Défense anti-aérienne : principes techniques et tactiques (2) – Portée maximale, distance d’engagement et procédures d’évitements
Olivier DUJARDIN
Quel que soit le système antiaérien utilisé, il ne suffit pas qu’une cible soit à portée de tir pour garantir sa destruction. Il est nécessaire de prendre en compte non seulement les caractéristiques du système antiaérien, mais aussi celles de la cible qui ne se laissera pas facilement neutraliser. Loin d’être démuni, un appareil militaire correctement équipé dispose également de divers moyens pour contrer une attaque. De son côté, l’utilisateur du système sol/air devra faire preuve de patience, attendant que sa cible se trouve dans la position la plus favorable au système utilisé, sous peine de la rater.
Portée maximale vs distance d’engagement
La portée maximale d’un système sol/air indique la distance à laquelle le missile peut détruire une cible, mais cela ne correspond pas nécessairement à la distance d’engagement d’un aéronef. En effet, engager une cible à la portée maximale du système présente peu de chances de réussite. La distance d’engagement doit prendre en compte le temps de vol du missile et le fait que la cible aura détecté l’attaque, tentant ainsi de lui échapper. Cette distance varie selon le type d’aéronef visé. Un avion de transport aura une distance d’engagement supérieure en raison d’une vitesse et d’unemaniabilité moindres comparé à un chasseur potentiellement capable de voler en supersonique et de quitter plus rapidement la zone de danger.
La distance d’engagement correspond en fait à la distance à laquelle l’aéronef ciblé, quelle que soit sa trajectoire, sera toujours dans le volume de destruction du missile en tenant compte de son temps de vol.
Prenons l’exemple d’un système sol/air de 100 km de portée maximale tirant des missiles qui volent à 1000 m/s :
– pour intercepter un aéronef volant à 900 km/h, soit 250 m/s, il devra tirer lorsque celui-ci sera à une distance maximale de 75 km. La distance d’engagement est donc de 75 km contre un aéronef subsonique de type avion de transport ;
– si l’aéronef est un chasseur capable de voler à 1800 km/h, soit 500 m/s, la distance d’engagement sera alors de 50 km maximum, soit la moitié de la portée maximale du système. Au-delà de cette distance, le chasseur aura le temps de quitter le volume d’engagement avant que le missile ne le rattrape.
Il est important de noter que ces calculs ne prennent en compte que les aéronefs militaires équipés d’un RWR (Radar Warning Receiver) et/ou d’un détecteur de lancement de missile. Dans le cas des aéronefs civils, des drones ou des missiles qui n’auraient aucune conscience de la menace, la distance d’engagement peut être beaucoup plus importante, surtout si la cible est en rapprochement, car il n’y aura aucune réaction de sa part.
Procédures d’évitement et contre-mesures des aéronefs
La très grande majorité des avions de combat sont donc équipés d’un RWR. Ce sont des antennes réparties autour de l’appareil qui captent les signaux électromagnétiques. Les RWR couvrent une gamme de fréquences généralement comprise entre 5 et 18 ou 20 GHz, mais certains peuvent couvrir de une gamme de 2 à 20 GHz. Les premiers permettent de couvrir la gamme de fréquences des conduites de tir des systèmes sol/air et celles des avions de combat. Les seconds permettent, en plus, la détection de certains des radars de veille associés aux systèmes sol/air. Cette fonctionnalité est particulièrement intéressante pour des systèmes d’armes tels que l’IRIS-T SLM, les NASAMS ou les SAMP/T qui n’utilisent pas de conduite de tir et se contentent de poursuivre leurs cibles sur des informations discontinues fournies par leurs radars de veille dont certains utilisent des fréquences en dessous de 5 GHz.
Il convient de noter que ces systèmes d’armes peuvent souvent être associés à plusieurs types de radars de veille. Par exemple, l’IRIS-T SLM peut être associé au radar TRML-4D d’Hensoldt, au radar Kronos de Leonardo, ou encore au radar Giraffe AMB de Saab. Chacun de ces radars peut également être utilisé comme un radar de veille autonome, indépendamment d’un système d’armes. Cela peut donc compliquer la détection de la menace même si, généralement, un pays associe son système d’armes au même radar. Dans le cas de l’Ukraine, les Russes savent que le système IRIS-T SLM est associé au radar TRML-4D, ce qui signifie que la détection de ce radar est synonyme de la présence du système antiaérien associé.
Les avions militaires équipés de ces récepteurs radar ont donc conscience de la présence du système d’armes s’il est actif. En cas de tir de missile, ils en sont avertis de deux manières : soit par l’illumination du radar qui les cible, ce qui est facilement détectable, soit par la détection du signal de télécommande du missile. Selon les systèmes d’armes, il peut y avoir des subtilités. Par exemple, pour le Patriot, l’avion visé peut détecter à la fois l’illumination et le signal de télécommande. Pour la famille des S-300/S-350/S-400, seule l’illumination peut être détectée, car le signal de télécommande est « caché » dans la trame du signal radar et plus difficile à extraire. Cependant, une illumination seule ne garantit pas l’engagement par un missile, mais elle indique que l’appareil est exposé. Avec des systèmes comme l’IRIS-T SLM ou le NASAMS, seule la détection du signal de télécommande est une indication d’engagement, car le fonctionnement des radars de veille associés ne sera pas forcément modifié.
Lors de la détection d’une menace missile, la procédure appliquée est universelle. L’appareil visé adopte une série de mesures défensives standard : il se positionne dos à la menace pour augmenter la distance, accélère autant que possible pour retarder l’impact des missiles et entame une descente pour réduire son altitude. Cette manœuvre dynamique vise soit à échapper au volume de destruction du missile s’il est tiré de trop loin, soit à passer sous l’horizon radar pour échapper à la détection. L’horizon radar correspond à l’altitude minimale à laquelle le radar peut détecter une cible, en fonction de la distance et de la courbure de la terre. Par exemple, à 100 km de distance, un radar au sol peut détecter une cible volant au-dessus de 500 m, mais à 200 km de distance, cette hauteur minimale de détection s’élève à 3000 m, et à 300 km de distance, elle est de 5500 m. Bien entendu, ces performances ne tiennent pas compte des éventuels reliefs ou obstacles pouvant compliquer la détection et donc encore la dégrader.
La descente de l’aéronef visé force également les missiles à traverser des couches plus denses de l’atmosphère, augmentant ainsi leur traînée et réduisant leurs performances. Cependant, une manœuvre d’évitement dépend de l’agilité de l’appareil ; un chasseur peut descendre rapidement, tandis qu’un avion de transport mettra plus de temps, ce qui peut compromettre son évasion. Dans certains cas, un appareil menacé peut choisir de ne pas descendre s’il survole un territoire ennemi où des systèmes de défense à courte portée sont actifs, augmentant ainsi son risque d’être ciblé.
Il convient également de mentionner le cas des radars de veille aéroportés. Si ces radars sont liés à un système sol/air, comme l’ont fait les Russes avec leurs A-50 et le S-400, l’aéronef attaqué n’a nulle part où se cacher. Les radars aéroportés permettent de détecter les appareils quelle que soit leur altitude, éliminant ainsi la contrainte de l’horizon radar. Cela confère aux avions comme les A-50 une importance stratégique, leur donnant ainsi un avantage significatif sur leurs adversaires. On comprend alors l’importance pour les Ukrainiens de neutraliser ces appareils, d’autant plus que les Russes disposent d’un nombre limité d’unités.
Si, malgré ces mesures défensives, l’appareil est détecté, il dispose encore de contre-mesures pour brouiller les autodirecteurs des missiles, les conduites de tir, les radars de veille ou les signaux de télécommande des missiles. Le brouillage réussi de l’un de ces éléments peut neutraliser efficacement la menace. En dernier recours, il existe également des leurres électromagnétiques ou infrarouges pour tromper les missiles.
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Abattre un aéronef équipé de détections et de protections adéquates n’est pas aussi simple qu’il y paraît. Pour intercepter une cible aérienne, les opérateurs des systèmes sol/air doivent choisir le moment opportun et ne pas lésiner sur le nombre de missiles tirés. Même si l’engagement se fait à la bonne distance, les manœuvres et les contre-mesures éventuelles de la cible peuvent déjouer l’attaque. C’est pourquoi les procédures de tir recommandent généralement de tirer deux missiles sur une cible et de renouveler l’opération si la destruction n’est pas confirmée et que la cible est toujours dans le volume d’engagement. En règle générale, plus l’engagement est distant, moins la probabilité de détruire la cible est élevée, même avec des missiles à portée étendue. Il est important de souligner que les probabilités de destruction fournies par les constructeurs ne tiennent pas compte des contre-mesures, ni des manœuvres d’évitement de la cible. Par conséquent, un système donné pour avoir un taux d’interception de 90% en tirant deux missiles sur une cible peut voir ce taux considérablement réduit face à des aéronefs équipés de systèmes d’alerte et d’autoprotection. Par exemple, le système S-125 (SA-3 Goa de l’OTAN) est censé avoir une probabilité d’interception réussie de 72% avec un seul missile et de plus de 90% avec deux missiles, selon les spécifications du fabricant. Cependant, lors de l’opération militaire de l’OTAN contre la Serbie en 1999, plus de 800 missiles sol/air ont été tirés par les forces serbes (principalement des missiles des systèmes SA-3 et SA-6) pour seulement 2 appareils perdus, et probablement un autre endommagé. Cela représente un taux d’interception réel bien inférieur à 0,5%. Bien que cela concerne des systèmes antiaériens anciens, contre lesquels les contre-mesures sont désormais bien maîtrisées, cela illustre l’impact significatif que peuvent avoir les moyens d’autoprotection sur l’efficacité d’un système sol/air moderne, même si le décalage ne sera pas aussi extrême.
On précisera que la problématique de l’engagement air/air avec des missiles anti-aériens répond aux mêmes contraintes et s’avère même plus complexe car la cinématique de l’avion tireur (vitesse, altitude, direction) entre aussi en jeu.