Maxwell Knight, maître-espion du MI 5
Éric DENÉCÉ
Parmi les figures mythiques des romans de Ian Fleming et des films qui en ont été tirés ressortent, outre James Bond, le célèbre agent 007, trois figures majeures : Moneypenny, Mister Q et M, le chef de l’Intelligence Service.
Ce livre d’Henry Hemming[1] est consacré à Maxwell Knight dit « M », qui fut chef de la section Infiltration du MI 5 de 1930 à 1960. Il évoque le fait que, peut-être, celui-ci aurait pu servir de modèle au personnage de Fleming. Cet officier-traitant d’exception au parcours atypique réunit en effet toutes les qualités d’un maitre-espion hors norme.
Maxwell Knight se passionne très tôt pour l’espionnage, notamment à travers la lecture des Trente-neuf marches, le célèbre roman de John Buchan, qui a provoqué l’engouement de toute une génération de Britanniques pour l’espionnage. A l’âge de 23 ans, il effectue ses premiers pas dans le métier, non pas en intégrant les services de Sa Majesté, mais en suivant un parcours pour le moins singulier : celui d’un autodidacte.
En effet, « M » est recruté en 1923 par l’organisation Makgill, une agence de renseignement privée dont les principaux clients sont les industries du charbon et du transport maritime, deux secteurs dans lesquels la subversion communiste commence à fortement préoccuper les dirigeants. Et afin de demeurer dans l’ombre, indétectable, l’organisation Makgill dissimule ses opérations en le faisant exécuter par des groupes d’extrême-droite – qu’elle manipule – en lutte ouverte avec les communistes.
Knight se voit donc chargé d’infiltrer le mouvement fasciste britannique alors en plein développement. Il y parvient rapidement et devient, en moins de deux ans le responsable du renseignement de cette organisation. A la tête d’un impressionnant réseau comptant jusqu’à 52 agents qu’il a recruté lui-même, il infiltre alors le Parti et diverses organisations communistes britanniques et transmet les renseignements recueillis à Makgill. Une telle réussite est exceptionnelle pour un jeune homme de 25 ans sans aucune formation et sans moyens spécifiques à sa disposition.
Maxwell Knight développe très tôt un don incontesté pour identifier, recruter et diriger des agents, pour les motiver, les soutenir et les faire « produire ». Il fait naturellement preuve de très fortes capacités d’empathie, de charme, de conviction et d’une grande connaissance de la psychologie et des fragilités humaines. Ces qualités, indispensables à tout bon officier-traitant, ont, chez « M », deux origines :
– d’une part, il sait ce qu’est d’être un agent de pénétration, en étant un lui-même. Il connaît parfaitement les contraintes et la paranoïa qu’engendre cette double vie ; il sait ce qu’opérer sans filet et être en permanence sur le fil du rasoir veut dire ;
– d’autre part, Knight est passionné depuis son plus âge par les animaux. Il a développé une capacité unique à les attirer à lui, à les apprivoiser et à établir un lien fort avec eux. Et ce don rare fonctionne aussi avec les hommes : il accorde toute son attention à ses opérateurs et les soutient constamment pour les aider à réussir leurs missions, à produire davantage.
Fort de ces qualités, en quelques années, Maxwell Knight acquiert une solide expérience. Il est constamment sur le terrain, multipliant les approches, sondant femmes et hommes afin de voir ce qu’il peut en obtenir… et devient ainsi un recruteur et chef de réseau de premier ordre.
Très vite il apprend qu’une bonne infiltration, consistant à faire pénétrer un agent au plus haut niveau de la « structure utile » visée, prend du temps et qu’il est vain et contre-productif d’en attendre un retour trop rapide. « M » enseigne donc à ses agents la discrétion et la patience, leur demande de « laisser les informations venir à eux » et non de chercher à les obtenir trop vite, ce qui les pousserait à la faute.
Un tel talent ne pouvait longtemps échapper à l’intérêt des services. D’ailleurs, en 1927, Knight travailla quelques temps pour le compte de Desmond Morton du MI 6 afin d’infiltrer des organisations liées à l’URSS sur le territoire britannique. Cela ne fut pas à l’époque, sans créer quelques frictions avec la Special Branchet le MI 5. C’est finalement ce service qui parvient à s’attacher ses talents.
Rappelons qu’en 1924, le MI 5, dirigé par Vernon Kell, est réduit à sa portion congrue. Ses effectifs ont été considérablement réduits suite à la fin de la Première Guerre mondiale. Il ne compte plus que 35 membres permanents, aucun agent rétribué à plein temps et sa mission se limite à lutter contre l’espionnage et la subversion dans les forces armées britanniques.
Quand il est recruté par le MI 5 au début des années 1930, Knight pratique déjà intensivement l’espionnage depuis plusieurs années. Il va apporter au service de sécurité britannique son expérience unique en matière de pénétration des organisations subversives. « M » se voit rapidement confier sa propre section, avec pour responsabilité de défendre la couronne contre la menace communiste. Il continue alors à utiliser les agents recrutés lors de son passage chez les Fascistes britanniques pour le compte de l’organisation Makgill et remporte de nombreux succès.
Lorsque que débute la Seconde Guerre mondiale, les priorités de Maxwell Knight vont subitement se trouver inversées : il lui est désormais demandé d’infiltrer toutes les organisations fascistes, pro-allemandes ou pro-nazies présentes en Grande-Bretagne et de neutraliser toute tentative d’espionnage, ce à quoi il s’emploie sans tarder.
A partir de l’été 1940, Knight va provoquer une petite révolution au sein du MI 5 en créant la première formation pour officiers-traitants. Jusqu’alors, la coutume au Security Serviceétait de considérer le contre-espionnage comme un métier ne pouvant s’apprendre que sur le tas. Aussi, les cours théoriques ou toute formation préalable étaient jugés inutiles. « M » remet en cause cette idée reçue et conçoit un programme complet en utilisant tout ce qu’il a appris sur le terrain depuis 15 ans, établissant les premiers principes de la direction d’agents.
Toutefois la guerre l’amène a faire évoluer ses méthodes : compte-tenu de l’urgence de la situation, il n’a plus le temps d’attendre patiemment que l’infiltration d’un agent permette à celui-ci de progresser dans la structure cible avant qu’il ne produise : il faut des résultats rapides. Knight développe alors une nouvelle méthode de recrutement : il aborde directement les proches des individus qu’il soupçonne de travailler pour l’ennemi et les conduit à les espionner pour le MI 5 … et cela marche !
Ainsi, Maxwell Knight et sa section participent activement, pendant tout le conflit, à l’infiltration et au démantèlement des réseaux pro allemands ou nazis au Royaume-Uni. Ils jouent également un rôle important pour la protection du secret entourant le Jour J, en testant et en renforçant la sécurité – souvent défaillante – des garnisons et installations préparant le Débarquement. Knight aide également le Special Operations Executive(SOE) – le « service Action » britannique de temps de guerre – à mettre en place et à renforcer son service de sécurité interne.
Une fois la victoire sur l’Allemagne nazie acquise, Knight ne relâche pas son effort. Dès 1945, il reprend sa guerre secrète commencée vingt ans plutôt contre l’URSS et les organisations communistes. Il la poursuivra avec brio jusqu’en 1961, date à laquelle il quitte le MI 5, pour se consacrer à ses deux grandes passions : les animaux et le jazz.
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Officier-traitant au parcours singulier, maître-espion excellant dans les opérations d’infiltration, cet autodidacte du renseignement fut l’un des meilleurs – si ce n’est LE meilleur – recruteur et directeur d’agents du renseignement intérieur britannique avant, pendant et à l’issue de la Seconde Guerre mondiale. Si « M » n’opéra jamais à l’étranger, il y envoya, de temps à autre, quelques-uns de ses opérateurs afin de poursuivre des actions qu’il conduisait sur le territoire britannique.
Tout au long de sa carrière, Knight s’attacha la totale loyauté de ses agents lesquels lui furent tous entièrement dévoués. Ils savaient qu’il les comprenait et qu’ils pouvaient compter sur lui en cas de nécessité. « M » ne fut jamais trahi.
Au final, peu importe que Maxwell Knight fut ou non le modèle du personnage de Ian Fleming, car son parcours, en tout point singulier et remarquable, marqua durablement de son empreinte le MI 5 entre 1930 et 1960. Au demeurant, « M » eut sous ses ordres au cours des années 1950 un certain David Cornwell, qui sera bientôt plus connu sous le nom de John LeCarré. Ce dernier s’est inspiré de Maxwell Knight pour le personnage de Jack Brotherhood dans Un Pur espion.
Le livre d’Henry Hemming permettra à ceux qui s’intéressent au renseignement de découvrir l’histoire extraordinaire et méconnue d’un maitre-espion hors du commun, à coup sûr l’un des meilleurs qu’ait compté le MI 5.
[1] Nom de Code « M ». L’histoire vraie de l’espion qui aurait inspiré le personnage de M dans James Bond, Mareuil éditions, Paris, 2018.