Les opérations secrètes du Mossad à Rome au cours des années 1970
Giuseppe GAGLIANO
Au cours des années 70, Rome est devenue le théâtre d’une série d’événements complexes impliquant le Mossad, le service secret israélien, ainsi que ses homologues italiens et palestiniens. Entre opérations clandestines, désinformation et espionnage, l’histoire offre un aperçu unique sur les équilibres délicats du pouvoir et de la politique internationale de cette période.
Le 6 septembre 1973, le quotidien romain Il Messaggero rapportait une opération secrète menée par le Servizio Informazioni Difesa (SID), dirigé par le général Gianadelio Maletti, qui avait réussi à intercepter une cellule palestinienne prête à attaquer un avion d’El Al. Cinq suspects, Ali Al Tayeb Al Fergani, Ahmed Ghassan Al Hadithi, Amin El Hindi, Gabriel Khouri, et Mohammed Nabil Mahmoud Azmi Kanj, furent arrêtés à Ostie en possesion des missiles sol-air Strela de fabrication soviétique.
Mais Victor Ostrovsky, ancien agent du Mossad et auteur de deux ouvrages[1], fournit une version alternative et détaillée de cette affaire. Selon lui, la cible des terroristes n’était pas l’avion, mais un passager de haut profil : la Première ministre israélienne Golda Meir. Il décrit une opération complexe qui commence grâce à une information obtenue à Londres d’« Akbar », un informateur palestinien du Mossad. Ostrovsky révèle un jeu d’agents doubles, de désinformation et une issue dramatique avec l’assassinat d’Akbar à Rome.
Cependant, Gordon Thomas, dans son livre Gideon’s Spies[2], présente une troisième version. Selon lui, le chef du Mossad Zvi Zamir était à Rome pour préparer la visite de Golda Meir. Son récit culmine avec la découverte des missiles cachés dans des camionnettes. Mais les différences sont importantes avec les faits relatés par Il Messaggero et Ostrovsky, notamment en ce qui concerne les dates et les détails des événements.
Les versions d’Ostrovsky et de Thomas diffèrent considérablement l’une de l’autre et par rapport au récit officiel. On relève des incohérences dans les dates, les lieux et les événements. Ostrovsky affirme que ses informations proviennent de documents de l’OLP capturés par le Mossad au Liban en 1982, mais sa narration présente des zones d’ombre et un manque de confirmations de sources indépendantes.
Surtout, il existe une quatrième version, celle de l’ancien chef du Mossad. Zvi Zamir, dans une interview de 2006[3], a fourni sa version des événements, qui contredit les autres narrations. Selon lui, le Mossad avait reçu un renseignement concernant une attaque imminente contre un avion d’El Al et, en collaboration avec les services secrets italiens, a réussi à déjouer le plan. Cette version, cependant, n’est pas sans contradictions et laisse de nombreuses questions ouvertes.
Quel a été le rôle des services secrets italiens dans toute cette affaire ?
Les services italiens, en particulier le SID, ont joué un rôle significatif et actif dans les opérations liées à la présence et aux activités des groupes palestiniens à Rome dans les années 70. Entrons dans les détails :
– Neutralisation de la cellule palestinienne : le SID, sous la direction du général Gianadelio Maletti, a réussi à localiser et intercepter la cellule palestinienne qui préparait un attentat contre un avion de la compagnie israélienne El Al. Cet épisode démontre la capacité opérationnelle et l’efficacité du SID dans la lutte contre les menaces terroristes sur le sol italien.
– Gestion des terroristes : le SID a joué un rôle clé dans la gestion des Palestiniens interpellés. Deux des terroristes présumés – Ali Al Tayeb Al Fergani et Ahmed Ghassan – ont été temporairement détenus par les Italiens avant d’être secrètement transférés en Libye, soulignant une approche pragmatique et possiblement négociée dans le traitement des détenus liés à des questions de terrorisme international.
– Collaboration avec le Mossad : l’opération traduit une certaine collaboration entre les services secrets italiens et le Mossad. Dans le récit fourni par Zvi Zamir, il est évident qu’il y a eu un dialogue et une action coordonnée entre les deux services pour déjouer une possible attaque contre un avion d’El Al à Rome.
Cependant, malgré leur apparente efficacité conjointe dans certaines opérations, il y a eu entre le SID et le Mossad des moments d’incertitude et de désaccords. Les échanges de renseignements et la révélation de certaines opérations ont parfois été influencés par des intérêts politiques ou internationaux. Sur le plan politique, il est assez évident qu’il y a eu accord entre les autorités italiennes et israéliennes pour présenter une version officielle des événements sauvegardant l’image des services italiens et mettant en lumière le rôle actif du SID dans l’affaire.
En conclusion, le SID apparaît comme un acteur clé dans les dynamiques complexes d’espionnage et de contre-espionnage de cette période, démontrant des capacités opérationnelles, des collaborations internationales mais aussi un certain degré d’ambiguïté dans ses actions comme dans la communication au sujet de celles-ci.
En dernière analyse, l’interprétation des opérations du Mossad en Italie pendant les années 70 peut être vue sous différents angles, en tenant compte du contexte historique et des dynamiques d’espionnage international.
– Protection des intérêts nationaux : les opérations du Mossad en Italie peuvent être comprises comme une tentative de protéger les intérêts nationaux israéliens. Cela incluait la prévention des attaques terroristes contre des cibles israéliennes, comme les avions d’El Al.
– Lutte contre le terrorisme : durant les années 70, le terrorisme palestinien était une grande préoccupation pour Israël. Les opérations du Mossad en Italie peuvent donc être vues comme une partie d’un effort plus large pour combattre le terrorisme et protéger les citoyens israéliens, tant sur le territoire national qu’à l’étranger.
– Collecte d’informations : le Mossad, en tant qu’agence de renseignement, avait pour objectif principal la collecte d’informations sur les groupes terroristes et les menaces contre la sécurité d’Israël. L’Italie, accueillant sur son sol de nombreux groupes palestiniens, était un lieu important pour de telles activités de renseignement.
– Collaboration internationale : Les opérations du Mossad en Italie ont également montré l’importance de la collaboration entre les agences de renseignement de différents pays. La coopération avec les services italiens indique un intérêt partagé pour combattre le terrorisme et assurer la sécurité régionale.
– Influence politique et économique : les actions du Mossad peuvent aussi être interprétées comme une tentative d’influencer la politique et les relations économiques entre l’Italie et Israël, en s’assurant que les intérêts israéliens soient protégés et promus au niveau international.
– Réaction aux dynamiques régionales : enfin, les opérations du Mossad en Italie peuvent être vues comme une réponse aux dynamiques géopolitiques du Moyen-Orient, notamment au conflit au conflit israélo-arabe et aux tensions régionales.
En résumé, l’activité du Mossad en Italie reflète la complexité et la multi-dimensionnalité des opérations de renseignement, où les intérêts de sécurité, la politique internationale et les stratégies antiterroristes s’entremêlent.
[1] By Way of Deception : The Making of a Mossad officer, St. Martin’s Press, 1990.
The Other Side of Deception : A Rogue Agent Exposes the Mossad’s Secret Agenda, Harper & Collins, 1994.
[2] Gideon’s Spies, The Secret History of the Mossad, St. Martin’s Press, New York, 1999.
[3] https://www.haaretz.com/2006-02-16/ty-article/preventive-measures/0000017f-e8be-da9b-a1ff-ecfffc630000