Comment lutter contre l’extrémisme et le terrorisme
Dr Abderrahmane MEKKAOUI (Maroc)
Politologue, professeur à l’université Hassan II de Casablanca et professeur-associé à l’université de Bourgogne (Dijon).
Spécialiste des questions sécuritaires et militaires.
À plusieurs reprises la communauté internationale, par le biais des résolutions des Nation unies, at condamné l’extrémisme et le terrorisme sur toutes leurs formes. Mais malheureusement l’instance onusienne n’a pas réussi à dégager un consensus relatif à la définition des termes « extrémisme » et « terrorisme ». Pour des raisons scientifiques, nous allons, dans la présente note, employer la notion d’ « extrémisme » afin d’éviter l’utilisation du concept affreux de « radicalisme », pour éviter toute polémique stérile.
La planète se trouve confrontée à plusieurs formes d’extrémisme. Chaque pays qui a connu cette problématique a élaboré sa propre stratégie de lutte, reflétant les spécificités propres à sa société, son histoire, sa culture et à sa situation géopolitique. Mais tous les États concernés ont opté principalement pour la solution sécuritaire et militaire afin endiguer ce fléau en reléguant la politique de prévention au second plan. Les Occidentaux eux-mêmes ont choisi l’approche policière et militaire, mais ils se sont toutefois beaucoup investis dans des politiques de prévention afin de réduire la menace et d’immuniser leur jeunesse, dont une petite partie est attirée par cette « contre-culture » qui a déclaré la guerre à l’humanité entière. À ce jour, il semble que les thérapies retenues n’ont pas abouti à des résultats concrets et satisfaisants. Le risque zéro n’existe pas et personne n’est à l’abri des dangers et des défis lancés par Daech et ses semblables.
Rappelons que ce n’est pas la première fois que l’humanité connaît des éruptions volcaniques de fondamentalisme religieux, mettant en cause les pratiques et les références précédentes. Rappelons également que tous les extrémistes s’attaquent d’abord à leur propres coreligionnaires en les traitant de « créatures impures et imparfaites éloignées de la pure religion ».
La présente note a pour but de proposer quelques pistes concrètes susceptibles d’éclairer les décideurs français chargés du traitement de ce danger rampant et invisible, tout en sensibilisant la société française avide de comprendre les racines du mal auquelle elle est confrontée.
Nous nous questionnerons donc sur les politiques de l’Etat français dans le traitement de cette menace complexe depuis les années 2000. Nos propos se limiteront à l’analyse du phénomène de l’extrémisme islamiste au sein des Français de confession musulmane, qui sont, pour leur écrasante majorité, apolitiques et cherchent à s’intégrer au sein de la civilisation laïque d’origine judéo-chrétienne dans laquelle ils vivent. Nous évacuons dans cette étude, les attentats relevant du terrorisme d’État, qui relèvent d’une autre logique et dont les auteurs et les commanditaires ont été identifiés. Nous nous concentrerons sur les facteurs qui contribuent au glissement des jeunes vers le salafisme ou l’islam politique et la violence qui les caractérisent.
L’islam et les extrémistes
Il convient de préciser que les textes sacrés de l’Islam, le Coran et la Sunna, ont soulevé dès l’origine la question de l’extrémisme de quelques musulmans, appelés Al-Ghoulou, terme repris par tous les grands penseurs islamiques, particulièrement les savants de l’Université d’Azhar du Caire, considérée comme la référence principale des sunnites.
Le Coran et la Sunna décrivent avec précision la forme et la nature de l’extrémisme religieux et la formation de la mouvance fondamentaliste musulmane C’est une minorité rebelle et rigoriste rejetée et combattue par ceux qui prônent l’islam du juste milieu. Ces extrémistes sont considérés comme extrêmement dangereux selon les préceptes de la charia, pour l’islam et l’oumma. Ils y sont également désignés par la notion d’Al-Tanatt’aou, terme plus fort que Al-Ghoulou. Selon le Prophète Mahomet, confirmé par ses « successeurs bien guidés », ceux qui suivent cette voie maximaliste doivent être combattus et leurs mosquées détruites.
En effet, l’Envoyé de l’Islam nous a prévenu des dangers, des « mosquées du mal » (Masajids Al-Dirar) dans lesquelles prêchent ces ultra-fondamentalistes. Ce sont des sanctuaires où sont enseignées la haine et la violence. Or, 50% des mosquées en Europe sont présentées comme des « mosquées du mal » d’après une étude britannique publiée récemment. En France, l’Etat a recensé à minima 80 mosquées de ce type.
Cette idéologie sauvage, combattue aussi bien par les sunnites que par les chiites, est représentée actuellement par les principaux groupes terroristes : Daech, Boko Haram, Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), le Mouvement Unité et djihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO), les shebaab, Ansar Dine, El Mourabitoun, Les Signataires par le Sang, etc. Ces groupes prônent le takfir (l’excommunication) et le dijhad (la guerre Sainte) contre les mécréants en général et leurs vassaux en particulier. Il s’agit d’une guerre cultuelle et culturelle par excellence, d’un conflit qui s’inscrit dans l’histoire de l’Islam politique.
L’extrémisme en Islam a, de tout temps, été fondé sur des ambitions politiques. L’arsenal doctrinal auquel il se réfère, puise dans des textes sacrés décontextualisés. La religion y est instrumentalisée pour atteindre des objectifs purement politiques et non religieux. Les actuels événements tragiques à travers le monde illustrent la continuité historique de ce phénomène et de la barbarie l’accompagnant.
Le développement de l’islam politique en France
Ce bref rappel historique sur la position de l’islam vis à vis des extrémistes doit nous amener à prendre conscience de la manière dont le salafisme (l’islam politique) s’est développé en France et à comprendre comment l’État le gère, avec l’accord de la société. La France est en contact avec les pays musulmans depuis la fin du XVIIIe siècle, date de la campagne de Bonaparte en Egypte, une partie des orientalistes français ont analysé l’islam en le considérant comme une religion pacifiste et humaniste que les chrétiens ont le devoir de comprendre et décortiquer, à l’image d’Auguste Quente, de Jacques Berque, d’Ernest Renan, etc. A l’opposé, d’autres ont purement et simplement déclaré la guerre à cette troisième religion monothéiste, la présentant comme un danger potentiel pour la civilisation judéo-chrétienne, dans la continuité des Croisades). Pour ce dernier courant de pensée orientaliste, l’islam a réussi à progresser, contrairement au judaïsme et au christianisme.
L’expédition de Bonaparte en Égypte fut, d’après nous, une rencontre ratée entre les deux civilisations et n’a eu que des conséquences superficielles sur le destin des relations entre l’Orient et l’Occident. Selon plusieurs historiens occidentaux et arabes, elle amême accentué le repli identitaire du monde Arabe. Cette courte colonisation de l’Egypte – trois ans – entraîna un déséquilibre des forces facilitant la pénétration occidentale dans les autres pays arabes et africains.
La colonisation du Maghreb et de l’Afrique subsaharienne au XIXe siècle a ainsi donné naissance à des mouvements salafistes qui ont déclaré le djihad Al-Tamkine contre les kofars (mécréants), c’est-à-dire la guerre sainte pour la libération des territoires occupés par les chrétiens. Cette conflictualité qui dure depuis deux siècles entre les deux civilisations a favorisé le djihadisme et contribué à la constitution d’une mémoire collective entâchée d’incompréhensions et de malentendus. Elle nourrira par la suite le vivier de l’extrémisme chez les musulmans de France et dans le monde.
Depuis 1954, la France a subi plusieurs attaques terroristes sur son sol, liées à des facteurs politiques endogènes et exogènes : guerre de libération de l’Algérie, guerre civile dans ce pays, conflit israélo-palestinien, etc. Ces attentats étaient ordonnés par des intervenants extérieurs bien identifiés et connus par les spécialistes du domaine.
Ce qui nous intéresse, c’est l’implantation de l’islam politique en France par le biais des filières des Frères musulmans depuis 1958, date du massacre des Frèristes en Égypte par le colonel Nasser. Suite à ces événements dramatiques, les éléments de cette confrérie se sont réfugiés dans plusieurs pays arabes et européens – dont la France -, formant ainsi l’Organisation secrète internationale des frères musulmans. Sa mission d’origine était d’assister les réfugiés politiques membres de cette structure après l’exode massif de l’Égypte. Les monarchies arabes « modérées » sont alors devenues les alliés naturels des Frères musulmans, tous ayant un ennemi commun : le panarabisme. Toutefois, une première rupture s’est produite en raison du soutien de la confrérie à la révolution islamique d’Iran (1979) et seul le Qatar les a soutenus à l’occasion des Printemps arabe, en 2011.
L’installation de la confrérie islamiste sur le territoire français lui a permis de constituer un patrimoine économique et financier considérable et un réseau politico-religieux, dynamique et élitiste, et de développer un tissu considérable de mosquées, devenues des relais de recrutement et d’embrigadement pour les jeunes candidats au djihad à travers le monde (Bosnie, Algérie, Afghanistan etc.). Cette organisation a été par ailleurs financée par plusieurs associations caritatives des pays du Golfe.
Faire face à la menace : des réponses variées et incomplètes
Plusieurs experts français de l’islam politique violent voient dans l’islam salafiste un danger perpétuel contre leur propre civilisation, qu’il convient d’éradiquer. Paradoxalement, cette position nourrit la vision des doctrinaires du salafisme violent, qui croient que l’islam politique est la solution à tout, et que tout le monde doit se soumettre à leurs dogmes. Les deux extrêmes cherchent le choc des cultures et des civilisations.
De nombreux spécialistes de la sécurité ont suggéré diverses solutions de prévention contre l’extrémisme islamiste. Mais leurs visions sont souvent ségmentées voire contradictoires, ce qui complique la compréhension du takfirisme et du djihadisme. Les experts qui ont tenté d’analyser le salafisme sont divisés entre plusieurs approches, qui priviliégient : les causes socio-économiques de l’extrémisme religieux, le recul de l’État des zones gangrenées, la complicité des familles, le silence des éducateurs sociaux, l’économie souterraine, les imams auto-proclamés, les prisons conquises par les salafistes, les mosquées du mal, etc. Mais tous ces éléments réunis n’expliquent la prolifération de cette idéologie déviante, en dépit de l’important travail social effectué par les associations sur le terrain.
Tout cela n’explique pas non plus que de jeunes Français musulmans aient été touchés par l’égarement. Ainsi, nous ne considérons que tous les salafistes, takfiristes ou djihadistes ne deviennent pas des gangsters et que tous les criminels ne deviennent pas islamistes[1]. Un élément doit nous interpeller : celui de la légitimité des imams auto-proclamés actifs sur le terrain, qui en réalité se sont imposés en tant que régulateurs socio-économiques et interlocuteurs privilégiés des autorités, des familles, des prisons, et des décideurs. Leur stratégie de long terme a pour finalité de devenir la seule interface politique de l’État laïc.
De leur côté, les psychologues croient savoir que l’extrémisme est une pathologie et le porteur de ce virus est un malade mental. La prévention dans ce cas est très demandée car le salafisme s’attaque aux faibles psychologiquement ce qui nécessite leur intervention dans les premières phases du basculement.
D’autres encore ont utilisé l’approche antropologique qu’ils considèrent incontournable pour la compréhension de l’extrémisme islamiste, car elle vise à décoder les motivations réelles qui poussent les jeunes à basculer dans le facho-salafisme.
Mais le véritable carburant, à notre humble avis, réside dans la falsification des sources religieuses. Leur lecture non approfondie du Coran et des hadiths justifie à leurs yeux l’action violente et le sacrifice. En mesinterprétant les textes, les extrémistes donnent un sens à leur vie et une récompense à leur mort.
Concernant l’approche criminologique, on ne peut pas déraciner l’agressivité et réduire la violence par des simples lois pénales figées. Un criminel est un sujet faible, obsédé et complexé par la réussite des autres. Pour lui, la prison est un lieu idéal lui permettant de se cacher de ses semblables. Elle est ainsi devenue une véritable fabrique de la violence islamiste, un centre de commandement sécurisé et un refuge confortable. Nous refusons les thèses de quelques criminologues qui considèrent l’extrémiste – et non le terroriste – comme un ennemi qu’il faut éliminer en l’isolant de la société, car il n’a ni foi, ni loi. Ce constat est une erreur impardonnable.
En tant que musulman, notre vision est différente de celles évoquées ci-dessus. L’extrémiste pour nous est un homme responsable, manœuvrier, rusé et généralement ignorant et complexé. Pour combler sa faiblesse, il pense qu’en se réfugiant dans la religion, il sera lavé de ses péchés en choisissant une autre vie plus apaisée. Malgré sa prise de conscience, il n’éprouve aucun sentiment de culpabilité, car il vit le mythe idyllique des origines et se projette dans le futur. Le martyr et le sacrifice dans cette doctrine ne signifient pas la mort ni la fin de la vie, mais une autre vie au-delà avec de multiples récompenses (sourate Al-Imran).
Pour nous, la lutte contre le fondamentalisme doit suivre deux stratégies complémentaires : prévention, action et endiguement.
Stratégie de prévention
- La prévention devrait s’articuler sur la famille et l’école. Les deux segments doivent être responsabilisés dans l’éducation de la jeunesse avant les travailleurs sociaux en mettant fin à la complicité et au silence des parents et des enseignants.
- Combattre avec acharnement l’économie souterraine et l’argent facile très répandus dans les banlieues.
- Fermeture des « mosquées du mal » sur la base des textes religieux, décisions qui devraient être prises par les organisations musulmanes habilitées.
- Création d’une commission d’éthique musulmane pour la surveillance des prêches, particulièrement celui du vendredi.
- Contrôle des contenus des livres et brochures religieux importés par une commission de spécialistes musulmans.
- Encourager les associations du terrain dans l’encadrement des jeunes adolescents en médiatisant un contre-discours basé sur le rap et l’humour.
- Isoler les extrémistes débutants et les indécis des autres, irrécupérables, en utilisant la psychologie musulmane définissant les différents critères du comportement d’un Salafiste violent.
- Multiplier les actions culturelles, sportives et professionnelles au sein des prisons.
Stratégie d’action et d’endiguement
Si la prévention est utile pour contrer les premières étapes du basculement, l’action est nécessaire pour neutraliser les ultra-fondamentalistes qui sont embrigadés et recrutés en prison, dans les quartiers ou via le net, et qui n’attendent que les ordres des « racoleurs du djihad » dont la mission principale est le repérage et le signalement des candidats mûrs et susceptibles de passer à l’acte sauvage et barbare. L’étude de tous les attentats terroristes depuis 2001 a montré la détermination des djihadistes et leur capacité de nuisance. Une politique d’endiguement doit maitriser les éléments suivants :
- Connaissance de l’art de guerre en Islam, notamment du renseignement tel qu’il est conçu dans les textes sacrés. Un travail incontournable qui dénonce les takfiristes et les djihadistes et permettra d’anticiper leurs projets suicidaires.
- Focaliser la surveillance sur les extrémistes ultra-radicaux selon des critères spécifiques, en se basant sur les élémentsdéclencheurs du basculement, car ils sont une minorité de la minorité.
- Connaissance des codes et symboles utilisés dans la chaine de commandement terroriste de Daech depuis Raqqa.
- Le combat des idées est plus efficace que les armes les plus modernes. Cela signifie que la désinformation et la propagande ne doivent pas se limiter qu’aux contre-exemples car nous sommes en face d’une contre-culture attirante véhiculée dans les réseaux sociaux et dans la rue.
- Création d’une commission nationale permanente réunissant des analystes de toutes les disciplines et des professionnels afin de disposer d’un organe de veille.
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Le salafisme violent recrute au sein des jeunes générations. Il faut absolument les protéger de cette gangrène. Certes, la lutte est difficile. Elle est à la fois générale et abstraite et nous sommes confrontés à un monstre sans visage qui frappe au lieu et au moment de son choix. Face à ce « péril vert », il faut appliquer de nouvelles méthodes de lutte, fondées sur une connaissance approfondie des extrémistes et de leur lecture des textes sacrés de l’Islam, et en faisant appel aux véritables spécialistes. Parallèlement, la mise à jour des banques de données et l’échange des renseignements sont des démarches indispensables.
- [1] Cf. Rapport de la Banque mondiale non publié sous la pression des monarchies du Golfe.