Ukraine : pourquoi les militaires russes n’emploient pas de radios cryptées ?
Alain CHARRET

Cette question est posée par différents médias après la diffusion sur les réseaux sociaux d’enregistrements audio en langue russe présentés comme émanant de troupes intervenant en Ukraine. En fait la véritable question à se poser est de savoir si les militaires russes dont il est question se trouvent bien en Ukraine.
À l’époque d’internet, du smartphone et autres systèmes satellitaires on en est arrivé à oublier les fondamentaux en matière de radiocommunications, à savoir le mode de propagation des ondes radioélectriques. Au premier abord cela ne semble plus d’une grande importance, toutefois lors d’une crise internationale comme celle du conflit en cours en Ukraine, cela peut s’avérer être un excellent moyen de lutte contre la désinformation.
Depuis le début de l’entrée des forces russes en Ukraine, les réseaux sociaux occupent une part très importante dans la couverture médiatique de cette opération militaire. Les sources étant difficilement vérifiables et les différentes parties prenantes étant très actives en matière de manipulation des images et de diffusion de Fake News, il est difficile de se faire une idée totalement objective de ce qui se passe réellement sur le terrain.
Hormis les photos et vidéos montrant les atrocités dont s’accusent mutuellement les différents protagonistes, sont apparus des enregistrements audio en langue russe, présentés comme appartenant aux troupes participant aux combats en Ukraine. Les comptes Twitter relayant ce type d’informations se multiplient, ajoutant la traduction desdites communications, allant même jusqu’à indiquer qu’il s’agit de régiments d’artillerie ou encore de réseaux de défense aérienne. Certains médias ont rapporté ces faits, s’étonnant que ces communications ne soient pas cryptées, ce à quoi des « spécialistes » ont répondu que cela démontrait la désorganisation des troupes russes et les importants problèmes logistiques rencontrés par celles-ci, ralentissant considérablement leur progression, notamment vers Kiev.
En examinant ces enregistrements et notamment les fréquences utilisées ainsi que les lieux où ces émissions ont été reçues, il paraît peu probable que ces transmissions proviennent effectivement des forces russes présentes en Ukraine.
Tout d’abord il est important de rappeler un des fondamentaux concernant la propagation des ondes radioélectriques. Elles se propagent différemment selon leur fréquence. Ainsi les ondes HF (haute fréquence) se propagent en se réfléchissant sur la ionosphère, la couche supérieure de notre atmosphère et sont sensibles à l’action du soleil. Autrement dit la propagation sera différente le jour et la nuit.
Dans le cas qui nous intéresse les fréquences rapportées se trouvent toutes en bande HF et principalement entre 4 et 5 MHz. Un autre facteur important : elles ont été écoutées pour la plupart la nuit, via un SDR en ligne – un récepteur disponible depuis internet – situé à Twente, en Hollande[1]. Sachant que ces fréquences ont la nuit une portée de plusieurs milliers de kilomètres, elles sont donc audibles en Hollande, mais ne peuvent être utilisées entre les différentes unités présentes sur le théâtre ukrainien. En effet, comme expliqué précédemment, parce qu’elles se propageant par réflexion sur la ionosphère elles peuvent être entendues à Twente, mais ne permettent pas une liaison entre des unités distantes de quelques dizaines, voire même quelques centaines de kilomètres. De plus pour émettre sur ces fréquences, il faut des antennes relativement imposantes et un émetteur-récepteur adapté. Rien à voir avec les émetteurs portables style Talkie Walkie généralement utilisés en opération.
Cela d’ailleurs est en contradiction avec d’autres Tweets évoquant eux l’utilisation par les troupes russes d’émetteurs de fabrication chinoise de marque Baofeng dont des photos figurent en pièces jointes de ces messages. Non seulement il paraît peu crédible que l’armée russe utilise des appareils chinois que l’on peut acheter librement sur internet pour quelques dizaines d’euros, mais les émetteurs figurant sur lesdites photos n’émettent pas en HF, mais en V/UHF, des ondes qui ont une portée optique, autrement dit dont la portée est rarement supérieure à quelques dizaines de kilomètres. Autrement dit pour les recevoir il faut être à proximité du théâtre d’opération, ou dans un des nombreux aéronefs de reconnaissance de l’OTAN qui sont actifs en permanence à proximité de la frontière ukrainienne.
Il ne s’agit pas là de prendre parti pour les forces russes et nier d’une manière ou d’une autre qu’elles peuvent rencontrer des problèmes logistiques, de discipline ou d’organisation, mais simplement de rappeler le rôle important de désinformation joué par les réseaux sociaux qui sont régulièrement repris pas les médias sans que ces derniers n’en vérifient non seulement la source, mais également le degré de vraisemblance.