La menace des drones
Olivier DUJARDIN
Le marché des drones a explosé ces dix dernières années et les applications associées se sont également multipliées. Ce marché regorge d’engins destinés à toutes sortes d’utilisation, allant du loisir au professionnel, en passant par le militaire. Cette base de marché très large a permis le développement d’un ensemble de technologies, produits, accessoires destinés aux drones. Ceux-ci se sont largement diffusés dans le monde civil, sur la base de l’aéromodélisme qui offrait déjà certaines briques technologiques. On peut également trouver une multitude de tutoriels, plans, conseils sur internet pour fabriquer soi-même son drone à partir de composants achetés sur Amazon ou Alibaba. Mais un drone peut être détourné à des fins malveillantes (espionnage, sabotage, terrorisme), soit à partir d’un modèle acheté sur étagère, qui sera plus ou moins modifié, soit à partir de drones réalisés sur mesure pour un usage spécifique. En conséquence, les menaces représentées par les drones sont très variées.
Différents types de menaces
En fonction des caractéristiques techniques et de l’usage qui est envisagé, il est possible de classer les drones selon plusieurs catégories de menaces, indépendamment de leur poids.
Les menaces de type 1
Elles correspondent aux drones du commerce non modifiés. Ce sont, en général, des drones relativement légers, dont la capacité de nuisance est assez limitée. En dehors de prises de vue illégales, d’une chute accidentelle sur des personnes ou, dans le pire des cas, d’une collision avec un aéronef – circonstances qui peuvent occasionner quelques blessures ou des dégâts matériels-, leur capacité de nuisance reste relativement modeste. Dans de telles situations, on trouve le plus souvent, une utilisation irréfléchie du drone (ignorance ou incompétence), plus que des actes volontaires, en dehors de rares provocations (Greenpeace par exemple) ou d’espionnage. L’emploi des drones pour des telles utilisations ne demande aucun savoir-faire particulier de la part des opérateurs.
Les menaces de type 2
Elles recouvrent l’emploi des drones du commerce, professionnels ou non, modifiés dans le but de commettre un acte malveillant. Les transformations effectuées sur les engins sont variées : modification des capteurs, ajout d’une capacité de largage/dépose de charge, changements de motorisation, d’hélices ou de batteries, etc. Ces modifications ont pour but d’optimiser le drone à la nouvelle fonction pour laquelle on le destine. Même si la charge utile embarquée reste relativement modeste (quelques centaines de grammes à quelques kilogrammes), les dégâts matériels ou le bilan humain peuvent, tout de même, être conséquents. Il est également possible d’envisager l’emport des moyens d’écoutes ou de prises de vue illégaux par les drones, dans le cadre de l’espionnage industriel par exemple. De plus la variété des charges utiles pouvant être embarquées (explosives, chimiques, bactériologiques ou radiologiques) peut avoir sur la population un effet psychologique plus important que les dégâts provoqués par l’attaque. Technologiquement, ce type de drone modifié est, pratiquement, à la portée de tous, si tant est qu’on soit un minimum bricoleur. Cela ne demande pas descompétences particulièrement élevées, ni de gros moyens financiers (quelques centaines à quelques milliers d’euros au maximum). Finalement, pour l’attaquant potentiel, la partie la plus complexe sera de se procurer la charge utile correspondant à son projet (explosif ou autre).
Les menaces de type 3
Elles correspondent aux drones réalisés entièrement sur mesure mais à partir d’éléments standard que l’on trouve dans le commerce (motorisation, électronique, batteries, actionneurs., etc.). Ainsi peuvent être conçus des drones allant de quelques centaines de grammes à plusieurs dizaines de kilogrammes. La gamme peut donc être très large avec des concepts d’emplois très différents (drones suicide, drones longue endurance, drones pouvant larguer des charges, emporter des armes à feu, drones lance-roquettes, etc.). Les effets de ces engins peuvent être potentiellement très importants. La conception de ce type de drone demande bien plus de compétences, similaires à celles que l’on retrouve chez les aéromodélistes confirmés. C’est cette catégorie de drones qui attaque régulièrement la base aérienne russe de Hmeimim en Syrie, par exemple. Elle est à la portée de groupes terroristes et ne nécessite pas de très gros moyens financiers.
Les menaces de type 4
Elles correspondent aux drones armés (suicide ou non) conçus et développés spécifiquement pour répondre aux besoins militaires. Il s’agit ici d’un travail d’ingénierie avancé qui nécessite des compétences, des moyens de conception importants et un budget conséquent. Cette catégorie regroupe les drones militaires mis en œuvre par les Etats, ou par des mouvements rebelles soutenus par des Etats, comme les Houthis au Yémen par exemple. Sans soutien extérieur, la conception de cette catégorie de drones n’est pas, aujourd’hui, à la portée d’organisations terroristes. La menace posée par ces engins, souvent relativement imposants, est assez similaire à celle posée par les avions ou les hélicoptères et est donc souvent traitée avec les moyens de défense sol/air des armées.
Bien entendu, en dehors des drones de type 1, il ne faut pas s’attendre à ce que les utilisateurs respectent les normes imposées par la législation en vigueur. Ces appareils sont spécifiquement conçus pour des opérations malveillantes ou d’attaque ; leurs utilisateurs vont donc chercher les solutions techniques qui leur donnent le plus de chance de réussir leur mission, indépendamment de toute notion de réglementation.
Evidemment, les frontières entre les quatre différentes catégories ne sont pas figées, il y a forcément des cas « entre deux », mais cela permet de fixer des repères lorsque l’on parle des menaces représentées par les drones.
Les scénarios d’attaque possibles
La plupart des attaques terroristes par drones l’ont été sur les théâtres de guerre (Syrie, Irak, Yémen, etc.) A ce jour, aucune attaque de ce type n’a encore eu lieu sur notre territoire. Toutefois, il est assez facile de comprendre que, compte tenu du niveau technologique relativement basique nécessaire pour les conduire, il ne faut pas exclure que de telles attaques puissent avoir lieu à court ou très court terme, d’autant plus que les connaissances pour réaliser/modifier de tels drones se diffusent rapidement. Ce danger est d’ailleurs largement anticipé et l’on voit fleurir de nombreuses solutions anti-drones. En effet, la menace terroriste est plus actuelle que jamais et la question n’est plus de savoir si, un jour, un acte terroriste sera réalisé par drone, mais quand. Plusieurs scénarios peuvent d’ores et déjà être anticipés.
Attaque des rassemblements de foules
Compte-tenu de la forte concentration de personnes en un même lieu, tous les évènements rassemblant plusieurs milliers de personnes apparaissent comme des cibles naturelles pour ceux qui visent un grand nombre de victimes (manifestations, concerts, évènements sportifs importants, etc.). La perspective des JO 2024 à Paris doit être gardée à l’esprit. C’est le type d’attaque où la plus grande variété de modalités d’action peut être envisagée (explosifs, par armes à feu, chimiques, bactériologiques ou radiologiques)
Attaque visant les installations industrielles
Dans ce scénario, des attaquants pourraient être tentés de provoquer des catastrophes industrielles importantes, dans l’espoir de faire un grand nombre de victimes et/ou, de générer une catastrophe écologique. L’explosion de l’usine AZF (Toulouse, 2001) et plus récemment l’incendie de l’usine Lubrizol (Rouen, 2019), sont là pour illustrer les conséquences que pourraient avoir de telles attaques. Les sites classés SEVESO apparaissent alors particulièrement sensibles et pourraient être ciblés (industrie pétrochimique particulièrement).
Attaque visant à désorganiser la société
Ce type d’attaques n’a pas pour objectif de faire beaucoup de victimes, il vise à désorganiser localement la société et/ou à s’en prendre à des symboles. Il pourrait prendre la forme d’attaques de transformateurs – afin de provoquer des coupures d’électricité -, de centrales nucléaires – même si les dégâts infligés seraient faibles, le symbole serait très fort -, de sites culturels emblématiques (monuments, etc.), d’aéroports – bloquer le trafic aérien d’un aéroport international -, etc. L’objectif de ce type d’attaques est avant tout psychologique mais pourrait avoir un impact sociétal important.
Attaque visant les infrastructures nationales
Là encore, ce n’est pas tant le nombre de victimes qui serait recherché mais le symbole. On peut penser à des attaques contre les lieux de pouvoirs (assemblée, présidence), contre l’institution militaire (destructions d’avions au sol, de dépôts de carburant, de radars, attaques contre des navires de guerre, des centres de transmission, etc.), contre des rassemblements de militaires (cérémonies, mess, défilés), contre la police ou la gendarmerie, contre les industries de défense, etc. Outre le côté symbolique de ce type d’attaque, les coûts engendrés par les destructions et les éventuelles pertes humaines auraient un impact psychologique énorme sur l’opinion publique, avec les risques politiques induits puisque cela pourrait être assimilé à des déclarations de guerre.
Tous les scénarios présentés ci-dessus (liste non exhaustive), sont pratiquement réalisables avec des drones de type 2 ou 3, donc relativement faciles à se procurer ou à fabriquer.
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Pour tout individu, même isolé, ayant l’intention de commettre des actes de sabotage ou de terrorisme, le recours aux drones permettrait d’obtenir un effet considérable avec très peu de moyens. Ainsi, là où il fallait auparavant plusieurs « combattants » prêts au sacrifice ultime, un individu seul, équipé de drones, pourrait obtenir le même résultat, sans être obligé de se sacrifier. Cela pourrait motiver des passages à l’acte d’activistes peu tentés par le martyr. Si l’on ajoute à cela le fait que cette technologie est relativement facile d’accès et peu coûteuse, tous les ingrédients sont réunis pour faire des drones une menace potentiellement majeure.
Si les drones sont, tant pour les militaires que pour les civils, des outils permettant d’être plus efficace, il faut réaliser que c’est la même chose pour ceux qui ont des intentions malveillantes. Parce qu’ils offrent des possibilités d’action multiples (diversité des vecteurs et des utilisations), les réponses aux menaces doivent être adaptées afin de prendre en compte tous les cas de figure les plus probables.