Victimes du terrorisme : une place grandissante
Nathalie CETTINA
Le 4 novembre dernier a été signé par le Président de la République le premier décret collectif d’attribution de la Médaille nationale de reconnaissance à 124 victimes du terrorisme[1]. Le terrorisme, qui s’était historiquement voulu une arme de déstabilisation de l’Etat qui en était la cible, tend à changer de nature. Depuis une quinzaine d’année, le développement d’un terrorisme de masse, dont l’objectif est de causer un nombre élevé de victimes au sein de la population civile, a déplacé la cible de l’Etat à l’individu.
Il s’en suit une place croissante accordée aux victimes du terrorisme dans la sphère publique, dont l’action tend à dépasser l’aide médicale et matérielle aux victimes, pour intervenir dans la prévention du phénomène et le débat sécuritaire. Une telle intervention en ce domaine est-elle opportune ?
Les droits, l’assistance et la représentation des victimes
C’est la perpétration d’attentats marquant une rupture, en termes de cible, de méthode ou de nombre de personnes touchées, qui a été le déclencheur au cours des trente dernières années, d’un mouvement de regroupement des victimes, à travers l’émergence d’associations phares qui ont su s’imposer comme les représentants « des victimes pour les victimes » et faire reconnaître leur combat auprès des institutions comme de la société civile.
Les premiers attentats de masse perpétrés au milieu des années 1980 à Paris ont très vite généré un rassemblement des victimes au sein d’une association, « SOS Attentat[2] », dont la présidente Françoise Rudestky a aussitôt choisi de placer l’action sur le plan juridique et médiatique, avec l’objectif de créer des droits au profit des victimes du terrorisme. Le résultat, fruit d’un travail conséquent, fût rapide, puisque l’association a obtenu la reconnaissance de la spécificité des victimes de ce type de violence criminelle, à travers la création:
– du Fonds de garantie des victimes du terrorisme, inscrit à l’article 9 de la loi du 19 septembre 1986[3], destiné à l’indemnisation des atteintes à la personne des victimes d’actes de terrorisme,
– du statut de victime civile de guerre inscrit à l’article 26 de la loi du 23 janvier 1990 pour les victimes du terrorisme. Le bénéfice des dispositions du Code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre est ainsi applicable aux victimes d’actes de terrorisme commis depuis le 1er janvier 1982 et leur permet de bénéficier de soins gratuits, de l’accès aux hôpitaux militaires et pour les enfants touchés par le terrorisme, du statut de pupille de la Nation,
– d’un mémorial dédié à toutes les victimes du terrorisme à l’Hôtel national des Invalides à Paris[4].
C’est, par suit, l’attentat contre le vol UT-772 DC-10 d’UTA perpétré le 19 septembre 1989 qui a donné lieu à la création par Guillaume Denoix de Saint Marc[5] et par l’association des Familles du DC10 d’UTA en 2009 -plusieurs années après les actions judiciaires engagées par le collectif « Les familles du DC10 UTA en colère ! » -de l’Association française des Victimes du Terrorisme (AfVT), vouée à apporter une assistance aux victimes d’infractions terroristes et à leur famille, quelle que soit leur nationalité et le pays de commission de l’infraction.
A leur tour, les attentats du 13 novembre 2015 à Paris et à Saint Denis ont donné naissance à l’association « 13 onze 15 : Fraternité et vérité », chargée d’apporter un soutien aux victimes et aux proches de victimes de ces attentats, ou encore à l’association « Life for Paris ». Comme l’attentat de Nice du 13 juillet 2016 a donné naissance à l’association « Promenade des Anges ».
Ces associations, parmi lesquelles on trouve également – bien que dotée d’un périmètre plus large – la Fédération nationale des victimes d’attentats et d’accidents collectifs (FENVAC)[6], ont, chacun le sait, un rôle prépondérant et crucial auprès des victimes tant à travers un soutien moral et psychologique qu’un accompagnement administratif, financier, juridique, médical et mémoriel.
Suivi des dossiers d’indemnisation auprès du Fonds de garantie des victimes d’actes de terrorisme et d’autres infractions (FGTI), conseil dans les actions judiciaires, possibilité pour l’AfVT de se constituer partie civile dans les affaires liées aux infractions terroristes[7], suivi psychologique individuel et collectif… sont associés à une communication et une action mémorielle menées par des victimes contre l’oubli, pour la réparation des préjudices subis et pour la reconnaissance d’un statut à part.
La reconnaissance par les pouvoirs publics d’une victimologie spécifique liée à l’acte terroriste
La priorité gouvernementale accordée à la lutte contre le terrorisme au cours de ces dernières années et l’affichage du terrorisme au rang premier des criminalités se sont, en toute logique, accompagnés d’une attention particulière accordée à la place de la victime.
La ministre de la Justice, Nicole Belloubet, s’inscrit dans cette tendance le 7 septembre 2018, en présentant le rapport du comité mémoriel, «Terrorisme : faire face. Enjeux historiques et mémoriaux»[8], réflexion sur les différentes manières de commémorer les différents attentats terroristes commis en France. Au nombre des 14 propositions de ce rapport figurent la création à Paris d’un Musée-Mémorial aux sociétés à l’épreuve du terrorisme présenté comme « à la fois un lieu de mémoire, un musée d’histoire ouvert sur l’avenir, un espace de recherche, de conférences et de débats, un lieu de transmission et d’éducation», et une date commune, le 11 mars, de commémoration de l’ensemble des attentats qui ont touché la France depuis les années 1970. C’est bien la mémoire et la place des victimes que le gouvernement entend consacrer et élever en inscrivant les actes terroristes dans l’Histoire (musée, commémoration, enregistrement des procès, inscription dans les programmes scolaires d’histoire et de géographie).
Une mémoire des victimes que l’AfVT avait déjà développé depuis 2001 en rendant, le 19 septembre[9] de chaque année, un hommage national à toutes les victimes du terrorisme. Ce n’est pas un hasard si le chef de l’Etat présidait la commémoration qui s’est déroulée le 19 septembre 2018[10] devant la statue fontaine « Parole portée » dans les Jardins de l’Intendant de l’Hôtel national des Invalides. Le 21 août 2018, ce sont les Nations Unies qui organisaient, elles aussi, la première journée internationale du souvenir en hommage aux victimes du terrorisme. En montant une exposition en l’honneur des victimes de terrorisme, l’organisation internationale a mobilisé les associations d’aide aux victimes de terrorisme autour d’une action commune de sensibilisation. Le secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, a ainsi fait de l’aide aux victimes du terrorisme et à leurs familles « un impératif moral fondé sur la promotion, la protection et le respect des droits de l’Homme », estimant que « la prise en charge des victimes et des survivants et l’écho donné à leur sort permettent de répondre au discours de haine et de division que le terrorisme entend propager ».
Une affirmation qui est malheureusement à nuancer puisqu’en présence d’un type de criminalité toujours actif, afficher la meurtrissure et la déstabilisation que les attentats dirigés contre la population civile provoquent, ne risque-t-il pas d’accroitre en retour la vulnérabilité des démocraties occidentales et des populations qui en sont la cible ? L’ennemi cherche à frapper là où cela fait mal. La sacralisation de la victime, aussi légitime et compréhensible soit-elle à nos yeux, ne risque-t-elle pas d’être instrumentalisée par les tenants de la propagande terroriste ? En affichant notre « fragilité émotionnelle » et l’impact hautement déstabilisant de l’acte terroriste, n’avouons-nous pas que l’arme terroriste atteint sa cible ? Comme l’illustre cette phrase de Ben Laden recueillie en 1997 par un journaliste de CNN, résumant l’état d’esprit du djihadiste contemporain, et reprise en 2012 par Mohammed Merah[11] : « Nous aimons la mort, comme vous aimez la vie« .
L’action du gouvernement en faveur de la prise en charge et de la reconnaissance des victimes s’est traduite par plusieurs mesures initiées dès 2016, poursuivies et développées sous la présidence Macron. Le « vouloir en finir avec la politique victimaire » déclarée par le Président de la République dans une interview au journal Le Point le 1er septembre 2017 et la suppression du Secrétariat général d’aide aux victimes (SGAV)[12] annoncée mi-juin 2017, ne se sont pas traduits, comme l’ont craint à un moment les associations, par une rupture de l’action en publique en faveur des victimes du terrorisme. Au contraire, celle-ci a été portée dans trois domaines.
– La reconnaissance d’abord, avec la création par décret n°2016-949 du 12 juillet 2016 d’une médaille nationale de reconnaissance aux victimes du terrorisme, décernée aux victimes tuées, blessées, séquestrées à compter du 1erjanvier 2006, et remise par les plus hautes autorités de l’Etat.
– La prévention ensuite : les préfets se sont vu confier par les décrets n° 2017-618 du 25 avril 2017 et n° 2018-329 du 3 mai 2018, la mise en place de Comités locaux d’aide aux victimes (CLAV) chargés d’anticiper la capacité d’une réponse rapide et ciblée aux victimes en cas de survenance d’un acte terroriste (mise en place de structure d’accueil pour accompagner les victimes dans leurs démarches administratives, juridiques, judiciaire).
– L’indemnisation enfin, avec au nombre des mesures présentées le 13 juillet 2018 dans le Plan d’action contre le terrorisme, la création à venir d’un Juge de l’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme (JIVAT). Censé simplifier la procédure de recours et faciliter l’indemnisation des victimes du terrorisme, ce juge – à compétence nationale, rattaché au TGI de Paris – pourra être saisi par toute personne s’estimant victime et n’ayant pas obtenu l’indemnisation qu’elle souhaitait par le Fonds de garantie. Il sera seul compétent pour apprécier la réparation du préjudice corporel des victimes, et devrait ainsi, à en croire le Plan d’action contre le terrorisme, parvenir à « unifier la jurisprudence sur la reconnaissance de la qualité de victime du terrorisme et les différents droits qui s’y attachent »[13].
Ce souci affiché de protection des victimes qui dépasse le cadre national se veut également croissant au niveau de l’Union européenne. La directive européenne du 15 mars 2017 prévoit ainsi la nécessité pour les Etat membres de prendre des mesures de protection, de soutien et d’aide pour répondre aux besoins spécifiques des victimes du terrorisme[14]. Une directive à laquelle se réfère le Plan d’action contre le terrorisme du 13 juillet 2018 qui compte parmi ses mesures l’amélioration de la protection des victimes au sein de l’Union européenne, à travers une promotion de la coopération entre les autorités et les entités chargées de la protection des victimes en cas d’attaque terroriste et une harmonisation du régime indemnitaire[15].
De leur côté, les associations de victimes – qui existent de longue date dans certains pays européens marqués par un terrorisme endémique, comme l’Espagne (AVT) ou l’Italie (AVITER[16]), ou qui sont apparues plus récemment, comme en Belgique (V-Europe[17]) – ont compris l’enjeu de s’inscrire dans ce courant. Elles tendent à unir leurs forces et à mettre en commun leur expérience, en développant un réseau d’associations d’aides aux victimes à travers la Fédération Internationale des Associations d’aide aux victimes du terrorisme (FIAVT[18]). La puissante Association des victimes du terrorisme espagnol (AVT[19]) a aussitôt pris le flambeau en développant en 2017, en réponse aux attaques terroristes à travers l’Europe, une plate-forme européenne pour aider les victimes (EPAVT), se voulant un guichet d’informations aux victimes, elle a également tenu les 8 et 9 juin 2017 à Madrid un séminaire international « Assistance ciblée et intégrale aux victimes du terrorisme en Europe » qui s’est voulu un vecteur de promotion de la coopération entre les associations et institutions en Europe.
La tentation des associations de victimes à intervenir dans le débat antiterroriste
En parallèle des missions d’assistance aux victimes, et sans doute fortes du développement international qu’elles initient, les associations de victimes cherchent à ouvrir une réflexion sur le phénomène terroriste et à vouloir prendre place dans la sphère de la prévention du passage à l’action violente.
Ainsi l’AfVT affiche au nombre de ses missions la sensibilisation et la prévention des extrémismes violents. Elle a, à ce titre, développé et mis en place un ensemble de programmes visant à prévenir et à lutter contre le phénomène de radicalisation violente et le terrorisme, et à mobiliser la société civile contre les dangers de l’extrémisme :
– un programme de conférence[20] donnant la parole aux victimes,
– un programme de formation des acteurs engagés dans la prévention,
– un programme de prévention, faisant l’objet d’une évaluation scientifique, pour les structures chargées du suivi des publics sensibles.
Une mission d’éducation de la société civile et de prévention qui serait impulsée par les pouvoirs publics, comme le présente le site internet de l’association[21], et qui justifie son engagement progressif dans la prévention de l’embrigadement et du terrorisme de nature djihadiste. Au nombre de ses objectifs figure l’information des publics sur la réalité du terrorisme et ses répercussions concrètes. Ce qui n’est pas sans poser la question du cadre des missions d’une association de victimes et des champs qu’elle se doit ou non de couvrir. Ne tend-elle pas à se substituer au rôle des pouvoirs publics qui serait de piloter, d’orienter et d’animer la prévention en direction de la société civile, en faisant bien évidemment appel au témoignage de victimes ? Ne courrons-nous pas un risque en confiant ce type de mission à une structure civile et en l’amenant à intervenir sur des questions sociétales, sécuritaires, voire politiques (la nature du terrorisme, la laïcité, le fait religieux, la citoyenneté, la liberté d’expression…) sans que celle-ci dispose de la légitimité scientifique ou opérationnelle pour le faire ? Les associations de victimes ne risquent-elles pas in fine de se fragiliser dans ce type de débat en se mettant à la portée de récupérations politiques, et ce quand bien même les statuts de l’AfVT garantissent le caractère apolitique et areligieux de son engagement ? Lorsque l’on sait la tentation de certaines formations politiques (extrémistes) de confisquer le discours sécuritaire et de se nourrir des actes perpétrés, la question se pose de l’opportunité de l’intervention des associations de victimes dans le débat sécuritaire et du risque de politisation induit qui se révèlerait contre-productif.
Une tentation dont fait également sienne l’association « 13 onze 15 », qui a, entre autres, pour objet de contribuer à toute réflexion et action s’inscrivant dans la lutte contre le terrorisme[22]. C’est dans ce cadre que l’association a créé un cycle de colloques dénommé « 13 Novembre : Comprendre Pourquoi – Agir Comment ? », dont deux ont été organisés depuis sa création, donnant la parole à des intervenants de la société civile. Le premier, tenu à l’Assemblée nationale, à l’invitation de Georges Fenech[23], le 10 mars 2017, portait sur les racines sociales, politiques, religieuses, géopolitiques du terrorisme. Le second s’est tenu à Paris le 2 décembre 2017 sur le thème « Prévenir et combattre le terrorisme : Comment construire la sécurité ? ». Sur les quatre tables rondes composant ce colloque, seule la dernière fût consacrée à l’aide aux victimes, les trois autres « Prévention », « Contre-terrorisme » et « Communication de crise » portaient sur des thèmes qui, par nature, dépassent le champ d’intervention d’une association de victimes.
C’est là engager une réflexion sur des thèmes opérationnels et relevant de l’action publique qui n’est pas sans évoquer, dans ses prémices, la tentation qui a été celle en Espagne des associations de victimes d’entrer dans le débat sécuritaire de traitement du terrorisme, et qui a conduit, l’une des principales associations de victimes du terrorisme, l’AVT (Association des victimes du terrorisme) dans une dérive de politisation peu opportune. Pour mémoire, l’AVT, première association des victimes du terrorisme, créée en 1981 en réaction au terrorisme de l’ETA, s’est particulièrement développée à partir de 1995 lorsque la cible de la violence de l’organisation séparatiste basque s’est déplacée des militaires et policiers (présentés comme les forces d’occupation espagnoles en Pays Basque) vers les élus, militants politiques et personnes civiles[24]. L’AVT, suivie par d’autres associations de victimes, a placé son action sur le plan juridique, en concourant à la mise en œuvre de la « doctrine Parot », un montage juridique permettant de prolonger la durée d’incarcération des militants d’ETA les plus actifs au-delà du délai maximal de 30 ans pendant lequel il est possible, conformément à la constitution espagnole, de maintenir un individu en prison.
La volonté du gouvernement socialiste Zapatero d’ouvrir un dialogue avec l’ETA au milieu des années 2000 a suscité une virulente opposition de l’AVT qui s’est alors appuyée ouvertement sur le Parti Populaire de droite espagnol, pour s’opposer à la politique du gouvernement. Chaque grande manifestation organisée à l’appel de l’AVT avait le soutien du Parti Populaire. Tel fût le cas à trois reprises en 2005 contre un dialogue entre l’ETA et le gouvernement en dehors de toute dissolution de l’organisation. Tel fût le cas également, le 11 juin 2006 où l’AVT, avec l’appui du Parti Populaire, a fait descendre dans les rues de Madrid plusieurs centaines de milliers de manifestants opposés à toute négociation du gouvernement avec l’ETA, l’AVT allant jusqu’à réclamer la vérité sur l’identité des attentats de Madrid du 11 mars 2004. L’AVT et le Parti Populaire s’interrogeaient alors sur une éventuelle complicité de l’ETA ou de membres prosocialistes de la police dans les attentats du 11 mars 2004.
La virulence de la prise de position politique de l’association de victimes du terrorisme avait conduit le président de l’AVT, Francisco José Alcaraz, à accuser le chef du gouvernement Zapatero de « jeu sale » et de « trahir les Espagnols ». Dans un contexte de rupture de l’unité nationale dans la lutte contre le terrorisme, où le gouvernement avait perdu l’appui du principal parti d’opposition, l’AVT avait reçu de l’ancien chef du gouvernement conservateur, José-Maria Aznar, sa reconnaissance pour la tenue d’une telle manifestation. Un satisfecit qui plaçait ouvertement l’AVT au rang d’une association politisée antigouvernementale, en contradiction avec son rôle, par essence, de représentation de toutes les victimes, quelles que soient leur opinion, nationalité, religion. Le 27 octobre 2013, c’est la décision de la Cour européenne des droits de l’homme[25], demandant la libération d’un membre de l’ETA qui avait été incarcéré 5 ans de plus au-delà des 30 années d’incarcération maximale posées par la constitution[26] et remettant en cause par là-même la « doctrine Parot », qui a conduit l’AVT, soutenue une nouvelle fois par le Parti Populaire, à faire manifester quelques centaines de milliers de personnes contre la décision de la Cour européenne des droits de l’homme.
Poser la question de l’opportunité de l’intervention des associations de victimes du terrorisme dans le débat sécuritaire tend à prévenir le risque de politisation induit et de dérive partisane qui viendrait fragiliser l’assise d’une mobilisation citoyenne qui a su montrer son caractère indispensable aux côtés des victimes, garant de leur protection et de leur reconnaissance. Il serait dommage qu’elles se trompent de combat en se perdant là où on ne les attend pas.
Ce rôle et cette influence politiques que cherchent à acquérir les associations de victimes s’est développé, dans une autre mesure, aux Etats-Unis où les victimes des attentats du 11 septembre 2001 ont engagé des poursuites judiciaires contre l’Arabie saoudite dont elles accusent le gouvernement d’avoir apporté un soutien matériel et des ressources aux pirates de l’air qui ont perpétré les attentats contre le World Trade Center et le Pentagone[27]. Alors qu’en application du Foreign Service Sovereignty Act de 1976 garantissant l’immunité aux officiels étrangers, les recours intentés par les victimes des attentats du 11 septembre à l’encontre d’un Etat soupçonné de sponsoriser le terrorisme avaient été rejetés, c’est l’adoption par le Sénat, et contre l’avis même du Président Obama[28], le 9 septembre 2016 d’une loi, Justice Against Sponsors of Terrorim Act (JASTA) autorisant les américains à poursuivre un Etat étranger dans son implication contre le terrorisme, qui a permis à 800 blessés et proches des victimes[29] de l’attaque terroriste du 11 septembre à New-York d’intenter un procès en dommages et intérêts contre l’Arabie saoudite. Des actions qui se poursuivent et dont le « fondement raisonnable » est reconnu par la justice fédérale, qui a rejeté le 28 mars 2018 le recours de Riyad visant à annuler les poursuites à son encontre. Voici une action judiciaire des victimes qui s’inscrit implicitement dans un cadre politique, en ce qu’elle vient prendre à contre-courant la position de l’Etat américain qui, à l’issue de la commission d’enquête américaine sur les attentats du 11 septembre, avait, en 2004, écarté tout soupçon à l’encontre du royaume saoudien, allié de longue date.
Au-delà et derrière ce constat se profile une nouvelle délégitimisation de l’Etat qui non seulement n’est plus acteur de la théâtralité de la violence terroriste, mais laisse la victime affronter l’acte terroriste et lui faire face. Nous observons une victime qui se prend en charge, crée son association, aide ses semblables, cherche par elle-même à comprendre les causes du terrorisme, à prévenir le passage à l’acte, allant jusqu’à tenter de sanctionner des puissances étrangères. L’Etat n’affaiblit-il pas son image, ne se marginalise-t-il pas face aux prérogatives grandissantes développées par les victimes ?
[1] Il s’agit de 124 personnes, ayant subi des attaques dans 21 événements terroristes survenus en France ou à l’étranger depuis 2011. Parmi celles-ci, 22 personnes sont décédées et 102 ont été blessées physiquement et/ou psychologiquement.
[2] L’association SOS Attentat, créée en 1985 et a œuvré pendant 23 ans, jusqu’à sa dissolution en 2008, pour la reconnaissance des droits des victimes du terrorisme.
[3] Complétée par la Loi du 30 décembre 1986 (loi rétroactive aux actes commis à partir du 1er janvier 1985).
[4] Une œuvre de Nicolas Alquin. « Parole portée à la mémoire des victimes du terrorisme ».
[5] Qui a perdu son père et sa femme dans l’attentat,
[6] Créée en 1994, la FENVAC regroupe plus de 80 associations et rassemble les victimes de plus de 130 événements, dont de nombreux attentats survenus en France ou à l’étranger (Incendie du tunnel du Mont-Blanc, crash du vol AF447 Rio-Paris, naufrage du Costa Concordia, attentat de Nice, crash du vol MS804 Paris-Le Caire, attentat de Barcelone, etc.), elle est conventionnée par le ministère de la Justice et le ministère de l’Europe et des Affaires Étrangères
[7] A titre d’exemple, l’AfVT s’est constituée partie civile dans l’Affaire du City of Poros jugée en 2012, un des procès de Ilich Ramirez Sanchez dit “Carlos” dont le jugement est survenu en 2011, l’attentat mené contre le café Argana, sur la place Jamaâ El Fna de Marrakech, nombre de procès visant l’ETA.
[8] Ce comité mémoriel, instauré le 12 février 2018, était placé sous la direction de la déléguée interministérielle de l’aide aux victimes, Elisabeth Pelsez et composé de dix personnalités.
[9] Jour de l’attentat commis contre le DC10 d’UTA, le 19 septembre 1989, qui a fait 170 morts.
[10] Le même jour se déroulait la Cérémonie d’hommage aux victimes du DC 10 D’UTA au Père Lachaise.
[11] « La mort je l’aime comme vous aimez la vie », Mohamed Merah, enregistrement, Le Figaro, 8 février 2012.
[12] Le Secrétariat général d’aide aux victimes, issu d’une proposition de la commission d’enquête sur les attentats de 2015 à Paris, avait été créé en février 2017 au sein du ministère de la Justice pour améliorer les conditions de prise en charge en cas d’attaque terroriste.
[13] Action 17 du Plan d’action contre le terrorisme, 13 juillet 2018.
[14] Directive (UE) 2017/541 du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2017 relative à la lutte contre le terrorisme et remplaçant la décision-cadre 2002/475/JAI du Conseil et modifiant la décision 2005/671/JAI du Conseil. Dispositions 27 à 30.
[15] Action 30 du Plan d’action contre le terrorisme, 13 juillet 2018.
[17] Créée pour les victimes des attentats du 22 mars 2016.
[18] Créée le 16 septembre 2011, cette association regroupe 17 associations de victimes (Italie, Espagne, France, Grande-Bretagne, Maroc, Algérie, Argentine, Israel, Etats-Unis, Ouganda, Kenya).
[19] Asociacion Victimas del Terrorismo.
[20] « Terrorisme : et si on écoutait les victimes ?», un programme proposé pour différents publics et notamment pour un public jeune considéré comme plus sensible à ce sujet
[21] Site internet afvt.org, « L’AfVT en quelques mots ».
[22] Site internet 13onze15.org
[23] En sa qualité de Président de Commission d’enquête relative aux moyens mis en œuvre par l’Etat pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015, et en présence de représentants d’autres associations : Life for Paris, Promenade des Anges.
[24] C’est en 1999 que fût adoptée en Espagne la première loi nationale de solidarité envers les victimes du terrorisme. Les victimes de l’ETA ont dès lors été systématiquement indemnisées.
[25] Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 21 octobre 2013
[26] Et condamnant l’Etat espagnol à verser à Inès de Rio Prada (condamnée à 3 828 ans de prison pour 24 assassinats) 30 000 euros d’indemnité pour avoir prolongé son incarcération.
[27] Au motif que la majorité des terroristes qui ont commis les attentats du 11 septembre étaient des sujets d’Arabie saoudite et que les autorités leur ont accordé aide et assistance.
[28] Notamment au motif que cette mesure va à l’encontre du principe d’immunité qui protège les Etats des poursuites civile et pénales.
[29] La première personne à intenter des poursuites judiciaires, suite à l’adoption de la loi, fût le 1er octobre 2016, Stéphanie Ross Desimone dont le mari est décédé dans l’attentat du 11 septembre.