Les services secrets espagnols et le putsch avorte du « 23-F »
Gaël PILORGET
Il est bientôt 18h 30 à l’heure madrilène, ce 23 février 1981. Au Congrès des députés, on procède au vote d’investiture, retransmis par la télévision espagnole, d’un nouveau Président du gouvernement[1] en la personne de Leopoldo Calvo Sotelo[2]. Adolfo Suárez[3] le grand artisan de la Transition démocratique[4], a remis un mois plus tôt, après quasiment cinq ans d’exercice, sa démission au roi Juan Carlos[5]. Dans l’hémicycle règne un grand calme, voire même une certaine langueur, les parlementaires devant voter un à un, à l’appel de leur nom, pour ou contre l’investiture de Calvo Sotelo, lequel n’a pas été élu au premier tour, la majorité absolue lui faisant défaut, mais est certain de l’être lors de ce second tour, où il lui suffira cette fois d’une majorité relative.
Et tout à coup, un brouhaha. Un cri. Une agitation dans le couloir menant à l’hémicycle. Certains députés, surpris, se lèvent de leurs sièges pour s’informer de ce qui se passe. Un deuxième cri. De l’autre côté de l’hémicycle. Puis un troisième. Un officier de la Guardia Civil, un lieutenant-colonel, pistolet en main, fait irruption et monte à la tribune, se plaçant auprès du président du Congrès, Landelino Lavilla[6] et s’écrie : « Que personne ne bouge ! ». Les quelques députés qui s’étaient levés se rasseyent, à l’exception du général Gutiérrez Mellado[7], le vice-président du gouvernement. A ses côtés, Adolfo Suárez, toujours président à cette heure, semble se disposer à se lever.
Mais un homme crie : « A terre ! Tout le monde à terre ! ». Les députés obtempèrent, s’inclinant ou se couchant derrière leurs pupitres. Le général Gutiérrez Mellado refuse d’obéir à l’injonction et se dirige vers le lieutenant-colonel qu’il sait être Antonio Tejero. Adolfo Suárez essaie de retenir le général ; Tejero est surpris de la réaction de Gutiérrez Mellado, qui lui ordonne de quitter de suite le Congrès. Mais trois gardes civils se précipitent sur le général, le molestent, et sont même sur le point de le renverser. Suárez se lève pour ramener le général à son siège quand tout à coup, éclate le premier coup de feu, tiré en l’air.
Mais Gutiérrez Mellado refuse de retourner à sa place, alors que Suárez le tire par le bras. Les tirs en l’air se succèdent et endommagent le plafond de l’hémicycle. Gutiérrez Mellado défie toujours les rebelles et, Suárez, face à sa détermination à leur faire face, revient s’asseoir calmement à son siège, alors que tous les députés se sont mis à l’abri et que l’hémicycle paraît totalement vide. Tejero ordonne à ses hommes de cesser de tirer, tandis que le général Mellado, tournant le dos aux rebelles, observe l’hémicycle. Un lourd silence s’y impose peu à peu. Mellado est directement menacé de leurs pistolets par deux gardes civils mais ne semble pas s’en émouvoir. C’est alors que Tejero descend de la tribune et se jette sur lui et tente en vain de le faire chuter. Mais le général Mellado se maintient debout, en s’accrochant fermement à son siège. Suárez tente à nouveau de le faire s’asseoir, sans succès. Tejero et trois de ses hommes entourent le général, et paraissent un instant faire vouloir tirer… Huit militaires entourent à présent Gutiérrez Mellado ; l’un d’entre eux l’injurie et le somme de se placer au centre de l’hémicycle. Voyant que Mellado s’entête encore et toujours à ne pas obéir, Tejero tente de le faire tomber par-derrière au moyen d’un croc-en-jambe. Mais Mellado se tient toujours fermement à son siège. Et les rebelles renoncent et reculent. Seul le président Suárez parvient lentement à convaincre le général de se rasseoir.
Une tentative de coup d’Etat au Congrès est en cours et elle vient de rencontrer, en la personne de deux des plus hautes personnalités de l’Etat espagnol, sa première résistance, son premier écueil, son premier échec. Une lente attente commence pour les députés séquestrés, attente qui ne s’achèvera que le lendemain, après que le roi d’Espagne, don Juan Carlos de Bourbon, soit intervenu à la télévision pour défendre la légalité constitutionnelle et ordonner aux troupes insurgées de se rendre. L’ensemble du réseau putschiste, dont les hommes de Tejero, la division Brunete[8] et les troupes du général Milans del Bosch, que celui-ci avait soulevées à Valence, doivent reconnaître alors leur cuisante défaite, consommée sans qu’aucun coup de feu n’ait été tiré.
Le rôle de l’armée et du CESID
La tentative de putsch du 23 février 1981 est de toute évidence, de par le statut de ses acteurs principaux, un coup d’Etat militaire. Mais il importe de déterminer quels corps ou éléments de l’armée espagnole ont pu y participer, en notant qu’alors le CESID[9], institution centrale du renseignement espagnol, était une structure rattachée à l’armée. Il importe également de savoir dans quel but précis ces éléments de l’armée auraient participé au putsch de Tejero.
Le procès organisé à la suite du coup d’Etat visa essentiellement deux officiers : le commandant Cortina, chef de l’AOME[10], l’unité opérationnelle du CESID, et son subordonné, le capitaine Gómez Iglesias. Cortina sera acquitté par la justice, Gómez Iglesias condamné. Cela signifierait logiquement que le CESID n’a pas été impliqué, en tant que tel, dans le coup d’Etat. Seuls quelques éléments l’auraient soutenu, dans le cadre d’une démarche « individuelle » et dissociée de l’institution.
Les dirigeants du CESID, en premier lieu son directeur, le colonel d’infanterie de marine Narciso Carreras, et le secrétaire général du Centre, le lieutenant-colonel Javier Calderón, ont toujours nié que le CESID se soit associé en une quelconque manière au putsch. Mais ils ont également reconnu que le Centre n’avait nullement anticipé cette menace, signe que le CESID n’avait pas correctement assumé le rôle fondamental que lui avait attribué le gouvernement Suárez, à savoir celui de préserver la démocratie contre toute attaque de cette nature.
On peut être réellement dubitatif quant à l’absence de clairvoyance du CESID par rapport à des signes avant-coureurs de putsch militaire. On est même en droit de se demander si le CESID ne dissimula pas au gouvernement des informations afin de mieux contribuer à la réussite du coup d’Etat. Le CESID connaissait les diverses intrigues, civiles et militaires, tramées contre Suárez. Le Centre en informa apparemment le président du gouvernement, dans un rapport qu’il lui adressa[11], en novembre 1980, et intitulé « Panorama des opérations en cours ».
Le rapport d’alerte
Ce rapport envisage trois types de putschs possibles : l’un civil, l’autre militaire, le dernier mêlant des acteurs à la fois civils et militaires. L’objectif commun est de renverser Suárez et de remettre de l’ordre dans la vie politique espagnole que Suárez aurait laissé sombrer dans le chaos. Le rapport souligne le nombre conséquent d’intrigues de toutes sortes qui veulent en finir avec l’ère Suárez.
Les initiatives civiles proviendraient à la fois du PSOE (Partido Socialista Obrero Español, principal parti d’opposition), mais également des rangs de l’UCD elle-même, le propre Parti démocrate-chrétien de Suárez. Le « complot » socialiste vise à opposer à Suárez, avec l’aide tacite d’une partie de l’UCD, une motion de censure au Congrès. Le PSOE envisage ensuite l’élaboration d’un gouvernement d’union nationale, dont la direction serait assurée par un militaire « libéral » qui aurait les faveurs de la Couronne, ce qui permettrait de couper court aux velléités putschistes de la frange la plus dure et rétrograde de l’armée. Le militaire « libéral » et monarchiste est, dans l’esprit des « conjurés », le général Armada, qui s’est entretenu, peu de temps auparvant, avec des dirigeants du PSOE.
Quant aux complots militaires, ils peuvent provenir de trois sphères : les généraux, les colonels et les « spontanés », en sachant que les trois types d’intrigues peuvent très bien se fondre en une seule.
Du côté des généraux, qui comptent porter Manuel Fraga au pouvoir, on prévoit des soulèvements dans chaque région militaire, ce qui donnerait une plus grande ampleur et quasiment une plus grande « légitimité » au putsch. Le plus connu des membres du groupe des généraux est Milans des Bosch, capitaine général de Valence. Le coup d’Etat des généraux ne paraît pas imminent, mais pourrait se produire à courte échéance si la situation politique ne change pas.
Quant au complot des colonels, décrits dans le rapport comme « froids, rationnels et méthodiques », il est considéré, de par ces traits de caractère de ses auteurs, comme potentiellement très dangereux. La démarche politique des colonels n’est aucunement monarchiste, mais nationaliste et « progressiste ». Là encore, on retrouve le nom de Manuel Fraga. Le membre le plus illustre de ce groupe est le colonel José Ignacio San Martín, alors chef d’état-major de la division Brunete.
Les « spontanés » constituent, aux yeux des auteurs du rapport, le danger le plus important, car il est le plus imminent, le plus antiparlementaire, le plus extrémiste et le plus violent, puisqu’il semble tout envisager dans le cadre d’un putsch « sans exclure des exécutions sommaires en cas de résistance ou de refus de démission ». Il s’agirait de prendre sans ménagement le contrôle du siège de la présidence du gouvernement, le palais de la Moncloa, ainsi que des principaux ministères ; une fois cette première phase, très agressive, achevée, « le reste des forces armées s’associerait à l’opération ou du moins ne l’empêcherait pas ». Le putsch rêvé des « spontanés » prend pour modèle le premier projet de coup d’Etat de Tejero en 1978 dénommé Opération Galaxie[12] ; un projet à l’époque jamais mené à son terme. Le rapport indique de nouveau la probable participation de Tejero au putsch des « spontanés ».
Mais une autre hypothèse existe encore : celle d’un putsch mixte (civil et militaire), sorte de coup d’Etat « mou » permettant de couper l’herbe sous le pied des complots purement militaires évoqués ci-dessus. Il viserait à contraindre Suárez à la démission, en le soumettant à de multiples attaques personnelles provenant de tous les milieux : des partis, de la finance, du patronat, de l’Eglise, de l’armée, des médias, et en premier lieu de la Couronne, qui recourrait alors à un homme providentiel, un général « approuvé par le reste de l’appareil militaire », qui prendrait en charge un gouvernement « de salut national », composé pour moitié de personnalités civiles proches de l’UCD, du PSOE et de l’AP. Le projet politique lié à ce putsch serait plutôt « involutionniste »[13] ou tout du moins conservateur : lutte contre le terrorisme, retour au centralisme politique contre les processus des autonomies[14], réduction du nombre des partis autorisés (annulation de la légalisation du PCE et des partis « nationalistes » basque, catalan, galicien, etc.).
Cette volonté de restreindre la démocratie s’appuie sur le soutien de dirigeants de l’UCD et du PSOE, qui craignent plus que tout un coup d’Etat militaire et violent. Le scénario « mixte » permettait par ailleurs, en cas d’échec, de « justifier » et renforcer l’option purement militaire ; les tenants de cette solution « trouveraient alors un soutien équivalent à celui qu’ils auraient apporté à l’opération mixte ». Le rapport conclue, à propos de l’option civilo-militaire : « La viabilité de cette opération est très élevée » ; il se hasardait même à annoncer une date : « On estime que son exécution pourrait intervenir avant le printemps 1981 (sauf impondérables) ».
Le rapport du CESID ne se trompe pas sur l’essentiel. Le coup d’Etat du 23 février 1981 est une convergence des diverses conspirations civiles et militaires que nous venons d’évoquer. Le CESID ne peut pas déterminer le lieu ni la date du coup d’Etat, mais il sait plus ou moins comment il se déroulerait. En fait, pour être exact, le rapport ne provient pas en réalité directement du CESID. Il a été rédigé par Manuel Fernández Monzón Altolaguirre, qui est alors lieutenant-colonel et chef du cabinet de presse du ministère de la Défense. Fernández Monzón est toutefois un ancien des services de renseignement qui rédige, contre rémunération, des rapports à l’attention de responsables politiques, financiers et patronaux de la capitale, ainsi que pour l’agence EFE, l’équivalent de notre Agence France Presse. L’essentiel des informations mises en relief provient cependant bien du CESID. Au vu de ces éléments, la question posée initialement demeure ouverte : le CESID a-t-il participé au coup d’Etat du 23 février ?
Le rapport Monzón et la réalité des faits
Selon les plans retenus pour le putsch du 23 février, le général Milans del Bosch, à la suite de l’entrée de Tejero au Congrès, est censé s’assurer le contrôle de Valence, tandis que San Martín soulèvera la division Brunete pour prendre Madrid et que le général Armada se rendra à la résidence du roi, le palais de la Zarzuela, pour lui demander de se présenter en son nom au Congrès et y faire libérer les parlementaires pris en otage, en échange de la formation, sous la direction d’Armada, d’un gouvernement d’union nationale.
On retrouve dans le coup d’Etat du 23 février (le « 23-F » comme le désignent les Espagnols) des « prédictions » du rapport Monzón : le choix une cible symbolique forte (le Congrès) propre au complot des « spontanés ». Le soulèvement de Milans del Bosch à Valence correspond bien à celui des généraux ; celui de San Martín à Madrid, à celui des colonels ; la « prise de contrôle » – politique du moins – de la Zarzuela, répond aux caractéristiques de l’option « mixte ».
Mais il y a des éléments que Monzón n’a pas prévus : il croyait que le scénario civilo-militaire s’imposerait comme un moindre mal par rapport aux périls de putsch militaire. Mais en fait c’est l’inverse qui se produit : ce sont trois opérations militaires qui doivent pousser le roi à accepter l’option Armada.
Ce qui s’est passé au CESID le 23 février
Il est 17 heures. Dans le parc automobile de la Guardia Civil, le capitaine Gómez Iglesias, officier du CESID, tente de convaincre ses collègues d’accepter d’escorter son ami le lieutenant-colonel Tejero jusqu’aux abords du Congrès. L’ironie de l’histoire veut que Gómez Iglesias ait été chargé par Cortina de surveiller depuis plusieurs mois les agissements de Tejero : Gómez Iglesias est donc parfaitement au courant de ses intentions putschistes. Avant que son complice n’arrive enfin au parc automobile de la Guardia Civil, Tejero essaie vainement d’entraîner avec lui les officiers présents pour mener une « opération d’ordre public de grande portée nationale » comme il la qualifie ; une opération qui bénéficie, toujours selon Tejero, du plein soutien de la Couronne, et qui est placée sous l’autorité du général Armada, qui est certainement en train de s’en entretenir avec le roi, et du général Milans del Bosch qui s’apprête à prendre Valence.
Les officiers réunis autour de Tejero connaissent sa réputation et approuvent sur le fond l’idée d’un coup d’Etat pour « redresser » le pays ; mais ils hésitent. L’arrivée de Gómez Iglesias dissipe tous les doutes ; il use pleinement de sa qualité d’officier du CESID pour donner du poids à ce qu’il affirme, à savoir que Tejero leur transcrit la stricte vérité. Dès lors, tout se débloque : six autobus sont mis à la disposition de Tejero. Ces autobus doivent en rejoindre d’autres, également remplis de gardes civils aux ordres d’un officier du nom de Muñecas, aux abords du Congrès.
Mais Gómez Iglesias n’est pas le seul agent du CESID impliqué dans le coup d’Etat. La convergence vers le Congrès des autobus de Tejero et de Muñecas aurait été, selon certains auteurs, guidée et organisée par trois hommes de Cortina : le sergent Sales, les brigadiers Monge et Moya. Ceux-ci, à bord de voitures portant de fausses plaques d’immatriculation, se seraient servis d’émetteurs à basse fréquence pour assurer le succès de l’opération. Mais cela est peu probable, car les émetteurs utilisés à l’époque n’avaient pas une portée suffisante ; par ailleurs, les deux colonnes d’autobus ne sont pas parvenues en même temps aux abords du Congrès. Par contre, il est plus que probable que des voitures appartenant au CESID aient servi d’escorte aux autobus contre tout obstacle imprévu.
Retour sur les origines du CESID
Il est fréquent qu’à des tournants politiques de l’Histoire d’un pays, des périodes de crise profonde, les services de renseignement – moins contrôlés par des dirigeants dépassés par le contexte, ou accusant ces mêmes dirigeants d’avoir contribué à la détérioration de la situation du pays – se libèrent quelque peu de leur ancienne tutelle et cherchent à agir en fonction de leurs propres intérêts et orientations, quitte à combattre toute forme de changement.
Le général Gutiérrez Mellado, qui avait travaillé dans le renseignement, mesure tout à fait, au début des années 1980, ce potentiel rôle de frein des services. Mais il sait aussi par ailleurs qu’un régime démocratique ne peut pas se passer de services de renseignement et qu’il importe donc de faire en sorte que ceux-ci adhèrent à ses valeurs. C’est pourquoi, dès la formation du premier gouvernement Suárez en 1977, Gutiérrez Mellado cherche à créer un nouvel organisme central, le CESID, en rassemblant les différentes structures héritées du franquisme.
Mais son projet rencontre une forte opposition au sein des services : le CESID ne sera que la fusion du SECED (voué au renseignement intérieur) et de la 3e section du Haut état-major de l’armée (tournée, elle, vers le renseignement extérieur). Le SECED avait été créé par San Martín en 1972 ; San Martín, que l’on retrouve le 23 février à la tête de la division Brunete, en avait fait davantage une police politique répressive qu’un service de renseignement au sens large du terme. Gutiérrez Mellado ne réussira pas davantage à moderniser les archaïques services de renseignement espagnols. Le CESID qui ne compte alors même pas 700 membres, est structuré en quatre divisions : renseignement intérieur, extérieur, contre-espionnage, et chiffrage et communication. A cette organisation, il est nécessaire d’ajouter l’AOME, l’unité d’opérations spéciales de Cortina.
Gutiérrez Mellado demande en priorité au CESID de surveiller les milieux putschistes au sein de l’armée. Mais les agents du Centre ne peuvent pénétrer dans les installations militaires où seul le Service d’information de la Division de renseignement de l’Armée est habilité à enquêter et à faire remonter des informations ; or ce service pratique la rétention d’informations, dans le but de favoriser l’avènement d’un putsch. Néanmoins, le CESID parvient en 1978 à déjouer le premier putsch de Tejero, l’ « Opération Galaxie ». Les agents du Centre ont là bien du mérite, car jusqu’en 1981, aucun des directeurs du CESID n’est spécialiste de l’espionnage ! De plus, en tant que militaires, ils se refusent à mener des investigations contre des collègues.
En février 1981, le véritable homme fort du CESID n’est pas son directeur, Carreras, mais son secrétaire général, le lieutenant-colonel Calderón. Calderón, comme Gutiérrez Mellado, fait partie d’une très petite minorité d’officier progressistes (qui se rassemblent au sein de l’Union militaire démocratique, illégale sous la dictature). Calderón a subi l’influence de l’académie militaire Forja, marquée par les aspirations sociales du phalangisme. Il sera dans les années 1970 l’avocat de l’UMD ; il intègre également le GODSA, sorte de Think-Tank réformateur dont la référence est Manuel Fraga, puis Suárez. En 1977, Calderón est engagé au sein de la Division du Contre-espionnage du CESID ; en 1979 ; Gutiérrez Mellado lui confie les rênes du Centre. Le CESID, dirigé par un progressiste, incarne alors, aux yeux des sphères néo-franquistes de l’armée, une structure dont il convient de se méfier au plus haut point.
Face au coup d’Etat, Calderón a une attitude des plus claires : le CESID est, dès la première heure, une des rares structures légalistes de l’armée ; et le Centre empêche l’arrivée de la division Brunete dans la capitale, une des causes essentielles de l’échec du coup d’Etat. Mais après le putsch de Tejero, Calderón n’a de cesse que de préserver le CESID contre les accusations visant certains de ses membres, dont Cortina, qu’il doit exclure.
Le CESID n’avait sans doute pas les moyens de voir venir et de prévenir le putsch du 23 février. Il participe ensuite, dans sa globalité, à l’échec du coup d’Etat. Personne n’a jamais pu prouver que le CESID ait contribué en aucune manière à préparer le putsch ou à lui prêter main-forte. On a vu cependant que quatre agents du CESID, plus précisément de l’AOME (Gómez Iglesias, Sales, Monge, Moya) ont aidé Tejero. Voyons à présent si c’est Cortina qui leur en a donné l’ordre ou s’ils ont agi de leur propre chef.
Le commandant Cortina
Tout comme son ami – et supérieur hiérarchique – Calderón, Cortina a été formé à l’académie militaire « progressiste » Forja. Cortina est même très engagé dans les années 1960 au sein de la singulière gauche phalangiste radicale, qui veut donner un nouveau souffle au franquisme, un élan « social-révolutionnaire », paradoxalement assez proche du marxisme et de son incarnation du moment, le régime de Castro à Cuba. C’est à ce titre que Cortina se frotte pour la première fois aux services du renseignement, mais pour l’heure du côté des potentiels « opposants » que ceux-ci surveillent de près.
Ce n’est qu’en 1968 que Cortina intègre les services de renseignement, où on lui confie la création de la première unité spéciale des services de renseignement, la SOME[15]. Tout comme Calderón, Cortina participe aux activités du GODSA, et est, tout comme son ami, avocat de l’Union militaire démocratique. En 1977, la direction du CESID lui demande de mettre en place l’unité spéciale du Centre, l’AOME. Monarchiste dans les années 1970, Cortina est en 1981 un adversaire déclaré de Suárez, à qui il attribue la situation chaotique de l’Espagne, et place ses espérances dans un gouvernement d’union inspiré et dirigé par le général Armada.
Une unité très spéciale : l’AOME
L’AOME, unité des opérations spéciales du CESID, ne ressemble pas du tout à l’institution qui l’abrite. Elle atteint le niveau de modernité des meilleurs services occidentaux. Le commandant Cortina jouit d’une grande marge de manœuvre et de la confiance de Calderón. L’AOME est même une unité secrète au sein du CESID : les autres membres du Centre ne connaissent ni les noms des agents, ni les locaux de l’AOME, qui demeurent ultraconfidentiels. Les locaux de l’unité se situent dans quatre villas situées en banlieue de Madrid qui ont pour dénomination codée des noms de villes : « Paris », « Rome », « Berlin », « Jaca ».
L’AOME est composée de trois groupes opérationnels, eux-mêmes divisées en plusieurs équipes, qui ont chacune une mission précise. Chaque membre de l’AOME est spécialiste d’une « discipline » : photographie, transmission de données, forçage de serrures, explosifs, etc. L’AOME gère également une école du renseignement, au sein de laquelle l’unité choisit ses futurs éléments. Les missions de l’AOME sont les plus « sensibles » du CESID : les filatures, les écoutes, les intrusions, et jusqu’aux enlèvements…
L’AOME est une unité fermée ; c’est un peu la « secte » de Cortina, jalousement surveillée par son chef, qui règne quasiment sans partage sur près de 200 hommes et qui tient plus que tout à en faire l’élite du renseignement espagnol, qui sait et peut « tout » faire, et sait répondre présent à toutes les missions, au sein ou en marge de la loi.
Si le CESID n’a pas collaboré au coup d’Etat du 23 février, il est par contre des plus probable que l’AOME l’ait fait et que Cortina l’ait souhaité. En effet, étant donné l’emprise exercée par Cortina sur l’unité, il serait très étrange que quatre des membres de celle-ci aient apporté leur soutien à Tejero sans que Cortina n’en ait été avisé. Il est vrai que ce seront des membres de l’AOME eux-mêmes qui dénonceront la participation au coup d’Etat de Gómez Iglesias, Sales, Moya et Monge ainsi que de leur chef Cortina.
La responsabilité de Cortina
Tejero, lors du procès du putsch, axe sa défense sur la thèse d’une connivence entre Cortina (et les services de renseignement), Armada (et les dirigeants de l’armée) et le roi lui-même. Mais Tejero ne peut rien prouver face à un Cortina qui sait démonter ses accusations par des alibis imparables, ce qui d’ailleurs ne plaide pas vraiment pour la thèse de son innocence.
Selon Tejero, Gómez Iglesias, informé de l’imminence du coup d’Etat, en fait part à Cortina, lequel ne transmet lesdites informations à sa hiérarchie. Cortina contacte Armada, que Gómez Iglesias lui a dit être l’âme du putsch, et Cortina se met (et met l’AOME) à la disposition du général. Cortina affirme à Armada que le putsch va se faire avec la bénédiction de la Couronne et pour mieux préserver celle-ci. Cortina ne veut pas d’un assaut violent du Congrès et compte retirer le dispositif de l’AOME dès que Tejero sera entré. Cortina souhaite par ailleurs qu’Armada rencontre directement Tejero ; les deux hommes se rencontrent le 21 février au soir, dans un appartement régulièrement utilisé par l’AOME. Armada demande à Tejero de pénétrer sans violence dans le Congrès, et d’y demeurer en attendant qu’Armada vienne s’y présenter en homme providentiel. Tejero n’apprécie guère qu’Armada remâche un discours monarchiste et « démocrate » ; mais le lieutenant-colonel obéit au général, dans l’espoir de voir se former un gouvernement militaire. De plus, Armada a toute la confiance de Milans, que Tejero admire profondément.
Une autre version consiste à présenter Cortina comme un agent double, qui aurait participé au putsch pour mieux le combattre de l’intérieur. Cortina aurait appris trop tard qu’un coup d’Etat mené par Tejero allait se produire ; en spécialiste, il aurait jugé que le putsch était un projet encore mal bâti, projet dont Cortina aurait alors choisi d’accélérer la marche pour mieux le mettre à bas. Mais cette théorie n’est guère plausible, car il aurait suffi à Cortina d’être au fait du projet de putsch le 19 février pour en faire briser la progression en en informant sa hiérarchie.
Cortina et Armada se connaissent bien ; le frère de Cortina est un ami proche d’Armada et un de ses fervents partisans. Il est donc tout à fait plausible que Cortina, monarchiste convaincu par ailleurs, ait pu soutenir le principe d’un putsch visant à installer Armada à la tête du gouvernement. Cortina, en expert, sait que le putsch ne court que trois périls : une mobilisation populaire de masse face au coup d’Etat, le refus d’une partie de l’armée de s’y joindre, ou le désaveu du roi lui-même.
Par rapport aux deux premières éventualités, Cortina sait que l’Espagne de 1981 n’est pas celle de 1936, quand le peuple et une partie de l’armée provoqua l’échec du putsch de Franco, ce qui conduisit à la Guerre civile. En 1981, les Espagnols sont encore traumatisés par le souvenir de cette guerre, et préfèreraient sans doute ne pas réagir plutôt que d’en déclencher une autre ; l’armée, elle, a été naturellement purgée sous la dictature, et ne comprend qu’une petite minorité d’officiers supérieurs aux orientations démocrates et progressistes. La seule véritable interrogation de Cortina concerne la réaction du roi qui, même si le putsch prétend servir les intérêts de la Couronne, peut ne pas approuver la « méthode » employée. A ce propos, Juan Carlos pourrait refuser de voir se renouveler dans l’Histoire de l’Espagne ce qui était advenu à son grand-père Alphonse XIII (1886-1941) qui avait cru pouvoir conserver le pouvoir en s’appuyant sur la dictature militaire de Primo de Rivera[16]. Le roi peut ainsi se désolidariser du putsch par peur que celui-ci échoue et qu’il entraîne la monarchie dans sa chute.
Mais de toute manière, aux yeux de Cortina comme des putschistes monarchistes, la Couronne ne risque pas grand-chose face à un putsch : ou il réussit et, à travers Armada, la monarchie offre un nouveau départ à la démocratie espagnole ; ou il échoue, et le roi, en le condamnant, apparaît comme le garant de la continuité démocratique. C’est finalement cette issue que connaîtra l’Espagne au lendemain du putsch.
Veille à l’AOME
Il existe plusieurs versions du déroulement de la nuit du 23 février au sein de l’AOME. Alors que Tejero pénètre dans le Congrès, Cortina est à l’école de l’unité, rue Marqués de Aracil. Il prend connaissance par la radio de l’assaut du Congrès, entend la fusillade qui s’ensuit et rejoint son poste de commandement de l’avenue Cardenal Herrera Oria. Assisté du commandant en second de l’AOME, le capitaine García Almenta, Cortina fait parvenir des ordres aux membres de l’unité, auxquels il demande de ne pas exprimer d’opinion sur le putsch. Cortina envoie ses agents à travers la capitale pour recueillir des informations sur l’évolution de la situation. Puis il rejoint le siège du CESID, rue Castellana, d’où il ne sortira plus jusqu’au lendemain, ce qui semble lui fournir une sorte d’alibi et de preuve de non-implication dans le putsch, du moins à partir du moment précis où Tejero pénètre dans le Congrès.
Mais ce serait oublier que Cortina commande alors indirectement aux destinées de la SEA, une unité ultrasecrète au sein de l’AOME que dirige dans les faits le brigadier Monge, mais qui est intimement liée à Cortina, et où l’on retrouve le sergent Sales et le brigadier Moya. Le propos essentiel de cette structure est d’entraîner des agents à des opérations d’infiltration au sein de l’ETA. Le soir du 23 février, Monge dit au capitaine Rubio Luengo qu’il a escorté les autobus des putschistes et qu’il a obéi là à un ordre de García Almenta. Ce dernier a demandé, le matin du 23, à Rubio Luengo de fournir à Monge, Sales et Moya des voitures disposant de fausses plaques d’immatriculation et des moyens de transmission. Monge rapporte une seconde fois les mêmes faits au sergent Parra, que García Almenta envoie avec Monge récupérer une voiture tout près du Congrès, où le chef de la SEA souhaite remettre la main sur un véhicule des services abandonné par Monge. Plus tard, Monge prétendra qu’il n’a déclaré tout ceci que pour se vanter d’avoir vécu une expérience extraordinaire, pour mieux impressionner ses collègues, ce qui a priori cadrerait bien avec le caractère de Monge. Mais ce serait oublier la voiture qu’a abandonnée Monge aux abords du Congrès… Des responsables des services de renseignement en poste dans les années 1980, et en premier lieu Cortina, affirment que Monge n’a participé qu’à titre strictement personnel, en toute indépendance des services.
L’opération « Míster » ou l’idoine alibi
Selon Cortina, le 23 février au soir, Monge est en train de surveiller, pour le compte de l’AOME à travers la SEA, le numéro 2 de la CIA en Espagne : Vincent Shields, qui aurait lui-même pour mission de surveiller les faits et gestes – politiques – du roi d’Espagne. La mission est sensible, dans la mesure où il s’agit de surveiller un agent d’un pays allié. Monge achève la part quotidienne de sa mission aux alentours du 18 heures. Il serait alors tombé par hasard sur les autobus de Tejero et se serait mis alors à leur disposition. Mais cette hypothèse est très peu plausible : pourquoi donc les hommes de Tejero, qui ne connaissent nullement Monge, lui auraient-ils vendu la mèche du putsch en cours ? La mission « Míster », par contre, est bien réelle : elle consiste en une surveillance permanente de la demeure de Shields. Mais ce n’est là qu’une des multiples missions d’alors de la SEA.
Il est plus que crédible que les trois agents de la SEA – Monge, Sales et Moya – ont apporté une aide, logistique, au coup d’Etat, et que cette « assistance » a été décidée par Cortina et approuvée par Gómez Iglesias et García Almenta. Un des agents de la SEA dénoncera, après le putsch, ses camarades factieux et affirmera que la SEA n’avait été mise en place, sous les ordres de Cortina, que pour assurer le succès du putsch. Mais Cortina n’a dû probablement être informé des plans de Tejero que quelques jours seulement avant le putsch ; l’accusation n’a donc que peu de valeur. La SEA n’aurait servi qu’à « accompagner » le coup d’Etat déjà engagé, et non à le préparer.
Les réunions présidées le lendemain du putsch par Cortina n’ont qu’un propos : dédouaner l’AOME de toute implication et préserver la réputation d’Armada, que Cortina voulait servir à travers un coup d’Etat.
Les lendemains du putsch et le procès
Dès le lendemain du putsch, l’homme fort du CESID, Calderón, cherche, lui, à dissiper tout soupçon de participation de ses services au coup d’Etat. Le CESID est par ailleurs montré du doigt pour n’avoir rien vu venir et ne pas avoir assumé sa mission de protection de la toute jeune démocratie.
Calderón ordonne à Cortina de faire cesser les rumeurs à propos de l’AOME. C’est pourquoi Cortina ne peut qu’exercer alors des pressions sur Rubio Luengo et Parra, pour qu’ils modifient leurs versions des faits, dont Cortina assure qu’elles sont erronées. Rubio Luengo et Parra évoquent, eux, des tentatives de chantage, de soudoiement et des menaces à demi voilées. Les deux hommes recevront même des menaces de mort de la part de « collègues » de la SEA. Un agent de l’AOME informe le président de la commission de la Défense du Congrès que le CESID tente de masquer la participation de certains de ses membres au putsch. Calderón se voit contraint à faire ouvrir une enquête interne, confiée au lieutenant-colonel Jáudenes, chef de la Division de l’Intérieur. Et bien entendu, le rapport Jáudenes exclue toute participation du CESID et de l’AOME de Cortina au coup d’Etat.
Mais le chef du CESID change[17] et Cortina est finalement inquiété par la justice, suite à la troisième série de déclarations de Tejero, qui cette fois accuse Cortina d’avoir été le cerveau du putsch. A travers Cortina, Tejero cherche à compromettre Armada, les hauts dirigeants de l’armée et la Couronne elle-même.
Le procès du putsch 23 février est le plus long de l’Histoire judiciaire espagnole. Armada, Cortina et Gómez Iglesias se défendent d’avoir participé au coup d’Etat. Tejero et Milans les accusent, au contraire, de l’avoir commandité et cherchent à se disculper en s’appuyant sur le devoir tout militaire d’obéissance aux ordres donnés.
Les inculpés du 23 février connaissent la prison, certains y décèdent même. Tejero est libéré en 1996 et se lance dans une courte carrière politique, en choisissant pour slogan une formule des plus provocantes : « Faites entrer Tejero au Congrès par le vote ». Milans meurt en 1997 et repose à l’Alcazar de Tolède[18], haut lieu de la mémoire franquiste, après avoir soutenu, depuis sa confortable cellule, toutes les tentatives de putschs, dont le projet d’assassinat, lors d’une cérémonie militaire en juin 1985, des hauts dirigeants de l’armée, du président du gouvernement et de la famille royale. Armada est gracié par le gouvernement socialiste de Felipe González en 1988.
Epilogue
Le 14 juin 1982, juste après l’acquittement de Cortina lors du procès du 23 février, quatre bombes explosent dans des locaux de l’AOME. Ces attentats sont trop vite attribués à l’ETA ; ils proviennent en fait certainement d’un nouveau groupe de putschistes qui veut faire savoir au CESID qu’il n’aurait pas intérêt à s’opposer à une autre tentative de coup d’Etat. C’est aussi un message adressé à Cortina, le traître qui aurait organisé le putsch du 23 février avant de s’en détacher, de s’en dégager quand il sentit que l’affaire tournait au fiasco, puis de se faire innocenter de toute participation au coup d’Etat lors du procès qui s’ensuivit.
Le 27 juillet 1983, alors que quelques mois auparavant, le Tribunal suprême a alourdi la peine des principaux inculpés, le père de Cortina meurt dans l’incendie de son domicile, dans lequel Tejero dit avoir rencontré le commandant Cortina. Ce dernier réintègre les rangs de l’armée, mais pas les services de renseignement ; on se méfie désormais de lui, et on soupçonne son implication dans toutes sortes d’affaires troubles au sein de l’armée. En 1991, accusé d’avoir, par négligence, laissé filtrer des documents confidentiels à la presse, il doit quitter l’armée. Il sera plus tard le conseiller d’un membre éminent du gouvernement Aznar.
Cortina travaille aujourd’hui dans une entreprise de sécurité privée. Le 23 février n’est pour lui qu’un vague souvenir… qu’il n’aime guère qu’on déterre.
- [1] Président du gouvernement : en Espagne, le Premier ministre est appelé « Presidente », comme l’étaient, sous notre IVe République, les « présidents du Conseil ».
- [2] Leopoldo Calvo Sotelo (1926-2008) : Président du gouvernement espagnol (et président de l’Union du centre démocratique, UCD, de centre-droit) de février 1981 à décembre 1982. Il s’agit du neveu de José Calvo Sotelo, dont l’assassinat par des républicains fut le détonateur du soulèvement franquiste et de la Guerre civile en juillet 1936.
- [3] Adolfo Suárez (né en 1932) : président du gouvernement (UCD, cf. note 2) de 1976 à 1981 après avoir gravi les échelons de l’administration franquiste.
- [4] Transition démocratique : période allant de la mort de Franco (novembre 1975) à l’arrivée des socialistes au pouvoir (décembre 1982). Les limites temporelles de cette transition varient selon les experts, mais on peut considérer que l’avènement d’un gouvernement de gauche, sept ans seulement après la mort du Caudillo, marque réellement, par l’alternance, l’entrée de l’Espagne dans l’ère démocratique, et qu’alors la phase de transition est pleinement achevée.
- [5] Juan Carlos I (de Bourbon) accède au pouvoir à la mort de Franco, en novembre 1975.
- [6] Landelino Lavilla (né en 1934) : ministre de la Justice en 1976, il devient ensuite sénateur en 1977, puis député et Président du Congrès en 1979. Il est l’une des figures de la rupture décidée avec l’héritage franquiste et se montre, par exemple, favorable à la dépénalisation de l’adultère, la reconnaissance des couples non-mariés, la lutte contre la torture ou encore la défense des droits fondamentaux.
- [7] Manuel Gutiérrez Mellado (1912-1995), officier issu de l’Académie générale militaire de Saragosse, il combat dans les rangs franquistes durant la Guerre civile, avant de connaître une brillante carrière au sein de l’armée, devenant général de division en 1973. En 1976, il est nommé chef d’état-major central, puis premier vice-président du gouvernement, chargé des affaires de Défense. A la suite des élections de 1977, il demeure premier vice-président et devient ministre de la Défense dans le premier gouvernement d’Adolfo Suárez. Au sein du second gouvernement Suárez (1979-1981), il conserve sa fonction de vice-président, et prend en charge les affaires de Sécurité et de Défense nationale. A cette période, les mouvements d’extrême-droite l’accusent d’être franc-maçon et d’avoir été agent double pendant la Guerre civile (1936-1939).
- [8] Division Brunete : cette division blindée doit son nom à la bataille de Brunete (juillet 1937), durant la Guerre civile, bataille qui fut le plus grand affrontement entre chars de combat de l’Histoire militaire espagnole.
- [9] Le CESID (Centro Superior de Información de la Defensa) est créé en 1977 par le ministre de la Défense d’alors, Gutiérrez Mellado (cf. note 7). Il devient le pricipal service de renseignement espagnol. Il sera remplacé en 2002 par l’actuel CNI (Centro Nacional de Inteligencia).
- [10] AOME : Agrupación Operativa de Misiones Especiales.
- [11] Ainsi qu’au roi, à Gutiérrez Mellado et au ministre de la Défense, Agustín Rodríguez Sahagún.
- [12] L’opération Galaxie doit sa dénomination au lieu (une cafétéria de Madrid) où se rencontrèrent, le 11 novembre 1978, divers conjurés qui souhaitaient interrompre le processus de réformes politiques alors en cours en Espagne. La date retenue pour le putsch était le 17 novembre, date à laquelle le roi Juan Carlos devait se rendre au Mexique. Le plan comprenait l’occupation du Palais de la Moncloa, où serait en train de se dérouler une réunion du Conseil des ministres. Ceux-ci seraient arrêtés sans autre forme de procès, afin de contraindre la Couronne à accepter un gouvernement de « salut national ». Les deux principaux meneurs du complot étaient Tejero et Ynestrillas, capitaine de la Policía Armada. Mais des officiers qui assistèrent à la réunion dénoncèrent le putsch en préparation. En mai 1980, Tejero et Ynestrillas sont condamnés respectivement à 7 et 6 mois de prison seulement. Aucun des deux n’est dégradé, et Ynestrillas sera même promu commandant.
- [13] « Involutionnisme » : orientation politique consistant, dans l’Espagne postfranquiste, à vouloir prolonger les valeurs et les structures de la dictature.
- [14] Autonomies ou « communautés autonomes » : structures « régionales » qui fondent l’ensemble de l’organisation politique de l’Espagne démocratique depuis le début des années 1980.
- [15] Sección Operativa de Misiones Especiales
- [16] Miguel Primo de Rivera (1870-1930) soumet l’Espagne, de 1923 à 1930, à un régime dictatorial sous l’égide du roi Alphonse XIII. Son fils José Antonio sera le fondateur du mouvement fascisant la Phalange, qui soutiendra longtemps Franco.
- [17] Le nouveau directeur est alors Emilio Alonso Manglano.
- [18] L’Alcazar de Tolède.