Fiabilité et précision des munitions guidées
Olivier DUJARDIN
Régulièrement, dès qu’une frappe russe manque sa cible présumée, les images de cet échec font le tour des médias occidentaux. Montrer les ratés de l’adversaire fait bien sûr partie de la guerre de communication. Doit-on pour autant en déduire que les missiles russes sont peu fiables[1] et peu précis comme cela est souvent déclaré ? Ces affirmations reposent parfois sur peu de choses et doivent surtout être mises en perspective. Des ratés, nous en avons aussi en Occident, bien plus que ce que nous voulons bien admettre et, tant qu’il n’y a pas de journalistes pour le constater, on évite d’en parler. Qu’en est-il réellement de la précision et de la fiabilité des munitions guidées, comment faut-il considérer ces paramètres ?
Fiabilité des munitions guidées
Concernant les missiles ou les bombes guidées, il faut savoir que le taux de fiabilité demandé aux industriels est de 80% sur la durée de vie de la munition. C’est vrai pour toutes les armes, quelle que soit leur nationalité, sauf pour les matérielsemportant des charges nucléaires qui ont des exigences plus élevées. Pourquoi 80% et pas 90% ou 99% ? C’est une question de rapport coût/efficacité. Il a été établi qu’au-delà de 80% de fiabilité, l’accroissement des coûts et des temps de production augmentaient de façon exponentielle ; ce rapport représente donc le meilleur compromis. Bien sûr, ce taux va varier dans le temps. Si une munition est récente, il est probable que son taux de fiabilité soit supérieur – autour de 90% ou 95% -, tandis qu’une munition en fin de vie aura un taux plus faible, entre 70% et 80%. Néanmoins, de manière générale, observer 10% à 20% de dysfonctionnements n’a rien d’anormal. C’est ce que nous connaissons avec nos propres matériels.
Précision des munitions guidées
La précision des munitions doit être évaluée en fonction du contexte. Quelle cible était réellement visée ? Y a-t-il eu une erreur de ciblage ? Y a-t-il eu des mesures de leurrage ou de brouillage ? Y a-t-il eu un problème technique ? Le missile a-t-il été pris à partie par la défense anti-aérienne adverse, ce qui aurait pu l’endommager ? Il faut d’abord être capable de répondre à ces différentes questions avant de pouvoir déterminer la précision réelle d’une munition. Or, dans le contexte d’une guerre, c’est très difficile à estimer car ni les protagonistes, ni les observateurs ne disposent jamais de la totalité de ces éléments. Entre le taux de pannes statistiques naturelles, les contre-mesures prises par les défenseurs (brouillage GNSS par exemple), les erreurs humaines de ciblage, les interceptions par la défense sol/air… il est pratiquement impossible de déterminer les causes exactes de chaque raté ou évènement considéré comme tel.
A titre de comparaison, rappelons-nous le bombardement de la base aérienne syrienne d’Al-Chaayrate effectué avec des missiles Tomahawk dans la nuit du 6 au 7 avril 2017 : sur 61 missiles lancés, 2 ont dysfonctionné au lancement, 30 se sont crashés – victimes de dysfonctionnements, de brouillage GNSS ou abattus par la défense sol/air syrienne -, 6 ont manqué leur cible et 23 ont fait mouche, soit un taux de réussite de 38 %… Ce cas est particulièrement intéressant car un seul site était visé par les missiles et les impacts sont bien visibles sur les images satellites, ce qui rend la vérification d’autant plus facile. C’est un bilan qui ne semble pas très éloigné de ce que l’on peut observer en Ukraine pour ce type de missile.
La seule chose qui ressorte de manière assez nette dans ces frappes est que les missiles de croisière subsoniques se montrent particulièrement vulnérables à la défense sol/air et que le taux d’interception est relativement élevé : il n’est pas rare qu’au moins la moitié des missiles soit interceptée. Ceci pose un problème qui va bien au-delà du cas des armesrusses et porte plus généralement sur la pertinence de l’emploi de missiles de croisière subsoniques dans un espace aérien fortement protégé. Même ceux présentant des caractères de « furtivité » radar se montrent vulnérables. Face à une défense anti-aérienne relativement dense, si la détection de ces missiles peut être retardée grâce à leur « furtivité », ils restent des cibles faciles. A contrario, on constate que les missiles balistiques ou supersoniques sont beaucoup plus difficiles à intercepter par la défense sol/air. Les 9K720 Iskander, en particulier, n’ont jamais été interceptés, grâce à leur trajectoire semi-balistique ; ils disposent également de leurres électromagnétiques GRAU 9B899 afin de tromper les systèmes antimissiles adverses, ce qui améliore leur capacité à passer au travers des différentes couches de défense anti-aérienne.
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Quand on observe un conflit, il est important de regarder les faits avec objectivité afin d’éviter de porter un regard trop condescendant sur les limites et les difficultés rencontrées par tel ou tel camp. En réalité, les obstacles observés sont souvent le reflet des limites et difficultés auxquelles nous serions nous-mêmes confrontés dans une situation similaire. Aussi, il convient de faire preuve de modestie dans la façon dont nous observons une guerre afin d’éviter de tomber dans une autosatisfaction partisane qui nous empêche d’en tirer les bonnes leçons. Méfions-nous des conclusions hâtives qui ne servent qu’à nous rassurer.
[1]https://www.reuters.com/business/aerospace-defense/exclusive-us-assesses-up-60-failure-rate-some-russian-missiles-officials-say-2022-03-24/