ce qui importe.
Entre ces deux pôles du dispositif l’Etat britannique est passé d’une conception du secret d’Etat, à la fois totalisante (tout document et toute personne qui … et toujours) mais sujette à l’appréciation par les tribunaux (quoi d’entre le secret ou la révélation du secret sert mieux l’intérêt public), à « une offensive stratégique sur le contrôle de l’information » (p. 333), chapeautée par le discret et puissant Government Communications Headquarters . Le GCHQ succéda, en temps de paix, au centre de décryptage et d’analyse de Bletchley Park, durant la guerre. Or en 1976 deux journalistes publièrent dans Time Out un article (« The Eavesdroppers », Les oreilles indiscrètes) qui déclencha une tempête politique et judiciaire pendant deux ans (p. 188-197), forçant le GCHQ à sortir de l’ombre et donc à se « signaler » autrement dit en mettant en place, lentement et sûrement, une stratégie de contrôle nouvelle : le contrôle des flux communicationnels, bref de la « stracomm ». L’article indiquait une pathologie (pour reprendre ma note heideggérienne) mais ce qu’il indiquait, le GCHQ, n’était bientôt plus là, sous cette forme-là. Il s’était réinventé. Le gouvernement n’admit officiellement son existence qu’en 1983 (p. 257).
Notons en passant que l’ampleur et l’impact des fuites (contemporaines d’un livre, Inside the Company, qui livra le nom de 250 agents de la CIA) fut telle que la commission parlementaire chargée du renseignement déclara que « désormais il sera impossible de refuser de reconnaître que nous espionnons en temps de paix ». C’est déjà le scénario Snowden.
Bref, en cent ans, l’Etat britannique passa d’une conception de l’Etat comme essentiellement secret (tout document et tout personne qui … et toujours) à une conception de l’Etat comme open government (lancée par John Major) où le GCHQ et les agences de renseignement et de surveillance désormais opèrent aussi directement sur les flux communicationnels.
2.2 Etat-Secret
J’use de cette formule, Etat-Secret, pour rendre l’expression de Moran qui parle de façon ambigüe de Secret State – est-ce l’Etat qui pratique le secret d’Etat ou bien cet Etat secret qui se tient derrière l’Etat apparent dont il est le phénomène pathologique? On retombe sur la distinction phénoménologique : est-ce qu’une fuite de document indique une pathologie qu’on accuse de tous les maux, ou est-ce le moyen par lequel ceux qui portent le secret d’Etat veulent paradoxalement signaler leur activité, et pourquoi ? Cette formulation peut paraître sibylline mais je vais m’efforcer de l’éclairer.
2.2.1 Les serviteurs de l’Etat
Le premier élément de réponse se trouve dans la définition même de l’Etat au Royaume-Uni, fondamental pour comprendre non seulement la longue période 1889-2005 mais aussi l’ethos du personnel récipiendaire des secrets. Elle est étrangère à nos habitudes françaises selon lesquelles l’Etat, depuis la Révolution, est « la personnification juridique de la nation » (Philippe Raynaud), et déploie à cette fin une large administration régulée par le droit administratif (une invention française). Au Royaume-Uni la clef du secret d’Etat est déposée entre les mains d’un groupe restreint, le personnel du Civil Service, c’est-à-dire les titulaires de secrétariats dits « permanents » du gouvernement ou des grands ministères – une douzaine de personnes avec le Cabinet Secretary à leur tête. Ils assurent la continuité de l’Etat en dépit, parfois contre les changements de politique gouvernementale et souvent sans égard ni respect pour le personnel politique des conseillers dont les ministres s’entourent surtout depuis l’ère Blair. Ce groupe permanent, « le gouvernement invisible », est l’Etat. Ce groupe était à l’origine de souche aristocratique, sans éducation particulière en vue de la gestion de l’Etat sinon d’avoir été aux mêmes public schools et de partager une communauté de vues sur, justement, la nécessité de préserver le secret des délibérations et des motifs de décisions, et même les décisions.
Or lorsqu’à l’époque victorienne le Royaume-Uni, première puissance économique mondiale, se dota d’un vaste empire à devoir gérer efficacement, une classe nouvelle de civil servants fit son apparition : les diplômés des universités. Contrairement à la France où naturellement les deux grandes écoles historiques de la République (Ulm et X) fournissaient les cadres de la haute et moyenne administration, l’arrivée de spécialistes fut ressentie par l’aristocratie, dépositaire du secret d’Etat, comme un danger pour l’Etat. Les nouveaux venus ne pouvaient pas posséder le même sens héréditaire du secret, et c’est en partie pour préserver ce sens inné du secret contre des technocrates issus de la gentry ou de la middle class que l’Official Secrets Act fut mis en place – un système de contrôle sur ceux qui ne savent pas se contrôler naturellement. Bien entendu, après une génération, les nouveaux venus avaient intégré l’ethos des premiers et la mixité sociale qui s’ensuivit assura la cohésion du Civil Service autour d’une notion clef de comportement : un gentleman sait garder un secret. Il s’ensuivit que l’Official Secrets Act fut très peu invoqué jusqu’au dernier tiers du XXe siècle. Le code du gentleman opéra dans toute l’efficacité du non-dit.
2.2.2. Le secret de l’anonymat
Ce code reposait lui-même sur l’idée qu’un civil servant sert anonymement l’Etat : ainsi, le secret s’étendait aux délibérations du Conseil privé, une instance peu connue mais fort importante du système britannique, qui aide le monarque à exercer ses fonctions de prérogative ; ses membres jurent (toujours de nos jours) un serment de secret absolu. Leurs individualités disparaissent dans l’avis donné au monarque, et cet avis lui-même est secret. Pourquoi ? L’idée sous-jacente, et souvent exprimée, du dispositif, aussi bien pour les hauts fonctionnaires du Civil Service que pour les sages du Privy Council, est que le conseil donné soit au gouvernement soit au monarque n’appartient pas à celui qui le formule. Une fois le conseil ou l’avis prodigué sa source individuelle disparaît dans la décision. Le secret n’est pas secret par désir du secret, mais par la nécessité que les brouillons préparatoires à une décision d’Etat, soit-elle du premier ministre ou du monarque, s’abolissent au profit de la décision et de celui qui la décrète (on retrouve la binarité decretum/secretum) afin que celui qui prend la décision en porte la responsabilité plénière. Impossible, comme dans un Etat d’opérette, de se défausser sur le mauvais conseiller.
Et cela englobe les services de renseignement au point que le public n’eut connaissance des exploits de Bletchley Park que trente ans après les faits, grâce à quoi la guerre contre l’Allemagne fut effectivement écourtée : il fallut attendre 1974 pour que le Projet Ultra fît enfin surface – à la stupéfaction des historiens. Et ce ne fut qu’en 2000 que le secret fut levé sur l’importance cruciale des opérations britanniques du SOE en France, durant l’occupation allemande, dans une histoire exhaustive d’abord écrite à usage interne puis longtemps après déclassifiée. Harold Wilson comme Margaret Thatcher, de chaque côté de la barrière politique, se rejoignaient dans leur volonté de ne pas tomber dans le piège d’une gloire tardive, cinématographique, que ces révélations pouvaient attirer (et qui provoquèrent une révision historique) : Lady Thatcher jugea qu’il est toujours dangereux de révéler des secrets, même après des décennies, « pour que d’autres profitent non seulement de ce que nous savions mais surtout de nos capacités d’interprétation ». Elle ajouta que la CIA est toujours vulnérable, à la merci d’un employé mécontent (p. 323) – critique vérifiée par les faits mais surtout en congruence avec l’ethos du secret d’Etat à la britannique, où le civil servant sait se taire et recherche l’anonymat. La longévité ou la sécurité du secret ne porte donc pas tant sur le fait que sur ce que sa divulgation révèle de la capacité de l’Etat-Secret à rester, simplement, secret grâce à un personnel qui possède le code éthique requis : l’Etat ne gagne rien à se vanter des moyens par lesquels il arrive à une décision, en rendant public tel ou tel élément du processus, ou en révélant qui donne un avis sur quoi. Il gagne tout à s’en tenir au résultat.
Un dernier aspect de ce code d’anonymat, qu’on peut appeler « une servitude volontaire au secret », est qu’il assure une garantie d’indépendance : dès l’instant où le travail préparatoire à une décision est révélé, celui qui prodigue l’avis perd sa neutralité. Il devient une pièce dans le jeu politique. « Nous n’existons pas pour le bénéfice des historiens mais pour l’avis que nous donnons en vue de l’action politique », entend-on souvent durant cette centaine d’années – à quoi bon donc conserver des documents par devers soi (tenir un journal ou des carnets de notes est un délit) ? Le secret n’est donc pas dans une manie de l’archivage génétique des décisions du gouvernement, à la soviétique, une sorte de bibliothèque à la Borges de tout ce qui est derrière ce qui est public, mais au contraire la volonté de minimiser l’archive et, si les secrets d’Etat sont en mémoire, ne jamais en parler ni même dire qu’on existe. En ce sens on a affaire à un Etat non pas secret mais au secret comme essence de l’Etat.
Or ceux qui trahirent le secret d’Etat furent, et sont, de l’intérieur les hommes politiques eux-mêmes (pourtant tenus à de rien révéler, jamais), et de l’extérieur les journalistes (également tenus ou invités à respecter le secret officiel).
2.3 Les codes de publication du secret
On entre ici dans une autre particularité du système britannique concernant cette fois-ci non pas la garde du secret mais ses codes de divulgation, révélateur d’un autre ethos, qui cohabite avec l’ethos du gentleman qui sait se taire, à savoir l’ethos narratif. Ce qui caractérise la divulgation du secret d’Etat ressortit à cette passion du haut personnel politique anglais à se poser en historiens et même en journalistes propagandistes d’eux-mêmes. Cet ethos est déclinable en trois codes.
2.3.1 Le premier code a rapport au comportement de la presse
L’Official Secrets Acts apparut aussi pour tenter de contenir la presse car si, grosso modo, les journalistes de la haute époque de Fleet Street sortaient des mêmes public schools que les politiques de Westminster et les hauts fonctionnaires de Whitehall, et partageaient donc le même ethos, le capitalisme de la presse à sensation conjugué à la professionnalisation du métier mettait en danger le code du secret volontaire – car les tribunaux étaient toujours là pour intervenir et faire jouer la jurisprudence de l’intérêt public contre toute tentative de la part du gouvernement de poursuivre en justice ou d’intimider un contrevenant.
A la veille de la Grande Guerre (des rumeurs folles, suivies de paniques, couraient alors, à cause d’un roman bien « renseigné », sur l’imminence d’une invasion allemande) on introduisit donc un code de comportement relatif à la défense nationale, ou D-Notice « pour rappeler la presse au sens de l’honneur, au sens que ce mot possède dans nos écoles pour garçons, en intimant par communiqué à la Press Association ce qu’il est désirable de rendre public et en la priant de coopérer en ne publiant rien qui puisse être utilisé par des puissances ennemies » (p. 51). Ce code est toujours en vigueur après modification en 1993 (avec les restrictions inédites de l’Official Secrets Act remanié en 1989, citées ci-dessus). La presse n’en tint généralement pas compte et c’est à elle qu’on doit, tout au long du XXe siècle, la divulgation de secrets d’Etat : l’attitude des grands patrons de presse et des journalistes d’investigation spécialisés dans le renseignement, comme Chapman Pincher, était « on publie et allez au diable ! ».
Or, jusqu’au retentissant procès dit ABC (1977) contre trois hommes accusés d’espionnage (Section 1 de l’Official Secrets Act) alors qu’ils avaient simplement enfreint la fameuse Section 2, bref publié des fuites (p. 186 sq), la presse britannique s’occupait essentiellement de divulguer non pas des secrets sur les affaires du moment mais sur des événements passés (l’opération Ajax qui remit en selle le shah d’Iran en 1953 ; l’affaire de Suez ; la Deuxième Guerre Mondiale), avec un penchant décidé pour démasquer les traîtres d’alors et espions retirés des affaires. L’affaire ABC changea tout cela : à la suite de l’article dans Time Out, déjà mentionné, lui-même dans la foulée de révélations sur la NSA (monitoring électronique d’un millier de « radicaux » américains) (nihil novi sub sole), un ex-sous-officier des transmissions décide de révéler à deux journalistes les détails du programme de surveillance et d’interception des communications secrètes des alliés et « friendly countries » du Royaume-Uni par le GCHQ (derechef, nihil novi sub sole). Si le procès se termina (après deux ans de procédure) par un acquittement des deux reporters, l’ex-militaire, qui était tenu au secret par l’Official Secrets Act, fut condamné à une peine légère, le juge affirmant d’une part que « la loi ne tolère pas les lanceurs d’alerte, quelles que soient leurs raisons » mais que d’autre part l’Official Secrets Act était « répressif ». Bref le juge appliqua la loi tout en indiquant qu’il était temps de la changer.
La virulence nouvelle de l’Etat à attaquer en justice tenait aussi à un fait nouveau (outre la révélation stupéfiante du GCHQ) qu’à cette époque des journalistes se spécialisaient dans le renseignement, acquérant le savoir technique nécessaire, assistant à des conférences d’experts, tant et si bien que les secrets qu’ils publiaient étaient plus le résultat de leur expertise à analyser des documents et à relier les fils qu’à relayer des fuites. Et il est clair que ce doigté analytique inquiétait fort les services de renseignement.
A ce titre Moran lui-même est un émule de cet art journalistique de relier les fils et de reconstituer une histoire : Classified ne contient aucune révélation (et reste muet sur les systèmes de classification utilisé par les bureaucrates, le GCQH ou MI5 – ce qui est dommage) mais constitue un remarquable effort de collecte et d’analyse, et de mise en perspective ou en corrélation d’informations déjà connues mais laissées disparates. Le résultat est que le livre fait apparaître la figure cachée du puzzle : l’Etat-Secret.
L’Etat, se révélant incapable de faire obstacle à la presse d’enquête, résolut donc ni de protéger le secret d’Etat en ayant recours à la justice (de fait inopérant) ni en appelant au sens de l’honneur en relation avec le système de D-Notice (qui, selon Moran, reste efficace)[2] mais en contrecarrant les médias sur leur propre terrain : celui des communications stratégiques et en particulier par la publication d’histoires officielles des services secrets ou d’opérations sujettes au secret d’Etat.
2.3.2 Le deuxième code est celui du contrôle narratif
Pour canaliser la divulgation de secrets d’Etat portant sur des conflits passés, révélations qui pouvaient encore indisposer ces alliés qui avaient tiré la couverture à eux (les Américains) ou avaient été incompétents (les services français), ou renseigner des ennemis (révéler certaines opérations pouvait pointer le KGB en direction du GCHQ – même si les services soviétiques, grâce aux espions du groupe de Kim Philby, étaient en réalité au courant), le gouvernement britannique chargea ses différents services secrets d’écrire des histoires officielles. J’ai déjà mentionné l’opération Ultra, à Bletchley Park, révélée trente ans après les faits ; ce fut aussi le cas d’une histoire officielle, initialement à usage interne et commanditée par MI5, sur l’opération Double-Cross (le fructueux retournement d’agents allemands), composée par l’ex-président du Comité XX, John Masterman, un haut fonctionnaire qui avait supervisé ladite opération (p. 264 sq). Son livre parut seulement en 1972, publication forcée par la parution d’un livre américain, The Game of Foxes (L. Farago), un best-seller. Quant aux opérations du SOE en Europe occupée, tenues secrètes après la guerre et obscurcies par une série de films américains vantant l’OSS[3], elles furent l’objet de tentatives d’histoires officielles mais la seule qui a vu le jour, en 1966, fut un « projet pilote », SOE in France : l’auteur, M.R.D. Foot, mit six ans à l’écrire, chaque chapitre au brouillon étant visé et corrigé par le secrétaire général du gouvernement (Cabinet Secretary) et transmis par lui pour validation à tous les services concernés pour émendations. Le livre fut mal reçu en France (p. 307) et le gouvernement décida de ne pas poursuivre le projet avec des volumes régionaux sur la Grèce, les Pays-Bas, l’Italie et l’Extrême-Orient qui risquaient de provoquer des désastres de relations publiques.
Les secrets sont restés dans leurs boîtes – dont une histoire générale du renseignement britannique durant la Deuxième Guerre Mondiale sous la direction de Sir Francis Hinsley, dont n’ont paru que le premier volume, après sept ans de labeur, en 1978, et le deuxième mis sous embargo pendant dix ans et paru en 1990 par Michael Woodward – un demi-siècle après les faits.
On doit donc se demander pourquoi les politiques et les hiérarques du Civil Service dépensèrent autant d’énergie à commanditer et à superviser des histoires officielles des opérations les plus secrètes, pour finalement bloquer les publications, produire des versions édulcorées et si tardives que leur effet de contrôle fut mineur mais leur effet politique « embarrassant » (SOE in France). Cette stratégie de contrôle du narratif manqua son objectif à chaque fois dans la mesure où les secrets révélés, par exemple les livres sur Bletchley Park (p. 279), le sont pour le bénéfice de l’Histoire et en aucun cas n’éclaire la conduite des affaires courantes. Et quand la révélation, même soigneusement éviscérée, se rapproche trop de la politique du jour elle est l’objet d’un non sequitur (par exemple la mise au placard d’un volume sur le SOE en Grèce qui aurait mis sur la piste de la collusion des Britanniques avec la Résistance de droite). Le secret est secret du passé.
La raison de l’échec de cette tentative narrative pour contrôler le secret n’est pas seulement une affaire de difficulté dans le contrôle du flux de faits qui sont susceptibles d’être divulgués, c’est-à-dire dans un triage préemptif des secrets qui permette de signaler tel fait pour mieux en dissimuler un autre, car dans ce cas-là le travail de commandite aurait été rapidement et efficacement mené – tous ces hauts fonctionnaires sont des lettrés, bon nombre finissant leur carrière comme présidents de collèges d’Oxbrige, et ont à disposition le matériel et les ressources humaines nécessaires. La raison de fond de l’échec du contrôle narratif est que ces historiographes, pour leur donner leur nom exact, sont en concurrence directe et inégale avec des hommes politiques qui se veulent de grands narrateurs. Le secret d’Etat au Royaume-Uni est un enjeu narratif pour l’élite au pouvoir.
2.3.3 Le troisième code est un enjeu d’honneur
Une partie importante de Classified est dévolue à la passion particulière des grands acteurs politiques de l’après Grande Guerre à rectifier les travaux d’historiens, ou d’essayistes. On oublie en France à quel degré la Grande Guerre fut pour le Royaume-Uni une commotion nationale : à la fois apogée territoriale et commerciale de l’Empire et sentiment du déclin arrivant, gloire des armes mais aussi hécatombe de la fine fleur des élites – les monuments aux élèves tombés au champ d’honneur dans les public schools montraient des classes entières annihilées. Le personnel politique aux commandes durant la guerre n’était pas disposé à céder le terrain narratif aux « profs’ ». En 1933 The Times, reflétant la réalité de divulgations à flot continu par ceux qui étaient censés respecter et faire respecter le secret des conseils, put écrire : « Notre époque est celle des révélations et de la ‘vérité au sujet de’ sur quasiment chaque aspect de l’histoire récente » (p. 53). Le grand divulgateur, pour cette guerre et la suivante, est évidemment Winston Churchill (même si son indiscrète loquacité s’arrêta net au projet Ultra). Le haut personnel politique se mit à écrire des mémoires et des histoires pour trois raisons : l’argent (la publication en feuilleton des mémoires de Lloyd Georges fit de lui un homme riche), le prestige littéraire (Churchill, prix Nobel de Littérature), la volonté de corriger les historiens en définissant son image devant l’Histoire.
C’est ainsi que se mit en place un code de levée du secret : dès 1919 le cabinet décide qu’il est parfaitement honorable pour un ministre non seulement de vouloir écrire des mémoires à partir de documents classifiés mais aussi que tout ministre ou ancien ministre jouit du droit de conserver et d’emporter tous les documents en sa possession et de faire établir des doubles, et d’user ensuite d’un droit d’accès libre, pour lui-même ou ses assistants, aux autres documents de tout ministère qui concernent son action du temps où il était aux affaires. Une règle, édictée en 1934, selon laquelle les ministres devaient laisser en place leurs archives (tout en pouvant y avoir accès) resta lettre morte d’autant plus qu’en 1945 Churchill fit approuver par le cabinet une règle qui la circonvenait : un ministre pouvait faire établir des copies, et laisser les originaux.
Le code de divulgation était (et reste) celui de l’honneur à défendre (ou « vindicator clause ») : un ministre se doit de défendre son honneur en corrigeant des erreurs d’historiens ou de journalistes grâce aux documents auxquels ceux-ci n’ont pas accès et d’établir ce que The Times nommait avec justesse « la vérité au sujet de ». Le secrétaire-général du gouvernement (qui est aussi au sommet du Civil Service), à qui, en théorie, les mémorialistes doivent remettre leurs brouillons pour autorisation et validation, se doit lui de vérifier que cette levée du secret se fait selon des règles d’honneur. En réalité le Civil Service fut incapable de s’opposer à ce que des premiers ministres, des ministres et des officiers généraux agissent comme bon leur semblait. Il pouvait au mieux retarder une publication en usant de moyens de pression indirects, telles que des conversations discrètes dans un club de Pall Mall. En ayant recours à des universitaires ou des experts pour contre-vérifier que les brouillons qu’on lui soumettait, pour la forme, ne mettaient pas en péril les services de renseignement, on ne faisait qu’étendre les risques de diffusion de l’information.
Le premier scandale provoqué par ce code d’honneur fut causé par la publication des mémoires de l’amiral Jellicoe, commandant la Grande Flotte à la bataille de Jutland qui ne se priva pas pour décrire les tensions entre brass and frocks, les galonnés et les redingotes, résultant en cette victoire pyrrhique, et de révéler l’existence de l’école du chiffre (GC&CS) – la première opération intégrée de surveillance des puissances étrangères, en temps de paix. Ce code d’honneur était tellement puissant qu’il s’imposait naturellement à tous comme celui d’un intérêt absolument supérieur, à preuve cette saillie de Lloyd Georges : « Ah bon ? Le roi serait opposé à mon livre ? Qu’il aille au diable. Je ne lui dois rien et il me doit son trône » (p. 64).
Après la Deuxième Guerre mondiale le code d’honneur subit une inflexion due au développement des moyens de communication et à l’accélération des nouvelles : les ministres et officiers généraux ne voulant plus attendre un délai raisonnable ou honorable pour rectifier ce que d’autres imprimaient, mais armés d’un accès libre aux documents que les historiens devaient attendre cinquante ans pour consulter, commencèrent à produire ce que Moran nomme de « l’histoire instantanée » (p. 206). On passe, vers 1950, des mémoires rectifiant l’Histoire à une présentification narrative. Le problème soulevé par ces livres d’actualité écrits par le haut personnel politique était double : la divulgation des noms et des avis des Civil Servants en activité, et la rupture de la notion de « responsabilité collective » du gouvernement. La première mettait en danger le travail anonyme et neutre que sont censés faire les hauts fonctionnaires en les présentant comme engagés dans la politique politicienne. La deuxième mettait en danger un principe fondamental de gouvernement : une décision prise, et publique, est ce qui compte, pas les discussions qui la préparent. Le decretum impose le secretum.
Or un livre d’actualité endommagea aussi bien cette double doctrine que le code d’honneur – un cas de politique poursuivie par le moyen narratif. Ce cas d’école fut, en 1960, la publication d’un livre à succès, Full Circle, par Anthony Eden, au pouvoir lors de l’affaire de Suez (1956) : l’auteur de Classified procure une analyse circonstanciée du livre, de sa méthode et de l’équipe au travail, et des tractations d’autorisations, pour conclure que cette « histoire instantanée » dissimule et malaxe plus qu’elle n’explique ou ne révèle, et conclut qu’il s’agit d’une histoire officielle sous couvert d’une rectification d’honneur bafoué – bref d’une stratégie de communication et de contrôle narratif par traitement quasiment instantané de l’information. Le résultat inattendu de cette manipulation fut un tollé des historiens de profession : Full Circle bafouait à des fins politiciennes la règle des cinquante ans (aucun document classifié ne pouvait être rendu public avant un demi-siècle) – ramenée à trente en 1967 et de nouveau amendée en 2000 – excluant toujours les documents classifiés Intelligence.
Mis à part ces personnages hors du commun, Lloyd Georges, Churchill, Eden, pour les autres le refus de Whitehall de leur imposer des régulations compliquées et sa préférence pour faire jouer un code aristocratique de comportement de gentleman « qui sait ce qu’il doit faire » a prouvé son efficacité et sa solidité sur la longue durée.
Classified se referme sur une remarque incisive qui nous ramène à la triade que je citais au début de ce compte-rendu : « Une leçon que les gouvernements pourraient tirer de Wikileaks est la nécessité d’un retour massif au secret des conseils » (« sofa style government », par référence au sofa des Grands Vizirs ottomans) (p. 348). Nous pourrions assister à l’âge des leaks, le système AMS comme je l’ai appelé, à la disparition non seulement des codes de comportement « honorables », mais à la disparition ou à l’enfouissement des traces (agendas, journaux privés, minutes informelles, précis de réunions). L’AMS en invoquant d’autres codes (droit à la libre information, éthique du vol de données, concept de propriété publique de tout ce qui impacte le public) pourrait provoquer ce qu’il veut empêcher : une schize radicale entre le secret d’Etat et les décisions publiques d’Etat. Le gouvernement Blair fonctionnait ainsi : réunions informelles d’une « coterie », le premier cercle, hors la présence du Civil Service, sans papiers préparatoires et sans minutes. Un retour étonnant à une pratique d’ancien régime, creusant une distance encore plus étonnante entre un public repu d’informations inutiles ou indigestes et une élite politique qui redécouvre l’économie et même l’ascèse du conciliabule privé.
- [1] Publié à Cambridge University Press, 2013.
- [2] Je lis qu’un éditorial du Spectator, l’hebdomadaire conservateur, se range du côté « de cette large majorité qui pense que si un Etat veut bien fonctionner il doit garder – et recueillir – des secrets » (no9642, 15 juin 2013)
- [3] OSS ; Cloak and Dagger ; 13 Rue Madeleine.