Défense anti-aérienne : principes techniques et tactiques (3) : les guet-apens sol/air
Olivier DUJARDIN

Un guet-apens sol/air est un procédé visant à provoquer une attrition de l’aviation ennemie, même lorsque les capacités sol/air sont limitées. Celles-ci peuvent être restreintes par le nombre de systèmes anti-aériens disponibles, et/ou parce que les équipements sont trop anciens ou technologiquement obsolètes par rapport aux moyens adverses, entraînant ainsi un taux de réussite extrêmement faible.
L’objectif, faute de pouvoir réellement entraver l’action ennemie dans les airs, est de créer localement et ponctuellement des conditions pouvant mettre l’aviation adverse en danger à son insu. L’effet recherché est une augmentation de l’attrition dans les rangs ennemis, visant à faire douter l’adversaire quant à sa supériorité dans l’espoir de le dissuader.
Une invention soviétique …
Cette tactique a été développée pendant la guerre du Vietnam. En 1965, l’URSS a fourni au Vietnam du Nord 95 systèmes de missiles anti-aériens SA-2 (S-75M Dvina), en partie utilisés par des opérateurs soviétiques. Cependant, l’efficacité de ces systèmes s’est trouvée rapidement réduite car les Américains ont adapté et optimisé leurs contre-mesures avec l’aide des Israéliens qui avaient capturé ces systèmes en Égypte lors de la guerre de 1967.
En réponse, les opérateurs soviétiques ont eu l’idée de déplacer les batteries sur des axes de pénétration connus ou près des zones d’évolution de l’aviation américaine. Ces systèmes restaient éteints et n’étaient activés qu’à l’approche d’appareils ennemis, grâce à des informations extérieures (radar de veille ou signalement par des observateurs). Les avions attaquants étaient ainsi pris au dépourvu, à quelques kilomètres seulement du système, sans avoir le temps d’activer leurs contre-mesures ou de s’éloigner du radar, augmentant ainsi considérablement la probabilité d’être abattu. Une embuscade permettait ainsi de cibler plusieurs appareils en un laps de temps très court. Une fois la position repérée par les Américains, la batterie devait être rapidement déplacée vers un nouvel emplacement au risque d’être détruite. Au total, la défense antiaérienne nord-vietnamienne aurait abattu plus de 2000 aéronefs américains en dix ans.
… que les Serbes et les Ukrainiens remettent au goût du jour
Les Serbes ont utilisé la même tactique lors de leur guerre contre l’OTAN en 1999, avec un ancien système SA-3 Pechora. Cette approche leur a permis de réussir à abattre le célèbre F-117 américain en mars 1999, et très probablement d’en endommager un deuxième. De plus, un F-16 américain a été également abattu au cours de cette opération.
Il semble que les Ukrainiens aient adopté une méthode similaire pour piéger les aéronefs russes. Ils analysent préalablement les schémas de vol de l’aviation russe et déploient ensuite un système anti-aérien qui surprendra l’adversaire. Le succès de l’opération repose sur le secret et la capacité à déplacer discrètement le système sol/air, le maintenant éteint jusqu’à ce qu’une cible se présente. Les Ukrainiens affirment qu’ils procèdent ainsi avec les batteries Patriot, mais ils peuvent employer cette tactique avec d’autres systèmes. Le Patriot n’est pas particulièrement souple ni discret à déplacer, tandis que des systèmes tels que le SAMP/T, l’IRIS-T SLM ou le NASAMS se prêtent mieux à cet exercice. Cependant, le Patriot offrant la plus grande portée, il accroît les chances d’atteindre des cibles. Il est probable que, selon les circonstances, différents systèmes soient utilisés selon cette tactique.
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Cette pratique du guet-apens s’oppose au concept de déni d’accès (A2/AD), qui vise à empêcher ou dissuader les aéronefs de s’approcher d’une zone donnée. L’idée du guet-apens est, au contraire, de chercher à attirer l’aviation adverse en lui donnant une fausse impression de sécurité, particulièrement lorsque l’armée ne dispose pas de suffisamment de systèmes sol/air pour mettre en place un déni d’accès sur son territoire. Les systèmes sol/air disponibles sont alors utilisés pour provoquer une attrition de l’aviation ennemie, faute de pouvoir l’empêcher d’agir.
C’est une tactique du faible au fort, et le recours à cette procédure par l’Ukraine pourrait indiquer un appauvrissement de sa défense sol/air, incapable d’assurer une couverture adéquate du territoire. En cherchant à créer plus d’attrition dans l’aviation adverse, l’objectif est d’instaurer de l’incertitude pour dissuader l’utilisation d’avions pilotés. Mais cela mobilise un certain nombre de systèmes anti-aériens, ce qui peut indirectement rendre les frappes ennemies dans la profondeur plus efficaces, car soumises à une défense sol/air diminuée d’autant de systèmes réservés à cette tactique du guet-apens.