Défense anti-aérienne : principes techniques et tactiques (4) – Comment savoir qu’un aéronef a été abattu ?
Olivier DUJARDIN
Quand vous êtes opérateur d’un système anti-aérien, comment savoir que votre cible a bien été abattue ? On va le voir, répondre à cette question n’est pas si simple.
Caractériser et identifier une cible
Pour commencer, un radar est un dispositif qui détecte la présence d’un objet. Il ne fournit pas d’informations sur la nature précise de cet objet ni sur son identification. Un radar indique la position, la vitesse et éventuellement l’altitude de l’objet s’il est tridimensionnel. Bien sûr, la vitesse et l’altitude sont des données importantes. Un objet se déplaçant à une vitesse supersonique est très probablement un chasseur ou peut-être un missile supersonique. Un autre objet volant entre 200 et 250 km/h est susceptible d’être un hélicoptère ou un avion léger. Cependant, il peut y avoir des incertitudes. Par exemple, un appareil volant à une vitesse légèrement subsonique à plus de 10 000 m d’altitude, au-dessus de l’altitude de vol des avions de ligne, pourrait être un chasseur ou un avion d’affaires. Dans ce cas, le contexte fournira des indications. On peut exclure la présence d’un avion d’affaires dans une zone de conflit, mais d’un autre côté, les avions d’affaires sont des plateformes également utilisées pour des missions de renseignement, de patrouille maritime ou de surveillance radar.
La trajectoire de l’appareil détecté fournit également des informations intéressantes. Un aéronef effectuant des « hippodromes » (évolution aérienne en boucle) relativement éloignés de la ligne de front est un appareil de renseignement (piloté ou drone), un avion de surveillance radar, ou un avion ravitailleur. Cela permet de classer, au moins de manière générale, certaines détections.
Image d’un radar de navigation qui donne une idée de ce que peut voir un opérateur dans la réalité
Il est nécessaire d’utiliser d’autres moyens pour parvenir à identifier précisément sa cible lorsqu’on est aux commandes d’un système sol/air. Cela peut impliquer l’interception des communications radio des aéronefs concernés, les rapports de témoins oculaires ayant observé le décollage des appareils, la reconnaissance de schémas tactiques récurrents où les mêmes appareils effectuent les mêmes missions, etc.
Bien sûr, il y a également l’IFF (Identification Friend or Foe) qui permet de distinguer les appareils de son propre camp, mais cela ne permet pas d’identifier les appareils adverses. Ainsi, cela fournit seulement une indication pour déterminer s’ils sont « amis » ou potentiellement « ennemis ». Je précise « potentiellement » car cette méthode n’est pas suffisante pour classifier un appareil comme ennemi, ce sujet sera abordé dans un autre article.
Tirer et aller au résultat
Dès lors qu’une cible a été identifiée et qu’elle se trouve dans la bonne zone d’interception, la batterie anti-aérienne va tirer généralement deux missiles dans sa direction. Les opérateurs suivront sur leur écran la trajectoire des missiles par rapport à la cible. À un certain moment, les deux disparaîtront de l’écran radar, mais cela ne constitue pas une preuve de destruction. En effet, l’appareil visé peut avoir plongé en-dessous de l’horizon radar, tout comme les missiles. Même si ceux-ci sont déjà verrouillé sur la cible, il n’est pas certain qu’elle soit touchée, car les opérateurs ne connaissent pas l’efficacité des contre-mesures utilisées par l’appareil. Si les missiles sont encore en phase télécommandée, les opérateurs sauront que la cible a été manquée. Cependant, si les opérateurs voient sur l’écran radar les missiles s’approcher de l’objectif et qu’une multitude de petits échos radar apparaissent soudainement, il y a de fortes chances que la cible ait été touchée. Cependant, cela ne signifie pas forcément sa destruction ; il peut s’agir simplement des éclats des charges explosives des missiles ou des leurres lâchés par l’appareil poursuivi. La destruction devra être confirmée d’une autre manière. La perte de l’interception des communications radio de l’appareil visé n’est pas non plus une preuve, car si l’appareil est passé sous l’horizon radar, les communications ne peuvent plus être interceptées non plus.
La confirmation de la destruction d’un appareil peut se faire de plusieurs façons : des preuves visuelles directes – telles que la présence de l’appareil écrasé sur un territoire que l’on contrôle -, des images récupérées sur les réseaux sociaux, l’envoi d’un drone d’observation ; ou de manière indirecte par la détection d’opérations de sauvetage sur zone, ou encore par la reconnaissance de l’ennemi de la perte de l’appareil.
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Dans tous les cas, il est difficile de confirmer la destruction d’un appareil ciblé par un système sol/air et les vérifications prennent du temps. Il convient donc d’être prudent vis-à-vis des déclarations d’un camp affirmant avoir abattu X appareils ennemis, surtout si ces déclarations surviennent peu de temps après les événements (quelques dizaines de minutes ou quelques heures). Une déclaration précipitée doit nécessairement être considérée avec circonspection et demande confirmation, car, comme nous l’avons vu, engager un aéronef avec des missiles antiaériens ne garantit pas sa destruction. Sauf si l’évènement a pu être filmé en direct, il faut généralement au moins une journée, voire plusieurs jours, pour confirmer avec certitude qu’un appareil a été abattu, notamment s’il s’est écrasé au-dessus d’un territoire que l’on ne contrôle pas.