Défense sol/air : le point faible de la Turquie ?
Olivier DUJARDIN
La question des S-400 achetés par la Turquie fait largement débat, mais en réalité, avant cet achat, la défense sol/air turque était bien démunie. Depuis le retrait – ou plus exactement la mise sous cocon – des batteries MIM-14 Nike-Hercule, la Turquie ne disposait plus de défense sol/air longue portée. De toute façon, ces systèmes, qui ont été démontés entre 2007 et 2014, étaient largement périmés et n’offraient plus de protection crédible face aux menaces modernes. De fait la défense sol/air turque n’était plus assurée que par des systèmes à courte ou très courte portées, et pas de première jeunesse (Rapier et MIM-23 modernisé appelé Hawk XXI). C’est pour cette raison que la Turquie demanda, en 2012, l’aide de l’OTAN pour déployer des systèmes Patriot sur sa frontière sud pour se protéger, à l’époque, de l’aviation russe. Demande qui fut satisfaite dès 2013.
Dans un souci d’indépendance et de souveraineté, dès 2007, plusieurs programmes nationaux (Korkut, Hisar-A et Hisar-O) de systèmes de défense sol/air ont été développés, dans le but de remplacer ces systèmes de très courte et courte/moyenne portées. Puis un appel d’offres fut lancé pour s’équiper d’un système antiaérien de longue portée. Ce dernier fut remporté, en 2013, par la Chine, avec son système HQ-9. Le contrat a été dénoncé en 2015 du fait des pressions des pays de l’OTAN et de difficultés dans les négociations avec les Chinois concernant le transfert de technologies. La Turquie espérait alors, grâce à ce transfert, pouvoir développer rapidement son propre système antiaérien longue portée lancé en 2013 (Hisar-U). Celui-ci connut donc de nouveaux retards.
Ne restait alors plus en lice que le Patriot américain et le SAMP/T européen. Le Système Patriot paraissait le mieux placé, tant politiquement (poids politique de Washington) qu’opérationnellement, puisque c’est ce type de batteries qui assurait la protection du sud du pays. Mais des questions budgétaires, de transfert de technologies et des doutes quant à l’efficacité de ces systèmes (les batteries Patriot se sont révélées très vulnérables au brouillage des forces russes) ont fait que les négociations n’ont jamais abouti. Pour sa part, le système européen SAMP/T n’a, semble-t-il, jamais eu réellement sa chance, principalement pour des raisons politiques.
Les systèmes de défense antiaérienne très courte portée de conception nationale – Korkut (artillerie sol/air) et Hisar-A – sont opérationnels respectivement depuis 2016 et fin 2019 ; le système Hisar-O de courte/moyenne portée est en phase de test et devrait devenir opérationnel en 2021 ; le système longue portée Hisar-U, qui est toujours en développement, est prévu de rentrer en service en 2023. Enfin, le segment très longue portée sera assuré par les systèmes russes S-400, dont la première batterie devrait être très prochainement déclarée opérationnelle.
Avant l’arrivée du S-400 et des premiers systèmes de conception nationale, la défense antiaérienne turque dépendait surtout de son aviation de chasse, du fait de systèmes sol/air vieillissants et d’une couverture incomplète. En conséquence, les capacités de projection de l’armée de l’air turque étaient forcément limitées car un certain nombre d’avions devait assurer la protection antiaérienne de son territoire.
Bien entendu l’achat de S-400 ne permet pas à lui seul d’assurer une couverture antiaérienne suffisante, d’où les discussions en cours pour l’achat de batteries supplémentaires. Le problème n’est donc aujourd’hui pas complètement réglé et la couche supérieure de la défense antiaérienne turque dépend encore de son aviation. Toutefois, la fenêtre de vulnérabilité de la Turquie se referme petit à petit. D’ici deux à trois ans, elle sera complètement refermée. La défense sol/air turque sera alors assurée par une gamme de systèmes complémentaires assurant une protection multicouches, dans une approche très semblable à ce que fait la Russie. Une fois que ces moyens modernisés seront pleinement opérationnels, la capacité offensive de l’aviation turque augmentera donc mécaniquement, ce qui n’est sans doute pas une bonne nouvelle pour certains de ses voisins.