Converser à propos de ceux qui « se confient, se soumettent, se résignent (à la volonté de dieu) » : les musulmans
JACQUOT François-Alain
Ancien officier de la DGSE. Spécialiste du monde islamique sunnite.
Dans l’Art poétique, publié en 1674, Nicolas BOILEAU écrit :
« Selon que notre idée est plus ou moins obscure,
L’expression la suit, ou moins nette, ou plus pure.
Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement,
Et les mots pour le dire arrivent aisément ».
Et pourtant … nombre d’autorités gouvernementales, de femmes et d’hommes politiques, d’éditorialistes, de journalistes et commentateurs de presse… confondent et emploient indifféremment les mots « islam », « islamisme », « djihadiste », « fondamentaliste religieux », etc. Le propos qui suit n’est pas de dispenser un cours de sémantique mais de rappeler quelques définitions et principes élémentaires pour mieux appréhender ce qui relève de cette religion abrahamique.
L’islam, dernière révélation de Dieu avant la fin du monde
C’est dans le Coran (verset 5-3) que l’on trouve l’origine du mot « islam », à l’occasion du pèlerinage de l’adieu (en 632, Mahomet effectue son dernier voyage dans sa ville natale de La Mecque) : « Aujourd’hui, j’ai parachevé votre religion pour vous et je vous ai comblé de la plénitude de ma grâce. Et j’ai choisi l’islam comme religion pour vous ».
Littéralement, islam signifie « soumission [à Allah] » ou « réconciliation » et a la même origine sémitique que as-salam, « la paix » ou « le salut ». Ce terme islam (écrit avec une minuscule) représente la religion telle qu’elle a été révélée par le Dieu Allah au prophète Mahomet, en l’an 610. Mais Islam (écrit ici avec une majuscule) définit la civilisation dans sa globalité : sciences et philosophie, art et architecture, société et éducation et droit et organisation administrative.
Dans la communauté musulmane, on distingue :
- les sunnites (en grande majorité), dont l’appellation complète est ahl as-sunnah wal ijma (« les gens de la sunnah et du consensus ») est un terme dérivé de sunnah (littéralement coutume ou usage) qui désigne avant tout les paroles et les actes du prophète Mahomet donnés en exemple ;
- les shï’ites ou plus couramment chiites provient du mot shï ah qui signifie « partisan » et dérive de shï’at ali (le « parti de Ali »). A l’origine le « parti de Ali » concernait un nombre restreint de personnes qui défendaient la candidature de Ali, cousin et gendre du prophète Mahomet, au califat c’est-à-dire la fonction de successeur du Prophète ;
- les kharijites, littéralement « les sécessionnistes », rejettent l’autorité d’un calife descendant du Prophète. Ainsi, selon les kharijites, n’importe quel musulman peut diriger la communauté s’il est moralement irréprochable. C’est pourquoi leurs chefs ou imams sont élus alors que pour les shï’ites, l’Imam doit être un descendant de Ali.
Troisième religion sémitique majeure, l’islam est intimement lié au judaïsme et au christianisme. Les musulmans reconnaissent tous les prophètes du judaïsme, ils acceptent également Jésus comme l’incarnation de l’Esprit de Dieu descendu sur Marie, sa mère.
L’islam est la dernière religion apparue et ses fidèles se chiffrent entre 1,5 et 2 milliards d’êtres humains, de l’Afrique à l’Asie. Elle se révèle comme la religion la plus répandue et attire à elle de nouveaux convertis à un rythme plus rapide qu’au cours des derniers siècles.
L’islamisme, doctrine politique visant à l’expansion de l’islam
Courant de pensée musulman apparu au XXe siècle, l’islamisme est défini par Sayyid Qutb – critique littéraire égyptien devenu directeur des publications de la Société des Frères Musulmans1 – dans son ouvrage intitulé Jalons sur la route de l’islam. L’islamisme est décrit comme une doctrine, essentiellement politique, visant à créer un véritable Etat musulman qui reconnaît l’autorité d’Allah en matière légale où l’unicité de Dieu prévaut sur l’autorité politique (le tawhid hakimiyya).
En fait, cette doctrine a pour but de transformer le système politique et social d’un État en faisant de la charî’a (ou sharï’ah) – dont l’interprétation univoque est imposée à l’ensemble de la société – l’unique source du droit. Littéralement, le terme charï’a ou sharï’ah vient de la racine arabe shara’a qui signifie « introduire », « ordonner », « prescrire ». Il s’agit de la Loi révélée telle qu’elle est énoncée dans le Coran et la Sunnah, elle correspond à la Loi islamique.
L’islamisme est donc par essence une utopie messianiste, universaliste, théocratique et totalitaire. Ce n’est pas la religion, mais une « religion séculière ». Le fondement de cette doctrine islamiste est le lien indissociable et irrémédiable du religieux et du politique en vue de réaliser ici-bas la « cité idéale » dont le paradigme reste Médine au temps du Prophète. L’islamisme s’est trouvé à l’origine de bien des réflexions. Certaines ont servi de base à des mouvements radicaux, extrémistes et même terroristes. En revanche, le mot a aussi été employé pour décrire les transformations sociales, économiques et politiques survenues dans les espaces musulmans. C’est cette multiplicité de sens qui crée autour de l’islamisme une grande confusion sémantique. Il est clair cependant que l’islamisme actuel s’exprime surtout par un refus ou une réticence à adopter les caractéristiques de la modernité occidentale qu’il cherche à combattre, voire éliminer.
C’est pourquoi aussi l’islamisme, identifié aux organisations terroristes, est considéré par la plupart des musulmans modérés comme une forme pervertie et fanatisée de l’islam. Aux cinq piliers de l’islam2, l’islamiste ajoute un sixième que Dieu aurait oublié : le combat des infidèles, qu’ils soient musulmans ou pas, pour instaurer la souveraineté de Dieu sur terre : la « guerre sainte ».
Le jihād (ou djihād), une institution divine pour propager l’islam dans le dār al-harb.
Selon la tradition musulmane, le monde se répartit en deux parties :
- le dãr al-islam (littéralement « la demeure de la paix » ou « domaine de la soumission à Allah »), c’est-à-dire les territoires où l’islam et la Loi religieuse islamique [la charî’a (ou sharï’ah)] prédominent,
- le dãr el-harb (littéralement « la demeure de la guerre »), c’est-à-dire les territoires où l’islam ne s’applique pas. C’est aussi le domaine, y compris dans la vie d’un individu, où il existe une opposition ou une lutte contre la volonté d’Allah.
Or, dans le dãr el-harb, le terme « guerre » peut s’entendre à la fois dans le sens ‘’guerre militaire de conquête » mais surtout dans celui de ‘’guerre religieuse contre les autres religions, croyances et cultes ». Plus qu’une guerre, c’est alors un effort missionnaire ou un effort prosélyte. C’est le jihād (littéralement « l’effort »). Selon la sūnnah, le jihād est illicite s’il n’a pas été précédé d’une exhortation aux incroyants à se convertir et il est interdit d’entreprendre le jihād contre d’autres musulmans.
Selon certains exégètes, nulle part le Coran n’attribue au terme jihād le sens de ‘’combat armé » qui est désigné en arabe par le terme qital. Ainsi, el-jamā’a es-salafiyya li dā’wa wal qital, le Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat, créé en 1998 par Hassan Hatab, visait l’instauration d’un Etat islamique en Algérie régi par la charî’a. C’est la première fois qu’une organisation terroriste fait référence au salafisme (« salafiyyah ») et au combat armé.
Le salafisme, mouvement d’inspiration libérale, provient du terme arabe salaf, littéralement ‘’ancêtres » ou ‘’prédécesseurs », désignant les premières générations de musulmans, celle des compagnons du Prophète puis celle des tābï’ūn (les ‘’successeurs ») qui connaissaient les compagnons du Prophète et celle des taba’at-tābï’īn (les ‘’successeurs » des ‘’successeurs »). Le salafisme a pour objectif de restaurer l’islam originel et un retour à la foi des origines, celle des pieux prédécesseurs.
Le mouvement salafiste est aujourd’hui divisé en trois mouvances :
- le « salafisme prédicatif » (salafiyya ad-da’wa) qui prône l’éducation de la communauté musulmane par l’enseignement religieux ;
- le « salafisme politique » organisé en mouvements politiques ;
- le « salafisme jihadiste » (salafiyya al-jihadiyya) qui vise à imposer un islam purifié (islam des origines) par l’action armée. C’est la mouvance actuelle de l’Etat islamique et d’Al-Qaïda.
Le jihād, au sens de l’exégèse coranique, désigne donc la lutte sérieuse et sincère aussi bien au niveau individuel qu’au niveau social. C’est l’effort pour accomplir le bien et éradiquer l’injustice, l’oppression et le mal dans son ensemble de la société. Cette lutte doit être aussi bien spirituelle que sociale, économique et politique. Le jihād, retrouvé dans sa pureté en éliminant les interprétations qu’en ont données certains fanatiques qui prônent la terreur dans le cœurs d’êtres sans défense, la destruction massives d’édifices et de propriétés, l’assassinat et la mutilation d’hommes, de femmes et d’enfants innocents, autant d’actes interdits et détestables aux yeux de l’islam et des musulmans, consiste à œuvrer de son mieux pour accomplir le bien. Dans le Coran, ce mot est employé sous ses différentes formes à 33 reprises. Il est souvent associé à d’autres concepts coraniques tels que la foi, le repentir, les actions droites et l’émigration (Hégire3).
- La Société des Frères musulmans, ou plus simplement les Frères Musulmans, a été créée en 1928 par Hassan el-Bannah à Ismaïlia et vise l’instauration de républiques islamiques. Les Frères musulmans préconisent un retour aux préceptes du Coran. La doctrine de l’organisation est : « Allah est notre objectif. Mahomet est notre chef. Le Coran est notre loi. Le djihad, guerre ‘’juste », est notre voie ». ↩
- La shahädah (ou profession de foi), la saläh (ou prières canoniques), la zakäh (ou aumône), le sawm (ou jeûne du Ramadan) et le hadj (ou pèlerinage à La Mecque). ↩
- L’émigration vers un lieu paisible pour fuir la persécution, à l’instar du Prophète et de ses compagnons qui, en 622, quittèrent la Mecque, leur terre natale, après treize années d’endurance face à la torture et à la persécution. ↩