Du Président de la République, de la sécurité nationale et du renseignement
Alexis DEPRAU
Docteur en droit (Université Paris II Panthéon-Assas), spécialiste du droit public du renseignement et de la sécurité nationale
La loi du 29 juillet 2009[1] officialise la prise en compte de la sécurité nationale. Ainsi, le Président de la République et le Premier ministre[2] ont pour mission la protection de la sécurité nationale, car « la politique de défense a pour objet d’assurer l’intégrité du territoire et la protection de la population contre les agressions armées. Elle contribue à la lutte contre les autres menaces susceptibles de mettre en cause la sécurité nationale »[3]. Cette même « stratégie de sécurité nationale a pour objet d’identifier l’ensemble des menaces et des risques susceptibles d’affecter la vie de la Nation, notamment en ce qui concerne la protection de la population, l’intégrité du territoire et la permanence des institutions de la République »[4].
Les stratégies de défense et de sécurité nationale ont donc pour mission la protection de la population et de l’intégrité du territoire, dont la prévention est assurée par les services de renseignement. A cet effet, « la politique publique de renseignement concourt à la stratégie de sécurité nationale ainsi qu’à la défense et à la promotion des intérêts fondamentaux de la Nation. Elle relève de la compétence exclusive de l’Etat »[5].
Pour ce qui concerne notre sujet, il s’avère que le chef de l’Etat dispose de grandes prérogatives pour les nominations ayant trait à la sécurité nationale et au renseignement, sans oublier celle liée à la coordination stratégique concernant la défense et la sécurité nationale.
Avec la prise en compte par le Livre blanc en 2008 de la thématique de sécurité nationale, cette mission qui lui est confiée en matière de défense s’applique aussi aujourd’hui en matière de sécurité nationale, et à plus forte raison, en matière de renseignement public. Ces éléments tendent à mettre en valeur le lien ombilical entre défense, sécurité nationale et souveraineté nationale, car cette dernière « fonde les compétences exclusives de l’Etat et justifie ses pouvoirs régaliens notamment les pouvoirs militaires »[6], mais aussi les pouvoirs nécessaires à la mission de sécurité nationale, comme le renseignement.
Cette compétence en matière de renseignement existait déjà avant la parution du Livre blanc de 2008, mais la prise en compte de la sécurité nationale et du renseignement de manière expresse est une nouveauté qui renforce les compétences du chef de l’Etat comme autorité d’impulsion de mesures nécessaires à la sauvegarde et la protection de la Nation dans tous ses éléments. Ainsi, « de ce travail émerge un nouveau concept ; celui d’une stratégie de sécurité nationale qui associe, sans les confondre, la politique de défense, la politique de sécurité intérieure, la politique étrangère et la politique économique » [7].
Un pouvoir de nomination concernant la Défense et la Sécurité nationale
La nomination par le chef de l’Etat pour les postes importants du renseignement
En matière de renseignement, le chef de l’Etat nomme le Secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN)[8], le Directeur général de la sécurité extérieure (DGSE), le Directeur du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD), le Directeur du renseignement militaire (DRM), le Coordonnateur national du renseignement (CNR), et les autres directeurs des services de la communauté du renseignement ou de services effectuant du renseignement.
La nomination des directeurs des services de renseignement illustre une certaine forme de politisation du renseignement. A titre d’illustration, « en 2008, les responsables de la [DGSI], de la DGSE, de la DRM, de la [DRSD], de la DGPN ont tous été remplacés en quelques mois. Les nouveaux dirigeants se caractérisent par leur proximité personnelle avec le chef de l’Etat. Ce type de ‘politisation’ n’est pas négatif dans la mesure où cela permet d’établir un contact direct entre les patrons des services et l’Elysée, et la prise en compte, pour la première fois en France, du renseignement au plus haut niveau de l’Etat »[9]. Si d’un côté, la relation personnelle qui peut s’installer entre le chef de l’Etat et le directeur du service concerné est un signe de confiance et de loyauté nécessaires au monde du renseignement, d’un autre côté, cette nomination liée à la proximité personnelle ne doit pas avoir lieu au détriment des compétences. Ainsi, « des collaborateurs du président Chirac ne se [privèrent] pas pour déclarer publiquement que les directeurs des différents services de renseignement (DGSE, DST, RG) ont été choisis en fonction d’un critère simple : qu’ils soient aux ordres et que l’on n’entende plus parler des services qui leur soient confiés. Il est vrai qu’au moins dans le cas français, à la fin des années 70, Raymond Barre, alors Premier ministre, déclarait qu’il fallait recevoir les ‘services’ chaque semaine pour s’assurer qu’ils ne préparaient pas une quelconque avanie dans votre dos »[10]. Comme le note Éric Denécé, « ces nominations illustrent le fait qu’il n’y a toujours pas de reconnaissance de la spécificité du métier de renseignement. C’est toujours la logique administrative qui prévaut et non la logique de métier. Les femmes et hommes cités ne sont pas en cause. Leurs compétences dans leur spécialité d’origine sont indéniables. Mais la question demeure : à quand de vrais experts du renseignement aux postes de responsabilité comme c’est le cas à l’étranger ? »[11].
Le pouvoir de nomination des collaborateurs du dispositif particulier de renseignement du président
Outre les Conseils de défense et le Conseil national du renseignement[12], il existe dans l’organisation administrative un niveau administratif discret mais présent, appelé « ‘dispositif de renseignement’, qui pourrait correspondre aux cabinets ministériels pour les administrations non secrètes. Le dispositif de renseignement, relève en effet, dans l’architecture politique et administrative de la Cinquième République, d’une zone intermédiaire, entre officiel et officieux »[13].
Ainsi, le président de la République dispose d’un conseiller particulier « chargé, entre autres, d’assurer la liaison avec les services de renseignement extérieur, le SDECE puis la DGSE. Le nom de ces conseillers figure au Journal officiel sans que leur périmètre d’action soit indiqué de façon claire »[14]. Sous Charles de Gaulle, Jacques Foccart a été l’exemple le plus connu de ces conseillers particuliers auprès du Président de la République assurant la liaison avec le renseignement extérieur. Ce conseiller est « nommé au Journal Officiel, mais sans périmètre d’action particulier au début »[15].
Une coordination stratégique avec le Conseil de Défense et de Sécurité nationale
Le Livre blanc de 2008 sur la défense et la sécurité nationale a influé sur la mise en place d’un nouveau Conseil, dénommé Conseil de défense et de sécurité nationale, tout rappelant encore la primauté du président de la République. La compétence de celui-ci a été rappelée par la loi du 29 juillet 2009, inscrivant dans le Code de la défense qu’il préside « le conseil de défense et de sécurité nationale, de même que ses formations restreintes ou spécialisées, notamment le Conseil national du renseignement »[16]. De telle sorte que le chef de l’Etat arrête « les décisions en matière de direction générale de la défense et de direction politique et stratégique de la réponse aux crises majeures »[17]. Englobant la défense ainsi que la sécurité nationale dans une structure présidée par le chef de l’Etat, le Conseil de sécurité intérieure, les Conseils et Comités de défense, entiers ou restreints, disparaissent pour laisser place au seul Conseil de défense et de sécurité nationale avec ses formations plénières, restreintes ou spécialisées.
Aux origines avec le Conseil de sécurité intérieure
Sous l’autorité du Premier ministre, il exista dès 1986 un Conseil de sécurité intérieure (CSI) qui « regroupa les ministres de l’Intérieur, de la Justice, des Affaires étrangères, des Départements et Territoires d’outre-mer et de la Défense pour analyser la menace terroriste et les moyens devant lui être opposés »[18].
Cette structure fut recréée lors de la troisième cohabitation car, outre les précédents Conseils ou Comités de défense, le Conseil de sécurité intérieure avait été relancé par le Premier ministre Lionel Jospin, sous sa seule signature avec le décret du 18 novembre 1997, créant « auprès du Premier ministre un Conseil de sécurité intérieure [qui] définit les orientations générales de la politique de sécurité intérieure » [19]. Ce Conseil fut orienté sur la sécurité intérieure seulement, se séparant clairement du travail mené par le Conseil de défense nationale, présidé quant à lui par le chef de l’Etat.
De cette répartition affichée des domaines de compétences, Olivier Gohin constate qu’« il s’agit d’éviter que, sur la base de dispositions mal agencées entre elles que le Gouvernement précédent ne s’est d’ailleurs pas préoccupé de revoir, quand, néanmoins, il en était encore temps, la défense militaire soit seule soit seule laissée à la direction du président de la République tandis que tout le reste, y compris la sécurité intérieure, serait dévolu au Premier ministre, et à lui exclusivement ». Et d’ajouter, « qu’aurait à gagner la cohérence de l’action de l’action de la puissance publique en matière de défense et de sécurité à une telle répartition des tâches qui viserait, à l’occasion d’un jeu politicien, à confiner le président de la République dans un rôle de pure figuration en un domaine où il importe particulièrement que l’éminence de sa fonction soit, à tout prix préservée ? »[20].
C’est la raison pour laquelle, par le décret du 15 mai 2002, ce Conseil fut placé sous la présidence du chef de l’Etat[21], tout en conservant les mêmes attributions qu’à l’origine, avec cependant un accroissement de sa compétence pour l’examen des « projets de loi de programmation intéressant la sécurité intérieure »[22].
Ce même Conseil disparut en 2009, dans la mesure où la sécurité intérieure est dorénavant une attribution du nouveau Conseil de défense et de sécurité nationale.
Les formations communes du Conseil de Défense et de Sécurité nationale
La formation plénière du Conseil
La nouveauté apportée par la loi du 29 juillet 2009 tient au champ de compétence dévolu au Conseil de défense et de sécurité nationale, couvrant « l’ensemble des questions et des politiques publiques intéressant les domaines de la défense et de la sécurité nationale pour lesquelles la Constitution attribue une responsabilité au président de la République »[23]. Cette modification législative est la preuve d’une extension par le chef de l’Etat de « son emprise sur les questions de sécurité lato sensu ; ce qui inclut naturellement la sécurité intérieure »[24].
Désormais, le Conseil de défense et de sécurité nationale voit sa mission et sa composition définies par le décret du 24 décembre 2009[25]. Ainsi, l’article R. 1122-2 du Code de la défense fixant la composition du Conseil, rappelle aussi que c’est au Président de la République de le présider. Le chef de l’Etat peut ainsi convoquer de manière discrétionnaire, au Conseil plénier tout comme dans les formations restreintes ou spécialisées, « toute personnalité en raison de sa compétence »[26].
De plus, ce même article définit et fixe les priorités des « orientations en matière de programmation militaire, de dissuasion, de conduite des opérations extérieures, de planification des réponses aux crises majeures, de renseignement, de sécurité économique et énergétique, de programmation de sécurité concourant à la sécurité nationale et de lutte contre le terrorisme ». Cette structure voit donc ses attributions étendues pour concerner non seulement la défense, mais aussi la sécurité nationale et, la planification des réponses aux crises majeures, touchant autant la sécurité nationale que la sécurité civile.
Pour exemple, « lors de l’intervention au Mali en janvier 2013, le Conseil de défense et de sécurité nationale a été réuni quasi-quotidiennement dans les jours proches précédant et suivant le déclenchement de l’opération ‘Serval’ »[27].
Le Conseil de Défense et de Sécurité nationale en formation restreinte
A l’image du Conseil de défense et de sécurité plénier, c’est aussi le Président de la République qui préside le Conseil de défense et de sécurité nationale restreint[28]. Conformément à ce que prévoit l’article L. 1111-3 du Code de la défense, « le Conseil de défense restreint qui conserve les mêmes attributions en matière de direction militaire de la défense devient une simple formation du conseil plénier »[29]. Cette formation restreinte a ainsi pour objet :
– de diriger l’engagement des forces dans le cadre des opérations extérieures. Ainsi, « durant la guerre du Golfe, sept conseils restreints se tiennent les 9 et 21 août, 15 et 19 septembre 1990 et les 1er, 20 et 23 février 1991. Plus proche de nous, c’est à la suite de plusieurs de plusieurs conseils restreints réunis à compter du 16 septembre 2010 – jour d’enlèvement des otages français au Niger – que le président Sarkozy donne l’ordre, le 8 janvier 2011, aux forces spéciales d’intervenir »[30] ;
– de traiter des crises graves. Pour exemple, « Le président Chirac en réunit ainsi un le 11 septembre 2001 en raison des attentats aux Etats-Unis »[31].
Il apparaît cependant que la composition est fixée par celui qui préside ce Conseil restreint, à savoir le président de la République, à la différence de l’ancienne législation qui ne confiait pas la présidence au Premier ministre mais seulement le soin de le réunir[32]. En ce sens, la réduction de cette compétence du Premier ministre revient à dire que « la présidentialisation du pouvoir militaire est renforcée »[33].
*
Pour conclure, ce qu’il est intéressant d’observer concernant la loi du 29 juillet 2009, c’est qu’elle maintient le principe du Premier ministre comme autorité « responsable de la Défense nationale [qui] exerce la direction générale et la direction militaire de la défense »[34]. Cependant, que ce soit la direction générale de la défense ou la direction militaire de la défense, ces décisions sont toutes prises au sein du Conseil de défense et de sécurité nationale, lui-même présidé par le chef de l’Etat[35]. Cet élément revient à dire que l’autorité finale et prépondérante est le Président de la République. Avec la réforme de 2009, « la simplification des structures permet effectivement la concentration des pouvoirs au profit du président de la République… La présidentialisation est renforcée en matière militaire »[36] et de sécurité nationale.
[1] L. n°2009-928 du 29 juillet 2009 relative à la programmation militaire pour les années 2009 à 2014 et portant diverses dispositions concernant la défense, JORF, n°175, 31 juillet 2009, p. 12 713, texte n°1.
[2] Alexis Deprau, « Les compétences du Premier ministre en matière de sécurité nationale », Bulletin de documentation n°21, juillet 2019 (https://cf2r.org/documentation/les-competences-du-premier-ministre-en-matiere-de-renseignement-et-de-securite-nationale/).
[3] C. déf., art. L. 1111-1 al. 3.
[4] Ibid., art. L. 1111-1 al. 1.
[5] Ibid., art. L. 811-1.
[6] Jean-Christophe Videlin, Droit public de la défense nationale, 2e éd., Bruylant, Bruxelles, 2014, p. 39.
[7] Défense et Sécurité nationale : le Livre blanc, La Documentation française, Paris, 2008, p. 10.
[8] D. du 10 octobre 2014 portant nomination du Secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale – M. Gautier (Louis), JORF, n°236, 11 octobre 2014, texte n°29.
[9] Éric Denécé, Les services secrets français sont-ils nuls ?, Ellipses, Paris, 2012, p. 320.
[10] Bruno Delamotte, Question(s) d’intelligence. Le renseignement face au terrorisme, Ed. Michalon, Paris, 2004, p. 55-56.
[11] Éric Denécé, op. cit., 2012, p. 323.
[12] Le CNR n’est pas traité ici car il pourrait faire l’objet d’une étude à lui tout seul.
[13] Sébastien-Yves Laurent, Politiques de l’ombre. Etat, renseignement et surveillance en France, Arthème Fayard, Paris, 2009, p. 301.
[14] Ibid., p. 301.
[15] Gérald Arboit, Des services secrets pour la France, CNRS éd., Paris, 2014, p. 334.
[16] C. déf., art. L. 1121-1.
[17] Ibid., art. L. 1111-3 al. 2.
[18] Gérald Arboit, op. cit., 2014, p. 384.
[19] D. n°97-1052 du 18 novembre 1997 portant création d’un Conseil de la sécurité intérieure, JORF, n°268, 19 novembre 1997, p. 16 736, art. 1.
[20] Olivier Gohin, « La création du Conseil de sécurité intérieure », pp. 35-37, Droit et défense, n°97/4, 4e trimestre 1997, p. 37.
[21] D. n°2002-890 du 15 mai 2002 relatif au Conseil de sécurité intérieure, JORF, n°113, 16 mai 2002, p. 9 246, texte n°3, art. 1.
[22] Ibid., art. 2.
[23] Défense et Sécurité nationale : le Livre blanc, op. cit., 2008, p. 252.
[24] Florent Baude et Fabien Vallée, Droit de la défense, Ellipses, Paris, p. 245.
[25] D. n°2009-1657 du 24 décembre 2009 relatif au conseil de defense et de sécurité nationale et au Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, art. 1.
[26] C. déf., art. R. 1122-4.
[27] Jean-Christophe Videlin, op. cit., 2014, p. 89.
[28] C. déf., art. L. 1121-1.
[29] Jean Massot, Le chef de l’Etat, chef des armées, LGDJ, Lextenso éd., Paris, p. 48.
[30] Florent Baude et Fabien Vallée, op. cit., 2012, p. 246.
[31] Ibid., p. 246.
[32] Ord. n°59-147 préc., art. 11.
[33] Jean-Christophe Videlin, op. cit., 2014, p. 89.
[34] C. déf., art. L. 1131-1.
[35] Ibid., art. L. 1111-3.
[36] Jean-Christophe Videlin, op. cit., 2014, p. 89.