Les différents types de contrôle parlementaire du renseignement
David ELKAÏM
Dans toutes les sociétés démocratiques, le contrôle des services de renseignement est moins poussé que celui exercé dans les autres domaines d’activité de l’Etat. De même, les délibérations des commissions parlementaires en charge du renseignement n’ont pas lieu en public et les élus qui y participent sont soumis à des règles strictes de confidentialité. Quelle que soit la forme de contrôle adoptée, les sociétés démocratiques s’efforcent de maintenir l’équilibre entre respect de la loi, transparence des services et la nécessité de préserver le secret et l’efficacité du renseignement.
Divers enseignements peuvent être tirés des comparaisons internationales en matière de contrôle parlementaire dans le domaine du renseignement.
Nécessité d’une répartition des compétences claire entre agences
Le nombre et les prérogatives des différentes agences est un élément crucial du contrôle des activités de renseignement et de sécurité. En effet, il est impératif d’éviter qu’un organe dispose d’un monopole : omnipotent, il serait très difficilement contrôlable et les risques seraient grands de le voir s’autonomiser par rapport au pouvoir politique qu’il est censé servir. Les régimes autoritaires sont d’ailleurs souvent caractérisés par une centralisation extrême du renseignement, entre les mains d’un unique organe qui dépend directement du chef de l’exécutif.
Cependant, la prolifération des structures de renseignement aux prérogatives mal définies présente autant de dangers dans la mesure où la concurrence peut engendrer des rivalités bureaucratiques et déboucher sur une « guerre des services », dont on a pu voir l’esquisse aux Etats-Unis entre le département d’Etat, la CIA et le FBI à différentes époques, et notamment au moment de la dernière guerre du Golfe.
C’est la raison pour laquelle la plupart des Etats confient à des agences distinctes la surveillance du territoire national, le renseignement militaire et la sécurité extérieure.
Ces précautions prises, il s’agit de contrôler les moyens mis à la disposition des services, les objectifs qui leur sont assignés, ainsi que d’évaluer les résultats obtenus. La plupart des régimes démocratiques ont mis en place des dispositifs spécifiques de contrôle ou, du moins, de suivi des activités des services de renseignement, dans lesquels un rôle central est conféré au Parlement.
Traditions juridiques et type de contrôle
En préalable, la Constitution ou les lois fondamentales doivent étendre au domaine du renseignement le principe de la séparation des pouvoirs : le législateur vote les lois applicables et le budget des services de renseignement ; l’exécutif organise le fonctionnement des services conformément au droit en vigueur et leur assigne leurs priorités ; le pouvoir judiciaire veille au respect des libertés individuelles et collectives (perquisitions, interceptions des communications, détentions, surveillance des partis et des associations, etc.).
Une fois ce cadre fixé, le type de contrôle est déterminé par les traditions juridiques de l’Etat, son système politique et des facteurs historiques. Ainsi, les pays de Common Law (Royaume-Uni, Canada, Nouvelle-Zélande, Australie) favorisent l’aspect judiciaire orienté vers la protection des droits individuels des citoyens, tandis qu’en Europe continentale, c’est le contrôle de type législatif, formel, de respect des prérogatives constitutionnelles des différentes institutions, qui est privilégié.
Issu de la tradition nordique de l’Ombudsman, un médiateur a été mis en place dans un certain nombre de pays : Afrique du Sud, Allemagne, Australie, Canada, Israël, Norvège, Suède. Saisi par les citoyens, il est habilité à enquêter sur les violations éventuelles des droits de l’Homme par l’Etat dans toutes ses activités – y compris celles de renseignement – et à publier ses conclusions.
Niveaux de contrôle, représentation de l’opposition et expertise
On peut distinguer trois niveaux de contrôle:
- le suivi a posteriori des actions menées, sur la base de rapports périodiques fournis par les services au Parlement et faisant l’objet de débats généraux sur les résultats obtenus ;
- le contrôle restreint, qui correspond à un suivi approfondi : demandes de compléments d’informations, accès direct aux éléments des dossiers et possibilité d’auditionner les responsables des services ;
- le contrôle entier qui s’étend de l’élaboration du budget à la définition des objectifs fixés aux services de renseignement, sous la forme d’une discussion puis d’un vote pouvant déboucher sur la mise en cause de la responsabilité des chefs de services, voire du ministre compétent.
Si le suivi peut être effectué sous la forme classique du travail parlementaire, sous réserve de classification « secret défense », le contrôle restreint ou entier ne peut réellement exister que sous des conditions clairement établies.
Tout d’abord, il faut que l’opposition soit représentée au sein de l’organe de contrôle, pour que celui-ci puisse travailler avec un minimum d’indépendance vis-à-vis de la formation politique qui dirige le gouvernement. Le rapport sur le contrôle parlementaire des services de renseignement du Sénat1 montre ainsi que, si au Royaume-Uni le leader de l’opposition est seulement consulté par le Premier ministre avant la nomination des membres du comité, partout ailleurs les textes imposent la présence d’au moins un membre de chaque groupe politique. En Allemagne, une restriction a été apportée à ce principe : le PDS, parti regroupant les ex-communistes, est exclu.
Outre la représentation de l’opposition, il est nécessaire d’apporter aux parlementaires une expertise dans le domaine du renseignement, qu’ils connaissent souvent mal. Ainsi, dans tous les pays étudiés, l’instance de contrôle peut librement s’adjoindre les services permanents ou ponctuels d’experts pour rechercher les informations et traiter celles fournies par les instances gouvernementales. La Belgique a été plus loin : le contrôle est exercé par un comité d’experts, nommés par le Sénat, une commission permanente du Sénat étant chargée de superviser le fonctionnement de ce comité.
En règle générale, on observe que les commissions dédiées au renseignement ne font pas double emploi avec les commissions parlementaires permanentes, mais les complètent et n’empêchent pas la création de commissions d’enquête ponctuelles sur des événements mettant en cause les services de renseignement.
David Elkaïm
Chargé de recherche au CF2R
Mars 2006
- 1Les pays étudiés sont l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, l’Espagne, l’Italie, les Pays-Bas et le Royaume-Uni, in Les documents de travail du Sénat, série Législation Comparée, mars 2002