Specificités de la gestion organisationnelle de la lutte antiterroriste en Corse
Nathalie CETTINA
La violence politique à caractère nationaliste sévissant en Corse depuis 1975 a fait l’objet d’un traitement politique fluctuant au cours de ces trente dernières années, qui a alterné ou mêlé des phases de répression et d’ouverture, toutes formations politiques confondues, sans parvenir à faire taire les partisans de l’action directe, au-delà de succès ponctuels, valorisés en atouts électoraux.
Au lendemain de l’assassinat du préfet Erignac, la question nationaliste corse est devenue l’objet d’une appropriation politique de la part d’une personnalité gouvernementale (Premier ministre ou ministre de l’Intérieur), dotée d’ambitions électorales, animée par la volonté d’apporter une réponse originale à un problème qui empoisonne la vie politique française depuis trois décennie.
Quatre priorités sont successivement affichées :
- 1998-1999 : mise à l’écart des tentatives de dialogue, au profit du rétablissement de l’état de droit, avec pour objectif premier l’arrestation du commando qui a assassiné le préfet Erignac.
- 2000-2002 : négociations ouvertes entre les représentants de l’Etat et les élus locaux dans le cadre du » processus de Matignon « , dans l’optique de réformer le statut de l’île.
- 2002-2003 : abandon de la seconde phase du » processus de Matignon « , préparation d’un nouveau statut pour l’île, soumis au référendum, et reprise en main de la traque d’Yvan Colonna.
- 2003-2005 : mise de côté de la question institutionnelle au profit d’une politique de fermeté et d’équilibre se traduisant par : la lutte contre la violence et les activités mafieuses, posée en préalable au dialogue politique ; la priorité au développement économique de l’île. L’engagement politique pris appelle l’obtention prompte de résultats, afin d’asseoir sa crédibilité face à l’opinion publique.
Cette quête par les responsables politiques de succès à afficher rapidement a eu, à plusieurs reprises, une incidence sur la gestion organisationnelle de la lutte antiterroriste, se traduisant par des choix en porte-à-faux avec les logiques ou habitudes d’évolution des services opérationnels, générant concurrence, rivalités, mises en retrait ou dissensions.
Deux tendances se dessinent au cours de ces huit dernières années :
- La tentation d’une enquête parallèle et l’apparition de concurrence entre les services opérationnels sur le terrain, illustrées par l’enquête sur l’assassinat du préfet Erignac. L’arrestation du commando est traitée en objectif prioritaire, qui se voudrait la première expression et légitimation de la politique de rupture engagée. Sur le terrain, on se trouve en présence d’une diversité de services entre lesquelles la collaboration attendue se heurte à des antagonismes de personnes, de structures et d’institutions de rattachement. Plusieurs facteurs ont créé une usurpation de compétences : la création d’un Groupe de pelotons de sécurité ; la centralisation de la gestion du dossier corse auprès des services du Premier ministre ; les compétences mises en ¦uvre par le préfet de région, Bernard Bonnet. A travers ce dernier point, il s’agit d’identifier les attitudes reprochées au préfet de région et de se demander s’il ne faisait qu’exécuter les pouvoirs délégués par les services du Premier ministre ou s’il est allé au-delà des missions qui lui étaient confiées. Des leçons sont à tirer sur l’erreur de gestion politique, dans la mesure où les autorités ont créé les conditions propices aux clivages et concurrences entre services opérationnels. Elles conduisent à mettre en exergue la nécessaire stabilité du dispositif antiterroriste (unité de commandement, coordination politico-opérationnelle).
- La mise en retrait des services traditionnellement compétents au profit de nouveaux acteurs. Les difficultés ultérieures rencontrées dans la gestion de la question nationaliste et dans la lutte contre la mouvance clandestine ont conduit à créer de nouvelles symbioses, soit en privilégiant un service au détriment d’un autre au sein d’un dispositif resserré, soit en confiant la conduite des enquêtes à des services titulaires d’une spécificité autre que terroriste. Elle est illustrée d’abord par la traque d’Yvan Colonna. L’enjeu de cette arrestation se conçoit comme un facteur de crédibilité du nouveau gouvernement, apte à réussir là où son prédécesseur a échoué, puis à mener une politique novatrice de développement insulaire. Il induit un plan d’action innovant, axé sur une étroite coordination des intervenants, associant l’autorité politique en la personne du ministre de l’Intérieur. Il appelle un nouvel équilibrage des missions, se traduisant par la mobilisation du RAID en première ligne et la mise à distance de la DNAT. Elle est illustrée également par l’enquête diligentée contre les activités financières de Charles Piéri. Cette première traduction de la politique de fermeté engagée prend la forme d’une stratégie répressive novatrice, porteuse en termes de crédibilité politique. Le choix organisationnel de confier l’enquête aux magistrats et aux policiers financiers a induit une réticence et une incompréhension des services antiterroristes, en raison du caractère hybride des faits reprochés : délinquance financière et terrorisme.
Actuellement, l’enjeu est d’instaurer un échelon inédit de coordination sur un même dossier entre les services financiers et les services antiterroristes, indispensable à une cohérence de l’action. Face à une criminalité multifaciale, la complémentarité devient un réflexe crucial, pour qui entend de se battre sur les mêmes créneaux.
le rapport