Des munitions guidées, pour quoi faire ?
Olivier DUJARDIN
Depuis le début de la guerre en Ukraine – et surtout depuis que les Occidentaux ont commencé à fournir aux Ukrainiens des systèmes d’artillerie et de lance-roquettes multiples –, la supériorité de ces armements, pour ce qui concerne les plus modernes comme les canons Caesar, PzH-2000 ou encore les lance-roquettes multiples HIMARS, est largement valorisée, devant permettre aux forces ukrainiennes de compenser la quantité par la qualité. Avec la livraison des lance-roquettes américains HIMARS, la précision de tir des munitions guidées est très souvent mise en avant depuis que ces dernières ont durement frappé les dépôts de munitions et les centres de commandement russes. La capacité de l’Ukraine à mettre en œuvre des munitions de précision apparaît alors comme un des éléments essentiels devant lui permettre de prendre l’ascendant sur son adversaire, pourtant largement mieux doté en nombre de pièces et en munitions.
En réalité, l’emploi de munitions guidées n’est pas toujours utile et, dans bien des cas, les munitions non guidées suffisent largement à la tâche tout en étant beaucoup moins chères (10 à 600 fois). En voici quelques exemples :
La contre-batterie
Dans le cadre d’un tir de contre-batterie, même avec un radar adapté, il n’est pas toujours pas possible de déterminer la position précise des pièces d’artillerie adverses. Seule une ellipse d’incertitude – dont la taille dépendra de la distance du tir et de la durée pendant laquelle le radar a pu suivre les projectiles – pourra être déterminée. Cette ellipse aura une superficie comprise entre la taille d’un terrain de football et celle d’un champ, c’est-à-dire tout à fait compatible avec la précision de tirs d’artillerie classiques. Dans tous les cas, sauf si l’on dispose d’un drone sur zone capable de donner les coordonnées exactes ou qui peut aider à ajuster les tirs, il faudra saturer la zone pour être certain de détruire la ou les pièces d’artillerie présentes. Dans ce cas, l’utilisation de munitions guidées n’a pas d’intérêt car, en réalité, le tireur n’a pas de position précise à donner à ses munitions.
La destruction d’objectifs imposants
Si l’objectif visé est un bâtiment ou un site assez vaste (hangar, usine, site industriel, raffinerie…), il n’y a pas besoin d’utiliser de munitions précises au mètre près. De toute façon, il faudra, pour neutraliser la cible, utiliser un grand nombre de munitions. Dans ce cas, la précision des tirs doit être juste suffisante pour s’accorder avec la taille de l’objectif qui fait souvent plusieurs centaines de mètres de côté, ce qui est largement compatible avec la précision d’armements non guidés.
Bloquer la manœuvre adverse
Pour fixer un adversaire, empêcher qu’il puisse manœuvrer ou concentrer ses forces, il peut être utile de pilonner une zone géographique donnée. Ces tirs n’ont pas pour but de détruire un objectif particulier et n’ont donc pas besoin d’être particulièrement précis. Le but est juste de saturer une zone pour empêcher l’adversaire de pouvoir disposer de cet espace. Cela est à rapprocher des feux des mitrailleuses qui ont pour objectif de faire baisser les têtes des adversaires pour les empêcher de se déplacer.
La précision sans armes guidées
Dans le domaine aérien, l’aviation russe fait un large usage de bombes non guidées mais cela ne signifie pas pour autant des bombardements imprécis. Il faut souligner qu’en France aussi nos pilotes s’entraînent à larguer des bombes lisses avec précision[1]. Les avions russes utilisent des calculateurs de bombardement qui leur permettraient de larguer leurs bombes avec une ECP (erreur circulaire probable) de 3 à 5 mètres, à condition de voler à moins de 5000 mètres d’altitude. Cette limite d’altitude est clairement une contrainte car elle expose les avions à la défense sol/air courte portée. Néanmoins, dans le cas de conflits asymétriques, ce n’est pas un réel problème et, face à une défense sol/air longue portée multicouches, cela ne change pas forcément grand-chose puisque la menace sol/air couvre l’ensemble de l’enveloppe de vol des avions de combat.
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La diversité des situations tactiques fait que l’emploi de munitions guidées n’est pas forcément nécessaire et, en dehors de frappes stratégiques dans la profondeur sur des objectifs très précis (ponts, voies de chemin de fer, postes de commandement…), l’utilisation de munitions standard est très souvent suffisante. De plus, il est aussi possible, dans certains cas, de frapper précisément une cible même en utilisant des munitions standard (ajustement des tirs par drone ou bombardement par avion). Il ne faut pas oublier non plus que toute sophistication supplémentaire d’un équipement n’a pas que des avantages (coût, temps de production, dépendance de composants ou de matières premières) et est aussi une source de vulnérabilité potentielle. Certains engins guidés sont vulnérables aux contre-mesures, notamment au brouillage. Il se pourrait que les Russes utilisent du Spoofing (émetteurs donnant une fausse position) GPS pour détourner les roquettes HIMARS de leur objectif[2]. C’est tout à fait possible car, l’Ukraine ne faisant pas partie de l’OTAN, il est peu probable que les Américains leur donnent accès au GPS militaire utilisant une clef de chiffrement. Les roquettes HIMARS utilisées en Ukraine doivent donc fonctionner uniquement avec le GPS civil qui est, lui, vulnérable au Spoofing. A noter qu’il se produira probablement la même chose avec la livraison annoncée, par les Américains, des obus guidés de 155mm Excalibur (plus de 100 000 dollars l’unité contre 6 000 pour un obus standard) eux aussi guidés par GPS. Dans tous les cas, un simple brouillage GNSS peut réduire à néant l’avantage tactique de ces munitions.
[1] https://www.youtube.com/watch?v=0CBkhzT2NvU
[2] https://www.newsweek.com/russia-has-secret-development-take-down-us-himars-military-expert-1728820