Jeunesse et terrorisme : de victimes à acteurs
Arthur LANGLOIS
L’Hexagone a connu plusieurs attentats de grande ampleur ces dernières années, ainsi que de multiples attaques de basse intensité, comme l’appelait de ses vœux Mohammed al-Adnani, ancien porte-parole de l’Etat islamique, le 22 septembre 2014 : « Si vous pouvez tuer un infidèle américain ou européen – et spécialement ces Français pitoyables et dégoûtants – ou un Australien, ou un Canadien ou un autre de ces infidèles parmi ceux qui nous font la guerre, y compris les citoyens des pays qui sont entrés dans la coalition contre l’État islamique, alors remets-toi à Dieu, et tue-le de n’importe quelle façon ou moyen qui sera nécessaire. »
Entre 2014 et 2016, le nombre d’opérations terroristes liées à l’État islamique en Europe, et surtout en France, n’a cessé d’augmenter. Le graphique[1] ci-dessous indique que le nombre des projets d’attaques terroristes augmente fortement à partir de septembre 2014.
Dans notre pays, le risque est réel et élevé. Les cibles sont majoritairement des symboles forts de l’État ou de la démocratie, tels que les établissements scolaires et, plus récemment, le corps enseignant.
Les établissements scolaires, cibles privilégiées de Daech
En effet, l’école fait partie des nombreuses cibles visées par l’Etat islamique (EI). Différents signaux faibles indiquent que l’organisation envisageait de frapper un objectif scolaire dès 2015. Dans le numéro du 30 novembre 2015 de sa revue francophone Dar al Islam, Daech a publié un article condamnant les principes de l’école publique française : laïcité (séparation de l’Eglise et de l’Etat), égalité (non-condamnation de l’homosexualité), absence de prosélytisme, liberté de conscience, théorie du darwinisme, mixité, interdiction du voile. Les enseignants sont donc vus comme des menaces potentielles contre le dogme du groupe djihadiste.
Par ailleurs, l’attaque du collège toulousain Ozar Hatorah (mars 2012) par Mohamed Merah reste dans toutes les mémoires. Plus récemment, la cible initiale d’Amedy Coulibaly aurait pu être également une école juive, selon l’ancien ministre Robert Badinter. Le président de l’époque, François Hollande, avait lui aussi indiqué que cette hypothèse ressortait de l’enquête, lors de l’hommage qu’il a rendu aux policiers tués durant les attentats de janvier 2015[2].
L’assassinat tragique de Samuel Paty a montré que les enseignants étaient également des cibles prioritaires. Les incidents lors de la minute de silence en hommage à ce professeur et les multiples remontées de menaces et comportements inquiétants dans les établissements scolaires indiquent clairement que les membres du corps enseignant sont des cibles symboliques.
Ce ciblage a conduit le gouvernement français à renforcer la protection des écoles, collèges et lycées via la rédaction de plans de protection.
L’obligation d’un PPMS dans les écoles
Le Plan de protection et mise en sécurité (PPMS) pour les établissements scolaires existe depuis 2002 et s’est enrichi depuis les attentats de 2015 de mesures supplémentaires[3]. Les directeurs d’établissement ont dorénavant obligation de transmettre les dossiers des PPMS aux services de l’Etat et aux services de secours dans un délai de 30 jours.
De plus, avec le passage du niveau Vigipirate à Sécurité renforcée – Risque attentat et les reconductions successives de l’état d’urgence, le ministère de l’Éducation nationale a demandé à son personnel de prendre connaissance des consignes prescrites et de les respecter afin d’améliorer le niveau de sécurité dans les établissements scolaires. Des consignes de sûreté ont également été rédigées par le ministère à destination des parents d’élèves[4].
En 2016, ces contraintes réglementaires et ces actions de sensibilisation ont été complétées par l’obligation de réaliser trois exercices – soit un de plus que l’année précédente – en cours d’année scolaire, dont un avant les vacances de la Toussaint, manifestant ainsi un le caractère urgent de cet entraînement. Le scénario préconisé était celui d’une intrusion en vue d’un attentat.
Fait rare, la rentrée scolaire de septembre 2016 avait d’ailleurs débuté après une conférence de presse conjointe, des ministres de l’Éducation nationale et de l’Intérieur. Elle présentait les mesures désormais déployées pour la sécurité des établissements : augmentation de la fréquence des patrouilles aux abords des établissements scolaires renforcée par des équipes mobiles, lien avec les polices municipales, création d’un réseau de « policiers correspondants sécurité école » dans les commissariats, et volonté affirmée de développer dans l’institution scolaire une culture pérenne de la gestion du risque et de la sécurité[5].
L’émergence d’un danger endogène
Il existe également une variante beaucoup plus vicieuse du risque envers le monde scolaire : celui de la menace intérieure, venant d’élèves en voie de radicalisation.
Les auteurs d’actes violents peuvent en effet être parfois – très jeunes, comme dans le cas de cet Allemand de 12 ans qui a fait deux tentatives d’attentat en décembre 2016 dans la ville de Ludwigshafen[6]. La cible était une église lors des fêtes de Noël. Le premier attentat a échoué en raison d’un défaut technique dans le dispositif de mise à feu et le second attentat n’a pas eu lieu car l’enfant était religieusement « impur » au moment de passer à l’acte[7], ce qui l’aurait bloqué à l’extérieur des portes du paradis. Il a donc renoncé à son action. Ce détail illustre le poids de la croyance, au point qu’un garçon de 12 ans ne soit pas passé à l’acte par crainte de ne pas obtenir la récompense des Huris[8].
En juin 2018, le quotidien Le Monde reprenait le témoignage de Jonathan Geffroy, un djihadiste livré à la France en septembre 2017[9]. Ce Français de 35 ans a notamment rapporté l’existence d’un projet secret de l’État islamique visant à envoyer des adolescents-soldats ayant grandi en Syrie commettre des attentats en France. Ce projet était pensé sur le temps long, avec un mode opératoire assimilable à celui de cellules dormantes :
– recruter des enfants ayant grandi en Syrie ;
– attendre qu’ils grandissent pour qu’ils deviennent méconnaissables, « pour éviter qu’il y ait une reconnaissance faciale » ;
– une fois passée l’adolescence, les envoyer en France commettre des attentats.
« Je sais que les futures opérations extérieures seront commises par des enfants qui auront grandi sur zone et qui, passée l’adolescence, seront envoyés en Occident, en Europe et en France, pour y mener des opérations suicide« , a ainsi raconté ce « revenant ».
Cette alerte a été relayée dans un rapport du Soufan Center[10] qui indique que 2000 enfants de 9 à 15 ans ont été recrutés et formés par l’Etat islamique dans la zone irako-syrienne. Parmi eux, il y aurait eu 460 enfants français. La France est ainsi le principal pays pourvoyeur d’enfants-soldats devant la Russie (350) et la Belgique (118).
Les établissements scolaires français ne sont pas les seuls visés en Europe, les Pays-Bas ont également identifié ce danger, lequel a fait l’objet de la publication d’un rapport[11] de 20 pages par le Coordinateur national du renseignement et du contre-terrorisme, rendu public en avril 2017. Ce rapport développe dans sa dernière partie portant sur la radicalisation des mineurs, trois exemples d’attentats déjoués en Europe impliquant des enfants radicalisés. De même, un article du NL Times traitait du risque des mineurs partis dans les zones de guerre et revenus sur le territoire des Pays-Bas, utilisables comme arme de terreur par l’Etat islamique[12].
De même, au Danemark[13], une ressortissante mineure convertie à l’islam a été condamnée en novembre 2017 à la prison pour avoir projeté des attentats contre une école juive à Copenhague et son ancienne école primaire. L’instruction a montré que, dans ses papiers et sur internet, l’adolescente avait laissé de multiples traces de son adhésion à l’idéologie de Daech, cherchant à entrer en contact avec ses responsables via les réseaux sociaux.
La formation des enfants soldats
La formation d’enfant soldat débute par l’endoctrinement instillé dès le plus jeune, où rien ne doit être contraire à l’islam le plus rigoriste. L’enseignement est avant tout une formation à la violence puisque chaque chapitre des manuels scolaires fait l’éloge du combat. Les listes de mots de vocabulaire à apprendre sont issues du champ lexical des armes et de la guérilla, tout comme les mots utilisés pour la résolution des problèmes scientifiques en mathématiques et physique[14] :
– « Si tu as 42 balles pour tirer sur 7 mécréants, comment tu répartis tes tirs ?».
– « Une fabrique d’explosifs produit 100 engins par jour. Combien en produit-elle par heure ?».
– «Une voiture chargée de 2 tonnes d’explosif C4 est lancée par un kamikaze au milieu d’une foule de mécréants sur une distance de 100 mètres. Combien de personnes seraient tuées ?
1) dans un lieu en plein air ?
2) dans un espace clos ?»
De manière pratique, plusieurs magazines de propagande de l’EI mettent régulièrement en avant les actions de leurs membres les plus jeunes (dès 8 ans), baptisés Lionceaux du califat. Cette scénarisation outrancière peut aller de la simple parade en public, jusqu’à l’exécution de prisonniers. Plusieurs vidéos particulièrement choquantes ont été diffusées. L’une d’entre elles pourrait même permettre de discerner un mode opératoire particulier[15] : il s’agit d’une vidéo se déroulant dans un dédale de couloirs au bout desquels se trouvaient des pièces fermées. Certaines pièces sont vides, et d’autres sont occupées par un prisonnier de l’EI. Des enfants de Daech sont envoyés dans ce labyrinthe avec une arme chargée et ont pour mission de trouver les prisonniers, leur faire dire leur nom, et de les exécuter d’une balle. Le but pédagogique d’un tel exercice n’est pas simplement une partie de cache-cache mortel au profit de jeunes sociopathes. Cela correspond tout à fait à un entraînement de type Close Quarter Battle (CQB)[16].
Dans cet exercice, les enfants progressent dans un bâtiment, en vue de retrouver des cibles et de les supprimer. Un tel scénario pourrait être reproduit dans un établissement scolaire, où de jeunes recrues de Daech, qu’elles soient natives des territoires du djihad ou aient été radicalisées en France, pourraient commettre un attentat dans un établissement scolaire en tuant leurs professeurs et leurs camarades.
Le meurtrier de Samuel Paty a suivi de manière intuitive le même cheminement lors de son périple meurtrier : né en Tchétchénie, sa radicalisation a contribué à préparer son passage à l’acte. Il s’est ensuite rendu sur le lieu de travail de l’enseignant pour le retrouver. Une fois sur place, il a indiqué vouloir contraindre l’enseignant à présenter ses excuses, le filmer, avant de passer à l’acte et de diffuser les images de son attentat sur les réseaux sociaux.
[1] Statistiques établies sur la base des travaux de Thomas Hegghammer et Petter Nesser, « Assessing the Islamic State’s Commitment to Attacking the West », in Perspectives on Terrorism, Vol. 9 Issue 4, August 2015 (http://www.terrorismanalysts.com/pt/index.php/pot/article/view/440/html).
[2] « Les 3 policiers sont morts pour que nous puissions vivre », France Info, 13 janvier 2015.
[3] Bulletin Officiel, Mesures de sécurité dans les écoles et établissements scolaires après les attentats du 13 novembre 2015, circulaire n° 2015-206 du 25 novembre 2015.
[4] Ces consignes sont consultables pour les écoles (http://cache.media.education.gouv.fr/file/08-aout/21/8/2016_securite_guide_ecole_parents_616218.pdf) ainsi que pour les collèges et lycées (http://cache.media.education.gouv.fr/file/08-aout/22/4/2016_securite_guide_college_parents_web_616224.pdf).
[5] « Rentrée scolaire : l’Intérieur et l’Education côte à côte », La Voix du Nord, 24 août 2016.
[6] Le Parisien, décembre 2016 (https://www.leparisien.fr/faits-divers/allemagne-un-garcon-de-12-ans-voulait-commettre-un-attentat-a-la-bombe-16-12-2016-6464415.php).
[7] L’enfant, ayant trop dormi ce jour-là, n’avait pu faire ses ablutions avant l’heure prévue pour l’attentat (https://www.falter.at/zeitung/20180410/endlich-versteht-mich-jemand).
[8] Les Houris sont des vierges célestes qui seront la récompense des bienheureux ou des martyrs au paradis.
[9] « Terrorisme : un revenant dévoile le projet secret de Daech en France », Le Journal Du Dimanche, 26 juin 2018.
[10] Foreign Fighters and the threats of returnees, octobre 2017 (https://thesoufancenter.org/wp-content/uploads/2017/11/Beyond-the-Caliphate-Foreign-Fighters-and-the-Threat-of-Returnees-TSC-Report-October-2017-v3.pdf).
[11] The Children of ISIS (https://radical.hypotheses.org/files/2018/01/Minderjarigen_bij_ISIS_ENG.pdf).
[12] “ISIS won’t hesitate to use kids in terrorist attacks”, NL Times, 6 avril 2017.
[13] RTL, novembre 2018 (https://www.rtl.fr/actu/international/daesh-danemark-une-adolescente-condamnee-pour-tentative-d-acte-terroriste-7791162189).
[14] « Les manuels scolaires de l’Etat islamique », L’Express, 13 mars 2017.
[15] « Les enfants soldats de Daech mis en scène dans un jeu macabre », Nouvel Obs, 5 décembre 2015.
[16] Cet acronyme désigne le combat (urbain) à très courte distance, en milieu clos, et est pratiqué par tous les groupes d’intervention au monde. Le but est d’intervenir dans un bâtiment dans lequel sont retranchés des terroristes, de les neutraliser et de secourir les otages. L’entraînement à cette technique de combat se fait à travers de parcours de tir mettant à contribution le discernement des forces de sécurité entre les cibles hostiles et non hostiles.