« Intelligence-led policing »: stratégie policière ou mission de renseignement ?
Gaël MARCHAND
Pour lutter contre la délinquance, les polices du monde entier sont sans cesse à la recherche de meilleures méthodes de travail et de stratégies. La plus connue des stratégies utilisées de nos jours est la police de proximité (Community Policing). Pratiquement toutes les doctrines modernes reprennent des éléments de cette conception d’une police tournée vers la satisfaction des besoins de la population. Toutefois, une nouvelle doctrine accordant une place prépondérante au renseignement connaît un certain développement depuis les attentats du 11 septembre 2001 : l’Intelligence-Led Policing (ILP), que l’on peut traduire par « renseignement criminel de sécurité » ou « application de la loi axée sur le renseignement ».
L’ILP a pour origine les plans de renseignement policier mis en œuvre au Royaume-Uni au milieu des années 90 ( démarche initiée par la Kent Constabulary). Le postulat de base est que la police, qui perd trop de temps à répondre à des situations d’urgence, doit reprendre l’initiative en visant (Targeting) préventivement les délinquants connus. L’ILP s’est étendue en Australie, Nouvelle-Zélande, avant de connaître un succès aux États-Unis après les attentats du 11 septembre 2001. La nouvelle appétence pour le renseignement s’explique par le manque de coordination prévalant entre les agences spécialisées américaines. Pour cette raison, il n’existe pas une définition ou un schéma uniques d’ILP.
Il est important de souligner cette différence entre les agendas poursuivis aux États-Unis et au Royaume-Uni. Pour les Britanniques, la mise en œuvre de l’ILP était un moyen de redonner à la police l’avantage de l’initiative. Aux États-Unis, l’ILP a eu pour mission, après les échecs qui ont mené aux attentats du 11 septembre, de fédérer les efforts de renseignement et de favoriser les échanges d’information entre les différentes agences.
La mise en œuvre de l’ILP n’est pas neutre pour les services de police et possède un certain nombre d’implications. Tout d’abord, elle présuppose de diversifier les sources du renseignement criminel de sécurité : informateurs de la police, interrogatoires de suspects, analyse de la délinquance et des appels, surveillance des suspects, agences partenaires, informations en provenance de la population, etc. De façon corollaire, l’obtention et la compréhension du renseignement imposent une démarche partenarialevisant à diversifier les sources de renseignement et à s’assurer le concours de compétences non spécifiquement policières.
Ensuite, le défi principal consiste à améliorer sans cesse la connaissance et la compréhension de la criminalité et de ses processus. La mise en œuvre de l’ILP repose alors sur les services d’enquête. Ces derniers ne viennent donc plus en appui de la police de proximité (rôle traditionnel) mais ont un rôle d’entraînement de la machine policière. Les informations précèdent et orientent les actions de police administrative et judiciaire et non l’inverse. C’est pour cela que l’ILP est particulièrement appréciée par certains services de police dans la lutte contre la criminalité organisée transnationale. Toutefois, dans l’ILP, la fonction renseignement n’est plus l’apanage de services spécialisés. Tous les policiers, et particulièrement ceux qui servent dans les services d’enquête, doivent s’approprier la problématique et le cycle du renseignement.
L’ILP telle que mise en œuvre aux États-Unis s’inscrit très exactement dans le cadre de la lutte antiterroriste (LAT). Toutefois, la fixation sur la LAT est coûteuse en moyens humains, matériels et financiers, avec peu de résultats visibles, et se fait souvent au détriment d’autres missions. A titre d’exemple, le nombre d’affaires de droit commun résolus par le FBI (réorienté vers l’ILP) en 2006 a baissé de 30% par rapport à 2005. l’ILP relève donc d’un choix politique qui doit être assumé par les responsables devant l’opinion publique, puisque la population peut avoir le sentiment d’être délaissée par la police judiciaire. L’ILP ne peut se concevoir efficacement que si les stratégies sont soutenues par des moyens techniques perfectionnés, généralisés et redondants : CCTV, Automated Number Plate Recognition (ANPR) etc. L’objectif est de disposer de renseignements en temps réel pour anticiper les actes délictueux. Le passage d’une police traditionnelle à l’ILP représente donc un saut technologique.
Enfin deux remarques d’ordre stratégique s’imposent. L’une est que la mise en œuvre de l’ILP doit s’accompagner d’un plan national de recherche et de gestion du renseignement. Pour les Britanniques, l’ILP a vu le jour en même temps que le National Intelligence Model (NIM). En France, cela suppose que les services de police commencent sérieusement à consacrer des moyens et des structures propres à la fonction renseignement. L’autre est que la prépondérance de la fonction renseignement dans le travail de la police tend à estomper davantage les limites entre la sécurité intérieure et la sécurité extérieure. L’ILP s’inscrit donc parfaitement dans le cadre de la notion de sécurité globale, ou de sauvegarde générale. Elle souligne ainsi l’importance de la sécurité intérieure dans la Défense nationale.