William Reno, Warfare in Independent Africa
François Yves DAMON
William Reno est professeur associé de sciences politiques à la Northwestern University, Chicago. Dans son livre, Warfare in Independant Africa[1], il distingue cinq types de guerre ou de rébellions :
– Rebelles réformistes,
– Guerre anticoloniale,
– Guerre anti-apartheid,
– Seigneurs de la guerre,
– Rebelles locaux.
En revanche, W. Reno n’aborde pas les groupes armés islamistes.
Après les frustrations endurées sous le régime colonial, la redistribution attendue des fonctions administratives détenues par les colonisateurs, une fois partis ces derniers, avait idéalisé les indépendances (programme de Tripoli du FLN algérien prévoyant le départ de tous les Français d’Algérie). La perspective d’occuper un poste dans la future administration indépendante constitua une motivation forte de ralliement aux rébellions, d’autant plus que les diplômés africains, en mal d’ascension sociale, étaient en nombre sans cesse croissant. Mais, le joug colonial abattu, l’Afrique fut aussitôt capable de produire des dictateurs autochtones. A partir des années 80, la probabilité de renversement par un coup d’État des chefs d’États africains s’élevait à 60%, depuis le renversement d’Hissène Habré par Idriss Déby, en 1990 au Tchad, au coup malien de 2012.
Depuis les indépendances, les trois plus longs conflits africains ont été, deux guerres civiles : celle opposant, de 1983 à 2005, Khartoum au SPLA (Sudan People’s Liberation Army) du Sud-Soudan ; et la guerre civile angolaise, de l’indépendance, de 1975, à la mort du leader de l’UNITA (Uniao Nacional para a Independancia Total de Angola), Jonas Savimbi, en 2002. C’est au cours de cette dernière qu’eut lieu la plus importante, sinon la seule bataille rangée, celle de Cuito Cuanavale. Elle vit la victoire, entre le 12 et le 20 janvier 1988, dans le sud angolais, de 8 000 combattants de l’UNITA soutenus par l’armée sud-africaine sur les 10 000 à 15 000 soldats angolais du MPLA (Movimento Popular de Libertaçao de Angola) et leurs alliés Cubains. Le troisième conflit, le plus meurtrier depuis la Deuxième Guerre mondiale, étant celui de la République démocratique du Congo, commencé en 1997 et inachevé à ce jour.
Rebelles réformistes et guerres anticoloniales
Tous les groupes rebelles devaient choisir leur camp lors de la Guerre froide, donc son obédience. Ils devaient également posséder une base arrière, un sanctuaire. Ils y acquirent une expérience de l’administration d’un territoire, de l’endoctrinement idéologique et de la formation d’une armée régulière, laquelle devait leur permettre de passer de la guérilla à la guerre régulière pour affronter le pouvoir de l’État colonial, suivant là les principes maoïstes élaborés à Yan’an entre 1935 et 1947.
Quand Fulbert Youlou fut, en 1963, renversé à Brazzaville par le sympathisant marxiste Massembat Debat, ce dernier offrit l’hospitalité à ses compagnons idéologiques du MPLA, leur ouvrit l’accès aux patronages soviétiques et cubains, et leur fournit l’opportunité d’envoyer une délégation à la tricontinentale à la Havane, où le MPLA obtint sa légitimation comme organisation anticoloniale officielle. L’Éthiopie de Mengistu accueillit le SPLA sud soudanais, car cela servait ses propres intérêts dans son conflit avec le Soudan.
A partir de 1960, Amilcar Cabral et les dirigeants du PAIGC (Parti de l’indépendance de la Guipée Bissau et Cabo Verde) trouvèrent refuge en Guinée Conakry, ceux de Mozambique en Tanzanie, où Nyerere protégea le FRELIMO de ses rivaux. L’Angola devenue indépendante accueillit la SWAPO.
Nombre de futurs dirigeants rebelles ont été formés dans les universités des métropoles coloniales où ils ont découvert les critiques européennes du système colonial. Hors Afrique, le meilleur exemple demeure du cambodgien Pol Pot. Agostinho Neto, leader du MPLA et premier président de l’Angola, et Jonas Savimbi, leader de l’UNITA rivale ont tous deux été étudiants à l’Université de Lisbonne.
Les diplômés africains, en surnombre par rapport aux opportunités offertes par leurs pays, constituèrent la masse la plus qualifiée des immigrants entrant sur le sol américain. En 2000, 83% des Nigérians adultes ayant migré vers les États-Unis possédaient un niveau d’éducation universitaire. En Afrique du Sud et en Rhodésie (Zimbabwe), la plupart de ceux qui n’émigraient pas, rejoignaient la rébellion. Il en alla de même jusqu’en Érythrée, dont l’économie était incapable d’absorber le nombre exponentiel de diplômés du secondaire.
Les diplômés sortaient des universités européennes mais également de celle de Dar Es Salaam fondée en 1970. Là se constitua une élite partageant l’atmosphère exaltée d’anti-impérialisme, de socialisme et de nationalisme. Nombre de dirigeants rebelles furent également formés par les agences internationales. À la fin des années 1970, le Haut-commissariat des Nations unies aux réfugiés (HCNUR) finançait les études de 800 étudiants africains dans diverses universités du continent. Le milieu des diplômés s’avéra cependant particulièrement porté au factionnalisme et aux coteries.
La fuite des cerveaux continua sinon s’accéléra après la fin de la Guerre froide. On a estimé qu’environ 20 000 diplômés africains quittaient chaque année le continent. Le pire exemple est au Zimbabwe où tous les docteurs d’une même année de formation ont quitté le pays. L’influence politique des intellectuels africains sur leur propre continent s’est tant atténuée qu’elle aboutit à une marginalisation de cette catégorie au cours de la période ayant suivi la Guerre froide.
Implosion soviétique et fin de la Guerre froide
Les indépendances ont été obtenues dans le contexte de la Guerre froide et la plupart des nouveaux États ne tardèrent pas à devenir des enjeux ou des arènes de celle-ci. Or, le projet socialiste se révélait efficace comme outil de mobilisation et de discipline.
L’apogée de l’idéal socialiste est contemporain de la guerre du Vietnam, soit les décennies 60 et 70, époque du rejet global du colonialisme et de l’impérialisme, époque de la conférence tricontinentale de 1966 à La Havane où se retrouvèrent les insurgés socialistes africains et sud-américains. En avril 1965, Guevara conduit une centaine de Cubains au Congo, dans la province du Kivu, afin d’y organiser une guérilla du type de celle de la Sierra Maestra aux côtés de Castro une dizaine d’années auparavant. Ce fut un échec, et ses mémoires contiennent des mots très amers, « The collapse of a dream[2] » et des jugements sévères sur les dirigeants rebelles, en particulier sur Laurent Désiré Kabila. Idéal et projets socialistes perdurèrent dans les années 80, mais ne survécurent pas à la fin de la Guerre froide et à l’implosion soviétique.
La labellisation par l’administration Reagan de l’ANC (African National Congress) comme « organisation marxisante » soutenue voire dirigée par Moscou, valut au régime sud-africain le soutien des États-Unis. Ce soutien fut étendu à la lutte contre la SWAPO, Organisation de libération du peuple sud-ouest africain, ancienne colonie allemande alors placée sous mandat sud-africain. La SWAPO était soutenue par l’Angola, allié des Soviétiques et des Cubains. Au Mozambique, les Etats-Unis soutinrent la contre-guérilla du RENAMO (Resistencia Nacional Moçambicana) labellisé « combattants de la liberté », contre les marxistes du FRELIMO (Frente de Libertaçao de Moçambique) soutenus par l’Union soviétique.
Mais les États-Unis retirèrent leur soutien aux dictateurs africains dès la Guerre froide finie. En 1991, leur préoccupation s’appelait Saddam Hussein. Mobutu tint encore trois ans au pouvoir. Ce sont en réalité toutes les aides extérieures qui cessèrent, à commencer par celle de l’Union soviétique.
Les idéologies marxistes associées à ces aides s‘avérèrent désormais creuses et avec l’idéologie disparurent également, au cours de la décennie 90, les programmes et agendas socialistes étatiques, d’une part à cause de la fin de la Guerre froide et du soutien soviétique, d’autre part à cause de la faillite de ces programmes, incapables de procurer aux populations la modernisation qu’elle avait prétendu leur fournir.
La rhétorique socialiste modernisante anticapitaliste s’était en effet révélée incompatible avec les revendications locales telles que les disputes ethniques et les conflits de propriété sur les terres : l’ambitieux projet mozambicain de collectivisation de l’agriculture du FRELIMO heurta ainsi de front les aspirations de la majorité des ruraux, en particulier ses propres partisans partis en Tanzanie y gagner de quoi acquérir un lopin de terre lors de leur retour au pays
Les organisations rebelles durent chercher des soutiens locaux, c’est-à-dire dans la population. Tel fut le cas du SPLA sud soudanais après qu’il eut perdu son soutien éthiopien quand le régime de Mengistu s’effondra en 1991. Ce soutien des structures traditionnelles, des chefferies, et leur participation aux nouveaux gouvernements retarda la réalisation des réformes promises par le SPLA, tandis qu’une faction rivale interne en profitait pour créer son propre mouvement, le SSIM (Southern Sudan Independence Movement) soudoyé par Khartoum, qui l’utilisa ensuite pour combattre le SPLA.
Le soutien chinois aux rebelles, mais surtout plus tard à des gouvernements, était – il est toujours – systématiquement conditionné à l’abandon de toutes relations avec Taiwan. En Angola les motifs de soutien chinois furent également liés à un sous conflit de la Guerre froide, contre le MPLA de Neto soutenu par les Soviétiques et les Cubains ; les Chinois appuyèrent le leader maoïste de l’UNITA, Jonas Savimbi. Ce dernier finit d’ailleurs par conclure un accord tacite avec les Portugais et concentrer ensuite ses forces contre le MPLA.
Les États africains ayant bénéficié de l’aide et assistance soviétique ou de ses satellites, ce ne sont pas seulement les programmes socialistes, mais parfois les États eux-mêmes qui s’effondrèrent, l’exemple le plus pertinent étant offert par la Guinée Conakry.
Par ailleurs, la fin de la Guerre froide et des soutiens étrangers n’entraîna pas seulement la rupture, là où il existait, du lien entre indépendance et socialisme ; elle entraina également la fragmentation de la solidarité rebelle, favorisant l’émergence et le développement, dans leurs rangs, de motivations particulières. Ils se divisèrent alors en seigneurs de la guerre et rebelles à horizon local.
Guerres anti-apartheid
L’ANC ne bénéficia pas de bases arrière, l’Afrique du Sud étant entourée de territoires encore coloniaux, mais l’insurrection de Soweto en 1976, qui balaya nombre de structures gouvernementales rendit cette zone urbaine peu ou mal contrôlée par les unités antiguérillas du gouvernement de l’apartheid.
La plupart des dirigeants rebelles étaient atteints d’un haut degré de paranoïa, que surent utiliser les unités antiguérilla, particulièrement sud-africaines, sud-ouest africaines, rhodésiennes et portugaises, tandis que les bases arrière devenaient fréquemment des lieux d’intimidation réciproque de leaders rebelles rivaux et d’emploi de méthodes coercitives, voire de purges suivies d’élimination.
Le FRELIMO élimina les leaders rivaux également repliés dans les bases arrière de Tanzanie. Ces purges furent pour la plupart accompagnées d’un renforcement de la centralisation. On reste là fidèle au modèle maoïste yananais : purges, centralisation, socialisme étatique.
La plupart des contre-guérillas se sont avérées efficaces, tout particulièrement dans les régimes d’apartheid. L’ANC avait sous-estimé la force du régime de l’apartheid, et ne parvint jamais à établir une zone libérée ni à le contrer efficacement dans les zones frontières. La stratégie retenue par le gouvernement consista à porter le conflit hors des frontières sud-africaines et à déstabiliser les États voisins, une technique apprise auprès des techniciens antiguérilla rhodésiens et portugais.
Le plus grand succès fut la création du RENAMO au Mozambique, soutenu et entraîné par l’Afrique du Sud et la Rhodésie, et financé par les États-Unis. En Rhodésie, la contre-guérilla fut un succès militaire, mais celui-ci dut s’effacer devant le succès politique obtenu par les indépendantistes
Au final, la contre-guérilla s’est révélée une stratégie socialement destructive de l’espace social, par la manipulation ou la violence des communautés s’opposant au régime d’apartheid. Même du point de vue du régime anti-apartheid, le degré de répression employé par celui-ci fut finalement contre-productif en empêchant l’émergence d’autres interlocuteurs plus favorables que l’ANC et en ralliant ceux-là à celle-ci.
Les Seigneurs de la guerre et leurs recrues
Les conflits post Guerre froide sont les plus meurtriers de tous les conflits depuis les indépendances. Il n’y a pas de leaders idéologues chez les Seigneurs de la guerre et ceux-ci ne recherchent pas de support extérieur.
Depuis 1994, le conflit congolais aurait été cause de 4 millions de morts. 4 ans de guerre au Libéria ont fait 800 000 victimes. En 1999, huitième année de guerre au Sierra Leone 1 150 000 personnes, soit le tiers de la population, avaient été déplacées. Les Seigneurs de la guerre ont dominé les conflits des décennies 1990 et 2000 au Libéria, en Sierra Leone, en Côte d’Ivoire, en Guinée Bissau, et les dominent encore en RDC et en Somalie.
Une enquête sur les motivations des rebelles du NPFL (National Patriotic Front of Liberia) a permis d’établir que 35% combattaient pour protéger leurs familles, 20% parce qu’ils n’avaient rien trouvé d’autre à faire et 18% qu’ils y avaient été contraints. D’autres ont répondu qu’ils avaient reçu de l’argent de la nourriture ou des emplois pour les amener à rejoindre le NPFL. Mais c’est la perspective de l’accès à des ressources par la force (argent, nourriture, etc.) qui constitue la principale motivation des rebelles rejoignant les troupes des seigneurs de la guerre. Or, ces ressources étant détenues par les civils, la violence des seigneurs de la guerre est donc dirigée davantage contre ceux-ci que contre les gouvernements qu’ils prétendent combattre. La prédation des civils constitue donc une activité commune aux seigneurs de la guerre et à ces gouvernements.
Les jeunes hommes recrutés par les seigneurs de la guerre – que ce soit par ambition, désoeuvrement, pulsions, ennui, ressentiment ou plus simplement moyen de survie – sont, pour la plupart, des sans-emplois des faubourgs des capitales et des grandes villes africaines. Parmi eux certains ont fui l’autorité des chefferies traditionnelles. Les perspectives de butin facile attirent également les bandits et coupeurs de routes, les abus commis à l’encontre des civils dans la plupart des États où ont sévi les seigneurs de la guerre ressortent directement de ce type de recrutement. Mais cette violence même est devenue, aux mains des seigneurs de la guerre, un instrument de contrôle politique, par exemple dans la Somalie héritée de Siad Barre.
Le bilan d’activité des seigneurs de la guerre au Liberia est la fragmentation et la généralisation de l’insécurité : la moitié de la population a fui à l’étranger et un tiers vers des zones non contrôlées par le NPFL de Charles Taylor. Toute tentative de remise en ordre ou de rétablissement des fonctions administratives constituait une menace pour Taylor, à qui cette fragmentation permettait de vendre les ressources nationales (bois, diamants, caoutchouc) aux plus offrants. Les « sous-seigneurs » locaux s’engageaient pour leur compte dans le pillage et le trafic illégal du bois en profitant de l‘activité des coupeurs de route. Taylor a bénéficié de l’intermédiaire de Blaise Compaoré, lequel a convaincu Kadhafi, de sa crédibilité comme rebelle, Kadhafi le dota donc de 700 guerriers burkinabés qui se joignirent à ses troupes au Libéria et l’investit d’une plus grande autorité sur la scène africaine.
Le RUF (Revolutionary United Front) de Sierra Leone détient le record des crimes contre l’humanité au cours de la décennie de guerre civile. Au fur et à mesure que la population identifia le RUF comme une menace, celui-ci devint encore plus violent dans sa tentative d’intimidation généralisée de la population : destruction de ce qui demeurait des structures administratives et recours de plus en plus fréquent aux amputations (« Manches courtes ou manches longues ? ») afin de démontrer aux populations que le gouvernement n’était pas en mesure de les protéger, qu’ils devaient donc accepter la loi du RUF et rejeter la présence de l’armée nationale. Le degré de terreur fut parfois si élevé dans les zones rebelles en Sierra Léone que les populations choisirent de se réfugier dans les zones contrôlées par les mercenaires de la contre-guérilla.
Crime contre l’humanité, le génocide rwandais ne ressort pas de l’analyse des guerres. Le retour du RPF de Kagamé après le massacre des Tutsis entraîna la fuite de centaines de milliers d’Hutus vers la province congolaise du Kivu. Et parmi eux, les milices Hutus Interahamwe qui avaient dirigé le génocide et utilisèrent les camps de réfugiés comme bases arrière pour lancer leurs attaques contre le Rwanda désormais dirigé par Kagamé et le RPF. Celui-ci recruta des agents parmi l’ethnie banyamulenge dont le territoire était déstabilisé par l’arrivée massive de ces réfugiés Hutus et menacée par les plus radicaux d’entre ceux-ci.
Les Banyamulenge faisaient partie de la clientèle de Mobutu et avaient depuis longtemps tissé des liens avec les Tutsis du Congo. Les rebelles qu’était venu conseiller Guevara en 1965 au Kivu comptaient de nombreux Tutsis sans leurs rangs. En 1996, deux ans après le renversement de Mobutu, le gouverneur du Kivu décida donc de chasser les Banyamulenge de leurs terres. Le RPF entreprit alors d’aider à organiser l’Alliance des Forces démocratiques pour la libération du Congo avec Laurent Désiré Kabila comme leader, lequel avait jusque-là, en Tanzanie, un business de commerce d’or, d’ivoire et d’autres produits animaux rares. L’assassinat de son principal rival permit à Kabila de devenir président du Congo le 17 mai 1997.
Les seigneurs de la guerre ont fait évoluer le néo-patrimonialisme des chefs d’États africains post indépendance ; ceux-ci confondent, pour leur profit, grâce au pouvoir d’État, sphère publique et privée, et se livrent à une « ruée sur les ressources » par la violence prédatrice, ouvrant ou confirmant, une crise des idéologies et des projets.
Le sous-seigneur de la guerre moderne est un « Big Man », souvent un ancien ou actuel membre de l’administration gouvernementale, un dirigeant d’ONG, un leader de milice ethnique, détenant une chefferie traditionnelle et demeurant à l’affût de tout affaiblissement de son « patron » qui pourrait profiter à son propre renforcement. Par exemple, Eugene Serufuli, gouverneur du Nord-Kivu de 2000 à 2007, était à la tête d’une ONG, « Tous pour la paix et le développement » dont l’objectif était de venir en aide aux réfugiés Hutus arrivés du Rwanda après le génocide et surtout, les aider à préparer leur retour au Rwanda.
Il semble que d’autre États encore non faillis soient également menacés de fragmentation et pourraient devenir la proie des seigneurs de la guerre, par exemple, le Nigeria, le Kenya et le Soudan.
Rebelles locaux
Les « parrains », comme les ont surnommés les Nigérians, servent les intérêts d’un politicien ou d’une clique et peuvent simultanément se comporter en protecteurs d’une communauté, secte ou ethnie.
Cette ubiquité des patronages divers permet aux parrains d’accaparer les opportunités économiques et de s’insérer dans tous les réseaux, y compris culturels, surtout lors de l’étape de déréliction des liens sociaux et de repli sur les liens ethniques. Il arrive également que des autorités utilisent les loubards pour attaquer et tuer des groupes d’étudiants politisés.
Les éléments marginaux recrutés, de type lumpen proletariat, sont constitués en milices puis utilisés pour terroriser la population et les politiciens aux velléités réformistes. Par leurs actions, les parrains et leurs milices ajoutent à l’insécurité et contribuent à renforcer le système répressif étatique plutôt qu’à le contrarier.
Aucune portion du delta du Niger ne bénéficie de fourniture régulière d’eau potable, le système routier y est pratiquement inexistant, et les systèmes de santé et d’éducation sont dans une situation déplorable. Les groupes rebelles du delta y ont émergé après les élections de 1999, marquées par les revendications locales de communautés ethniques et de factions politiques, souvent en conflit les uns et les unes avec les autres, à propos des mêmes griefs de mal gouvernance et de violente exploitation des ressources locales. La décentralisation opérée à cette époque a davantage profité aux réseaux politiques locaux qu’aux administrations locales. La première attaque contre une plateforme offshore eût lieu en 2002.
Au Kenya, l’une des violences consiste à chasser les populations de leurs terres (Siad Barre l’avait également fait en Somalie), accentuant ainsi la pratique autoritaire de l’État à utiliser l’accès aux terres comme outil politique. Le pouvoir, voie d’accès aux ressources et surtout à la terre, devient dès lors la proie de ceux qui peuvent mobiliser et armer les jeunes marginaux, Ces gangs ont parfois évolué en escadrons de la mort, assassinant plus de 500 personnes au Kenya en 2007. Les forces étatiques de sécurité constituant une faction combattante parmi les autres. L’État finit donc par coopter et intégrer parrains et truands en tant que rouages de ses propres mécanismes. Encore faut-il tenir compte de la fluidité des appartenances factionnelles, autrement dit de la versatilité politique des marginaux enrôlés.
Les gangs ne sont motivés par aucune idéologie et leur base de rassemblement est la prédation par la violence. Le trait dominant des luttes politiques depuis les indépendances est leur évolution vers l’absence de leadership idéologique et la quasi-disparition des « rebelles à projets réformateurs » ; il ne subsiste plus de place dans l’espace social pour les rebelles réformistes.
Quant aux interventions étrangères pacifiques, elles ont souvent pour effet d’accroître la fragmentation, la dynamique de celle-ci accrue par la perspective d’obtenir un siège à la table des négociations. Ainsi, dans le cas de la Somalie a-t-on pu observer :
– 1993 : 15 factions représentées au cours de la négociation d’Addis Abeba ;
– 1997 : 28 signent un agrément au Caire ;
– 2000 : 80 sont présentes à Djibouti ;
– 2002 : 800 sont représentées au Kenya.
C‘est là ce que l’on pourrait appeler l’effet pervers de la volonté des institutions internationales et des gouvernements étrangers de négocier avec tous les protagonistes. Les factions disparaissent au gré de l’apparition et disparition des ressources, les groupes armés locaux n’ayant pas la prise du pouvoir comme objectif.
La santé des populations subsahariennes – en particulier l’éradication des épidémies et parasitoses, telles le ver de Guinée – repose presque entièrement sur l’action des ONG[3]. L’une des conséquences de leurs interventions est la mutation des questions politiques en devoirs moraux, posture qui contribue à obscurcir les motifs des combats politiques. En prenant en charge les populations sous contrôle des seigneurs de la guerre, elles épargnent toute tâche administrative et sanitaire à ceux-ci.
De même arrive-t-il que les rebelles utilisent les crises humanitaires pour attirer l’aide étrangère des ONG, les soldats des seigneurs de la guerre s’insinuent alors dans les camps des ONG, contraignant celles-ci à négocier leur protection.
Un tel racket ajoute une dimension stratégique aux conflits entre rebelles et gouvernements, l’ONG étant devenue une source de financement des rébellions ; le financement peut également suivre la filière d’une ONG sympathisante comme ce fut le cas pour les TPLF (Tigrayan People’s Liberation Front) à travers le REST (Relief society of Tigray), puis l’ONG britannique OXFAM.
Les rebelles peuvent encore créer des antennes d’ONG pour attirer des fonds en provenance d’Occident. Les ONG du Nord sont mieux acceptées par les rebelles que celles venant des États voisins parce que les premières ne demandent, contrairement aux secondes, aucune contrepartie politique ; ils peuvent donc plus facilement contrôler leur fonctionnement, en particulier la distribution des ressources. Enfin, le fonctionnement de ces ONG du Nord n’est pas, comme pour les secondes, susceptible d’être affecté par quelque réorientation de politique étrangère.
Conclusion : gouvernance
C’est en Afrique que l’on trouve les indices de développement humain (IDH) les plus bas : Mali, Niger, Sénégal, les deux Guinées, Burkina, Ghana, Togo, Nigeria, Tchad, Centrafrique, RDC, Angola, Zambie Mozambique, soit 15 États, ont un IDH compris entre 0,25 et 0,50. De même y trouve-t-on les États les plus corrompus du monde. Seuls l’Afrique du Sud, le Botswana et la Namibie ne figurent pas dans cette « zone rouge » des pays les plus corrompus, les records dans cette rubrique étant détenus par le Soudan, le Tchad, la Somalie et l’Angola.
L’un des traits principaux de la corruption est la mainmise du pouvoir politique sur les accès aux ressources, qui oblige à passer accord avec la clique au pouvoir pour tout accès à celles-ci, y compris lorsqu’elles sont illicites. Ce haut degré de contrôle des ressources est la cause principale de l’incapacité des bureaucraties de ces États, qui les rend si faibles en termes institutionnels. Autrement dit, ces régimes ont construit leur autorité sur la canalisation de l’économie en réseaux clientélistes. L’idée avancée lors du Sommet de La Baule en 1990 était que la corruption devait être surmontée par l’adoption du système électoral, or celui-ci l’aurait plutôt absorbée.
L’instauration du système électoral a cristallisé la violence des rebelles locaux au fur et à mesure que les politiciens s’appuyaient davantage sur celle des gangs, par exemple lors des élections au Kenya en 1997, 2002 et 2007. L’enjeu est considérable puisque toute défaite électorale signifie être écarté des sources étatiques de prédation, ainsi que le résume la formule « Win poll, take power, enjoy money ».
Cette propension à la fragmentation, à la déliquescence, voire à la faillite étatique, constitue probablement la plus grande faiblesse du continent africain.
[1] Cambridge University Press, 2011, 271 pages
[2] Ernesto « Che » Guevara, The African Dream, The Diaries of The Revolutionary War in the Congo, The Harvill Press, London, 2000, p. 232.
[3] Charlotte Chabas, « En Afrique, la guerre du ver en passe d’être gagnée », Le Monde 16 janvier 2013.