Facultés psi et renseignement : impossible mariage ou perspectives prometteuses ?
Yannick BRESSAN
Une pythie, un devin, une voyante, l’oracle de Delphes… Depuis la Grèce antique et bien avant probablement, dans toutes les contrées et dans toutes les cultures, les chefs de guerre et monarques ont recouru aux facultés métapsychiques ou parapsychologiques de certains êtres particulièrement sensitifs ou intuitifs afin de planifier une attaque ou d’assurer la défense d’une cité ou d’un territoire[1].
Outre l’appel aux dieux pour éclairer leurs décisions et demander une protection « magique » bienveillante, il s’est agi d’anticiper et de comprendre les mouvements, la stratégie et les intentions ennemies ; de faire ni plus, ni moins, que du renseignement.
Lors des guerres médiques entre les Grecs et les Perses, en 490 avant notre ère Athènes consulta l’oracle afin de savoir s’il était bon de s’allier avec Sparte L’oracle rendit une réponse négative. Or, c’est justement l’intervention du spartiate Léonidas aux Thermopyles en -480 qui permit aux Athéniens de disposer de temps pour organiser leur défense et remporter la victoire de Salamine. Notons tout de même que cette victoire serait due, et c’est un comble, à un oracle de la Pythie qui avait conseillé de bâtir un mur de bois, ce qui, symboliquement, pouvait représenter la flotte athénienne massée dans le goulet de Salamine. On accusa alors la Pythie de « parler en faveur des Mèdes ». Un agent double en quelque sorte…
Bien d’autres exemples et anecdotes arrivées jusqu’à nous soulignent le rôle fondamental qu’auraient tenus certains êtres en rapport avec l’invisible ou capables de faire des divinations dans les victoires militaires. L’histoire antique rapportée par Plutarque est éloquente à ce sujet.
Il est indéniable que les puissants se sont, tout au long de l’histoire, entourés de prescients, de magiciens et autres individus dotés de facultés psychiques (PSI) extraordinaires pour les aider, guider leurs choix stratégiques ou les prévenir des dangers futurs. Etaient-ils fragiles, fous, sous influence ou simplement pragmatiques ? Constataient-ils les effets de ces facultés hors du commun dont étaient dotés certains ? Permettaient-ils vraiment des prises de décisions éclairées ? Il est possible de l’envisager tant le recours à des prescients, Remote Viewers, voyants et autres approches alternatives a perduré jusqu’à nos jours[2].
Une illustration édifiante en a été donné lors la Guerre froide, au cours de laquelle Américains et Soviétiques ont cherché à exploiter des techniques « hors normes », dites métapsychiques, afin d’obtenir la supériorité informationnelle sur leur adversaire. Les résultats obtenus par les deux camps ont été troublants, bluffants ou… affligeants.
Les expérimentations américaines
Dans les années 1970, les Etats-Unis apprenaient, médusés, que les Soviétiques avaient dépensé de sommes énormes afin d’étudier les pouvoirs psychiques de différents médiums. Cela leur aurait permis d’identifier différentes facultés qui pourraient servir dans le cadre du renseignement. Effroi des américains ! Ils décident de répondre à ces risques hors-normes. La Guerre froide se transforme en guerre psychique.
En 1977, un militaire américain, Joseph McMoneagle[3], passa des tests avec plusieurs milliers d’autres individus supposés être doués d’aptitudes extra-sensorielles. Il fut retenu pour ses aptitudes exceptionnelles. A titre d’exemple, il lui fut demandé de déterminer précisément où se trouvait une personne qu’il ne connaissait pas et dont il ne savait rien. Ses réussites significatives le propulsèrent dans l’un des projets les plus confidentiels du renseignement américain : Stargate. Mieux encore, sa connaissance – ou sa vision – de secrets soviétiques sidérants poussèrent ses supérieurs à envisager que McMoneagle pouvait être un agent double ou qu’il était simplement… doué de pouvoirs extraordinaires. McMoneagle passa alors des tests qu’il réussit haut la main et il fut l’un des six sujets psi retenus pour l’expérience ultrasecrète que conduisit alors le renseignement américain.
Une expérience de vision à distance (ou Remote Viewing) fut mise en place très sérieusement par la CIA. Un « commando de médiums » connu sous le nom de Remote Viewer Number One fut formé. L’objectif était, dans un premier temps, de mesurer très concrètement les aptitudes psychiques de ces voyants-espions qui auraient pour mission d’infiltrer des esprits de scientifiques, de décideurs politiques ou d’infiltrer des lieux inaccessibles physiquement à des agents de terrain.
Notons que McMoneagle avait son avis sur la question et sur ses facultés extrasensorielles. Il ne s’agissait, selon lui,que d’aptitudes intuitives héritées depuis l’aube de l’humanité, une sorte de sixième sens hérité de l’instinct de survie des hommes des premiers âges. L’avis de McMoneagle était peu nébuleux, dénué de fondements scientifiques solides et n’a pas eu d’écho ou de dans la littérature spécialisée. Quoi qu’il en soit, la CIA accorda une attention particulière aux talents de son agent-médium, notamment à ce qu’il était possible d’en attendre du point de vue du renseignement.
La CIA était enthousiasmée par les résultats de ses nouvelles recrues dans différents types d’opérations, telles que la recherche de personnes disparues ou la localisation militaire.
Joseph McMoneagle parvint à obtenir Remote Viewing plus d’une centaine d’informations, toutes vérifiées, au cours de ses dix années de services. Il fut l’un des agents les plus efficaces du projet de la CIA. Il fut d’ailleurs décoré pour ses mérites et le nombre de ses missions réussies. L’une d’entre elles est particulièrement édifiante. Les services de renseignement américains avaient découvert l’existence d’un bâtiment massif curieux sur le sol soviétique, mais étaient dans l’impossibilité de savoir ce que cachait cet important complexe, dont ils subodoraient l’importance probable d’un point de vue stratégique. Les experts du Conseil national de sécurité pensaient que les Soviétiques pouvaient être en train d’y élaborer un nouveau véhicule blindé. Mais cela n’était qu’une hypothèse.
La CIA fit alors appel à son agent psi. Elle lui demanda, à partir d’une photo, de visualiser à distance l’activité relative cette mystérieuse bâtisse. Après avoir effectué sa « mission », McMoneagle ne se rangea pas l’avis du Conseil national de sécurité et affirma avoir visualisé lors de son « infiltration » grâce à la vision à distance, un immense sous-marin très avancé technologiquement pour l’époque. Il dessina alors sa vision et présenta ses notes à ses supérieurs médusés et… amusés. La base secrète étant située assez loin de la mer, la théorie de l’agent-psi leur semblait fantaisiste. Pourtant l’agent persista dans son intuition – et sa vision – et ira jusqu’à affirmer que l’engin serait mis en service cent quatorze jours plus tard. Une centaine de jours après, les Américains se rendirent compte qu’un canal avait été creusé depuis cette base jusqu’à la mer et que le premier sous-marin soviétique de la classe Typhoon entrait en service. D’autres opérations des voyants-espions ne connurent, certes, pas le même succès mais cette opération psi n’en reste pas pour le moins troublante.
Le dernier projet connu de ce programme de la CIA faisant appel à des voyants porta le nom de Stargate. Il engloutit des sommes faramineuses. On commença en haut lieu à se poser la question du bien-fondé d’aussi importants investissements financiers dans de tels travaux, lesquels, malgré quelques succès, restaient trop aléatoires au goût des dirigeants. Des experts furent mandatés afin d’évaluer l’efficacité opérationnelle des agents psi. Suite à un audit, leurs opinions s’avérèrent très divergentes : charlatans pour les uns, véritables « voyants » capables d’incroyables prouesses pour les autres. Il était indéniable que de nombreux et cuisants échecs étaient venus contre-balancer les quelques réussites magistrales qu’avaient obtenus les agents psi. Ce rapport, pourtant assez mitigé, signa donc la fin du projet. De même, L’Institut Américain pour la Recherche estima les résultats de ces voyants-espions insuffisant et, dès le 30 juin 2015, tout fut officiellement abandonné. Ce programme américain aura donc duré vingt-cinq années pour un coût global de vingt-cinq millions de dollars. Connaissant le pragmatisme américain, il est curieux qu’un tel programme qualifié de supercherie ait put subsister tant de temps et engloutir des sommes aussi importantes sans résultats significatifs. Toutefois l’acuité de compétition stratégique avec l’Union Soviétique a pu aveugler les décideurs politiques et militaires et les pousser à s’engager dans des voies de recherches scientifiquement discutables.
Signalons que des documents déclassifiés de la CIA attestent de l’existence de ce projet de voyants-espions. Au milieu des années 1990, le journaliste français accrédité Défense Nicolas Maillard fut l’un des premiers à mettre en place un site internet recensant tous les documents déclassifiés relatifs à ce sujet. L’information n’a quasiment pas été reprise par le reste de la communauté journalistique.
Les recherches russes : réalité ou désinformation ?
Les données sur le recours par l’Union soviétique aux techniques psi dans le cadre du renseignement restent très confidentielles et difficiles à mettre au jour.
Au regard de l’emploi très bien maitrisé par les services soviétiques des techniques de propagande, il est à intéressant de se poser une question. Afin d’induire le renseignement américain en erreur, le KGB n’aurait-il pas monté de toutes pièces, durant la Guerre froide, une rumeur faisant croire à de recherches concernant à une possible utilisation d’activités paranormales dans le cadre du renseignement ? En faisant croire qu’ils développaient des activités de guerres psychiques, les services soviétiques n’ont-ils pas travaillés à tromper l’ennemi et à l’effrayer. Plus encore, en le conduisant sur une voix fallacieuse, n’auraient-ils pas fait perdre aux Américains beaucoup de temps et d’argent ? Il s’agirait alors là une opération psychologique d’une redoutable efficacité.
C’est en effet durant les années 70 que les Américains ont eu vent de recherches soviétiques sur le sujet et de l’engagement financier auquel ils consentaient en matière de psi appliqués au renseignement. D’ailleurs, McMoneagle n’a-t-il pas été suspecté d’être un agent double ? D’ailleurs, sans tomber dans la théorie du complot, il convient de relever que la Russie possédait déjà des recherches très avancées sur le sujet avec Bechterev et Vassiliev, dès les années 1910-1920.
Il est cependant difficile d’écarter d’un simple revers la possibilité qu’un véritable programme « renseignement et psi » ait existé en Union soviétique, en particulier au regard de l’appétence des dirigeants soviétiques pour les pratiques alternatives proches du pouvoir. Pensons à Grigori Raspoutine et à son lien étroit à la famille impériale ainsi qu’à son rôle d’espion au début du XXe siècle. C’est, bien évidemment le traditionnel folklore du mage de cour, mais la chose est suffisamment célèbre pour être signalée. Cette anecdote peut certes paraitre quelque peu rocambolesque pour en tirer des conclusions hasardeuses, mais l’écarter purement et simplement serait tout aussi hasardeux. Et n’oublions pas que des résultats troublants furent obtenus par le programme américain Stargate. N’y aurait-il vraiment là que jeux de dupes de part et d’autre afin de tromper l’ennemi ou s’est-il agi de réels enjeux stratégiques pour le renseignement ? Il est bien difficile de le dire…
Les réserves européennes
Il est rare, dans les pays européens, que la police ou les armées fassent appel aux services de voyants, d’intuitifs ou d’énergéticiens pour les aider dans la résolution d’enquêtes criminelles ou de questions stratégiques[4]. Mais il arrive parfois que des voyants s’adressent d’eux-mêmes aux services de sécurité. Par exemple, lorsque la police se retrouve bloquée dans le cadre d’une enquête, elle peut alors être amenée à vérifier les dires que des voyants lui communiquent. Cela a été le cas, en France en 2013, dans l’affaire du meurtre de la petite Fiona, dont on n’a toutefois jamais retrouvé le corps.
En Angleterre, les policiers de Scotland Yard auraient eu recours à des voyants, notamment dans l’affaire del’éventreur du Yorkshire, coupable des meurtres d’une quinzaine de prostituées entre 1975 et 1981. A l’époque, les journalistes avaient interrogé des médiums au sujet de cette affaire, et l’un deux s’était attaché à analyser ces interviews afin de voir ce qu’il en ressortait. Le résultat fut saisissant : on découvrit qu’un des médiums avait donné le métier de l’assassin ; un autre avait, en 1977, donné la date exacte du meurtre suivant ; un troisième avait donné le nom de la ville où résidait l’éventreur ; et une quatrième voyante avait trouvé, le prénom de l’éventreur ainsi que le numéro de sa rue !
Les évolutions en cours
Il est incontestable que le regard sur les capacités psi évolue aujourd’hui et que le recours à la parapsychologie pour la sécurité nationale est envisagé dans certains pays[6]. Un nombre croissant de chercheurs bénéficie du soutien d’universités et d’instituts sérieux comme l’Institut Métapsychique International (IMI[7]) – fondation reconnue d’utilité publique qui se consacre à l’étude scientifique des phénomènes dits « paranormaux » depuis 1919 – et de budgets pour conduire des recherches en la matière. Ces budgets favorisent l’utilisation sans cesse croissante des hautes technologies ce qui permet d’atteindre des niveaux de plus en plus significatifs quant aux standards scientifiques en matière de reproductibilité, de prédictibilité et de quantification dans les études liées aux phénomènes dits « paranormaux »[8].
Les progrès techniques dans deux disciplines ont permis une meilleure compréhension du rôle fondamental du psisur notre réalité : l’informatique et la physiologie.
– la première a permis un chronométrage extrêmement précis et l’automatisation des observations excluant progressivement l’incidence de l’observateur reprochées aux travaux des pionniers de la métapsychique. Il est ainsi possible d’avoir un recours plus fin au calcul des probabilités dans le cadre d’une expérience mettant en jeu une activité « paranormale » ;
– la seconde introduit des protocoles qui vont offrir aux expérimentateurs des conditions nouvelles, telles que la dérivation sensorielle ou la mesure de la conductivité de la peau, permettant d’enregistrer des communications psi de très faible amplitude échappant totalement à la conscience des sujets testés. À ce niveau de précision, les phénomènes psi pourraient ainsi apparaitre, non pas comme l’apanage de sujets hyperdoués, mais comme une constante du vivant. Peut-être même serait-ce là l’une des constantes liées à l’émergence de nos réalités et l’un des ressorts de l’adhésion émergentiste[9] dont il a été observé en imagerie médicale fonctionnelle combien le rôle d’un changement d’état de conscience (hypnotique) est fondamental.
Toutefois les recherches scientifiques en ce domaine ne semblent pas, loin s’en faut, être à l’ordre du jour. Pourtant, un protocole sérieux est à inventer et à rendre opérationnel. Ecarter une telle approche sans même l’envisager pourrait priver la police et les services de renseignement d’outils originaux et efficaces.
Les bénéfices possibles ne vaudraient-ils pas la peine de s’y pencher et d’étudier sérieusement la question pour envisager des agents psi du renseignement ? Les quelques exemples abordés dans cette note ont montré que la chose est envisageable avec de résultats parfois édifiants en matière de renseignement.
Des radiesthésistes, des énergéticiens, des intuitifs et d’autres champs d’activités métapsychiques pourraient dès lors venir enrichir la « trousse à outil » d’un renseignement proactif afin de mener des opérations psi offensives.
[1] E. R. Dodds, Les Grecs et l’irrationnel, Paris, Flammarion, 1999.
[2] J.-Y. Le Naour, Nostradamus s’en va-t-en guerre : 1914-1918, Paris, Hachette littérature, 2008.
[3] J. McMoneagle, Memoirs of a Psychic Spy : The Remarkable Life of U.S. Government Remote Viewer, Hampton Roads Publishing Co., 2002, 2006.
[4] A. Lyons, M. Truzzi, The Blue Sense: Psychic Detectives and Crime, Editions Mysterious Pr, 1992.
[5] https://www.iris-ic.com
[6] J. Cote, « Psychics, Others offer to help Police in search », The Modesto Bee, 5 janvier 2003.
[7] https://www.metapsychique.org
[8] Voir Cardena, American Psychologist, 2018.
[9] Voir au sujet de l’adhésion émergentiste, Y. Bressan, La particule fondamentale de l’Etre. Neuropsychologie, dissonances, radicalismes et adhésion émergentiste, MJW Editions, 2019.